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Jean-Michel
TARTAYRE
27/12/2018
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Christian Saint-Paul lit des extraits de « Mangrove » en hommage au poète disparu Jacques LOVICHI. Voici ce qu’écrit Dominique Sorrente dans Scriptorium sur ce poète : « Jacques LOVICHI né en 1937, écrivain corso-provençal d'expression française, comme il aimait à le dire, Jacques Lovichi a levé l'ancre, le 18 novembre 2018. Avec ses airs de Capitaine Haddock, brouillant les pistes entre la Corse et la Bretagne, sa connivence hors sol avec quelques maudits comme Germain Nouveau ou Christian Guez Ricord, son amitié obstinée pour quelques poètes majeurs, et au premier rang Eugène Guillevic, sa façon de saluer du poing en appelant du côté de l'autre rive, Jacques, le solitaire farouche, avait pris sa part de défi collectif. Ce fut d'abord le groupe expérimental d'Encres vives, puis la revue Sud, puis plus tard encore, Autre Sud, et la revue des Archers. C'est dans ces aventures éditoriales que nous nous rencontrions, tout comme Jean-Max Tixier, son complice, et Yves Broussard, le timonier capitaine. Dans une de ses malicieuses dédicaces dont il avait le secret, Jacques avait complété le titre « Derrière c’est toujours la mort » par une formule au crayon « …mais devant, c’est encore la vie ». C’est ainsi qu’il faudra, au-delà de la légitime émotion du moment, lire les livres de Jacques Lovichi, découvrir ou retrouver une oeuvre complexe, ardente et obscure à la fois, toujours en mouvement ( romans, poésie, chroniques de théâtre...) qui témoigne d'un engagement littéraire intense, et plus encore d'un combat avec l'ange aux multiples reprises. Une porte a claqué sur le « Définitif provisoire », livre paru en 1980 dans la collection Sud. Il est temps d’apprendre à écouter la voix qui dit « l’inépuisement du sujet ». On peut retrouver une belle évocation de "l'enivrante tristesse de vivre" de Jacques Lovichi dans une note que Françoise Donadieu, qui fut sa confidente, nous avait confié au Scriptorium. http://www.scriptorium-marseille.fr/tag/jacques+lovichi
Dominique Sorrente
Romancier (Mangrove [Éditions Ipomée, 1982], La Licorne et la Salamandre [Jean-Claude Lattès, 1982], Le Sultan des Asphodèles-Sultaraveddu [Éditions Autres Temps, 1995. Prix du livre corse 1996], Rhotomago et autres fictions subliminales [Géhess Éditions, 2008], etc…), essayiste, critique de théâtre, directeur littéraire, Jacques Lovichi est avant tout poète.
Proche des Cahiers du Sud de Jean Malrieu, il entre dans les années 1970 au comité de rédaction de la revue de recherches poétiques Encres Vives, puis à celui de la revue SUD et, en 1998, crée avec ses amis ― Yves Broussard, Frédéric Jacques Temple, André Ughetto, Daniel Leuwers,… ― la revue Autre SUD dont il fut le rédacteur en chef (jusqu’à la disparition de la revue en décembre 2009) .
Son œuvre poétique se compose d’une quinzaine de recueils (dont Madrilenas, Insurrections, L’Égorgement des eaux, Rouge Cœur, Glyphes, Définitif provisoire, Mangrove, Fractures du silence [Prix Antonin Artaud 1985], Derrière c’est toujours la mort, Murs, Post scriptum/Post mortem, Mythologies de haute mer). L’essentiel de sa production poétique a été rassemblé dans Les Derniers Retranchements (Le Cherche midi éditeur), qui s’est vu décerner en 2002 le Prix de l’Académie Mallarmé.
Voici ce qu’écrivait Françoise Donadieu à propos de « Mangrove » : « Mangrove, publié en 1982, est à l’image de son sujet « cette zone marécageuse du sud-est asiatique lentement conquise sur la mer par les palétuviers-mangliers qui y installent une faune extraordinairement adaptée à ce milieu, foisonnante et étrange comme un paysage de matin du monde » Motifs proliférants, intrigue haletante, écriture inspirée, Mangrove tient à la fois de la fabrique de l’écrivain, de l’autoportrait baconien, du cauchemar surréaliste, du roman d’aventures. Cette œuvre peut à la première lecture paraître baroque mais le délire y est fermement enclos dans une architecture répétitive savamment maîtrisée, dans une écriture précise et rigoureuse, même et surtout dans le pastiche (me semble-t-il) du roman de gare ou du nouveau roman. C’est que Lovichi est un écrivain exact, si exact que l’expérimentation à l’œuvre dans Mangrove a pu lui sembler trop erratique. C’est pourquoi je vois dans Le Sultan des Asphodèles, publié en 1995, la mise au point de ce qui était visé dans Mangrove. Dire un lieu (jamais nommé car avant tout paysage mental) qui permette à la fois le rapport au mythe et l’abouchement au réel. » La démarche de Lovichi sur le lieu se perpétue aujourd’hui à Encres Vives où Michel Cosem a créé une collection « Lieu » qui rassemble déjà une centaine de publications. Extrait de « Mangrove » :
Il s’agit de tout reprendre. De considérer le premier jet comme une simple base de départ. Les brouillons sont toujours le lieu d’un conflit qui se résoud sans grande difficulté au moment de la mise au net. Devant moi, à nouveau, un paquet de feuilles blanches. Comment répartirai-je le texte ? Où vais-je coller mes citations, disposer mes mots éclatés, mes graphismes d’accompagnement ? C’est un long travail qui commence. Mais je sais que j’en sortirai victorieux, que la page vierge m’oppose ses dernières résistances. Maintenant, les mots sont tous passés de mon côté avec charmes et mirages. Ce sont eux qui m’aideront à gagner la partie. L’enjeu, c’est un poème somptueux, ruisselant de clartés éblouissantes. L’enjeu, c’est une nouvelle approche, jamais tentée, de la langue.
L’enjeu, c’est moi.
Christian Saint-Paul dit ensuite le grand intérêt qui s’attache à lire de Manuel Chaves Nogales, « L’Andalousie rouge et la « Blanche Colombe » & autres reportages ». Trad. de l’espagnol par Catherine Vasseur. Quai Voltaire, 172 p., 18 €
« Le livre, écrit Nathalie Lévisalles dans le journal « En attendant Godeau », réunit trois séries de reportages de Manuel Chaves Nogales publiés entre avril 1931 et juin 1936 dans le quotidien Ahora. Ils nous touchent comme s’ils avaient été écrits ces derniers mois, peut-être parce qu’ils parlent de religion et d’anarchisme, de colère populaire et d’immenses inégalités sociales. Peut-être aussi parce qu’ils évoquent un endroit qui n’existe plus, comme l’Amazonie des Jivaros, le Rajasthan des maharajahs ou la Pologne du Yiddishland.
L’Andalousie dans laquelle nous entraîne Chaves Nogales est une région où les choses semblent n’avoir pas changé depuis le Moyen Âge, où ferveur religieuse et superstition sont partagées par tous – les señoritos (propriétaires terriens quasi de droit divin) comme les journaliers qui vivent dans un état proche du servage. Et voilà que ce système féodal est percuté par des idées révolutionnaires déboulant de l’étranger. Qu’il nous décrive les effets de ce choc sur la Semaine Sainte de Séville ou sur le pèlerinage du Rocío, l’auteur constate que, « pour s’exercer ici, le communisme devra cesser de l’être et devenir anarchisme, syndicalisme… Les communistes des villages andalous feraient perdre la tête à Lénine et Trotski ».
Chaves Nogales tente donner un sens à ce mélange de misère et de dépenses insensées, de soumission à des forces sociales et divines aussi floues que puissantes. Impossible d’appliquer les catégories habituelles de l’analyse politique, il faut d’autres outils pour appréhender cette réalité. D’où une enquête, subtile et minutieuse, sur les forces en présence. On rencontre des señoritos, en tenue de cavaliers, tablier de cuir sur les jambes et chapeau enfoncé jusqu’aux sourcils, qui reçoivent dans leurs chais, faisant jaillir des tonneaux « le jet doré dans l’étroit et long verre en cristal », pendant que les ouvriers agricoles se demandent s’ils pourront semer cette année. Les uns placent « leurs espérances dans la dictature ou la monarchie », les autres dans « un idéal communisant aux contours diffus », tous ont en commun « l’aspiration à une explosion ».
Il y a ce reportage sur la Semaine Sainte à Séville dont des extraits ont été publiés en 1936 dans l’hebdomadaire français Voilà, illustrés par les photos d’un jeune photographe prometteur, Robert Capa. Au-delà du folklore et de l’ostentation de piété, quel est le sens de ces festivités? Et quelle place ont-elles dans « Séville la rouge » ? Pour comprendre, l’auteur entre dans les tavernes, rend visite aux syndicats et aux fabricants de bougies, il tente de saisir l’âme de ces confréries qui, depuis des siècles, font défiler leurs pasos (les chars portant les statues des saints). N’allez pas croire que l’appartenance à une confrérie traduise une véritable religiosité, avertit-il, elle relève en fait « des relations les plus vitales pour l’individu » : celles qu’il entretient avec son quartier et sa taverne. Personne d’ailleurs ne se sent d’obligation vis-à-vis des curés, « un fond d’anarcho-syndicalisme persistera toujours ». Tout cela cohabite joyeusement avec les fortunes dépensées pour payer le manteau brodé d’or de la Vierge, les monceaux de fleurs arrivant par wagons de Valence ou de Grenade et les kilos de bijoux accrochés aux statues et offerts par les Sévillanes, « de la riche dame qui se défait de ses colliers de perles et de diamants à la vieille cigarière qui fait don de ses pendants d’oreilles». Chaves Nogales raconte avec humour comment il se retrouve à servir de guide, on dirait aujourd’hui de « fixer », à un de ces journalistes français qui « de façon aussi circonstanciée que mal intentionnée, narrent à leurs lecteurs ce qui se passe en Espagne pour l’instruction et l’édification du velléitaire bourgeois parisien… Nous courons le grave risque que, d’un moment à l’autre, cet homme télégraphie à Paris la nouvelle sensationnelle selon laquelle les Andalous vivent sous un régime purement soviétique ».
Le texte est parfois traversé par un souffle poétique, notamment quand l’auteur raconte le pélerinage du Rocío, avec des « colosses qui fendent le marais, Vierge sur le dos… Plus qu’une procession, c’est un enlèvement — un véritable rapt mythologique. C’est un culte primitif, quasi sauvage ». Il y a aussi ces magnifiques descriptions de la dureté et de la splendeur des paysages andalous, de la beauté barbare de cérémonies où se mêlent christianisme méditerranéen, climat prérévolutionnaire et paganisme flamboyant. On voit, arrivant de « villages bolcheviques et réactionnaires, rouges et verts », précédées par l’odeur de l’encens et le roulement joyeux des castagnettes, des caravanes rassemblant señoritos et gitans, cavaliers et vieilles dévotes, charrettes couvertes de draps blancs et de dentelles, où « les jeunes filles aèrent leurs amples jupes à volants ». À l’approche de cet improbable cortège de romeros qui a cheminé sept jours sous l’impitoyable soleil andalou, Chaves Nogales décrit une image qui pourrait être un mirage. « En ces heures accablantes d’interminable randonnée, la romeria prend des allures d’authentique caravane, elle devient pareille à une cohorte transhumante d’Afrique, à un peuple nomade du désert ».
D’autres scènes encore semblent sorties d’un rêve, ou d’un film, comme ce campement où, « au centre d’un cercle, une femme intrépide exécute une sorte de tango devant des grappes de visages virils hachés par la lumière violette des lampes à acétylène. L’ombre d’un cavalier fend la nuit au galope et se perd sur le chemin des pinèdes, emportant sur sa croupe un somptueux trophée orné de volants ». Plus tard, « au rythme de la guitare et des coplas », les romeros s’en retourneront « à Triana la Rouge où les attendent la faucille et le marteau ».
Le parfum des fleurs d’oranger, la lueur des bougies, l’énergie sexuelle, le chant des guitares, le murmure des prières dans la nuit… En saturant notre imaginaire d’images et de sensations, Chaves Nogales réussit à nous transmettre sa compréhension intime de la nature — et des contradictions — d’un peuple dont il est lui-même issu. Une autre chose rend ces textes sont émouvants : on y lit une profonde conviction républicaine et anti-totalitariste, mais aussi le désenchantement face à l’échec annoncé de la République.
Le livre de cet écrivain mort à 47 ans en 1944, en exil à Londres, est une très belle illustration de ce qu’est parfois le reportage journalistique : une forme de littérature. Comme ont pu l’être les articles de Vassili Grossman, qui a longtemps été reporter avant de devenir l’auteur de Vie et Destin. »
L’Andalousie rouge et la « Blanche Colombe » est le neuvième des livres (romans, nouvelles et reportages) de Chaves Nogales publiés depuis 2010 au Quai Voltaire par Alice Déon.
Extrait d’un passage de La Semaine Sainte à Séville :
« Tout frère digne de ce nom donne le meilleur de lui-même à sa confrérie. Il lui consacre tout ce qui n’est pas requis par la nécessité de vivre, tout ce qui relève de l’exubérance : ses heures de congé, ses élans de générosité, sa soif de fraternité et de camaraderie, de richesse et de fantaisie, de luxe et d’illusoire toute-puissance. Voilà comment des gens menant une terne et modeste existence en viennent à rêver de manteaux brodés d’or rutilants et de monceaux de pierres précieuses. On ne pourrait sinon concevoir que les membres passent l’année entière à parler de leur confrérie, de sa prospérité et de ses ambitions insensées. Rappelons que la cathédrale de Séville fut édifiée en vertu d’une résolution de son chapitre, dont les mots suivants résument l’enjeu : « Construisons un temple tel que les générations à venir nous prendront pour des fous. » Des siècles plus tard, ce dessein anime toujours chaque réunion du chapitre de chaque confrérie sévillane. » *** Christian Saint-Paul reçoit son invité : Jean-Michel TARTAYRE venu présenter son dernier recueil de poèmes « Face Nord » paru aux éditions Encres Vives collection Encres Blanches (6,10 € à commander à Michel Cosem, 2 Allée des Allobroges, 31770 Colomiers).
Après des études littéraires et avoir exercé la profession de libraire, Jean-Michel Tartayre devient professeur de lettres modernes en lycées et collèges. Il est l'auteur d'une quarantaine de recueils de poèmes publiés aux Dossiers d'Aquitaine, au GRIL, aux éditions Encres vives, N&B, La Porte et Alcyone. Il a collaboré à de nombreuses revues littéraires, notamment : L'Arbre à paroles, La Nouvelle Tour de Feu, Séquences, La Revue des Dossiers d'Aquitaine, Inédit Nouveau (éd. du GRIL), Isis, Lélixire (éd. Robin), Multiples et L'Ours polar. Il écrit régulièrement pour Encres vives et Phaéton. En 2011, il participe à la 10e édition du Festival du Livre d'artiste "Sous couverture" de Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-et-Garonne), en faisant une lecture de ses poèmes. Il fait partie depuis 2015 du comité de rédaction de la revue Encres vives. En 2016, au XIe Salon du livre des Gourmets de Lettres de Toulouse, il a reçu le Grand Prix de Poésie pour son recueil Vers l'été suivi de Fractions du jour (N&B éditions). Ce même recueil a été récompensé par la Médaille de Vermeil de l'Académie des Jeux floraux en 2017. En 2018, il a été promu au 10e Fauteuil de l’Académie des Livres de Toulouse. Il est inscrit dans l’annuaire des auteurs du Centre Régional des Lettres Midi- Pyrénées et au Répertoire Balzac de la Société des Gens de Lettres (SGDL). Parmi ses ouvrages les plus récents : Vers l’été suivi de Fractions du jour (Éditions N&B, 2016). Toulouse Blues III (Encres Vives, 2016). Poudre de jour (Encres Vives, 2017). Ombres bleues (La Porte, 2017). Toscana (Encres Vives, 2017). Les Sources (Encres Vives, 2017). Autour des aubes grise, assorti d’un avant-propos de Michel Cosem et d’une encre de Silvaine Arabo (Éditions Alcyone, 2017). Neptune (Encres Vives, 2018). Les Cités des brumes bleues (Encres Vives, 2018). Face Nord (Encres Vives, 2018). Deux poèmes extraits de cet ensemble Face Nord ont été retenus dans l’anthologie PHOSPHÈNES par M. Pierre Benazech.
Lors de l’entretien avec Christian Saint-Paul, Jean-Michel Tartayre confie : « Face Nord est la pente vers laquelle ma recherche s’oriente, confie Jean-Michel Tartayre. C’est ce qui est dur et en même temps c’est une vraie réalité. Le mental doit s’adapter à cette réalité. La poésie est une prise de contact avec le réel, permanente. C’est une adhésion à la pierre, à ce qu’elle représente. Du Bouchet, c’est l’écriture lapidaire. Le support c’est la pierre. C’est comme avec le haïku, les samouraïs écrivaient avec un sabre sur la pierre. Les romains, les grecs, les égyptiens écrivaient sur la pierre. C’était à la hache. Je ne peux dissocier le support du signe. « Face Nord » c’est aussi ma fascination pour la montagne. Le roc demande à être perçu. C’est la verticalité, c’est l’effort. Un dépassement physique et spirituel. Patrick Edlinger, alpiniste exceptionnel, disait simplement : « je grimpe ». Ces deux mots suffisent. Ils résument une vie d’homme. C’est pareil pour le poète, il faut qu’il grimpe ! Le poète n’est pas celui qui invente ou démontre mais fait devenir, disait Saint-Exupéry. Je lie la poésie à la mathématique. La mathématique, c’est l’esprit et le corps, c’est la seule réalité. La mathématique, c’est la perfection, comme la poésie ! C’est la recherche de l’accomplissement de soi, la plénitude. »
Lecture d’extraits de « Face Nord » par l’auteur.
A la mémoire de Patrick Edlinger 1 Toucher, agripper des mains et des pieds, Par la pensée - la face nord, le regard Droit devant toujours
Et donnant à son corps La fluidité adéquate telle L’eau du torrent sur la pierre - à contre-courant.
L’homme réalisant l’ascension Eclaire par sa sagesse. Incroyablement serein, il arrivera
Au sommet - atteignant ainsi le plénitude Du roc auquel il est lié - intrinsèquement. « Je grimpe ».
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Jean-Pierre
LASSALLE
20/12/2018
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Christian Saint-Paul attire l’attention des auditeurs sur le dernier livre de poèmes de Svante Svahnström Navigateur au sommet du vide, Bilingue français, suédois (et plus de 160 langues) , L'Harmattan éd. Une émission sera prochainement consacrée à ce poète qui vit à Toulouse. Voici ce que nous pouvons lire de la revue « Les Hommes sans Epaules » : Poète franco-suédois, Svante Svahnström est né à Paris, en 1949. Il vit en France depuis 1978. Svante Svahnström est l'auteur, en français et en suédois, de textes et de poèmes composés de mots de l’ensemble des langues de la terre. Il nomme cette écriture : « universification ». Ce sont des poèmes en trois parties où tout est transparent, soit des assemblages inattendus de mots de tous les idiomes, traduits ensuite mot par mot, position par position, en contextes poétiques français. Dans ses écrits, souvent des impressions de voyages, Svante Svahnström décrit les paysages en termes de corps humain et, à l’inverse, expose le corps humain comme s’il était un paysage naturel. Il écrit de la poésie en français et en suédois et se traduit dans les deux sens, parfois comme si les deux langues étaient proches. Lauréat, en 2004, du premier concours de poésie lancé par la Ville de Paris, Svante Svahnström a publié des poèmes dans le recueil Paris Poésie, édité par la Ville de Paris, ou dans les anthologies La Pampa de l’absolu (éd. Librairie-Galerie Racine), et celle du Festival « Les nuits poétiques » de Curtea de Argeş, en Roumanie. Ses textes ont également paru dans les revues roumaines Cafeneaua Literarã et Oglinda Literarã, dans l’anthologie de l’Atelier de poésie de Cognac, dans les revues Souffles, Les Hommes sans Epaules et Il giardino delle Muse, comme sur des sites littéraires albanais. Svante Svahnström a été Président de l’association L’Arche 23, qui regroupait des auteurs publiés par la Librairie-Galerie Racine. Il est aujourd'hui Secrétaire de l’association Festival "Au plus haut de Paris", qui organise annuellement un festival intimiste de poésie et de sculpture sur la Butte-aux-Cailles, Paris 13e. Svante Svahnström est également Président de l’Association Artistique Suédoise, Paris, dont la vocation est de soutenir les artistes suédois en France Claude ARGÈS (Revue Les Hommes sans Epaules). A lire : Languier (éd. Librairie-Galerie Racine, 2003), Hocus Corpus (éd. Librairie-Galerie Racine, 2009), Navigateur au sommet du vide, Bilingue français, suédois et plus de 160 langues (L'Harmattan, 2015) *** Christian Saint-Paul signale avec enthousiasme la dernière publication de Jacques Arlet : « Le siècle de Jean et Marie » roman aux éditions L’Harmattan, 20,50 €. Jacques ARLET est Mainteneur de l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse, élu en 2002 au 1er fauteuil, Chevalier de la Légion d'honneur, Officier des Palmes académiques, Professeur émérite de l’Université Paul Sabatier, Faculté de Médecine, ancien Président de la Société Française de Rhumatologie. Président fondateur de l’Association Internationale de Recherches sur la circulation osseuse. Docteur Honoris Causa de l’Académie de Dublin. Archiviste adjoint de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse. Auteur de livres sur l’histoire de Toulouse au XIXe siècle, sous Louis XIV, de biographies, de contes et de deux romans. LE SIÈCLE DES JEAN ET MARIE Roman Jean et Marie, dans ce récit d'aventures autour du monde et de l'histoire, s'attachent à raconter à leurs petits enfants les événements qui ont bouleversé leurs vie : la rencontre de leur amie Sophie, descendante de Louis XVII, les heures graves de la Seconde Guerre mondiale, les prémices de l'après guerre puis, à travers les yeux des enfants ainés, le début des trente Glorieuses, la Guerre d'Algérie, le Concile Vatican II. Les protagonistes s'enfoncent dans les bouleversements sociétaux de cette époque et débattent enfin des grands enjeux qui les construisent. À 98 ans, Jacques Arlet sort son dix-huitième ouvrage. Dans une première vie, jusqu'à la fi n des années 80, il s'est consacré à la médecine dans sa ville d'adoption, Toulouse. Auteur de poèmes et de contes du temps de son activité professionnelle, il se consacre depuis sa retraite à sa seconde passion, l'écriture. Depuis 2016, il s'essaye, avec bonheur, au genre romanesque. Ce presque centenaire n'a pas fini de nous étonner !
Jacques Arlet n’a pas écrit sur les guerres. Trop compliqué dît-il. Le XXème siècle est sinistre et mortifère. « Ce roman, trainait depuis dix ans ! nous apprend l’auteur. J’ai fait quelque chose d’un peu fantaisiste », dît-il avec gourmandise. Mais précisément, cette fantaisie, est la signature d’un romancier authentique ! Ce roman est une grande réussite. C’est dans ce livre qu’il se livre enfin ! On y retrouve le médecin acharné de travail, d’une totale humanité, épris de culture, la poésie, l’histoire, la peinture, la musique. L’homme intime apparaît dans ce roman qui est aussi une drôle de biographie. C’est dans ce livre que l’émotion de la lecture est la plus forte. Par les descriptions, par exemple le ravissement de la découverte du tableau de Vermeer ‘La fille au turban » à La Haye. Jean et Marie ont le bonheur de parfaitement s’accorder. Ils sont unis par la vertu chrétienne : « l’amour ça se gagne » dit Marie. L’historien est toujours là dans ce roman : le destin de Louis XVII s’invite dans ces pages avec l’histoire de Naundorff et sa rocambolesque aventure. Si la morale n’est jamais prise en défaut, ce n’est pas par pudibonderie ni excès de dévotion, mais par intelligence et respect infini de l’autre. Séduit par Sophie, une « casque d’or » rencontrée lors de la traversée vers l’Amérique, par ailleurs arrière-arrière petite fille de Louis XVII, devenue l’amie du couple, Jean aura « une vague tentation de bigamie ». Le médecin est toujours là aussi. Nous apprenons quelles étaient les conditions d’études médicales en 1940. Epoque où n’existaient ni la réanimation, ni la transfusion. Et c’est de la grande littérature ! Et celui qui a échappé à la guerre par la chance du calendrier, se retrouve dans Les Chantiers de Jeunesse. Puis ce sont tous les temps forts du siècle qui sont convoqués par le récit, jamais lassant, toujours en haleine de ce grand roman ! Le siècle se dessine avec ses contours contrastés. C’est une épopée tragique : retour des camps, Hiroshima, les procès bolchéviques, la guerre d’Algérie...et la Pologne et Chopin qui accompagne l’auteur, lui qui a succédé à Xavier Darrasse à la présidence d’une association en faveur des orgues.
A lire ce dernier livre qui est un chef d’œuvre, il démontre qu’il est un authentique romancier, avec un style qui est sa signature, ce mélange de vérité historique qu’il recherche et ce qu’il appelle fantaisie, qui n’est rien d’autre que le génie de son authentique imagination littéraire. *** Christian Saint-Paul reçoit Jean-Pierre LASSALLE venu présenter son dernier livre, « Le Grand Patagon et autres poèmes » dessins de Christian d’Orgeix, préface de Mikaël Lugan, aux éditions Le Grand Tamanoir,180 pages, 15 €.
Sur la 4ème de couverture nous pouvons lire : Jean-Pierre Lassalle vient du surréalisme et sa poésie en est un éclat augmenté. L’obscurité n’y est qu’apparente ; à mieux y regarder, cette aveuglante obscurité est plutôt excès de lumières ; la langue du poète n’est difficile a priori que parce qu’elle puise sa richesse dans toutes les sources, à moins qu’elle ne soit la langue des oiseaux. Lassalle accueille naturellement ce précipité de mots et d’images qui s’impose sous la forme du poème. Comme le cristal, le poème renvoie à l’œil la lumière en en multipliant les reflets et, incliné d’une certaine manière, demeure transparent. Cette anthologie de poèmes (1962-2015) propose de se laisser prendre à ces reflets. Partant lui aussi du surréalisme, Christian d’Orgeix propose en contrepoint des images récentes et inédites murmurant des fossilisations de fougères et d’empreintes. Tels des souvenirs minéralisés, elles sont un pendant graphique lumineux et mystérieux à cette poésie. Né à Padirac (Lot) le 9 août 1937, Jean-Pierre Lassalle a partagé très tôt avec André Breton qu’il rejoint en 1959, l’amour des cristaux et des vieilles monnaies. Breton dira d’ailleurs de lui, qu’il « qui sait caresser l’oiseau dans la pierre, capter le soleil ou la lune d’une monnaie » Ses études supérieures en lettres et histoire l’ont conduit à l’agrégation et au doctorat ès lettres, puis à une chaire de linguistique et littérature française à Toulouse, où il enseigna de 1969 à 2006. Il a collaboré aux revues Bief, Non lieu, Supérieur inconnu, où il côtoya Alain Jouffroy et de Sarane Alexandrian. Ses premiers recueils de poésie en 1962, 1963, 1969, 1971, ont été appréciés, notamment par Hans Arp, Joseph Delteil, André Pieyre de Mandiargues, Jehan Mayoux. Il a aussi été très proche de Gui Rosey, venu le voir à Saint-Céré en 1968, d’E.L.T. Mesens, et a eu le privilège de rencontrer Marcel Duchamp à Cadaquès en 1965. Dans le midi toulousain, il a été dans l’amitié de Gaston Puel, d’Adrien Dax, de Guy-René Doumayrou, ainsi qu’avec des anciens du groupe surréaliste La Main à Plume, comme Noël Arnaud et Boris Rybak. Co-fondateur de la revue Renaissance traditionnelle en 1971, il a aussi dirigé Les Cahiers d’Occitanie de 1985 à 2016, où il a publié ses trouvailles sur le comte de Lautréamont (ainsi que dans les Cahiers Lautréamont à partir de 1988). En dehors de la sphère surréaliste, Jean-Pierre Lassalle s’est beaucoup penché sur les poètes François de Maynard et Alfred de Vigny, et a contribué à faire connaître des minores comme Marc Papillon de Lasphrise, Ange Pechméja, Eugène d’Araquy. Une notice lui est consacrée dans le Caleidescopio surrealista de Miguel Pérez Corrales. Il collabore au bulletin d’informations sur le surréalisme, Infosurr, et aux Cahiers Benjamin Péret ; il continue de publier des recueils poétiques (dont les récents Les Petites Seymour, 2007, Il convient, 2015) et des préfaces, comme celle de la Chronique surréaliste de Charles Jameux (2017). Ses publications : Le Grand Patagon (éd. Salingardes, 1962), Retour de Rodez (éd. Riol, 1963), Rituel de Gueules (Morphèmes, 1967), Brusquement les oiseaux (Temps Mêlés, 1968), Diramant (éd. Riol, 1969), Clé d’amiante et clé d’or (Morphèmes, 1969), Enfin Lépante (éd. Riol, 1971), La Fuite Écarlate (éd. MCP, 1998), Poèmes Presques suivis de La Grande Climatérique (éd. MCP, 2000), L’Écart Issolud suivi d’Agalmata (éd. MCP, 2001), Les petites Seymour (Encres vives, 2007), Alfred de Vigny (Fayard, 2010), Il convient (Encres vives, 2015), Le Grand Patagon, anthologie 1962-2015 (Le Grand tamanoir, 2018). Jean-Pierre Lassalle s’explique sur cette anthologie personnelle : C’est un livre illustré et les dessins de Christian d’Orgeix n’alourdissent ni ne ternissent les poèmes. Les deux créations dessins - poèmes se marient bien, ne se nuisent pas bien au contraire.
Le Surréalisme est encore très vivant dans le monde entier. Le site surrealismo internacional mentionne mon ouvrage comme toutes les créations et manifestations surréalistes. Pour la plupart des gens, le Surréalisme s’étend entre 1920 et 1940 ; quelle grave erreur ! Il y a eu une intense activité pendant la seconde guerre mondiale et pendant les années qui ont suivi. Mais le mouvement surréaliste a été complètement étouffé au retour de Breton des USA par l’existentialisme. En 1945, Tristan Tzara était à Toulouse. Il a fondé l’Institut d’Etudes Occitanes. Mon oncle jouait aux échecs avec lui. Son influence sur le Surréalisme est considérable. « L’Homme approximatif » est un grand livre !
L’Ouvroir Littéraire Potentiel (L’OLIPO) procède du Collège de Pataphysique dans le souvenir d’Alfred Jarry. Breton n’a jamais été dans cette mouvance là. Mais beaucoup d’anciens surréalistes ont participé à l’OLIPO. Un de mes amis poète disait : « c’est la maison de retraite des anciens surréalistes ». Jacques Roubaud par exemple n’est pas dans la mouvance surréaliste, c’est un homme du combinatoire, qui est un des éléments de la création poétique. On peut en faire un but en soi, mais ce n’est pas du tout le projet de Breton.
Le Grand Patagon est une anthologie personnelle. Mais je n’ai pas repris certains textes comme ceux du « Retour de Rodez » ou de « La Fuite Ecarlate ». Le choix est difficile, même déchirant.
Mikaêl Lugan, mon préfacier, est un de mes anciens étudiants et est le spécialiste de Saint-Pol Roux le Magnifique. Il ne faut jamais oublier que Breton est allé voir Saint-Pol Roux à Camaret. De 1907, date de la mort de Jarry, à 1913 Valery Larbaud, Paul Claudel, Saint-Pol Roux publient leurs textes. On arrive en 1913 à « Alcools » d’Apollinaire. Dans le Surréalisme, une partie se réclamait de Rimbaud, un autre, la mienne, de Lautréamont. En poésie, il y a le drame du décalage de la réception. Très souvent, les poètes écrivent des textes très importants mais qui ne seront dévoilés, publiés et connus que bien après. Voyez Lautréamont ! Mallarmé dont « Igitur » n’est connu que trente ans après son écriture en 1868 ! Ce décalage fausse les choses. Les textes fondamentaux de Claudel sont d’avant 1914. On ne retient pourtant que le dramaturge des années cinquante.
Après une lecture d’un extrait de la préface, Jean-Pierre Lassalle poursuit ses explications : La poésie est l’expression d’une nécessité impérieuse. Si l’on veut s’adresser aux gens pour leur dire quelque chose, on utilise la prose, c’est la forme première de la communication. Ce n’est pas la démarche de la poésie. Si l’on arrive à passer une communication, tant mieux, mais ce n’est pas son but.
On n’a pas compris ce qu’était l’hermétisme. C’est une nécessité qui s’impose au créateur. Quand il a les mots pour exprimer la surréalité du monde, il concentre, il ne délaie pas le message. La métaphore de la cristallisation résume bien cela. Avec les mots, on capte une certaine lumière et on la difracte. Le lecteur doit en bénéficier. Jean-Clarence Lambert m’a dit que j’étais dans la tradition des Lapidaires. Ce sont ceux qui se sont intéressés aux cristaux. Mikaël Lugan a bien repris cela dans son titre de la préface : « Poésie heureuse, poésie pétrée ». Dans ma poésie, il y a les cristaux, les fleurs, les animaux et les femmes, donc tous les êtres, tous les éléments de la création peuvent être présents dans le poème, retransfiguré à l’aide de mots qui, quelquefois, peuvent être un peu spéciaux. Mais je n’ai pas à choisir des mots clairs ou des mots obscurs, ils s’imposent d’eux-mêmes. Les cristaux sont une préoccupation des surréalistes ; Breton ramassait des agates le long du Lot.
Lecture de poèmes de l’anthologie.
Le poète, comme le scientifique, a le souci d’arriver au cœur du réel. La vérité est à découvrir comme dans le mythe d’Isis aux sept voiles ; il faut enlever ces sept voiles les uns après les autres. Bien sûr on a plus de chance d’aboutir à une femme nue qu’à la réalité de l’atome et des particules élémentaires chères à Houellebecq.
Les anciens accordaient de l’importance à certaines années qu’ils appelaient Climatériques. Ce sont des multiples de 3, de 7 et de 9, chiffres magiques. La durée de la vie était plus réduite, alors l’anniversaire des 63 ans faisait peur. Natif de 1937, j’ai eu 63 ans en l’an 2000, il me fallait absolument publier un recueil auquel j’ai donné le titre de « La Grande Climatérique ». Il me faut aujourd’hui en affronter une autre, celle des 81 ans, 9x9, chiffre très ésotérique.
Lecture d’extraits de l’anthologie. Nostalgie
La ravissante en corsaire passait devant les fenêtres les seins nus affolant les matants. Son rire au téléphone avait des tintements de la jeunesse amante. Elle m’avait investi pour la dernière fois en talaire parme les pieds dans les violiers. Les moments de joie intenses étaient comme jectisses fichées dans le mur de l’abandon. Les javeaux du malheur encombraient mes errances. Je n’étais que rimayes dans l’oubli des tablettes. Me manquaient tant les poudrins de l’amour et les tamiers de l’attente au matin. Dérisoire le ripement des chaînes d’ancre dans les tristesses de rivelet. De toutes tes vies pourtant j’étais le taxiarque. Plus rien que des trochées dans l’allée cavalière où je rêvais de parmélies pour adorner ton corps. Mortes les collines des courses folles au destin de terris. Je n’ai plus de tasseaux pour l’envol des polacres.
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Michel Eckhard
Elial
13/12/2018
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Christian Saint-Paul reçoit : Michel Eckhard-Elial, poète, traducteur, fondateur et directeur de la revue LEVANT publia ses premiers poèmes à Toulouse où il résida jusqu’en 1967. Il vécut ensuite quelque temps à Paris, puis rejoignit Israël où il s’établit à Tel Aviv. Professeur à l’Université de Beer Sheva, il milite pour l’essor de la poésie, rassemble les acteurs juifs et arabes de la création poétique et affirme que la poésie est aussi l’instrument du rapprochement des peuples. Il fait paraître en français la revue LEVANT où les auteurs de haut vol se succèdent dans la progression des numéros. Un travail considérable qui fait partie aujourd’hui de notre patrimoine littéraire. Il traduit de l’hébreu les auteurs contemporains. C’est lui, le premier, qui fait connaître en France par sa traduction, le poète mythique Israélien, de la génération de Ben Gourions, Yehuda Amichaï. On lui doit entre autres l’excellente traduction de « La vie conjugale » de David Vogel (éd. de l’Olivier) et des poèmes de Roni Sonek.
Poète de la spiritualité, virtuose dans la méticulosité de l’emploi de la langue, Michel Eckhard-Elial construit, avec une discrétion inhabituelle chez les poètes, une œuvre qui comptera parmi les trésors de la poésie de langue française. Après sa dernière publication « Exercices de lumière », dans une édition livre d'artiste, illustré par Robert LOBET, il a fait paraître aux éditions LEVANT « L’arbre lumière » couverture également de Robert LOBET.
Il s’étend tout d’abord sur son œuvre de traducteur des poètes israéliens. Pour les éditions Caractères, il a traduit « Le monologue d’Icare » de Shimon ADAF (20 €).
Shimon Adaf est né en 1972 à Sdérot, au sud d’Israël, à la bordure du Néguev. Très tôt il commence à publier de la poésie et rejoint à Tel Aviv un groupe rock comme auteur et musicien. Dans le même temps, les années 90, Sdérot, ville d’immigration marocaine, puis russe, devient une scène musicale et artistique importante dans la vie culturelle d’Israël. Son œuvre littéraire, qui comprend trois recueils de poésie et dix romans, a reçu plusieurs distinctions nationales (dont les Prix Yehuda Amichaï et Sapir). Elle est traduite en plusieurs langues.
Aujourd’hui enseignant la littérature et l’écriture créative à l’Université Ben-Gourion du Néguev, il est aussi directeur littéraire aux éditions Keter. Lecture d’extraits
Pourquoi avons-nous dû fuir ? Si la mort était venue dans les tunnels de la soif et de la faim, il y aurait eu aussi l’oubli, et tout ce qui est passé, ou doit arriver.
Les poètes, les peintres, les conteurs m’obligent à diviser pour eux les cristaux du sel et de la mer. Je suis las de la sagesse accumulée au bord de la brûlure : chute après chute, tous les monuments fixés dans mon souvenir, et mon lieu de sépulture inconnu. Tout autour les gens tombent de haut dans l’espace rétabli entre la taille de la douleur et la profondeur du chagrin.
Cette nuit la lune plantera un ongle silencieux dans les brumes. Demain je vais tomber et les roses mordront l’air de leur bouche édentée et d’un immense appétit sénile.
*** Puis d’ Eliaz Cohen : Poèmes des jours terribles et des jours suivants, Éditions du Levant, trad. hébreu Michel Eckhard Elial, Peintures à l’huile Denis Zimmerman, 62 pages, 30 €
Eliaz Cohen nous dit Marc Wetzel, a été découvert dans la Revue Levant et au Festival des Voix Vives de Sète, où il est invité en juillet 2015. Eliaz Cohen est né à Petah Tikva en 1972 d’une famille installée à Elkana, village de Judée. Nourrie de culture juive et d’une forte implication pour la réalité sociale et politique du pays, son œuvre témoigne d’une exigence éthique de la poésie. Ce poète appartient à une nouvelle génération poétique, engagée dans un dialogue de création et de paix avec les poètes arabes palestiniens, qui en fait une figure de proue de la nouvelle configuration poétique de la région. Cette belle traduction de Michel Eckhard Elial est la première en français. Ce poète appartient à une nouvelle génération poétique, engagée dans un dialogue de création et de paix avec les poètes arabes palestiniens , qui en fait une figure de proue de la nouvelle configuration poétique de la région. Sa voie (une « troisième voie ») est celle de l'authenticité et de l'attachement à une terre à partager entre deux peuples (juif et palestinien) à l’intérieur d’un même Etat. C'est cette voix, singulière et inédite, en dehors des clivages traditionnels de l'idéologie, que Levant veut faire entendre, dans l'espoir de « faire bouger » les lignes de l’imaginaire politique dans cette région. Poète et militant, il participe ces dernières années à une nouvelle initiative de paix, « Une terre, deux états » Il est l’auteur de cinq livres de poésie dont, pour les plus récents : Hear O Lord – Poems from the Disturbances of 2000-2008 (Toby Press, 2010, bilingual edition) ; Till we got an understanding with light (Keshev, 2010) ; Tomorrow the moon will sow (Even-Choshen, 2018). Lauréat du Prix du Premier-Ministre, il dirige la Revue poétique « Meshiv ha-rua’h »(Le souffleur d’esprit).
« Poèmes des jours terribles et des jours suivants » comprend, pour la première fois en français, un choix de poèmes d’amour et de « situation », traduits par Michel Eckhard Elial pour témoigner, ici et pour demain, d’un message de paix et d’espérance. A cette démarche s’associe l’œuvre de l’artiste Denis Zimmermann, qui accompagne par des peintures uniques les 100 exemplaires du Tirage de tête de la présente édition.
A la poésie, rien d’impossible, puisqu’aux problèmes insolubles, les poètes offrent des réponses insaisissables. Par exemple, comment survivre à la fin du monde ? Un vertige plus puissant que l’Apocalypse suffit !
« Flotter au-dessus du tourbillon je sais qu’après l’extinction du soleil et la dernière étoile je serai à nouveau emporté vers lui » (p.32) ou : comment sauver ce qui se noie en nous ? En nouant les deux vagues tueuses. « Un raz-de-marée menace de nous noyer cette nuit dans l’orage d’aimer si tu l’avais voulu je t’aurais tendu une main claire pour te sauver » (p.31)
comment rejoindre (sans coup férir) l’horizon ? En désirant la seule asymptote.
« Après toi j’accourrai vers les fruits de ton corps et tes secrets Conduis-moi, derrière toi, j’accourrai » (p.39)
comment échapper (à coup sûr) à un tremblement de terre ? Par trépidations strictement synchronisées à lui.
« Cette terre qui tremble sous nos pieds nous secouera (comme la poussière d’un tapis avant la Pâque) seuls resteront ceux qui sont collés à la terre » (p.43)
comment compter sur la discrétion de Dieu ? En bâillonnant sa Providence.
« Je suis venu avec toute la bénédiction muette des vallées : que l’œil du soleil tourne mais ne dise pas que je suis venu » (p.44)
Reste une question : dans quelle situation se mettre pour que ces réponses insaisissables nous viennent ? Eliaz Cohen (né en 1972) dit la sienne : imaginer pire que la mort en s’aimant tragiquement dans un pays en guerre . Ça devrait pouvoir rendre la Muse intarissable, et en effet :
Imaginer pire que la mort est facile à un Israélien : il suffirait que tout recommence.
« Dans l’holocauste à venir, nous serons assis, comme des séraphins au balcon, et nous compterons les migrations de juifs » (p.49)
Aimer tragiquement est prendre conscience que les amants ne feront un qu’en chacun d’eux, qu’ils ne seront réunis, au mieux, que de chaque côté, mais jamais entre eux, au cœur du monde :
« Le gel gagne le village nous ne sortirons pas nous deux en un seul corps implorons la clémence »(p.61)
Le pays en guerre, on le connaît aussi. Eliaz Cohen parle du nécessaire et impossible partage de la terre avec une rare acuité. Tout ce qu’il suggère est extraordinaire. D’abord, des ennemis – qui ne veulent pourtant rien avoir en commun – partagent la guerre qu’ils se mènent (car c’est la même, si elle est réelle : seul un fou – ou Don Quichotte – croit mener une autre guerre que celle qu’on mène contre lui). La poussière est exactement la même des deux côtés du front, où qu’il passe. Chaque camp se fanatise donc pour s’imaginer seul humain dans la confrontation (l’autre groupe n’est qu’un ramassis d’animaux, de diables ou de robots tueurs).
Moralement, bien sûr, toute guerre est fratricide (puisque moralement les humains sont frères) ; mais, politiquement (c’est-à-dire dans les vies collectives réelles à affirmer, ménager ou défendre), une guerre est fratricide dès que des groupes sont frères, et l’est tragiquement s’ils ignorent qu’ils le sont, c’est-à-dire qu’ils sont persuadés (par la méfiance et l’ignorance mutuelles) de mener une guerre « extérieure » contre l’autre camp, alors qu’il s’agit d’une guerre civile, à l’intérieur d’un même et seul peuple plus large, inaperçu de lui-même, puisque les camps ne le forment en quelque sorte qu’en Dieu, dans l’invisible, dans un primordial pas encore éveillé à lui- même. La citation précédente (« nous ne sortirons pas/nous deux/en un seul corps ») – qui semble décrire deux amants s’étreignant en Dieu, unis donc à l’horizon (alors que de simples rivaux sont séparés, comme le sont aussi de simples amis), trop loin pour le savoir, mais trop intensément pour l’ignorer – ne dit-elle pas, profondément, la tragédie israélo-palestinienne : « une terre, deux pays » ou « un pays, deux peuples » – insoluble dilemme tant que l’exacte distance historico-spirituelle entre les deux camps (les deux âmes collectives) n’aura pas été mesurée. Ce poète y travaille.
Il y a, dans ce recueil étincelant et intègre, de formidables images, qui trahissent comme une guerre civile dans l’imagination même du poète : des barrages routiers dans un tunnel, un guetteur pris pour cible par plus enveloppant que lui (p.50), des lignes de crêtes qui hésitent à se chevaucher (p.22), des montagnes qui fondent comme cire et coulent comme pus et fange (p.47), ou une mer intérieure de l’âme que même Dieu ne peut aider Moïse à écarter parce que cette mer est aussi Lui !
« Difficile l’éclosion du cœur, un océan de conscience blanche même si un bâton le partage il ne se redresse pas comme une colonne d’eau » (p.45)
mais aussi de formidables tensions (comment par exemple ne pas « bénir » (p.20 et 21) notre propre maison et nos enfants ? Et comment, pourtant, ignorer, que toute bénédiction est partielle (dire le bien ne garantit pas de le faire entendre !) et partiale (dire le bien proche, c’est s’éviter de faire le bien lointain)… des aveux contradictoires (une miraculeuse ouverture de cœur, et en même temps le fatal constat de « chacun recroquevillé dans la maison de ses pères », p.27) ; mais comment ne pas, par intenses sympathies, être comme le caméléon des divers milieux irréels qu’on arpente ?
de lancinants scrupules (l’auteur vit dans une récente colonie – reprise en 1967 à l’administration jordanienne, une bribe de « territoire occupé » donc, mais, voyant ses voisins repoussés dans l’invivable, se tourmente chaque nuit : avions-nous titre à les écarter ? Pouvons-nous mériter de les remplacer ?)
Honnêtement, voici un immense poète, quelqu’un dans la parole duquel la vie et la pensée, comme dans le songe oppressé d’une femme enceinte, se tiennent l’une l’autre, comme ici : « Le matin quand nous nous sommes levés nous avons cru que la terre s’était perdue. Nous l’avons cherchée sur nos fronts, entre les draps sur la table à écrire muette. Les signes étaient oubliés. Et nous ne savions pas pourquoi elle nous avait quittés. Nous avons accusé une ancienne fracture. Nous étions comme une femme enceinte, une femme enfermée dans une prison que voit-elle ? Le plâtre s’écaille en violet pur, comme la mémoire. La mémoire tremble dans son ventre, un fœtus bouge, la mémoire essaie. La mémoire est morte » (p.18)
Marc Wetzel ***
Enfin Michel ECKHARD ELIAL commente son dernier livre : L'arbre lumière – Levant, 20 € De ce dernier livre Marc Wetzel écrivait :
« Voici la première page du recueil, dont l'énigmatique splendeur dit tout du reste, sans elle-même se dissiper :
« A retourner au silence le chemin nous enveloppe de ses arbres de pensées, car tout est manifeste sous la brûlure du feuillage.
C'est un éveil qui épelle nos peaux en graines, par-dessus l'épaule muette des rêves, l'aile pousse sous le duvet de l'ange.
A serrer l'enfant on apprend le geste du ciel, or l'aimé et l'enfant ne font qu'un pour être au monde et nous réconcilier au destin. On ne sort pas de l'ombre à rebours de la lumière, mais rejoindre au bord du ciel rouge le clair de l'amour. Après le silence de l'hiver et les haltes, qu'il nous refonde à la lumière dans le soin de la terre » (p. 5)
D'abord, on ne peut rêver meilleure impossibilité qu'un arbre lumière : aucune lumière ne se fixe grandir quelque part, aucun arbre n'a la masse nulle d'une transition rayonnante. Et, de toute façon, quand un arbre est déjà lumière, où et comment opérera-t-il sa photosynthèse ? D'ailleurs, la sève d'un arbre lumière serait bien plutôt comme une lave qui le rongerait en le nourrissant et l'irriguant. L'image qui donne son titre au recueil semble illogique, ou rebuter l'imagination.
Sauf que l'imagination elle-même est une parfaite arborescence, une sorte de labyrinthe volatil d'images et d'affects – (arborescence, c'est d'ailleurs arbrescence, c'est le modèle d'un être qui pousse partout où il peut briller !), et comme le buissonnement (à racines, à cime) d'une mystérieuse tête chercheuse, qui vole se ramifier en tout ce qui accueille ses nids de voix. Le feu d'artifice retombé, et comme fossile, d'un plumage de paon dit bien, par contraste, ce que pourrait indéfiniment un bouquet qui pense.
Mais je n'ai pas percé, je l'ai dit, l'énigme de ce beau recueil. J'y devine seulement qu'un arbre lumière aurait deux merveilleux (et complémentaires) effets : il ferait de la lumière un arbre, c'est à dire un mât natif et qui bifurque ; et, d'autre part, il ferait de l'arbre une lumière, c'est à dire une source transportant sa vibration. Mais les deux ensemble font comme un rébus spirituel dense et déroutant, comme un nœud de trois brins pour moi indémêlables : Premièrement, il y a un fil d'années-lumière tendu de toute étoile à tout œil, et voilà l'immense arborescence de la voûte céleste : « Que manque-t-il à l'équilibre du jour, qui ne soit déjà contenu, comme une graine dans sa terre, dans la conscience suspendue, magique du langage. Sur tes yeux, se lit le hiéroglyphe du ciel, car nous sommes les deux moitiés de la rencontre du réel, dont les mots sont la semence claire et dispersée. Le rayon brisé dans l'exil de la nuit redevient par le miracle de cette rencontre un indissoluble soleil » (p. 38)
Deuxièmement, un fils meurt, et la voix paternelle se brise – mais c'est, si le père est poète, pour redevenir voix générale, voix tout court, voix naturelle de la lumière. « Des fils aux pères nous avons été qui ils seront avons-nous compris qu'il restera du noir à la lumière plus loin que nous maintenant c'est toi qui me fais signe pour creuser un ciel perdu et fleurir un autre soleil » (p. 32)
Enfin une question, nue, simple et terrible : que peuvent les racines quand une branche se casse (on a envie de dire, tant la souffrance semble avoir usé jusqu'à la la chair même du deuil : quand une branche s'envole) ? « Demain dans la même coulée de ciel grise moulue au milieu du gué l'Ange du poème coupé en deux.
Sentir tout aujourd'hui dans la chair d'hier nous existons contre le temps et le sable à sentir au bout de la nuit le poids de ce qui n'est pas là.
Où aller dans le jardin pour soulever la vapeur du monde et faire venir demain » (p. 16)
Une image toute simple, peut-être fausse, m'a hanté pour la lecture de ce recueil, et qui serait : un soudain coup de vent éteint le flambeau du relayeur suivant ; que pouvons-nous alors d'autre (avec notre propre lumignon assez vacillant et usé) que redémarrer courir, là-bas, pour lui ? Je devine bien que ce n'est pas suffisant ni fidèle, que veille ici une traditionnalité juive qui m'échappe (un monde où les lettres sont des êtres vivants, les noms des aliments, et les prières des semences) : « Sli'hah Quand ma mère disait ce mot tout était oublié pour le meilleur et le terrible aussi se diluait dans le déluge des mots d'amour pour le monde » (p. 37)
que de muets et étincelants efforts de la nature nous précèdent et peut-être nous guident, comme celui-ci : « combien de vents déboussolent la mer que nous cherchions d'autres ports ou le sommet de l'arbre » (p. 34)
ou cet autre : « ...abîme où l'étoile file elle recoud l'ortie des nuits » (p. 13)
et que Dieu est un tel Tout-Autre que même l'infini le perd de vue, courbe sa prétention, rebrousse chemin, revient au même : « l'échelle du temps est courbe à l'intérieur de ton amour échelle et poisson sont aussi ronds que les pains de proposition levés au visage du ciel » (p. 9)
J'en garderai la question profonde, et qui (me) fait peur : doit-on vraiment réparer le tort de la perte d'une voix (et si oui, ce disparu prématurément, de quoi est-il spirituellement victime) ? Quel sens d'être pour ce qui n'a plus de vie ? Car même chez les morts jeunes, la jeunesse ne fut pas une solution ; au mieux, un problème de moins (avoir quitté l'être sans en subir l'usure, avoir refermé sur lui-même et sur soi un passé pur de toute nostalgie). Et que d'autres ignorent maintenant à notre place ce qu'on aurait vécu, quels droits en tirent-ils ? Quels pouvoirs nous en laissent-ils ? Autrement dit : quand les gens meurent jeunes (plus jeunes que nous, ou que la moyenne, ou ce qu'ils pensaient avoir de lot personnel de monde), le restent-ils ? A quoi peut-on donc servir – dans le néant, comme dans la pure lumière – d'avoir bénéficié d'une vie sans déclin ? Avec cette certitude, pourtant : s'il y a un véritable bureau des tâches de l'Univers, il ne distingue pas, dans ses serviteurs à chants ou à signes, entre morts et vivants. L'inconnu fréquente équitablement Matiah et Michel Eckhard Elial.
Lecture d’extraits. |
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Maram al-Masri
29/11/2018
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JACQUES
LOVICHI
29/11/2018
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LYONEL TROUILLOT
22/11/2018
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Christian Saint-Paul invite les auditeurs à assister le vendredi 30 novembre 2018 à TOULOUSE Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine 1 rue de Périgord / 05 61 22 28 95 dans le cadre de l’exposition consacrée aux tirages de tête et œuvres des artistes PO&PSY (12 septembre-15 décembre), à la journée musique et poésie placée sous les couleurs de l’Espagne dans la grande salle de la Bibliothèque 12h30 Music’halte : Vicente PRADAL et son fils Rafael chantent des poètes hispaniques : Lorca, Miguel Hernandez, Antonio Machado, Neruda, Borges... 18h Lectures bilingues par Alfredo COSTA MONTEIRO et Danièle FAUGERAS de Antonio PORCHIA Voix réunies – œuvre complète traduit de l’espagnol (Argentine) par Danièle FAUGERAS po&psy in extenso 2013 Rodolfo ALONSO Entre les dents traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques ANCET po&psy 2017 Federico GARCÍA LORCA Polisseur d’étoiles – œuvre poétique complète traduit de l’espagnol par Danièle FAUGERAS po&psy in extenso 2016 Performance d’ Alfredo COSTA MONTEIRO Dépli po&psy 2014 intermèdes musicaux d’Enrique MURIEL *** Des très bonnes revues de poésie paraissant régulièrement, il faut signaler avec enthousiasme : Spered Gouez / L'esprit sauvage. C’est une revue annuelle éditée par le Centre culturel Breton Egin de Carhaix, avec le concours de ses militants bénévoles et de ses partenaires. Elle paraît tous les ans à l'occasion du Festival du Livre en Bretagne qui a lieu à Carhaix le dernier week-end d'octobre. Elle est le prolongement du travail de promotion du livre et de la lecture organisé autour du Festival.
Elle a été fondée en 1991 par Marie-Josée Christien, poète et critique. Spered Gouez publie poésie et textes courts, nouvelles, récits, en français et en breton, photos, illustrations et offre une large place aux chroniques et aux dossiers, en mettant en lumière des auteurs et créateurs contemporains. Spered Gouez édite aussi des ouvrages collectifs thématiques et la nouvelle collection Parcours. La collection Parcours, créée par Marie-Josée Christien pour repérer et relier des voix actuellement invisibles et dispersées, est consacrée à des poètes ou des écrivains d'aujourd'hui ayant un univers singulier, une oeuvre forte et marquante ancrée dans notre temps, qui puise aux sources vives de la poésie. Chaque Parcours est composé d'approches, d'articles et de commentaires de son œuvre, d'un entretien et d'une anthologie comportant des inédits. Le 1er volume est consacré à Gérard Cléry. Gérard Cléry a obtenu le prix de poésie Angèle-Vannier 2016 pour Roi nu(l) paru aux éditions Galerie-Librairie Racine. Le second volume consacré à Jacqueline Saint-Jean est paru fin octobre 2017. Bons de commande à télécharger sur la page "Collection Parcours". La revue annuelle «Spered Gouez / l’esprit sauvage», publiée sous la direction de Marie-Josée Christien par le Centre culturel breton Egin à l’occasion du Festival du livre de Carhaix, sort son n°24 sur le thème Sens dessus dessous, dont la couverture est illustrée par J.G. Gwezenneg. Depuis sa création, Spered Gouez place au centre de sa démarche « l’esprit sauvage » qui convoque l’alliance des sens et de l’esprit, de l’émotion et de l’intelligence. Plus que jamais, ce numéro appelle à retrouver du sens à notre existence, afin que notre intelligence et nos sens se ressourcent réciproquement, « C’est une idée erronée, sans sens, d’opposer l’esprit et les sens », affirme Marie-Josée Christien qui poursuit ainsi : « Ce sont nos fonctions biologiques élémentaires qui, en réveillant une palette d’émotions et de sensations, déclenchent notre activité cérébrale. La pensée a des ressorts insoupçonnés. Pour accueillir le monde en nous, pour penser, imaginer et créer, il nous faut sentir, regarder, toucher, goûter, entendre. L’activation de nos sens met notre pensée en mouvement et intensifie notre existence. Nos sensations, nos émotions, nos sentiments passent ainsi de notre corps à notre esprit. » Les textes de 26 auteurs, dont 10 pour leur première publication dans la revue, ont été retenus parmi les nombreux reçus. Au sommaire du n°24 : Sens dessus dessous / Penn da benn : avec Salah Al Hamdani, Guy Allix, Louis Bertholom, Alain Brissiaud, Marie-Claude Bourjon, Tom Buron, Annie Cariou, Marie-Josée Christien, Gérard Cléry, Annie Coll, Chantal Couliou, Roger Dautais, Flora Delalande, Colette Gibelin, Jean-Marc Gougeon, Jean-Paul Le Bihan, Jean-Luc Le Cléac'h, Mérédith Le Dez, Patrick Lepetit, Eve Lerner, Gérard Mottet, Tom Nisse, Patrice Perron, Morgan Riet, Jacqueline Saint-Jean, Sydney Simonneau et Murielle Vanderplancke. Dans un article bienvenu dans cette édition du festival consacrée au roman et aux romanciers, Yannick Pelletier nous invite à ne pas oublier Louis Guilloux, aujourd’hui un peu délaissé. Il nous rappelle que l’auteur du Sang noir, proche de Camus, est un romancier d’importance majeure, qui a donné à la Bretagne une dimension universelle. Eve Lerner s’entretient avec l’écrivain Salah Al Hamdani, né en 1951 en Irak, qui a été contraint de fuir la dictature de son pays en 1975. Jean Rio, à qui la rédaction confie le billet d’humeur, évoque son expérience des « Artistes Travailleurs de Bretagne », mouvement créé dans les années 70 en réaction à la volonté du centralisme culturel d’imposer un statut professionnel aux artistes. Une expérience à méditer encore aujourd’hui, le sujet n’ayant pas perdu son actualité. Jean Bescond publie le deuxième volet de son étude sur les relations entre Armand Robin et le chanteur Georges Brassens. Il analyse le personnage de Robin dans Bécassine, seule chanson où figure son nom. Le dossier central Tamm Kreiz donne à découvrir Jeanine Baude, poète voyageuse originaire des Alpilles, que ses pas ont menée à Ouessant où elle passe désormais une partie de l’année. Elle répond aux questions de Marie-Josée Christien. Le n° 24 est en vente au prix de 16 €. *** Les éditions Bruno Doucey ont fait paraître : Cerise rouge sur carrelage blanc de Maram al-Masri Édition bilingue arabe/français Traduction de François-Michel Durazzo ;136 pages, 15 € Maram al-Masri est née en Syrie en 1962, elle entreprend des études à Damas, avant de s’exiler à Paris où elle connaît une situation difficile. En 2003, Cerise rouge sur un carrelage blanc la révèle au public francophone. Quatre ans plus tard, elle obtient le prix de poésie de la SGDL pour Je te regarde, avant de publier Je te menace d’une colombe blanche aux éditions Seghers. Sa poésie, saluée par la critique des pays arabes et traduite dans de nombreuses langues, fait d’elle une des grandes voix féminines du Moyen-Orient. Elle a publié aux Éditions Bruno Doucey, Par la fontaine de ma bouche en 2011, La robe froissée en 2012, Elle va nue la liberté en mai 2013 (Prix Antonio Viccaro 2013 et prix Prix Al Bayane 2013), Le Rapt en 2015 et Cerise rouge sur carrelage blanc en 2018. Le mot de l’éditeur : Cerise rouge sur carrelage blanc… Le titre que Maram al-Masri a donné au livre qui l’a révélée au grand public ressemble à celui d’une nature morte. Des lèvres abandonnées à la froideur du quotidien. Une tache de sang que rien n’efface. Un fruit dans la neige. Une blessure. Les poèmes que rassemble ce recueil, dont nous publions aujourd’hui une nouvelle traduction, nous plongent au cœur de la vie d’une femme. Et l’on comprend, lisant ces vers d’une simplicité aussi désarmante que ceux d’Emily Dickinson, que la libération de cette femme passe par le désir et par l’écriture. Ainsi que l’écrit Murielle Szac au seuil du livre, « l’histoire de cette femme, qui a répondu à l’appel de la poésie pour vivre selon ses rêves, nous bouleverse parce qu’elle incarne chacune et chacun d’entre nous, dans notre aspiration à la liberté. » Extrait : « les femmes qui me ressemblent ne savent pas parler le mot leur reste dans la gorge
comme un lion en cage les femmes qui me ressemblent rêvent… de liberté… »
Une émission sera consacrée prochainement à ce livre et à Maram al-Masri. *** Christian Saint-Paul lit de larges extraits de : C'est avec mains qu'on fait chansons, éd. Le Temps des cerises, 10 € de Lyonel TROUILLOT . Romancier et poète, Lyonel Trouillot est né en 1956 à Port-au-Prince. Issu d’une famille d’avocats, il entame des études de droit, mais très vite se fait remarquer par ses écrits. Il apporte sa contribution à différents journaux et revues d’Haïti et de la diaspora, dans lesquels il publie de nombreux poèmes et textes critiques. Il est très engagé dans la résistance à l’oppression de son pays, qu’il a toujours refusé de quitter. Dans les années 1990, il anime Cultura, une revue littéraire lancée dans le cadre du projet franco-haïtien de promotion du livre et de la lecture. Aujourd’hui il vit et travaille toujours dans sa ville natale. Professeur de littérature à l’institut français d’Haïti et à l’université Caraïbe, il poursuit parallèlement ses activités littéraires en publiant une œuvre poétique et romanesque de première importance, des poèmes composés en créole et des romans écrits en français. En France, l’œuvre de Lyonel Trouillot est publiée par Actes Sud et Riveneuve éditions. Membre très actif du collectif « NON » qui s’est créé à la fin de l’année 2003 au moment des événements tragiques d’Haïti qui ont donné lieu au départ d’Aristide, Lyonel Trouillot, intellectuel de longue date engagé sur le front de la résistance à la dictature et de la reconstruction démocratique de son pays, n’a depuis, cessé de mettre sa notoriété et son action au service d’une cause dont il est sans conteste l’un des porte-parole les plus écoutés. Lyonel Trouillot est président de l’association Étonnants Voyageurs Haïti. Photo Francesco Gattoni. C’est avec mains qu’on fait chansons « C’est quand on essaye de l’écrire que se pose à nous la question de savoir ce qu’est la poésie. Peut-on prétendre que c’est bien elle qu’on écrit ? Un tel savoir impliquerait de pouvoir la nommer dans son être ou dans ses fonctions, attitude quelque peu prétentieuse ou réductrice. On ne peut non plus prétendre ne pas la connaître un peu, ne pas sentir sa présence dans des textes qu’on a lus, sans dire que les textes en question l’épuisent ou la définissent. Affronter la poésie, c’est vivre dans le doute. Y touche-t-on ? La touche-t-on ? D’où, chez moi l’hésitation à donner à lire celle que j’essaye de faire, ou à donner à lire les textes que je fais comme étant de la poésie. Je viole une de mes lois secrètes en donnant à lire ce choix de textes. Qui couvre une période de trente ans. Mes hier et mes aujourd’hui, mes démêlés avec des intentions esthétiques et des questions humaines qui me traversent, me quittent, me reviennent. J’ose donc partager ce doute sur la poésie avec le lecteur qui le voudra. L’écriture poétique restant pour moi la plus sacrée des fêtes païennes et une entreprise de restitution langagière sans égale, par les blessures, les songes et le rapport au réel, individuels et pourtant communs qu’elle interpelle. C’est là où je partage mes peurs, et me fais peur. Là où, résolument timide, je noue avec moi, et avec toi, une relation aussi nécessaire qu’improbable. » Lyonel Trouillot
Cette anthologie est sa seule anthologie poétique parue en France, elle couvre trente ans d’écriture poétique.
Dessin de couverture d’Ernest Pignon-Ernest Un compte rendu de Frédéric Thomas : « Les Lettres haïtiennes sont à l’honneur, avec la nomination récente de l’écrivain Dany Laferrière – auteur notamment de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (1999, Serpent à plumes) –, à l’Académie française. Mais il ne s’agit ni de sauver la culture ni de croire que Haïti sera sauvé par la (sa) culture. Et Dany Laferrière d’évoquer, lors de son discours de réception à l’Académie, la mémoire du poète haïtien Edmond Laforest, qui, en 1915, pour protester contre l’occupation américaine de son pays, est mort en dandy résistant : en se noyant dans sa piscine avec un dictionnaire Larousse au cou. Ce geste à la fois de rage et dérisoire trouve un écho dans le recueil de poèmes de Lyonel Trouillot publié au Temps des cerises. Couvrant une période de 30 ans, il s’ouvre paradoxalement sur Il n’y a plus de poème, comme pour mieux souligner la fragilité, l’incongruité, mais aussi l’enjeu de cette poésie.
« Mais l’arbre est trop sec pour le poids d’un pendu Ou trop triste Ou trop vieux, Et pourquoi l’homme demanderait-il à l’arbre de signer sa défaite (p. 10)
(…)
J’ai donné en cadeau mon désir de poème À ceux que j’ai aimés et qui ne sont plus (p. 10)
Une écriture qui se donne et se mesure aux adieux, emportant et retenant à la fois les lieux, les choses et les êtres, qui ne sont plus, les réinvestissant d’un amour et d’un dernier éclat:
« Que ne donnerais-je pour que l’amandier soit toujours là pour que la cour soit toujours là. Toutes les choses de ce temps sont parties, sauf la musique, sauf tes mains distribuant des promesses et des aquarelles, sauf ta voix qui chante: « un jour, le ciel sera beau » » (p. 30).
Poèmes d’amour, de mémoire, de colère et d’occasion « qui portent leurs blessures comme une chanson secrète » (p. 18). Dans un pays, qui a pu être qualifié de « République des ONG », où, depuis 2004, sont présents les casques bleus de la Mission des nations unies pour la stabilisation de Haïti (Minustah), Laferrière et Trouillot, dans leurs analyses comme dans leurs fictions, ne font pas l’économie de l’histoire du pays, depuis sa guerre de libération – première République d’esclaves noirs libérés – jusqu’à la mise sous tutelle actuelle. Un poème comme Adieu l’ami, dédicacé « Aux employés de la Minustah et des ONG », mériterait d’être lu et médité ; oblige en tous les cas tous les acteurs de la coopération et de la « communauté internationale » à s’y confronter, à y répondre par autre chose que leur débauche de « bonne volonté »:
« Ma lettre sera brève : je veux que tu t’en ailles. Avec tes ONG, tes uniformes, ta bonne et ta mauvaise conscience, tes experts et apprentis, tes lettres de mission et tes prises de risque, ton étrange art de vivre qui pleure sur moi le matin en concluant que ton aide est nécessaire à ma survie et fait la fête le soir à the view, au quartier latin… (…) Tu sais, je suis venu à fond de cale, j’ai survécu. On m’a inventé des dettes que j’ai payées, j’ai survécu. On a assassiné mes frères : Péralte, Alexis, beaucoup d’autres. J’ai salué leur légende et pleuré leur absence, et j’ai survécu. La terre a tremblé et la ville s’est couchée sur moi. Sous des tentes et des hangars, j’ai survécu. (…) Aujourd’hui mon vœu est que tu m’aimes moins, ou assez pour partir. Il sera temps pour toi de revenir. En ami.
Quand j’aurai retrouvé le droit de décider d’un Noël à ma convenance. Et des couleurs du Nouvel An. Reviens-moi en ami et nous ferons la fête » (p. 14).
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jean pierre SIMEON
15/11/2018
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Une nouvelle émission est consacrée à Jean-Pierre Siméon. Rappel de la biographie d’une des premières voix de la poésie française : Jean-Pierre Siméon, agrégé de lettres modernes, est l’auteur d’une vingtaine de recueils de poésie, de deux essais, mais également de romans, de livres pour la jeunesse et de pièces de théâtre pour lesquels il a obtenu de nombreux prix. Il a été directeur artistique du Printemps des poètes et poète associé au Théâtre national populaire. Il dirige la collection Poésie aux éditions Gallimard.
Christian Saint-Paul s’entretient avec Jean-Pierre Siméon. « Je ne poursuis qu’un seul but, avertit en préambule le poète, à travers la poésie : contribuer à faire que les choses aillent mieux, qu’il y ait plus d’humanité dans un monde qui se déshumanise à toute vitesse, un monde qui est dans la peur, en proie à la paranoïa de l’agression. A la lâcheté morale, la poésie a toujours opposé l’exact contraire, c’est une perpétuelle recherche de sens neuf, d’horizons nouveaux. Elle cherche à refonder l’homme dans ce qu’il a de meilleur, le goût de l’aventure, de l’autre, de l’appel d’air. Aujourd’hui il y a un profond regain de la poésie. Le Prix Apollinaire a été remis à une jeune femme de 27 ans Cécile Coulon et je vois tous les jours que la poésie intéresse les jeunes et je trouve cela très encourageant. Ils entendent dans la poésie ce contre-ordre dont ils ont besoin. C’est une parole ferme, qui peut être de la colère mais qui est toujours fondée sur une volonté de vivre, de défendre ce qu’il y a de meilleur pour nous tous, le désir de vivre pleinement dans l’Absolu comme Rimbaud le rêvait. La position est une position éthique, rappelle Christian Saint-Paul. Mais le poème n’est jamais que le reflet de ce que tu appelles une éthique, poursuit Jean-Pierre Siméon, c’est-à-dire une manière d’être au monde, de se situer dans le rapport aux autres. Habiter poétiquement le monde aujourd’hui, comme l’écrivait Hölderlin, c’est exactement le contraire de ce que l’on nous adjoint d’habiter le monde. On nous soumet à l’obsession de l’avoir, du pouvoir, être toujours plus, plus fort, dominer et paraître. La poésie, il ne s’agit pas d’avoir mais d’être. D’être mieux, d’être plus intensément vivant. Aujourd’hui on est dans l’obsession du paraître, de l’image de la superficie. La poésie est l’exact contraire de tout cela. La poésie est dans l’échange, elle est dans l’éloge de l’autre comme l’écrivait Andrée Chedid. En ces temps où tout est fragmentaire, la poésie prend le temps d’aller dans l’épaisseur du réel. Contrairement à l’idée reçue, c’est à travers de la poésie qu’on a la meilleure approche de la réalité, c’est-à-dire la réalité humaine, les visages autour de nous, la rencontre des peuples mais aussi la réalité concrète du paysage, du cosmos. Depuis toujours les poètes ont ce rapport curieux, intense, passionné pour la totalité du réel. C’est cette réalité qui fait défaut aujourd’hui. La poésie est un contre-ordre à ce que nous enjoignent les slogans, la publicité, la manière dont il faut penser. C’est un cheminement libre dans la réalité et dans le monde. C’est pour cela que la poésie est d’abord une objection. Elle est subversive parce qu’elle renverse l’ordre établi, les catégories de pensées. Elle commence comme cela, mais elle peut être récupérée. Mais fondamentalement, elle est subversive puisqu’elle retourne les évidences, les conventions, les consensus. Depuis l’Antiquité les poètes ont toujours gêné. D’ailleurs, lorsque s’instaure un régime totalitaire, les premiers à être jetés en prison sont les poètes ! Car ils sont détenteurs de ce que nul autre ne possède : la liberté irréductible de parole. On ne peut empêcher la parole du poète. Mauricio Rosencof en Uruguay a survécu à sa détention épouvantable par la poésie. Il mémorisait ses poèmes qu’il a ensuite écrits à sa sortie. Quand j’ai choisi pour titre de mon essai « La poésie sauvera le monde », c’était une provocation. Cela peut faire rire ou sourire les gens sérieux. Mais c’est qui les gens sérieux aujourd’hui ? Les économistes, les financiers, les politiques ? Mais ce sont eux qui nous amènent dans le mur ! Ce sont les poètes qu’il faut prendre au sérieux ! Ils prennent le monde à bras le corps. Ils s’engagent dans la vie, ils ont un regard plus juste, plus accordé à ce qu’il nous faudrait tous. Non plus être dans une position de prédateur, de dominateur, mais être dans la construction collective. Nous sommes tous embarqués dans le même vaisseau. Je suis optimiste, je ne dis pas galère. Si les poètes tenaient le gouvernail, nous n’irions pas à la catastrophe comme aujourd’hui. L’éthique du poète sauverait le monde puisqu’on ne serait plus dans l’avoir et le paraître. Il faut changer complètement nos critères de jugement et nos perspectives. Essayons le point de vue du poète ! L’homme est libre de son destin. La poésie contribue selon le mot de Roberto Juarroz à l’accélération de la conscience. C’est un effort de conscience. Qui lit les poètes, fait agir sa conscience de façon neuve. Le poème propose toujours une appréhension nouvelle, imprévue de la vie, du monde. C’est cet imprévu qui ouvre la conscience. Cela conduit à une inquiétude heureuse, l’intranquillité de Pessoa. Parce qu’une conscience vivante est une conscience inquiète, qui ne croit pas en un monde clos, définitif. Chaque poème contribue à l’élargissement de la conscience. Et en plus dans le plaisir, dans l’émotion. Ceci pour tout le monde. On sort de nos habitudes de penser. Plus de conventions, plus de consensus, plus de conformité. J’appelle cela la règle des trois con, et Christian, tu me comprends puisque c’est cela que tu fais dans ta radio « libre » à Radio Occitania !
Dans « Politique de la beauté » c’est la justesse touchée, obtenue, atteinte par l’effort de conscience, par l’effort d’humanité en chacun de nous. La beauté est un autre nom de la bonté, de la fraternité, par l’effort d’intelligence, par l’effort de création. La beauté, c’est l’étreinte amoureuse du monde et des jours qui passent. La poésie doit certes faire entendre la douleur et la violence du monde, mais elle doit faire entendre aussi l’énergie qui nous permet de nous opposer à cela. La poésie doit donc être incandescence, c’est du feu, nous avons besoin d’ardeur. Dans la poésie il y a ce ferment d’ardeur. Je voudrais que la poésie soit un point d’appui à la conscience qui se redresse !
En mars 2019, je vais publier chez Gallimard « Levez-vous du tombeau ». C’est une injonction à renouer avec le sens vital qui est bien atteint dans nos pays européens. Dans le monde, il y a des pays bien plus frappés par le malheur que nous, qui ont une énergie vitale bien supérieure. Qui ont plus d’enthousiasme, plus d’amour de la vie. Il faut sortir de notre abattement. Il n’y a pas de révolte, il y a de la hargne ! Souvenons-nous de Primo Levi qui a été capable de reconstruire après Auschwitz. De même Semprun. Il faut trouver un point d’appui et se redresser. C’est mon intuition. Dans les camps d’extermination, on faisait de la poésie, c’était une belle opposition à l’inhumain, une postulation de l’humain au plus haut contre tout ce qui le dégrade. La poésie est souvent vindicative, mais c’est au nom de la vie.
Kafka disait « Quand on n’est pas capable de donner du courage, on doit se taire. » Il faut dépasser les moments de dépression collective. Il faut fonder une espérance. Avec la chute des idéologies, on a considéré l’espérance comme une niaiserie. Mais moi, j’ai toujours pensé qu’elle était liée à l’humain. Donc, on ne peut pas s’en débarrasser. Que pourrait être une vie sans aucune espérance ? Ce n’est pas une vie. L’homme est fait de ça, de cette espérance, du pas d’après, de la sortie de l’enfermement, de la solitude. L’espérance n’est pas une construction intellectuelle de l’homme, on la porte en nous, comme on porte aussi son contraire, la désespérance, l’abattement, le découragement. Nous sommes des êtres complexes et partagés mais en toute lucidité, on peut reprendre appui sur ce qui peut porter l’espérance. La littérature peut fonder cette espérance. François Cheng le dit si bien ! Cette espérance peut naître en ouvrant simplement sa fenêtre le matin ou en croisant un visage, ou en respirant un air frais. C’est l’expérience concrète, banale, de l’humain qui renaît. Jean-Claude Pirotte au moment de mourir disait : « La poésie a un parfum de résurrection. » Il voulait dire que chaque fois qu’il lisait un poème, quelque chose renouait avec la vie, profondément, avec la jeunesse de la vie. » Jean-Pierre Siméon
*** Lecture d’extraits de « Politique de la beauté », de « Lettre à la femme aimée au sujet de la mort », de poèmes inédits « Levez-vous du tombeau » (Il va falloir enfin que la poésie gouverne)
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Régine Ha-Minh-Tu,
Clément,
08/11/2018
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La lecture des ouvrages cités est accompagnée de la musique originale du compositeur catalan Aleix Gaus.
Régine HA-MINH-TU publie : Mon jardin botanique Coll. "Encres Vives" n° 481. 16 p., 6,10 € à commander à Michel Cosem, 2, allée des Allobroges 31770 Colomiers.
C’est avec plaisir que l’on découvre un nouveau titre chez cette poétesse dont nous avons toujours rendu compte de son travail de création. Elle est née à Paris d’origine vietnamienne et française. Elle a séjourné et travaillé à Berlin - Ouest, en RFA en Limousin, à Lyon et enfin à Toulouse où elle exerce les fonctions de bibliothécaire. Elle réside dans l’Aude. Saint-Paul la découvre dans les années 90 au sommaire de la revue TEXTURE que tenait alors Michel BAGLIN. Bruno DUROCHER des éditions Caractères la publie également à cette même époque. On retrouve son nom dans les revues de poésie, les anthologies et elle a publié 9 livres de poèmes.
Son dernier recueil fut publié en 2014 à Encres Vives, L’Empreinte. Il s’agissait dans ce précédent recueil de marquer durablement l’empreinte d’une expérience humaine exceptionnelle dans le ciment indélébile du langage dans sa quintessence : la poésie. En effet, Régine HA-MINH-TU a travaillé pendant treize ans au sein des Archives allemandes de la persécution national-socialiste. De cette intense période elle dit : « Je n’avais été qu’une archiviste plongée dans les plaies vives des humains, et pourtant, cette activité m’a enfermée des années encore après avoir quitté les archives. Portet-sur-Garonne, Vernet sur Ariège, Noé, Septfonds, Gurs, Bram et autres lieux de mon nouveau quotidien, n’étaient que des noms de camps. J’ai remis peu à peu des couleurs vives à ces noms. Bram a pris des couleurs de son marché de plein air. »
Au micro de Radio Occitanie en 2014, elle expliquait sa démarche, comment elle avait pu exorciser la souffrance obsessionnelle occasionnée par la conscience de ce qu’elle découvrait dans son travail de traduction d’archives. Les dialogues avec les familles concernées par les atrocités commises par le régime national-socialiste, représentaient une terrible épreuve qui pouvait anéantir la journée. Sa vocation de poète lui a permis de transcender l’angoisse résultant de cette révélation de la nature humaine dans ce qu’elle offre de plus insupportable. Dire cela dans le poème. Par le poème, redonner la vie et mettre à distance la terreur. Et ne jamais oublier, car ce qui est advenu, peut revenir. Les génocides se sont multipliés dans le XXème siècle et le XXIème siècle est entaché de guerres larvées qui ne cessent de faire reculer la dignité de l’homme. Forte de cette expérience, elle écrit quelques années plus tard « Mon jardin botanique » et elle naît « à l’infini / dans l’intuition des choses » et les images que recueillent le poème, fruit de cette intuition, « rayonnent / et (l’)attachent à la vie ». Elle comprend alors la finalité de son être : « ce que je suis depuis toujours / est ma force / apprendre à la peupler de mon intimité ». Son jardin botanique est précisément le lieu de son intimité, jardin intérieur et non secret, il est celui de la parole, des mots et « à partir des mots coule un lieu unique / qui me compose ». Ce recueil, empreint déjà d’une lourde expérience de la vie, est celui de la maturité où nostalgie et mélancolie vont de pair avec la beauté du monde : « fulgurances qui me poignardent / elles contiennent toute la beauté et tout le désespoir ».
Ainsi dans cette course vers la lumière « au-delà d’un exil » « (sa)voix se posera un jour » et « un jour / (elle) habitera ses rêves » « dans la nuit apaisée ».
Régine Ha-Minh-Tu, avec une simplicité de langue qui est souvent l’apanage des plus grands poètes, nous dit sans emphase mais dans un ton de séduisante conviction, qu’elle porte en elle, les poèmes qui sont l’aveu d’une espérance.
Extrait de Mon jardin botanique :
intériorité sans abri sans cesse renouvelée fugaces un regard, une odeur dans un jour bleu qui point immobile je m'imprègne des paysages qui font éclater mes veines images multiples bordées d'étreinte église muret perrons et jardins qui attendent les isolateurs émaillés posés comme des flotteurs mémoires en filigranes ***
Thierry-Pierre Clément publie « Approche de l'aube » Préface de Jean-Pierre Lemaire 128 pages - 19 € aux éditions Ad Solem.
Thierry-Pierre Clément vit à Bruxelles. Il a publié un roman et plusieurs livres de poèmes, ainsi que des essais et articles critiques parus en revues. Auteur d’un roman et de livres de poèmes, Thierry-Pierre Clément se partage entre écriture et lecture, marche en forêt et vie de famille. Son travail littéraire reflète un amour profond pour la nature ainsi qu’une inlassable quête intérieure. Il collabore aussi à diverses revues, en particulier Le non-dit et Le journal des poètes, dont il est membre du comité de rédaction.
Électrolation, poésie, Éditions Saint-Germain-des-Prés, Paris, 1979 Torrent, poésie, Éditions Saint-Germain-des-Prés, Paris, 1980 Cailloux ronds dans l’eau claire, poésie, Éditions Omvros, Athènes, 1986 Le laurier-rose, poésie, chez l'auteur, 1988 Furnes et la montgolfière, roman, Éditions Snark, Bruxelles, 1992 Un chemin de lumière, poésie, édition hors commerce, chez l'auteur, 2007 Fragments d'un cercle, Éditions Le Non-Dit, collection Parole, Bruxelles, 2010 Ta seule fontaine est la mer, poésie, Éditions À Bouche perdue, Belgique, 2013 Approche de l'aube, poésie, Éditions Ad Solem, collection Poésie, Paris, 2018 Prix obtenus
Prix Hubert Krains pour Furnes et la montgolfière, éditions du Snark, 1990 Prix Emma Martin pour Ta seule fontaine est la mer en 2014 Prix Aliénor pour Approche de l'aube en 2018
Ce recueil de Thierry-Pierre Clément trace un itinéraire, celui d'un chemin de vie animé d'un émerveillement constant devant le monde et qui, s'il peut connaître des moments de doute et de chaos, reste ancré dans une espérance profonde. Chaque poème est ici orienté vers la lumière, déjà visible ou encore secrète. L'aube approche, ou c'est l'homme qui s'approche d'elle. Itinéraire qu'on osera dire « mystique », mais ce mot ne doit pas faire peur : le fil qui relie les perles de ces instants poétiques est celui de la vie ordinaire ; seulement, comme le personnage d'un tableau de Vermeer, le poète présente le collier à la lumière et nous invite à nous tourner vers elle, à nous laisser traverser par elle,
obéissant à l'inépuisable sang des arbres et des chemins
traçant de la main le geste qui dit oui oui au vent à la parole *** Janine Modlinger publie « La Traversée » 96 pages - 17 € aux éditions Ad Solem
Janine Modlinger a longtemps enseigné à Paris. Son dernier recueil, Beauté du presque rien, a été publié chez Ad Solem. Janine Modlinger est née en 1946. Longtemps enseignante à Paris, elle ne passe guère de jours sans écrire. Sa poésie née de silence et d'accueil est lumineuse. « Janine Modlinger ne cesse de vivre ce que Philippe Jaccottet a appelé des "rencontres illuminantes". Elles ont lieu pour elle à tout instant, car tout instant rayonne d'un feu mystérieusement partagé, à la fois singulier et universel. Il suffit de lever les yeux et d'être à l'écoute. La présence qui, dit-elle, demeure "au-delà de la beauté" peut se révéler aussi bien dans l'ivresse tremblante des feuillages où joue le soleil que dans la vue d'un être connu depuis longtemps, qui "apparaît un jour dans sa lumière propre." C'est alors que la simple vue devient vision et que "chaque petit détail que notre regard a salué" donne le sentiment de la merveille. » Gérard Bocholier préfacier de « Eblouissements » Ad Solem
Voici ce qu’en dit Paul FARELLIER dans la Revue Les Hommes sans Épaules : « Si elle ne laisse guère passer de jours sans écrire, Janine Modlinger (née en 1946) publie peu (Veille, L’Harmattan, 1998 ; De feu vivant, Éclats d’encre, 2008; Une lumière à peine, Carnets, Éditions de l'Atlantique, 2012 ), ne semblant s’y résoudre que sous la bienveillante pression d’amis ou de proches. Mais des inédits circulent, parfois une rencontre-lecture réunit des fidèles. De nouveaux recueils ne tarderont sans doute pas à paraître, dans la foulée de ces récents Carnets, Une lumière à peine, dont nous avions dévoilé quelques extraits dans Les HSE 28 (2009). Parmi ceux qui ont remarqué l’authenticité de cette voix, nous citerons Anne Perrier, Georges Haldas, Gérard Bocholier, Henri Heurtebise, Josette Ségura, Jean Bastaire et Robert Marteau. Celui-ci, dans son prière d’insérer de Veille, soulignait que Janine Modlinger « ne force pas sa voix, n’impose pas ses vues : à pas comptés, […] elle va à l’écoute de la musique née de la solitude et du silence. » Cette œuvre, si on veut bien l’approcher avec l’attention recueillie qu’elle mérite, recèle pour son lecteur comme une sorte de chance : chance de renaître à soi-même dans la parole d’autrui, chance d’éprouver cet étonnement d’une retrouvaille inattendue. Ce poète, pourtant, ne cesse de dire «Je», mais ce «Je» est partout en fusion totale avec la lumière du monde, si bien que l’aventure de ce «Je» devient aussitôt la nôtre, à la fois enjeu et garantie de notre propre étrangeté. Loin que sa confession permanente nous rejette dans le désert d’une altérité, nous sommes fraternellement accueillis dans ce «Je». »
En chemin vers Florence. Un regard se perd dans le paysage. Ou plutôt il cherche. Il se cherche comme on cherche un vis-à-vis, un visage ami, un visage aimé. Le visage d'une mère perdue trop tôt et qui transforme la vie en une longue attente. Attente qui alors donne d'autant plus de valeur à chaque rencontre, à chaque présence. Attente qui creuse l'attention néanmoins. Parce que peut-être, ce visage, ce paysage, ce tableau laissent apparaître quelque chose d'inattendu : l'Attendu lui-même. Dans ce nouveau recueil, les poèmes de Janine Modlinger recomposent ce visage disparu. Traversée montre qu'au-delà du désastre, quelque chose d'indestructible demeure.
J'ai promis de ne pas oublier Le désastre, mais d'en faire Le seuil D'où je m'élance. *** Pour plus de commentaires sur ces livres cliquez sur la rubrique « L’éditorial de Christian Saint-Paul » sur ce site et allez à « Le poème, un monde qui se fait voir ».
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MURIEL BATBIE CASTELL
01/11/2018
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En préambule, Christian Saint-Paul signale quelques publications sur lesquelles il reviendra au cours de prochaines émissions.
Régine HA-MINH-TU vient de faire paraître : Mon jardin botanique Coll. "Encres Vives" n° 481. 16 p., 6,10 € à commander à Michel Cosem, 2, allée des Allobroges 31770 Colomiers. C’est avec plaisir que l’on découvre un nouveau titre chez cette poétesse dont nous avons toujours rendu compte de son travail de création. « Mon jardin botanique » fera l’objet de l’émission de la semaine suivante.
Extrait :
intériorité sans abri sans cesse renouvelée
fugaces un regard, une odeur dans un jour bleu qui point
immobile je m'imprègne des paysages qui font éclater mes veines
images multiples bordées d'étreinte
église muret perrons et jardins qui attendent
les isolateurs émaillés posés comme des flotteurs
mémoires en filigranes *** Michel Cosem recense quelques unes des notes de lecture ou articles de fond qui lui sont consacrés par divers auteurs et les réunit en une publication qui constitue le n° 480 d’Encres Vives sous le titre : « Michel Cosem Œuvres récentes » 6,10 € à commander à Encres Vives, 2, allée des Allobroges 31770 Colomiers. De Jacmot à Gaëlle Josse en passant par Gilles Lades ou Jacqueline Saint-Jean, entre autres, tous reconnaissent en Michel Cosem une voix majeure de la poésie du XXème et XXIème siècle, au style immédiatement identifiable, devenu déjà « classique » dans le ton de la poésie contemporaine, et un romancier prolixe dont l’œuvre prosaïque prolonge de façon naturelle son abondante création poétique. Dans une société où il faut apparaître de façon permanente et ostentatoire, sa discrétion est une richesse supplémentaire. Michel Cosem habite réellement le monde en poète. Lire « Œuvres récentes » c’est mieux connaître le poète de « Aile, la messagère » son dernier livre de poèmes (Unicités éd.) qui nous fait voyager dans les lieux où surgit sans crier gare ou subrepticement, la poésie qui invente le monde. *** La collection « Lieu » précisément, qu’a créée Michel Cosem dans les éditions Encres Vives s’enrichit d’un 367ème volume avec Eric Chassefière qui publie là « Le parfum du monde Poèmes de Java », 6,10 € à commander à Encres Vives, 2, allée des Allobroges 31770 Colomiers.
Ce poète astrophysicien venu de Nîmes et Montpellier et qui vit à Orsay dans la banlieue de Paris, nous apprend ce que sont les marionnettes traditionnelles javanaises en cuir de buffle. Les photographies de lui et de Catherine Bruneau sont bien rendues dans cette publication où les vers courts se font les messagers du poète voyageur dont le regard déborde dans un monde sonore et chatoyant qui porte en lui sa propre spiritualité. Et cette spiritualité née du lieu et du regard s’enfonce encore dans le silence :
Les mots se sont tus le jour s’est tu pierres et oiseaux se sont tus la ville s’est tue les visages se sont tus la lumière qui les éclaire aussi s’est tue même la nuit même les rêves se sont tus toi tu t’es tue et moi aussi pour écouter ton silence mais ce n’était pas le silence pas l’écoute il faut écouter très loin dans l’infini un cœur bat *** Christian Saint-Paul reçoit ensuite Muriel BATBIE-CASTELL. Née à Toulouse, Muriel Batbie Castell pratique très tôt la musique (piano) et le chant, tout en se laissant bercer par les sonorités de la langue occitane qu’elle entend dans sa famille au cœur des Pyrénées. Plus tard, après un cursus d’études musicales au lycée, elle travaille la technique vocale avec Geneviève Philip avant de rentrer au Conservatoire National de Région de Toulouse, au département de musique ancienne dans la classe d’Hervé Niquet (Le Concert Spirituel). Sa formation se poursuit au Conservatoire de Narbonne où elle obtient le diplôme de chant baroque, et aux Conservatoires de Lorient et de Montauban, en chant lyrique.
La chanteuse est également une amoureuse des mots. Parallèlement à ses activités musicales, elle poursuit des études littéraires et linguistiques (Licence de Lettres et Arts, CAPES d’Occitan). C’est alors que deux de ses passions vont se réunir, par la découverte du répertoire des Troubadours, poètes-musiciens de langue d’Oc des 12ème et 13ème siècles. Elle fonde l’ensemble Avinens avec le luthiste Jodel Grasset et enregistre un disque, « Cants de Trobadors » consacré à cette poésie lyrique.
Son intérêt pour les répertoires peu connus l’emmène a créer l’ensemble baroque Hypocras sous la direction de Jean-Christophe Maillard, musicologue, enseignant, chercheur et spécialiste de la musette de cour. Ils font entendre lors de concerts des partitions inédites du Grand Sud des 17ème et 18ème siècles.
Elle rencontre en 2002 l’organiste Christiane van Gorp avec qui elle fonde le duo Organicanto, abordant de vastes répertoires du médiéval au contemporain. Elles se produisent régulièrement en France, en Belgique ou en Espagne. Elle participe également en tant que soliste invitée à diverses formations dans des répertoires variés, ainsi qu’à des créations avec des compositeurs, auteurs, cinéastes, musiciens, photographes, nationaux et internationaux (Jean-Michel Maury, Gilles Arcens, Gilbert Isbin, Scott Walton, Lakhdar Hanou, Enric Hernaez, Jean Perissé, Michèle Teysseyre, Esther Granek, Olivier de Robert, Georges Souche, Laurent Audemard, Joan-Francés Tisnèr, Claude Roubichou, Tormod Dalen...). Elle est par ailleurs demandée pour des lectures de textes poétiques.
En 2011, elle sort un nouveau CD de chants a capella, mêlant mélodies anciennes et contemporaines dans 9 langues.
Puis en 2013, un single 3 titres, Ars Intima, où elle s'accompagne au piano. C'est aussi en 2013 qu'elle reçoit le 1er Prix (Rose d'Argent) de la Chanson poétique de création décerné par l'Académie des Jeux Floraux. ("Alba de Luna". « Sa jolie voix flexible, mariant avec bonheur une technique classique et des inflexions plus « populaires », charme par sa grâce et la justesse des inflexions. » « Où puise-t-elle cette force d’âme, car il ne s’agit pas que d’une simple prouesse vocale, mais de toute une humanité qui remplit de sa juste personnalité particulière chaque chant ! » « La voix est soyeuse, l’articulation naturelle, limpide, le phrasé aérien comme un chant d’oiseau. Les inflexions de la chanteuse sont d’une féminité exquise. Voix bouleversante, jeu sans rien qui pèse, présence mystérieuse, toute de grâce et de retenue, c’est là le grand art de Muriel Batbie Castell. »
Sa discographie :
"Ars Intima" CD Single 3 titres Muriel Batbie Castell : chant, piano
"Canta a capella" Chants anciens, traditionnels et contemporains en occitan, catalan, castillan, portugais, italien, latin, breton, flamand, yiddish
"Cants
de Trobadors" de
l'ensemble Avinens
Elle réalise aussi des vidéos facilement accessibles sur Internet : Hommage à la poétesse Esther Granek (1927-2016) : "Après l'Homme", en collaboration avec l'artiste peintre Edith Gorren Second hommage à la poétesse Esther Granek : "J'ai attrapé un chant d'oiseau"
Christian Saint-Paul dit sa joie de retrouver cette artiste que tous les toulousains connaissent sans le savoir, puisqu’elle est la voix du métro de la ville. Familière maintenant de cette émission, elle était venue présenter ses créations et plusieurs hommages à la poétesse israélienne Esther Granek.
Par ailleurs, le 6 octobre 2018 à Toulouse (Hôtel d'Assézat,) dans le cadre du XIIIème Salon du Livre, elle avait donné un récital à 2 voix "Femmes, Science et Poésie" avec Aurélia Lassaque : lectures poétiques et elle-même Muriel Batbie Castell : chants. C’est Christian Saint-Paul qui avait assuré la présentation des deux artistes chères à son cœur. Et le 10 octobre 2018 à Toulouse (Hôtel d'Assézat) Muriel Batbie Castell a reçu ses Lettres de Maîtrise pour sa nomination Maître-ès-Jeux par l'Académie des Jeux Floraux. Christian Saint-Paul, Mainteneur de cette Académie, l’a félicité avec enthousiasme. Le 16 novembre 2018 elle sera à Trento en Italie (Université de Droit, Lettres et Philosophie) où dans le cadre du colloque "Poesia e Musica", elle donnera un récital a capella. Et le 23 décembre à Foix (abbatiale St Volusien, 16h) elle donnera un Concert de Noël : "Pour la Paix" en trio avec Chris van Gorp (orgues de tribune et de chœur), Nicolas Desroziers (ténor), et elle-même, Muriel Batbie Castell (soprano).
Nous écoutons :
1- Alba de Luna (chant qui a reçu le 1er prix de la chanson poétique de création décerné par l'Académie des Jeux Floraux) : https://youtu.be/svSYwk_FtYo
Paroles (occitan et français) : Pèrla de sal pèrla de lum pèrlas d'amor e de florida Cant celestial cant d'amarum cant de dolor e de ferida Sul pièt nus clar treslus rebat d'alba dins l'escur Luna vaira calinhaira de pèl falva fremin pur La lune a sorti sa robe de perles pour aller danser ce soir.. au bal des chemins creux remplis de rêves suspendus, de soleils en voyage accrochés aux ailes des miroirs. Et je passe, ombre à l’horizon des souvenirs qui caressent mon corps comme un parfum de rose où tu serais, mon amour, tel un oiseau bleuté touchant le ciel de tes yeux libres, trésors d’une larme envolée, quand l’aube nous sépare, que nos regards se voilent, que nos mains s’éloignent comme des fils de soie. Respire à pleine bouche, le temps nous est compté. Les mots paraissent en secret sous notre toit protégé de perles de lune, de gouttes de thé vert, et d’un lit de paille au matin réchauffé. Un nuage amoureux a dévêtu la lune ce soir dans un tourbillon de songes. Et je ne sais pas s’ils seront là demain.. Le vent les porte au souffle des anges égarés
2- Après l'Homme (Esther Granek) : https://youtu.be/FAm4RdHcku0
Après l’Homme, après l’Homme, Qui dira aux fleurs comment elles se nomment ? Après l’Homme, après l’Homme, quand aura passé l’heure de vie du dernier homme. Qui dira aux fleurs combien elles sont belles ? Il n’y aura de coeur à battre pour elles.
Après l’Homme, après l’Homme, que sera encore le mot « merveilleux » ? Après l’Homme, après l’Homme, quand le dernier des hommes aura vidé les lieux. Qui dira de la Terre Qu’elle est sans pareille et que dans l’Univers elle est fleur de Soleil ?
Après l’Homme, après l’Homme… Viens-t’en donc pour lors, viens-t’en donc l’ami, et chantons encore le jour d’aujourd’hui. (Esther Granek, De la pensée aux mots, 1997)
3- J'ai attrapé un chant d'oiseau (Esther Granek) : https://youtu.be/yAtmySuB2TU
J'ai attrapé un chant d'oiseau et je l'ai mis dans ma guitare, Il en sort un refrain de paix qui fait trêve de mes regrets. La la la..
J'ai rapporté des verts côteaux un peu de leur parfum sauvage J'ai rapporté couleurs de mai et les ai mises en un bouquet. La la la..
J'ai emporté dans mes voyages et ta présence et ton visage Et c'est comme cadeau des cieux car étant seule, je suis à deux. La la la..
4- Bruneta (chant baroque occitan + traduction française) : https://youtu.be/Pw5VvCbuh3k
Ieu n'aime una bruneta de tot mon còr Es gentila e polideta, vòu un tresòr. Ieu li laisse far çò que vòu mas ieu n'ai grand paur que me trompava. Au gué loun la..
Ma chère Margoteta tota la nuèit t'ai tenguda soleta dedins mon lèit. Lo plaser que nautres preniam en nos careçant se pòt pas contar.. Au gué loun la..
Ai que de careçetas que de potons ai que d'embraçadetas me fasiatz vos. Quand òm gosta tant de doçor qu'òm es malurós de desrevelhar Au gué loun la..
Puòi qu'aquò n'es qu'un songe per caritat deuriá far d'un mensonge una vertat Qu'ieu seriái content de mon sòrt e que de grand còr m'entendriatz cantar Au gué loun la..
J'aime une petite brune de tout mon cœur, elle est gentille et très jolie, tel un trésor. Je lui laisse faire tout ce qu'elle veut mais j'ai très peur qu'elle ne me trompe..
Ma chère petite Margot, toute la nuit je t'ai tenue seule dans mon lit, le plaisir que nous prenions en nous caressant ne peut se raconter..
J'ai autant de caresses que de baisers, et autant d'embrassades que vous me fîtes. Quand on goûte autant de douceur qu'on est malheureux de se réveiller..
Puisque cela n'est qu'un songe, par charité on devrait faire d'un mensonge une vérité. Je serais alors heureux de mon sort et de tout mon cœur vous m'entendriez chanter..
5- Jesu Crist (Guiraut Riquier) : https://youtu.be/ARYN95oHrj4
Paroles1ère strophe (occitan + français) :
Jesu Crist, filh de Dieu viu que de la Verge nasqués, Sénher, forfach e représ, vos prèc que'm dètz tal conselh qu'ieu sacha bens adamar e falhiment asirar vivent al vòstre plaser.
Jésus Christ, fils du Dieu vivant, qui naquîtes de la Vierge, Seigneur, moi coupable et accusé, je vous prie de me conseiller*pour que je puisse aimer le bien et détester l'erreur , en vivant pour vous plaire
6- Pater cathare : Lo Nòstre Paire qu'es al Cèl (manuscrit de Lyon 13ès, sur une mélodie du Llivre Vermell de Montserrat, Catalogne 14ès) https://www.youtube.com/watch?v=l5ibhVdMev8
Lo Nostre Paire que es els Cels Sanctificatz sia lo Teus Nom Avenga lo Teus Regnes, E sia faita la Tua voluntatz Sico el Cel e a la terra, E dona a nos oi Lo nostre Pan qui es sobre tota Causa, E perdona a nos las nostres deutes, Aisi com nos perdonam als nostres deutors. E ne nos amenes en tentation Mas deliura nos de Mal
Notre Père qui est au Ciel Sanctifié soit ton nom Advienne ton Règne Et soit faite ta volonté au Ciel comme à la Terre Donne nous aujourd'hui Notre pain qui au dessus de toute chose Pardonne nous nos manques ainsi comme nous pardonnons à ceux qui ont eu des manques envers nous Ne nous montre pas la voie de la tentation mais délivre nous du Mal.
7- Silenci de l'auton (Louisa Paulin/Muriel Batbie Castell) https://www.youtube.com/watch?v=U_4TuiZkw1E
Silenci de l'auton quand lo vent s'es pausat doç coma una pluma de palomba escapada de la negra man del caçaire. Silenci saure de l'auton ont s'ausís la darrièra vèspa e lo mai escondut al pus prigond del còr. French translation (by Louisa Paulin)
Silence de l'automne quand le vent s'est posé, doux comme une plume de palombe échappée de la noire main du chasseur. Silence blond de l'automne où l'on entend la dernière guêpe et le plus caché au plus profond du cœur.
Muriel Batbie Castell une artiste qui rend vivace la création occitane, une artiste à suivre !
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Christian Saint-Paul
28/10/2018
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Après « Syllabes » qui constituait le n° 450 d’Encres Vives (le n° 6,10 €, abonnement 34 € à adresser à Michel Cosem, 11, allée des Allobroges 31770 Colomiers), Simone Alié-Daram fait paraître « Désinvolte Eros » Poésie , Copy Media, 10 € à commander par mail : daramalie@free.fr Ce nouveau livre de poèmes prolonge cette vision nostalgique, qui dominait dans « Syllabes » et fatalement douloureuse du monde qui s’enfuit, mais toujours avec cette lucidité digne, presque stoïque, où tout pathos est banni, comme tout ce qui est superflu. « Désinvolte Eros » avec sa couverture en lettres rouges et sa plume de paon en illustration, semble fixer les intuitions prophétiques gravées dans « Syllabes ». La plume remplace fièrement la plante qui sème à tous vents qui illustre « Syllabes ». C’est que le temps a déjà fait sa besogne. Il ne s’agit plus de semer, mais de récolter : de dire ce qui fut et ce qui est. Le poème gagne alors en intensité. Et tout le livre s’inscrit dans une haute densité qui en fait le plus grave de toutes les publications de Simone Alié-Daram. Le renoncement comme un repli sur soi, est un acte d’une grande spiritualité chez cette auteure qui est viscéralement amoureuse de la vie. Le poème se fait bref. Il jette aux orties tous les accoutrements inutiles de la langue, pour dire la douleur, l’effort, mais aussi la certitude d’avoir su garder l’essentiel : Je suis en toi encore / Tu es en moi toujours. La mémoire, celle des sens est toujours vivace, et offre ce bonheur que rien ne peut atteindre, de revivre les « heures si douces / si intenses ». Oui, Eros est bien désinvolte. Comme tout puissant, il règne avant tout, sans regarder ses ravages : Les larmes sont au bord de moi Elles me dissolvent Elles m’englobent Je n’ai plus de corps Plus de cellules Je suis un lac empli De dévastation de toi Perdue Quand tu me parlais grec Je buvais les phonèmes Et nous étions vivants D’amour et de lettres. * Flotter dans une espèce d’absence Cuirassé de questions insolubles Presque mort, tout à fait rien, Grignoté de désirs empruntés Hors de soi dissous dans une eau saumâtre Donner un coup de pied dans le fond de l’oubli Et se retrouver noyé par la pluie Quand les souffles font les lettres danser Et les avenirs pavés de coquelicots. * Mais chez cette poète, qui a tant appris de la vie, et qui lui a tant donné - et pas seulement par le langage comme hélas tant de nos poètes régnants, mais aussi par son engagement épique de médecin - la coutumière fréquentation du gouffre, n’a pas détruit sa volonté tenace d’Espérance : Je suis l’épouse ultime La dernière empreinte La dernière connivence La dernière fusion Le dernier embrasement Je sais que tu m’attends. * A lire sans attendre ! * Les éditions Cardère publient : la parole comme un cristal de sel de Marie-Françoise GHESQUIER, illustrations de l’auteure, 82 pages, 12 €.
Cerceau du poème, la parole tourne sur elle-même, sans fin nous dit cette artiste à la fois poète et plasticienne, que l’on avait découvert à Encres Vives avec son recueil « Aux confins du printemps ». Un très beau livre, d’une mise en page parfaite que les illustrations confirment en livre d’artiste dans sa forme (pour 12 € !). « Le poème est toujours marié à quelqu’un » proclamait René Char qu’elle cite. On ne sait à qui sont mariés ces poèmes de Marie-Françoise Ghesquier, à la nature, au vent, aux oiseaux, aux cygnes comme aux signes. Une poésie ample, de célébration et d’interrogation. Une fascination pour le pouvoir des mots même si ceux-ci sont là : Les grands sentiments repliés en mouchoirs de poche, tout froissés, très petits, dans les fleurs blanches au bord du talus. * Lecture d’extraits.
Neige de fleurs tremblantes. Contre l’ivresse des prés d’un vert d’herbe neuve, l’aubépine vacille en nuages de poudre blanche. La paupière mauve des nuages se lève sur l’œil flamboyant. On regarde le monde comme s’il brûlait le cœur. Les saules au sourire penché se vêtent d’une lumière salée. Peu à peu l’aube monte aux paupières à travers les reflets d’ailes moirées. * Les chauves-souris inscrivent dans leur ronde fébrile un cercle de ronces grises au-dessus des prés sombres. Les boucles de leur valse d’épines attachent la parole aux buissons taciturnes. À mesure que se fane le rose du jour, les cursives illisibles se brouillent derrière la ligne obscure des arbres. L’ombre bleuie du ciel bascule cobalt et les mots glissent sur la pente raide de la nuit. * Tourterelle au collier noir dans sa tourelle de feuilles crénelées. Son chant roux à la verticale des arcs qui brisent les certitudes. Les branches en croisées d’ogives happent le vide. Les diagonales nervurées cisaillent la nef aux poignets. Les vitraux bleutés du ciel coulent en lumière profonde. Rayons de sang clair le long des arcades cintrées cerclant les peurs empierrées. * Une poète à suivre. * Le n° 456 d’Encres Vives est consacré à Eric Chassefière qui y publie « L’inaccessible ici » 6,10 € à commander à Michel Cosem, 2, allée des Allobroges, 31770 Colomiers, abonnement 34 €. Illustration de couverture : Catherine Bruneau
Éric Chassefière, né en 1956 à Montpellier, habite Paris. Directeur de recherche en physique au CNRS, il étudie l'évolution du système solaire et des planètes, et dirige un laboratoire de géosciences à l'Université Paris-Sud. Il a très tôt écrit de la poésie, mais n'a commencé à publier qu'à la fin des années 2000. Sa poésie a été longtemps (et est encore) imprégnée par les émotions ressenties dans la nature, héritages de l'enfance. Il s'agit pour lui de reconstruire cette enfance perdue, en l'enrichissant des multiples prolongements de sa mémoire dans l'instant présent suscités par le travail d'écriture. Sa poésie est sensuelle, proche du corps qui sans cesse cherche à habiter l'espace autour de lui jusque dans les moindres détails, à s'agrandir. Autrement dit, vivre sempiternellement en poésie au sens littéral, en s'ancrant dans une relation secrète et forte au monde qui l'entoure. Il a publié ses textes dans plusieurs revues de poésie : M25, L'Arbre à Paroles, Verso, Poésie/Première, Décharge, Friche, Comme en Poésie, À l'index, Traction-Brabant, Pages Insulaires, Fermentations, ainsi que dans trois anthologies : Parterre verbal anthologie n° 2 (Visages de Poésie), Anthologie tome 5 (Jacques Basse, éd. Rafael de Surtis), Anthologie des auteurs des éditions de l'Atlantique (429e Encres Vives). Il a obtenu en 2015 le prix Giorgios Sarantis pour Le Peu qui reste d'ici (Rafael de Surtis) et a créé avec Jacques Fournier l'action Poeziences de la Diagonale Paris-Saclay destinée à faire se rencontrer scientifiques et poètes. Dernières parutions : Jusqu’au bout de la vie et Carnets du Vietnam, en co-écriture avec Catherine Bruneau (Encres Vives), Déambulations du sable (Alcyone) et L’Absent (La Porte, 2016). Lecture d’extraits. Sur quel chemin me suis-je égaré / quelle main m’a parlé / a tenu au secret de sa paume / ma tempe bruissante encore / de l’aube intérieure du rêve / en quel nulle part de ma conscience / où pour un instant / s’étaient joints les deux fleuves / me suis-je éveillé hésitant / entre ce personnage que j’étais encore / et l’être de mémoire qui perçait / reprenait corps à la matière des choses . * Le dimanche 10 octobre 2015 eut lieu la remise du Grand Prix de Poésie des Gourmets des Lettres sous l'égide de l'Académie des Jeux Floraux de Toulouse. Le lauréat Christian Saint-Paul reçut de Francis Grass, maire-adjoint à la Culture de la Ville de Toulouse le diplôme et la médaille de la Ville de Toulouse pour son recueil INDALO (Encres Vives, 6,10 € à commander à Michel Cosem, 2, allée des Allobroges, 31770 Colomiers) qui est un regard sur les terres andalouses de la province d'Almería. Après « El barranco de la sangre suivi de Lanjaron » toujours à Encres Vives, Christian Saint-Paul poursuit sa démarche de créer des poèmes radiophoniques sur les lieux qui façonnent sa vie. « El barranco de la sangre » qui a pour cadre toujours l’Andalousie, très exactement La Alpujarra, lieu d’origine d’Isabelle son épouse, est toujours à écouter sur le site « les-poetes.fr » : http://les-poetes.fr/doc%20sonore/son/saint%20paul/index.htm Et un CD rassemble 3 poèmes radiophoniques publié en 2003, aujourd’hui épuisé, mais que l’on peut emprunter à la médiathèque José Cabanis de Toulouse. Indalo se situe toujours en Andalousie, mais dans le région côtière d’Almeria.
L'indalo est une figure préhistorique qui se trouve dans l'Abri des Ruches (Abrigo de las Colmenas) et dans la grotte de los Letreros, dans la municipalité de Vélez-Blanco (province d'Almería, Espagne). Il s'agit d'une peinture rupestre de la fin du Néolithique ou Âge du cuivre, qui représente une figure humaine avec les bras étendus et un arc en ciel sur ses mains. Durant des siècles, avant qu'il ne soit catalogué, ce symbole était vu comme un symbole de chance et considéré comme un totem dans le nord et l'est de la province d'Almería, et particulièrement à Mojácar, où il était peint en ocre sur les maisons pour les protéger des orages et du mauvais œil. On l'appelait le muñequillo mojaquero. Depuis de nombreuses années, l'indalo est le symbole de la ville d'Almería, de sa province et de ses habitants. (extraits de Wikipédia)
Christian Saint-Paul a publié plus d'une vingtaine de recueils dont dernièrement à Encres Vives : Les ciels de pavots, Pour ainsi dire, Akelarre la lande du bouc, L’essaimeuse, Ton visage apparaît sous la pluie, Des bris de jours, L’enrôleuse, Tolosa melhorament, Les plus heureuses des pierres, Hodié Mihi…, J'ai les ailes de L'Aigle Blanc; chez d'autres éditeurs : L’unique saison (Poésies Toutes éd.) Entre ta voix et ma voix (Revue Multiples N°73 éd.,) Vous occuperez l’été (Cardère éd.). Il vit à Toulouse où il anime depuis 1983 une émission hebdomadaire "les poètes", le jeudi de 20 h à 21 h sur Radio Occitania (93,8 Mhz) rediffusée sur http://les-poetes.fr.
Voici ce qu’écrit la poète plasticienne revuiste Cathy Garcia : Indalo de Christian Saint-Paul – Encres Vives n°441, avril 2015. Format A4, 16 pages, 6,10 €. C’est à une très belle flânerie andalouse que nous convie Christian Saint-Paul dans ce 441ème Encres Vives, placé sous le signe de l’indalo, la figure préhistorique qui est devenu le symbole de la ville et de la province d’Almeria, et qu’on pouvait déjà voir peint sur les maisons en guise de protection contre les orages et le mauvais œil. Christian Saint-Paul a le don de nous faire vivre les paysages, les lieux et leur histoire au travers de son regard de poète doublé d’un talent de conteur, et il ne fait pas que raconter ce qu’il a vu, il nous le fait voir, littéralement, c'est-à-dire ressentir aussi.
« La nuit encore/le soleil étouffant/mutile la fermentation du sommeil/Nous vivons désormais/lovés dans ce désert/où la terre n’est que/poussière montant au ciel/ » Christian Saint-Paul a le regard d’un poète convaincu, tel Machado, de l’absolu nécessité d’être homme, en toute humilité, un homme à qui rien n’échappe, ni la beauté des lieux ni « des îlots d’immeubles/parsemés le long d’avenues/vides – sans utilité-/témoignent de la chute folle de la finance. » Le poète ne fuit pas le malaise, il l’affronte, le dénonce et ainsi « Nous apprenons à apprivoiser le vide/créé par l’appétence de l’homme. » Pas d’Andalousie sans l’ombre de Lorca, pas d’Espagne sans le souffle fiévreux d’un Don Quichotte, les eaux fortes de Goya et les « yeux noirs de feu névrotique » d’un Cordobès. Christian Saint-Paul nous emporte à la rencontre de l’âme andalouse, du duende tapi dans ses tréfonds. Une âme trempée « dans le souffre du soleil ». Ombre et lumière, voilà l’Andalousie et « la Bible infinie des étoiles ». Des pierres, des fantômes et des Vierges tristes, des enfants vifs sous des peaux brunes, de la ferveur et des brasiers lumineux. Des plaies de guerre, le sang des fusillés et des religions qui se côtoient dans de grands jardins, où coulent des fontaines, des forteresses et « les indénombrables châteaux en Espagne ! », des prières et « des rancœurs d’un autre âge qui agitent les cargos aux amarres. Indalo est un beau périple, oui, qui ne peut laisser indifférent, car pourrait-il y avoir meilleur guide qu’un poète amoureux de la terre qu’il foule, et dont il sait voir, tous temps confondus, l’endroit et l’envers, le visible et l’invisible, le bonheur comme les larmes ? Cathy Garcia Lecture in extenso d’Indalo, poème radiophonique pour Radio Occitania. Extraits : INDALO 1- La nuit encore le soleil étouffant mutile la fermentation du sommeil. Nous vivons désormais lovés dans ce désert où la terre n'est que poussière montant au ciel en d'étranges colonnes. Des îlots d'immeubles parsemés le long d'avenues vides -sans utilité- témoignent de la chute folle de la finance. D'immenses panneaux mendient un regard de compassion pour des paradis ruinés mort-nés. Nous apprenons à apprivoiser le vide créé par l'appétence sans mesure de l'homme. Le soleil dilue ces territoires abîmés dans la fusion de midi et enlace la mer qui console. Elle règne ici à un kilomètre de nous dans ce lieu abusivement nommé Vera Playa. Le soir du balcon dans les collines sèches qui mènent à elle nous guettons les lapins leur queue blanche réfléchissant la lune. Le vent charrie les mauvais jours une odeur de fosse ouverte. Quelle blessure inflige ce deuil continu de cadavres fantômes ? 2 - Vera ville où culmine le soleil dans une purulence torride. Mais l'ombre dans un jardin public l'éclaire généreusement d'une note avenante sur la magnificence des villas volets clos dépitées d'un réel toutes à leur silence. Et il n'y a que le silence l'après-midi pour rendre la ville à elle-même. Plus tard l'intime reprend pied dans l'alternance de l'ombre et du soleil. Ombre ou soleil selon sa fortune l'aficionado s'installe dans la houle des arènes. Sang mêlé des taureaux dans le sable doré où s'étire la tragédie. Ombre des grands figés dans leurs photographies bons aujourd'hui pour le musée taurin. El Cordobes et son visage soudain fermé à la joie démente de la foule des yeux noirs de feu névrotique qui défient la mort rature d'une misère vaincue. Dans le passage surplombant le toril je heurte ma tête à l'arche de pierre et m'affale sonné comme le taureau qui n'a pas vu venir l'épée. Se peut-il que la mort dissipe toute question ? 3 - Dimanche de fête à Vera. Les éclairs cinglants du soleil de septembre lacèrent la ville. L'anodin n'a plus cours dans les rues désertées. Tous attendent à la sortie de l'Ermitage la Vierge des Vergers. Cette forme qui s'approche submerge le destin d'un été qui décide de survivre à sa propre saison de secouer l'éternité par la liesse et l'étourdissante chaleur. La lumière vient du Tout elle dévisage la ville qui célèbre l'absolu du simple. Dans la fournaise tirée par un tracteur la Vierge des Vergers sublime le charivari des fidèles et des sans dieu de Véra. La vie se fête dans ce masque rayonnant où chacun clame sa faim de l'unique. Cette incise ardeur résonne comme une pluie miraculeuse. Le vent léger la porte à la mer avec le crépitement des sabots des cavaliers andalous. Comme au carnaval des chars fleuris précèdent la Vierge et des fillettes ravies en robe longue et talons hauts dansent. Les fandangos et autres bulerías martèlent de grâce la Romería de Vera. Les chants achoppent sur les rêves endormis et la procession marque le pas devant l'église Santa Maria de las Angustias. La Vierge des Angoisses qui prédit le bonheur dans les cieux fond toujours en larmes sur son socle dans le chœur de l'église. Une grille empêche d'approcher la statue couronnée en robe bleue et or. La douleur ce dimanche est jetée au puits la Vierge des vergers impose la béatitude des chants profanes et des rires à gorge déployée. Deux religieuses une blanche et une noire en habits et foulards gris sortent de l'église saluer l'autre Vierge et s'épongent abondamment le front. Des poncifs s'échinent dans le chaos fraternel des antinomies. Pour dissoudre tant de chaleur le soir nous nageons dans la mer agitée apaisés par le vent et les vagues et sur le sable refroidi tard après le coucher du soleil nous élisons une présence dans la Bible infinie des étoiles. *
16 - Est-il vrai que c'est la rivière qui a décidé de bâtir la ville au pied des grottes et de lui donner son nom : Cuevas de Almanzora ? Cette rivière asséchée dans l'air inflammable de l'été. Les maisons troglodytes du Moyen-âge ont été cédées aux gitans et à ces nouveaux immigrants venus de la mer vendre leurs bras dans les champs. La ville fut riche de l'exploitation des mines de plomb puis des mines d'argent. Et le marbre de Macael n'est pas loin. Vestiges du faste passé deux maisons éclairent les rues de leurs azuléjos - mosaïques au mur jusqu'au toit -. Et ces faïences impriment au regard la Bible selon Cervantès l'incarnation de l'Espagne : Don Quichotte flanqué de Sancho Pença. Don Quichotte qui savait que chacun est fils de ses œuvres : "nadie vale mas que nadie" que sa Dulcinée est fille de ses œuvres et que les vertus corrigent le sang. Le "Quijote" désarçonné mordant la dure poussière de l'Espagne vaincu par les moulins à vent. La ville aussi cogne sa noblesse à l'impossible. Près de l'église aux deux clochers rehaussés d'un obélisque et sous l'horizon remarquable d'une girouette et d'une croix trois hommes blanchis et tannés par tant d'années palabrent gravement : la patronne de la ville la Vierge Carmen sera-t-elle canonisée en mai 2015 ? Interrompant la dureté de leurs chuchotements l'un d'eux vient me taper sur l'épaule. Dans un aparté généreux il m'invite mieux qu'à courir au Pérou à me rendre à la mairie qui est dit-il plein de piété la fierté de la ville. La belle bâtisse apprêtée comme une reine appartint au curé de Cuevas de Almanzora. Loin des livres de messe il passa là toute une vie penché sur la beauté de l'Art. Avant de rejoindre le reflet des ombres peintes par Andrea Juliana artiste italien de son siècle et de se disperser dans les cendres en 1844 il fit don à la ville de sa riche demeure différant ainsi les dévoiements du temps. Le peintre italien a laissé à la postérité et aux citadins une Descente de la Croix un Jugement de Salomon et au plafond du bureau du maire un Char de la Victoire tiré par des paons. Mais quelle victoire s'avance dans cet accoutrement dans l'eau nuageuse du plafond ? Celle de José Maria Muñoz qui fit don de dix mille douros à la ville pour panser ses blessures lors de l'inondation de 1879 et qui après l'accomplissement de son philanthropique dessein fut appelé le Santo Negro : sa statue en bronze sur la place de la Constitution ayant pris la couleur de la nuit épaisse des jours sans lune. Au château du Marquis de los Vélez - le plus beau du Levant - maintenant mausolée de l'art contemporain Francisco Abuja proclame que "l'Art alimente la paix". La paix Goya la trouvait-il dans ses eaux fortes ? Celles exposées au château sur la tauromachie les vociférations de la foule comme décor dans l'arène. Toute la couleur d'Espagne est dans les eaux fortes de Goya et l'Espagne pure couleur se résume dans la corrida. Engeance des toreros les tourbillons des capes brûlent de folie leurs bras armés. Saignée rouge des bêtes et des hommes. Virilité ancrée à la mort. Chevaux mules chiens tués au combat et ce maestro les pieds attachés assis sur une chaise leurrant le taureau avec son sombrero. Et ce fauve minotaure enragé qui atteint les gradins tue le maire de la ville et Charles V qui fourrage de sa lance royale le garrot vacillant de la bête brave au-delà de l'insolence des cornes. Regard goyesque promontoire du langage de l'opaque vanité meurtrière où s'embue le courage. * Ce poème radiophonique, ainsi, a été lu sur les ondes de Radio Occitania.
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18/10/2018
Monique MARTY
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Josette ECHENNE
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Luc MONTECH
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Monique MARTY
Jean-Luc Moudenc, Maire de Toulouse dévoile la plaque du jardin Monique Demay Luc Montech ; à droite Evan Montech fils de Luc et Joëlle Montech fille de Luc professeur de théâtre à Athènes
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Christian Saint-Paul signale la parution de la revue Nouveaux Délits Revue de poésie vive n° 61. Voici l’éditorial de Cathy Garcia Canalès qui anime cette revue qui poursuit sa route lumineuse : « Quand j’ai commencé la revue, dans les premiers numéros, j’étais systématiquement au sommaire. C’était une façon de faire connaître mon travail en même temps que celui des autres auteurs que j’accueillais. Puis devant leur nombre sans cesse croissant et lassée aussi de ma présence, j’ai libéré la place avec joie. Mais le problème des poètes revuistes, comme ces cordonniers (quand il y en avait) mal chaussés, c’est qu’à force de se mettre au service de l’écriture des autres, ils n’ont plus beaucoup, voire plus du tout de temps pour la leur. Il y a aussi un fait : la réciprocité chez les êtres humains — et les poètes ne font pas exception — ne coule pas de source, c’est pourquoi le proverbial « jamais aussi bien servi que par soi-même » prend au final tout son sens. Alors pour une fois, je reprends un bout de territoire ici, juste le temps de mettre un coup de projecteur entre autre sur la sortie d’un livre à lente maturation auquel je tiens et que publient les éditions Cardère, qui hébergent déjà trois autres de mes bébés. La bonne maison Cardère publie avant tout des ouvrages sur le pastoralisme, la poésie c’est en plus et elle n’a jamais eu l’imbécile idée de choper la grosse tête ou de s’illusionner sur un quelconque pouvoir d’éditeur, pas plus qu’elle ne s’illusionne sur les auteurs eux-mêmes. Une chose est essentielle en poésie — et qui dit poésie, dit vie — : une forme d’humilité. Pas une posture humble non, juste quelque chose de très naturel, humus, humilité, humain, cette racine plantée dans la terre qui nous nourrit et qu’il ne faut jamais oublier, quelle que soit la force et l’envolée de notre imaginaire ou de nos prétentions. Écrire est une chose, être lu en est une autre. Entre les deux se tissent de fragiles et éphémères passerelles dans lesquelles se prend la rosée de l’aube, trésor qui scintille un instant — précieux instant — avant que le jour ne vienne le boire. » CG AU SOMMAIRE Délit de poésie : Arnaud Martin, Didier Trumeau, Jérémie Tholomé (Belgique) et Cathy Garcia Canalès Délit de table : « Aujourd’hui c’est raviolis » extrait d’une pièce de théâtre de Marcel Moratal, Délit de vagabondage : « Une vie de carton », récit nomade de Julien Amillard Résonance : Ma Patagonie de Guénane, La sirène étoilée, 2017 Lame de fond de Marlène Tissot, La Boucherie littéraire, 2017 Et un flash spécial sur Calepin paisible d’une pâtresse de poules, le n°2 de la série Délits vrais – poésie postale, qui est passé en format livre en septembre. C’est aussi la rentrée des Délits d’(in)citation sagement installés au coin des pages et vous trouverez un bulletin de complicité qui n’a pas pris la grosse tête, toujours au fond en sortant. Illustratrice : Muriel Dorembus ASSOCIATION NOUVEAUX DÉLITS Létou – 46330 St CIRQ-LAPOPIE
Au numéro
: 6 € + port
(1,50 pour la France ; 2 pour zone 1 ;
2,60 pour zone 2) *** Pour débuter les débats sur un événement de la culture théâtrale, culture reine à Toulouse, Christian Saint-Paul joint au téléphone le poète chanteur comédien Jean-Claude Ettori. Auparavant il avait été évoqué un des livres de cet auteur : L'homme qui aimait Diana Krall, Axel Bauer et le café Aguadas aux Éditions Sabine, 12 €. Cet écrivain, poète, comédien et chanteur, auteur de chansons, spécialiste de la voix, avait obtenu en 2002 à Montréal avec la société Lacroix et Ruggieri le Jupiter d'or… Il a été invité en octobre 2017 au 33e festival international de poésie à Trois Rivières au Québec. il est l'auteur de nombreux livres de poésie et nouvelles. Deux CD, trois singles et un 45 tours vinyle complètent sa discographie. Il réalise un spectacle avec son compositeur producteur Philippe Bonnafous, « la prose du transsibérien de Blaise Cendrars » (productions « tête en l’air »). Il est corse par son père et basque par sa mère. diffusion de « Fado » et « Luna » du CD Vermentino. Il dit à l’antenne quel fut son attachement à Monique Demay et à Luc Montech et il sera présent à l’inauguration du jardin qui va porter leurs noms. (voir en page d’accueil du site la photo de Jean-Claude Ettori avec eux) La parole est donnée aux deux invitées les comédiennes Monique Marty et Josette Echenne. Elles sont venues parler d’un événement important qui touche la vie culturelle de Toulouse et du théâtre en général : le baptême le 20 octobre 2018 du Jardin Monique Demay et Luc Montech, jardin qui jouxte le théâtre Jules Julien à Toulouse. Pourquoi cet événement est-il significatif d’une reconnaissance culturelle qui fait entrer les deux personnalités qui ont donné leurs noms à ce jardin dans l’histoire de la ville de Toulouse et beaucoup plus largement dans celle du théâtre français ? La réponse se trouve dans l’historique et le panégyrique du fantastique travail de création des deux complices, homme et femme de théâtre. Luc MONTECH, auquel il faut associer sa compagne Monique DEMAY qu'il a rencontré en 1970 au CES Bayle près de Pamiers en Ariège, a débuté ses expériences théâtrales au début des années 70 au BRÉSIL alors sous la dictature militaire. Il en revient bouleversé par la culture de rue brésilienne et les happenings auxquels il assiste. Le théâtre brésilien considéré comme subversif offrait une inépuisable source de matériaux et d'idées novatrices qui amènera Luc MONTECH à créer sa propre compagnie, le Théâtre Réel (*) qui refusera les clichés, le théâtre traditionnel, l'émotion et le texte en recherchant l'"expression la plus authentique de chacun" (la phrase est de lui).... d'où le nom "Théâtre Réel", fondé sur la primauté de l’acte (**). Il en est le centre, le motif et le résultat de la véritable signification du théâtre. De plus, la recherche théâtrale de Luc MONTECH et Monique DEMAY se faisait par l’enseignement auprès des enfants (***). Le Théâtre Jules JULIEN , inauguré en 1982 par le Maire de Toulouse Pierre BAUDIS, et rebaptisé "Nouveau Théâtre Jules-Julien" est confié à Luc MONTECH qui s’y installe avec sa Compagnie, le Théâtre Réel, et ouvre des ateliers de formation théâtrale en directions des collèges et lycées de l'académie, des enseignants et du tout public. L’international de basket universitaire que fut Luc MONTECH a très probablement inspiré sa direction d’acteurs, telle une équipe de sport se préparant avant un match important. Le théâtre Réel comme l'avait conçu Luc et Monique regroupait 7 ateliers regroupant hebdomadairement dans les 150 participants et des stages thématiques en week-end. Depuis 1982, ces ateliers et stages, dirigés par les membres du Théâtre Réel, ont accueilli, 3900 adhérents, 5000 si on compte les stages. Cela représente 180 créations parmi lesquelles « MANQUE » de Sarah KANE, RUGBY EN SCENE, PETER PAN et bien d’autres (Voir liste jointe) générant plus de 360 représentations, des milliers de spectateurs et des heures et des heures de recherches, réflexions, essais, inventions… pour les formateurs. En parallèle, Luc et Monique, avec le Théâtre Réel, créaient dans l'enceinte du théâtre Jules Julien une "école du spectateur" en programmant des conférences dont l'objectif était de proposer et de décortiquer des thématiques allant des analyses de spectacles à la psychologie de l'acteur en passant par les rapports entre costumes et éclairage et autres éléments susceptibles de mieux faire comprendre et apprécier le langage du théâtre contemporain. Le théâtre Jules JULIEN a généré un programme éclectique et de qualité soutenant de nombreuses compagnies professionnelles ou amateurs toulousaines en leur ouvrant la scène du théâtre Jules JULIEN. Un nombre certains de comédiennes et comédiens sortiront des ateliers de recherche et de création théâtrales initialisés par Luc et Monique, certains se regroupant en compagnies : les Francs Glaçons, L'armée du chahut, Le Théâtre du Beau Fixe, Les Cinq Ascètes, le Bathyscaphe, Le Théâtre du Cimier, la Compagnie des Rules, les Chats Laids, Le faussaire de rêves, etc. d'autre se rassembleront en groupes comme JULES et 1 Studio ...tout en essayant d'étendre et de diversifier les publics auxquels il s'adresse. La plupart d’entre eux se retrouveront dans les professions du spectacle tels que comédiens, techniciens ou régisseurs. Annexes:(*) Le terme Théâtre Réel recouvre à la fois le nom d'un groupe de production et une conception du théâtre fondée sur une pratique pédagogique refusant le discours de la scène traditionnelle. Ses objectifs sont de produire des spectacles et de prendre en charge des groupes en formation afin de "favoriser l'expression la plus authentique possible de chacun dans le cadre d'une critique radicale du théâtre de répertoire". (Luc Montech - 1976 au Centre Alban Minville ou le Théâtre Réel s'est installé en septembre 1975 ainsi que le THEATRELIER 2 qui partage les conceptions du "Réel" et participe à ses travaux théoriques, il ouvre aussi que 5 autres groupes de recherche, adultes, enfants et adolescents). ——-(**) Tout le Théâtre Réel est fondé sur la primauté de l'acte. il est le centre, le motif et le résulta de la véritable signification du théâtre." (Luc Montech et Monique Demay dans : LES OBJECTIFS DU THÉÂTRE RÉEL - 1973). Luc Montech (à propos de l'acteur) : "... le corps humain, cette sculpture qui se meut dans la lumière, est la mesure du temps et de l'espace que le jeu conquiert en naissant... le décor, l'accessoire, le rythme, le costume n'existent pas avant le jeu et ne persiste pas après ; tous émanent de l'acteur comme une sécrétion mystérieuse du corps." "Le théâtre n'est pas une représentation de la vie quotidienne mais la présence physique de la vie dépouillée de sa quotidienneté, éclaircie à partir d'une critique violente et radicale de nos modes d'apparaître." — (***) L’objectif premier de cette démarche théâtrale est de "donner à l'enfant des MOYENS DE SE METTRE EN PRÉSENCE, moyens que ne proposent pas traditionnellement l'école. Pour lui donner la PAROLE et LA POSSIBILITÉ DE SE FAIRE ENTENDRE, nous abandonnons le schéma de relation institutionnalisé, à sens unique : enseignant > élève et nous proposons une relation où les deux éléments sont des participants inséparables. Nous voulons laisser l'enfant agir, avec la responsabilité de son engagement. l'école transmet le savoir, le théâtre investit l'enfant de son vécu (Luc Montech et Monique Demay dans : LES OBJECTIFS DU THÉÂTRE RÉEL - 1973). "Le Théâtre Réel s'est d'abord adressé à des enfants, par un groupe d'enfants. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce que dit le Théâtre Réel, l'enfant le dit, tant qu'il est enfant : lorsque l'enfant joue, il participe tout entier à son jeu, il est indien, il ne représente pas l'indien. Son imaginaire coïncide avec la réalité. Son acte est vécu réellement ; ses mots, son histoire sont vrais. l'enfant est capable d'être nouveau ; il découvre, tandis que l'adulte, le plus souvent répète. L'enfant invente son jeu et il crée au moment l'histoire qu'il vit. l'enfant s'adresse toujours à autrui, il raconte, il invente, il agit pour quelqu'un, c'est ce qui le rend tellement plus présent que l'adulte. Même si cet autre est en lui-même, il ne triche pas. Enfin, l'enfant, tout en étant dépendant de certains adultes modèles (parents, professeurs) est encore libre parce qu'il évolue." (dans "chroniques du Théâtre Réel", décembre 1974) Josette Echenne et Monique Marty illustrent leurs propos de récits et anecdotes de cette époque, aujourd’hui mythique, de l’histoire du Théâtre Jules Julien qu’ont écrit ensemble Monique Demay, Luc Montech et leurs comédiens. |
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11/10/2018
Eric FRAJ
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04/10/2018
Jacques MORIN
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L’émission du jeudi 4 octobre 2018 invite les auditeurs à se rendre à un des rarissimes Salon du Livre organisé à Toulouse les 6 et 7 octobre, celui des Gourmets de Lettres, sous l’égide de l’Académie des jeux floraux de Toulouse. La noble académie, en prélude à ce salon, le 5 octobre, donnait à écouter six conférences d’une demi-heure chacune, sur Chateaubriand. Ces morceaux de bravoure érudite, rivalisant d’intelligence et d’esprit, offerts dans l’élégant décor de l’Hôtel d’Assézat aux toulousains, perpétuent une tradition littéraire généreuse. Leurs traces seront bientôt conservées dans une future édition.
Au cours du Salon, quelques auteurs seront couronnés de prix, selon la nature (scientifique, romanesque, historique, philosophique, poétique) de leurs ouvrages.
Le premier Prix de Poésie sera attribué à un poète auquel j’avais très récemment consacré un moment d’émission : Pierre Ech-Ardour pour son livre de poèmes bilingue, français et occitan, « Lagune » éblouissant regard sur l’étang de Thau (IEO éd.). Ce même Pierre Ech-Ardour a publié aux éditions Levant de Montpellier, « L’Arbre des Lettres » avec deux peintures de notre ami le poète Saïd Sayagh. Ce livre dans cette présentation raffinée, proche du livre d’artiste qu’affectionne le directeur des éditions, Michel Eckhard Elial, est un abécédaire des lettres hébraïques. C’est une poésie d’une haute spiritualité, à même, nous dit son éditeur, de « retrouver dense et intense la parole poétique, tissée dans un vocable immuable, qui est le cœur du monde ». Ainsi, ce poète d’origine séfarade, qui vit à Sète, nourrit sa fructueuse création poétique de deux traditions emblématiques des deux rives de la Méditerranée. En poésie, comme en toutes chose, l’homme est multiple. *** Un autre lauréat en 2016 du Grand Prix de Poésie des Gourmets de Lettres, Jean-Michel Tartayre fait paraître dans la collection Encres Blanches d’Encres Vives « Neptune » à commander à Michel Cossem, 2 allée des Allobroges 31770 Colomiers. Après des études littéraires et avoir exercé la profession de libraire, Jean-Michel Tartayre devient professeur de lettres modernes en lycées et collèges. Il est l'auteur d'une quarantaine de recueils de poèmes publiés aux Dossiers d'Aquitaine, au GRIL, aux éditions Encres vives, N&B, La Porte et Alcyone. Il a collaboré à de nombreuses revues littéraires, notamment : L'Arbre à paroles, La Nouvelle Tour de Feu, Séquences, La Revue des Dossiers d'Aquitaine, Inédit Nouveau (éd. du GRIL), Isis, Lélixire (éd. Robin), Multiples et L'Ours polar. Il écrit régulièrement pour Encres vives et Phaéton. En 2011, il participe à la 10e édition du Festival du Livre d'artiste "Sous couverture" de Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-et-Garonne), en faisant une lecture de ses poèmes. Il fait partie depuis 2015 du comité de rédaction de la revue Encres vives. En 2016, au XIe Salon du livre des Gourmets de Lettres de Toulouse, il a reçu le Grand Prix de Poésie pour son recueil Vers l'été suivi de Fractions du jour (N&B éditions). Ce même recueil a été récompensé par la Médaille de Vermeil de l'Académie des Jeux floraux en 2017. La mer, elle est dévorante dans le dernier recueil de Jean-Michel Tartayre « Neptune » La mer, qui mettait « ainsi qu’une femme » à genoux Rimbaud, poème qu’il cite en exergue, est dans la multiplicité des éléments qui la façonnent, repos et mouvement et la principale composante de notre monde, avec l’air et la terre. Dans ces poèmes, le ton de la célébration, adopté depuis peu dans les derniers recueils de ce poète, est toujours de mise et il ne peut en être autrement devant l’éblouissement de cette immensité de la mer. Mais la volonté surmonte ce saisissement « la volonté comme condition nécessaire - / de voir et d’entendre » [...] tient la hache du soleil ». Et la mer aussi est une hache, « musicale » cette fois. La volonté est le leitmotiv de ces poèmes. Elle « adhère » à la fois au réel, celui du littoral et à la fluidité de l’instant. Elle s’incarne tout naturellement dans Neptune avec « La justice de son trident, - / la célérité de son attelage, - chevaux et dauphin » et son « regard intraitable » qui s’ouvre à l’horizon. Citant Giordano Bruno « C’est donc vers l’air que je déploie mes ailes confiantes », il affirme ne « jamais transiger sur l’ordre des choses ». Et c’est certainement cela la vocation du poète, nous ancrer au réel, être partie liée avec la perfection du cosmos, « sa loi d’attraction ». *** L’émission est ensuite consacrée à Jacques Morin. Après ses études au Lycée Voltaire, puis à la Sorbonne, Jacques Morin, né en 1950 à Paris, a été professeur de lettres au lycée Vauban, à Auxerre, jusqu’à sa retraite. Éditeur et animateur, il a codirigé les revues Le Crayon Noir (1973-1981) et Le Désespoir, précisément (1980-1981), avant de fonder la revue Décharge en 1981 : « J’essaie de vivre en poésie. L’exercice de la revue est devenu comme un soulignement de mon existence » Poète, Jacques Morin est accaparée par une passionnante, dévorante et envahissante activité de directeur de revue (« un artisan contre la froideur industrielle ») : « La revue est devenue un combat quotidien et une façon d’exister, avec son rythme biologique. La périodicité trimestrielle s’imposant comme de vraies saisons à la fois viscérales et littéraires. » Au sein de chaque livraison, le directeur se fait également éditorialiste et critique (livres et revues) sur une quinzaine de pages (bien tassées) en moyenne. Jacques Morin a publié une trentaine de recueils de poèmes, mais aussi des chroniques, des fictions et des anthologies. Le poète, a écrit Jacques Morin « c’est peut-être le point de friction entre l’homme et la vie… Le poème naît forcément d’une émotion, d’un choc, d’une révolte. C’est avant tout un cri. Un cri écrit… L’écriture porte témoignage de l’individu. Il ne s’agit pas d’un précipité de vie mais bel et bien de l’expression d’un passage, d’une trace vécue. » (Revue Les Hommes sans Epaules). À lire, Poésie : Trois saisons et demie (Atelier de Groutel, 2017), L’éternité et des poussières (éd. Henry, 2017),Douzaines (La Porte, 2016), Le bord du paysage (La Renarde Rouge, 2016), Sans légende (Rhubarbe, 2013), Contrefeuilles (Gros textes, 2010), Jusqu’à l’âme (Gros textes, 2008), Une fleur noire à la boutonnière (L’Idée bleue, 2007), Poèmes sportifs en Puisaye-Forterre (Les Carnets du dessert de lune, 2003), Lettre à l’embryon (Jacques Brémond, 1997), Les caldeiras de la morgue (Wigwam, 1995), Du principe d’irréalité (Les éditions de Garenne,1991), Carnet de campagne (Le Pavé, 1985), Le clown noir (Ressacs, 1983), Les pathétiques de Jacques Morin (Le Crayon noir, 1981), Sépias & fusains (Polder n° 5, 1981), J’ai dans la tête une banlieue de parole qui me rend l’âme grise (Polder n° 1, 1980), Miroir des nostalgies (le dé bleu, 1980), Répertoire des mélancolies (Le Désespoir, précisément, 1980), Le faire-valoir du silence (Le Crayon noir, 1979), L’arme blanche (Le Crayon noir, 1977), Intacts (Le Crayon noir, 1976), Le hibou assiège la nuit (Le Crayon noir, 1974). Proses, essais, fictions : Quelques éditos un peu rigolos… (Rhubarbe, 2018), Carnet d’un petit revuiste de poche (Les Carnets du Dessert de Lune, 2016), J’écris (Rhubarbe, 2016), La poésie de A à Z (Rhubarbe, 2010), Il était une fois la poésie (Décharge, 1997), Les causeries, élucubrations et autres billevesées du cousin Jacmo (Rétro-Viseur, 1994), Le regard du cyclope (Rétro-Viseur, 1993), Le revuiste impénitent (la Bartavelle, 1990), Anima, l’ange Anima (Décharge, 1992), Après tout (Plis, 1988). Anthologies : Génération Polder (La Table rase, 1992), Polder, deuxième génération (Gros textes, 2005), Génération Polder (La Table rase, 1992). *** Jacques Morin s’entretient avec Christian Saint-Paul et lit des extraits de « Le bord du paysage » et de « L’éternité et des poussières » *** Le soleil darde ses rais de feu je bombe le torse bouclier pauvre
Dans cette lice du jour se renversent les mannequins dominos sans point ni cible
Les champs piquent jusqu’à l’horizon
Le souffle est régulier synchrone avec la foulée
la respiration fait exister le monde
poumon soufflet l’air chante dans le corps
la gorge résonne avec les pieds
rythme poitrine
jusqu’à l’horizon fauché piquent les champs
la rivière glisse sur les épaules
elle miroite liquide joue de ses écailles
où est l’alligator les yeux dehors
j’ai mis ma peau de serpent je mue et nage entre deux courants d’eau d’air électriques circuit court
la rivière éteint la colère et passe sous le corps délavé
tout du long le cri des enfants et la rumeur du soir
Inédits (A peine six semaines)
Le titre peut venir à la fin être extrait de l’ensemble
là il vient au début comme à développer ou emplir
presque en contradiction
C’est un peu la célébration de l’ultime On a conscience de la terminaison on tend à ralentir le cours pour fixer les images les instants et savoir fort que c’est fini
compte à rebours au creux de l’âme on remonte les épisodes au bout du feuilleton
étaler les secondes freiner le silence
C’est ce qui reste à mesure le plus court la petite part qui s’amincit qui fond à vue deuil
Prendre du recul quand on n’a plus le temps
se mettre en retrait dans le vif de l’action
appuyer sur pause alors que ça déroule
On attend le passage on atteint la rupture
il s’agit de dépasser la butée
un pied sur la margelle qui couronne le gouffre
Extraits de Le sens du dernier (in Friches n° 127) Éternelle énigme…
éternelle énigme
dont on ne déchiffrera que quelques bribes tout au long d’une existence passionnée
le rébus restera forcément incomplet incompris jusqu’au bout
une part commune une autre non ce que l’on ressent d’un côté
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pudeur et trouble forment barrage presque sans mot
plein de choses qui tournent roulent dans la tête incapable de dire
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Une gêne essentielle Une forme de honte dont on ne se départit pas censure religieuse bien intégrée impossible à vomir
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Tout est naturel et trivial à la fois ce qui se fait ou ne se fait pas selon quelle morale déjà
on reste avec l’embarras du corps boulet tellurique sans chaîne on a ce poids on est cette pesanteur avec les envies besoins nécessités y afférant
impossible de s’extirper on est dedans on vit en on est chez
Extraits de Les Hommes sans Epaules n° 46
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27/09/2018
Jean-Piere
SIMEON
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L’émission est exclusivement consacrée à Jean-Pierre Siméon. Jean-Pierre Siméon, agrégé de lettres modernes, est l’auteur d’une vingtaine de recueils de poésie, mais également de romans, de livres pour la jeunesse et de pièces de théâtre pour lesquels il a obtenu de nombreux prix. Il est aujourd’hui directeur artistique du Printemps des poètes et poète associé au Théâtre national populaire. La poésie sauvera le monde, de Jean-Pierre Siméon Le Passeur éditeur, 96 pages, 13 € est cité en rappel par Christian Saint-Paul. Cet essai incisif, au « parfum de résurrection », rappelle que vivre en poète, c’est lutter pied à pied contre les forces qui poussent à l’exil pour habiter la vie entière. Pour une résurrection de la vie. Depuis les temps immémoriaux, dans toutes les civilisations, dans toutes les cultures, orales ou écrites, il y eut des poètes au sein de la cité. Ils ont toujours fait entendre le diapason de la conscience humaine rendue à sa liberté insolvable, à son audace, à son exigence la plus haute. Quand on n’entend plus ce diapason, c’est bien la cacophonie qui règne, intellectuelle, spirituelle et morale : le symptôme d’un abandon, d’une lâcheté et, bientôt, d’une défaite. Pour Jean-Pierre Siméon, il est urgent de restituer à notre monde sans boussole la parole des poètes, rebelle à tous les ordres établis. Pas de malentendu : si la poésie n’est pas la panacée, si elle n’offre pas de solutions immédiates, elle n’en est pas moins indispensable, d’urgente nécessité même, parce que chaque poème est l’occasion, pour tous sans exception, de sortir du carcan des conformismes et consensus en tous genres, d’avoir accès à une langue insoumise qui libère les représentations du réel, bref de trouver les voies d’une insurrection de la conscience. « Oui, la poésie c’est la vie-même, la vie en intensité, ramenée à son rythme essentiel, celui du souffle et de la scansion du sang » « Décidément l’avenir sera poétique ou ne sera pas – ou ne sera que la désastreuse continuation d’une défaite obligée. » Mais c’est le dernier essai Les yeux ouverts, Propos sur le temps présent Le Passeur éditeur, 300 pages, 18,50 € de Jean-Pierre Siméon qui est le principal sujet de l’émission. Dans cet essai stimulant et engagé, le poète Jean-Pierre Siméon s’interroge, non sans espièglerie et humour, sur les questions qui agitent notre temps. Il y a certes bien des façons d’agir quand, citoyen alerté, on juge mauvais le cours des choses et en péril les valeurs essentielles d’huma-nité : manifester dans la rue, militer dans des associations ou des partis politiques, lancer des pétitions… Jean-Pierre Siméon ne s’est jamais dérobé à ce genre de nécessités. Il est poète et contrairement à de vieux préjugés à la peau dure qui veulent que la poésie soit hors du monde, il considère que le poète qui tient parole a son mot à dire sur la marche du monde, ni plus ni moins que les sociologues, psychologues, politologues et autres machinologues en tout genre… La parole du poète n’est sûrement pas meilleure ni plus avisée que les leurs mais, nourrie de l’effort de conscience et de l’exigence d’une langue libre et indocile qui sont ses caractères fonciers, elle est peut-être autre. Parole intempestive, intransigeante autant que fraternelle, elle peut, révolte d’âme, rappeler, au-delà des débats de circonstance, qu’en toute chose doit prévaloir sans compromis le vœu d’une humanité ouverte et affranchie de ses peurs. Lecture de « Le service public, une vieillerie vraiment ? » Lecture de « Poésie pour tous » Lecture de « Peuple poète » *** Lecture de larges extraits de « Les douze louanges » frontispice de Martine Mellinette, Cheyne éditeur. Interroger est la soumission la plus tendre. Aujourd’hui déjà s’échauffe comme l’amoureux printemps. Ah, fût-elle toujours remise la réponse, visage jamais comblé, il nous suffit d’en être le sourire naissant, pas même, le pli des lèvres, pas même, le nu pressentiment. Nous chérissons une parole irréductible à la voix qui l’épuise. Nous entendons de loin tout un peuple de douleurs comme sur la mer les drames de la houle. Dans l’ombre déferlée, le lit d’amour et cette veille de bougie où tout prend figure d’apparition. La chair tremble, fidèle à son plus long soupir. Une lente ascension travaille le poème où les amants se baisent au front. |
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20/09/2018
Shimon
Adaf
Carl
Rakosi
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Christian Saint-Paul revient sur la figure du poète MAURICE BOURG, qui a fêté ses cent ans. Sa ville, Montgeron, lui rend hommage et lui consacre sa quatrième de couverture de son magazine « Montgeron Mag » sous le titre : LE POÈTE A CENT ANS. Lecture de cet article : Poète montgeronnais réputé, Maurice Bourg a fêté ses 100 ans le 28 mai. Une vie dévouée à l’enseignement et à la culture. 3 DATES :1918 Naissance à Fontenailles en Seine et Marne ; 1956 Publication de son 1er recueil, Mirlitons ; 1993 il reçoit la médaille de la Ville de Montgeron à l’occasion du 25e anniversaire de la SAPE. Maurice Bourg est une figure incontournable de la vie culturelle montgeronnaise. Ancien enseignant, il est surtout reconnu pour son immense talent de poète. À travers onze recueils publiés, il a développé une œuvre personnelle riche. Retiré de la vie publique, il vient de célébrer ses 100 ans. Né le 28 mai 1918, il vit d’abord à Paris où son père est comptable au célèbre Bazar de l’Hôtel de Ville. Au début de la seconde guerre mondiale, en 1939, sa famille vient se réfugier à Montgeron, craignant des bombardements sur la capitale. Maurice Bourg a 21 ans. Il rencontre alors le directeur du collège privé Saint-Augustin, qui lui confie un poste d’enseignant de Français et de surveillant d’internat. Il s’installe ainsi définitivement à Montgeron. A partir de 1962, à l’ouverture du collège du Thabor (aujourd’hui disparu), il y enseigne les lettres et l’histoire jusqu’à sa retraite en 1984. UN HOMME PASSIONNÉ. Féru de littérature et d’histoire, Maurice Bourg transmet ses connaissances avec passion auprès de ses élèves. Mais c’est à travers la poésie qu’il va accomplir l’œuvre de sa vie. En 1956, il publie son premier recueil, Mirlitons. Puis, en 1968, il fonde la Société des Amis de la Poésie de l’Essonne, la SAPE. Il réunit ainsi autour de lui un aréopage d’amoureux des lettres et des arts. Pendant des années, la SAPE réunit autour de « Soirées feux de bois » les plus grands poètes de France : Roger Caillois, Guillevic, Jean Joubert, Jean Rousselot, Luc Bérimont, Michel Deguy, et beaucoup d’autres.
POÈTE RECONNU A partir de 1975, la Société édite une revue spécialisée, qui devient une référence dans le petit monde de la poésie. Jusqu’en 2002, 76 numéros seront publiés, ce qui représente plus de 6000 pages ! Parallèlement, Maurice Bourg continue d’écrire et de publier ses propres poèmes. Dans le monde assez confidentiel de la poésie, il a été largement reconnu par ses pairs comme un auteur de grand talent. Affable et ouvert sur les autres, il est une figure marquante de la vie culturelle Montgeronnaise, même si son état de santé ne lui permet plus de mener une vie publique. Il est décrit par ses proches comme « quelqu’un qui éveille et qui rassemble. »
Une émission sur Maurice Bourg est en préparation. *** La revue trimestrielle de poésie Décharge a fait paraître son n° 179. Couverture et illustrations : Marie-Jo DUBOST Sommaire n° 179 : Intro (Jacmo) Phare dans la nuit (Georges Cathalo) : Editions du Petit pavé Hommage à Joëlle GARDES (Claude Vercey, Jeanine Baude et Claude Ber) Jean-François MATHÉ : Rimes de lèse-majesté Cadrage : Delfine GUY, poète et écrivain d’atelier (Claude Vercey) Gabriel ZIMMERMANN : Onze récits commencés dans la nuit Entrez dans la danse : Isabelle CROCHET Une année en poésie : 1918 (2ème partie) (Jacques Fournier) Marilyse LEROUX : Les mains bleues Pages volantes (François de Cornière) Des voix venues d’ailleurs (Y-J. Bouin / Sabine Huynh ) : Carla HARRYMAN Il y a poésie (Mathias Lair) Christian BACHELIN : Contes des forêts closes Parler avec nos poèmes (James Sacré) Cadrage/Débordement : Dominique SAINT-DIZIER Les chroniques du Furet : Peinture et poésie dans Décharge (Michel Lamart) Feuilleton (Alain Kewes) Diaphragme - Notes de lecture (Jacmo) Se mettre à la page (Florence Saint-Roch) Ne restez pas seul(e) ce soir (Antoine Emaz) Petite courtoisie pour demain (Louis Dubost) Le Choix de Décharge Marie-Anne BRUCH François COUDRAY Laurent GRISON Jean-Marc BARRIER Yves LEMOINE Joëlle PETILLOT Marie-Christiane RAYGOT Anne-Sophie MARIE Colette THEVENET Marie GINET Jean PALOMBA Bon de sortie : Les Revues-du-mois (Jacmo)
Le n° 8 € ; abonnement 28 €. chèque à l’ordre des « Palefreniers du Rêve » adresser à : Décharge Jacques Morin 4 rue de la Boucherie - 89240 ÉGLENY - France *** Les éditions Caractères ont publié : SHIMON ADAF « Le monologue d’Icare » poèmes traduits de l’hébreu par Michel Eckhard Elial, édition bilingue, 155 pages, 20 €. Shimon Adaf est né en 1972 à Sdérot, au sud d’Israël, à la bordure du Néguev. Très tôt, il commence à publier de la poésie et rejoint à Tel Aviv un groupe rock comme auteur et musicien. Dans le même temps, les années 90, Sdérot, ville d’immigration marocaine, puis russe, devient une scène musicale et artistique importante dans la vie culturelle d’Israël. Son œuvre littéraire, qui comprend trois recueils de poésie et dix romans, a reçu plusieurs distinctions nationales (dont les Prix Yehuda-Amichaï et Sapir). Elle est traduite en plusieurs langues. Aujourd’hui enseignant la littérature et l’écriture créative à l’Université Ben-Gourion du Néguev, il est aussi directeur littéraire aux éditions Keter. Lecture de la préface de Michel Eckhard Elial « La fabrique du ciel ». Lecture d’extraits du livre. *** L’émission est ensuite consacrée au livre de Carl Rakosi, « Amulette »,édition bilingue, traduit de l’américain par Philippe Blanchon, en compagnie d’Olivier Gallon, Suivi d'un entretien avec Carl Rakosi, La Barque, 2018, 205 p., 25€. Carl Rakosi est né en 1903 à Berlin de parents juifs hongrois. Peu de temps après, son père et sa mère se séparent, il est alors accueilli, avec son frère, chez ses grands-parents maternels, à Baja, en Hongrie. En 1910, il va rejoindre son père aux États-Unis. Jeune homme, après le lycée où il a commencé à écrire, il fréquente plusieurs universités, devient rédacteur en chef du Wisconsin Literary Magazine, une publication étudiante où paraissent ses premiers poèmes... Pour vivre, il passe d’emploi en emploi (travailleur social, enseignant...), et suit parallèlement avec avidité diverses formations supérieures (langue, psychologie, psychiatrie...). Alors professeur d’anglais au lycée, à Houston, durant l’hiver 1930, il reçoit une lettre de Louis Zukofsky qui s’est décidé à lui écrire sur la recommandation d’Ezra Pound (lequel avait déjà publié quelques-uns de ses poèmes dans son éphémère revue The Exile et espérait, plus que Zukofsky lui-même, un nouveau mouvement poétique). Zukofsky lui propose à son tour de publier dans le prochain numéro du magazine Poetry. Les deux hommes deviennent amis. Puis, Rakosi participe aux deux anthologies objectivistes, sans manquer toutefois d’insister sur la singularité de chacun des protagonistes... Auparavant, en 1925, il avait changé de nom, Carl Rakosi (un soi privé associé à l’écriture) devenant légalement Callman Rawley (l’homme social et professionnel) — changement de nom pour des raisons par trop facilement décelables : antisémitisme, préjugés, souhait de ne pas vouloir que son autre identité soit connue de ses associés... Ne pouvant plus mener de front sa carrière professionnelle dans le social (particulièrement préoccupé par les migrants et les enfants) et son travail d’écriture, il cesse d’écrire avec la parution de ses Selected Poems en 1941. Il faudra attendre 1965 pour qu’il se remette à écrire, et 1967 pour voir paraître un nouveau livre aux éditions New Directions : Amulet. Callman Rawley laisse à ce moment-là définitivement place à Carl Rakosi ! C’est la réception d’une lettre d’un jeune poète anglais, Andrew Crozier, s’interrogeant sur l’existence ou non d’autres poèmes, après avoir copié tous ceux qu’il avait trouvés et en avoir dressé la bibliographie, qui redonne sens à son travail poétique et incite Carl Rakosi à reprendre l’écriture — « quelque chose de grand venait de se passer »... Les livres vont ensuite se succéder jusqu’en 1999. Tout autant rétrospection que tournant vers l’œuvre à venir, Amulette articule ses derniers poèmes (le premier écrit dans ce renouveau fut « Au lit, un matin d’été ») avec des poèmes antérieurs (tel que « La ville (1925) ») — dont il retravaille certains. Y sont salués L. Zukofsky et W. Stevens, s’y trouvent ses premiers « Americana » (série s’échelonnant dans des livres suivants, tout autant regard rétrospectif sur l’histoire des États-Unis que regard acéré sur son actualité), et le seul poème qu’il disait pouvoir être considéré comme véritablement objectiviste : « Le homard ». Ses poèmes sont autant d’incises dans le réel — des compositions des plus simples aux plus complexes, traitant de l’intime et de l’histoire. Témoin et acteur majeur du siècle poétique américain, poète d’une absolue singularité, Carl Rakosi meurt en 2004 à 100 ans. « Ce qui est important, disait-il, est que soit préservée l’intégrité du sujet aussi bien que de l’objet. » Amulette est son premier livre à paraître en français. Voici un extrait d’une note de lecture de Marc Blanchet dans Poezibao :
« Dans sa structure interne, parfois son dénouement, cette poésie questionne avec finesse le spectacle du monde. La précision se fait dès lors sœur de l’observation, au sein d’une écriture qui prend à son compte, voire à sa charge, l’Histoire des États-Unis. La poésie n’est pas ici révélation ou capture des muses ; elle n’est pas inspiration. Elle est impression. À condition que sa vraisemblance ne soit pas liée aux charmes de l’affect, qu’elle puisse (le terme éveille un voisinage immédiat) objectiver ce sur quoi elle porte son attention. Elle ne connaît d’autre vérité que ce qu’elle énonce – et ce vers quoi sa pensée, sans abstraire ou s’abstraire, se dirige. Le poème, non d’ouverture mais de commencement, d’Amulette induit pareil acte de foi. » Lecture d’un extrait de l’entretien de Carl Rakosi. Lecture de larges extraits du livre. ***
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13/09/2018
Eric FRAJ
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Christian Saint-Paul invite les auditeurs à se rendre au concert que donnera Eric Fraj à la Maison de l’Occitanie à Toulouse le samedi 15 septembre à 19 h. « Eric Fraj fait partie de cette famille d’artistes qui savent donner des frissons. Et pas seulement à ceux qui comprennent la langue d’oc… » écrit dans La Dépêche du midi Bernard Lescure en janvier 2009. Éric Fraj sera accompagné le 15 septembre 2018 par Thierry Roques au piano et à l’accordéon, pour chanter et célébrer la Diada de Catalunya pour un récital tout en catalan. Éric Fraj est auteur-compositeur et interprète, chantant en occitan, catalan, espagnol et français depuis fin 1971. Son parcours artistique l’a amené à se produire en France et à l’étranger, de la fête de village au Théâtre Dejazet à Paris ou au Palau de la Música de Barcelone, en passant par Göttingen, Casablanca, Toulouse, etc. Entraîné dans une recherche artistique sans cesse renouvelée, il a contribué à la création de spectacles, en collaboration avec de nombreux artistes et amis de longue date, parmi lesquels il faut mentionner Guillaume López, musicien fondateur du C.A.M.O.M (compagnie musicale, productrice de spectacles et de disques – visitez le site officiel du C.A.M.O.M ici). S’il chante dans ses langues du cœur (les langues de son enfance), Éric Fraj s’illustre aussi comme écrivain et conférencier. La vie d'Éric Fraj est aussi parsemée de mots... S'il écrit, ce n'est pas uniquement pour mettre ses textes en musique. On lui doit plusieurs publications : Liens, récit (en français), publié par la Bibliothèque Municipale de Carbonne, avec des peintures originales de Joëlle Chateau et une traduction occitane de René Soula, octobre 2005, 104 pages. Adaptation pour la scène d’un texte de Huilo Ruales Hualca, SATANGO, pour la création théâtrale éponyme du Théâtre du Cornet à Dés (Toulouse), qui eut lieu à ODYSSUD BLAGNAC les 20, 21, 22 avril 2001. Articles en français et en occitan ponctuels, de 1972 à 2008, dans les revues et journaux suivants : Vida Nòstra, Occitans !, Linha Imaginòt (Toulouse), La Setmana (Pau), Lo Gai Saber (Toulouse), La Dépêche du Midi, Lo Leberaubre (Dordogne), Tageblatt (Luxembourg) Lauréat du Prix Littéraire occitan Paul Froment décerné par la Mairie de Penne d’Agenais le 20 novembre 2005 Lauréat du 18ème Prix Batista i Roca décerné par l’IPECC (Institut de Projecció Exterior de la Cultura Catalana) à Barcelone le 17 novembre 2006 Prix Coup de Cœur de l'Académie Charles Cros pour l'album "Arranca-me", Montauban, 2003.
Eric Fraj, né en décembre 1956, est un chanteur qui interprète des pièces essentiellement en occitan, mais aussi en castillan et en catalan. Il a commencé sa carrière à Bordeaux en 1971. Chantant des poèmes de grands auteurs, comme Joan Bodon, André du Pré ou José-Maria Caballero Bonald qu'il met en musique à la guitare, et des textes à lui, sa musique s'oriente vers des couleurs méditerranéennes et sa voix emprunte au chant lyrique. Il vit dans la région toulousaine, à Carbonne, et il enseigna l'occitan et la philosophie. Il a également créé de nombreux spectacles mélangeant théâtre et musique. En 2000, il a interprété le rôle du troubadour Jaufre Rudel dans L’Amour de Loin, un spectacle écrit et mis en scène par le guitariste Vicente Pradal. En 2010, il crée le spectacle Pep el Mal, basé sur l'histoire de son propre grand-père, immigré valencien (Alcoi) à Lavelanet, et qui transmis le goût du chant et des langues à son petit-fils. Éric Fraj se produit régulièrement avec des musiciens, comme Guillaume Lopez, Jean-Raymond Gélis... Éric Fraj a annoncé en 2017 son ultime création, Rdv, mais ne cessera cependant pas de chanter, à la demande. « Max Rouquette a commencé à traduire Lorca en occitan dans les années 40, et continuera tout au cours de sa longue vie. Il reconnaîtra chez le poète andalou ce chant profond, cette fusion d’inspiration populaire et de la modernité poétique que lui-même plaçait au cœur de sa recherche. Éric Fraj peut chanter aussi bien en occitan qu’en castillan ou catalan. Il chante ici, soit a cappella, soit accompagné à la guitare par Morgan Astruc, quinze poèmes de Lorca dans la traduction de Max Rouquette, tirés du Romancero gitano, du Cante Jondo, du Divan del Tamarit, et du Llama per Ignacio Sánchez Mejías . La voix occitane toute de clartés et d’ombres, les rythmes andalous en résonance discrète, fusionnent pour donner quelque chose de neuf, d’original, et de très émouvant " écrit Jean-Guilhem Rouquette. « RDV » est la nouvelle création d’Eric Fraj et de la Compagnie Guillaume Lopez. 15 ans de travail, d’amitié, de partage pour une complicité musicale et artistique forte. De sa plume ciselée et poétique, Eric Fraj nous livre les rencontres qui ont parsemé sa vie. De sa voix puissante et chargée d’émotion il invite le public à partager son parcours. La musique composée par l’ensemble des musiciens de la Cie Guillaume Lopez est un savant mélange de musiques du monde, de jazz, de musiques actuelles, elle est une passerelle entre les cultures, les époques et les individus.
"RDV parce que la vie, bonne fille, n’a cessé de me prendre d’insoupçonnés et multiples rendez-vous. Et que ce n’est sans doute pas fini ! « En 60 ans de vie, dont 45 de chanson, j’en ai vécu des rendez-vous ! Des beaux, des durs, des tendres, des improbables, des courts, des longs, des publics et des privés, des officiels et des clandestins, des sérieux et des fous, bref : des rendez-vous de toutes sortes avec des personnes, des lieux, des situations, des mots et des notes, des discours et des mélodies, comme avec une longue suite de surprises et de cadeaux renouvelés…
Certains de ces
rendez-vous m’ont marqué plus que d’autres, construit plus que d’autres.
D’Atahualpa Yupanqui à Colette Magny, de Lluís Llach à Jacques Bertin,
de Claude Marti au Mej
Diffusion de trois titres et lecture de leur traduction en français.
*** Cathy Garcia Canalès fait paraître : « aujourd’hui est habitable » aux éditions Cardère, 12 € avec trois photographies de l’auteure. Cathy Garcia Canalès a été artiste de spectacle de rue, chanteuse notamment, pendant une douzaine d’années. Elle a fondé la revue de poésie vive Nouveaux Délits en 2003, qu’elle dirige en solo, et l'association du même nom en 2009. A été publiée chez Gros Textes, Cardère, Mgv2>publishing, éditions de l’Atlantique, Asphodèle, DLC, Encres Vives, Clapàs et par de nombreuses revues françaises et étrangères. Artiste plasticienne autodidacte, ses œuvres illustrent également livres & revues. Elle expose ses travaux : gribouglyphes, matériossages, récup’art et anime des ateliers d'expression artistique et d'écriture pour enfants & adultes. Rédactrice de notes de lectures, elle enregistre aussi des lectures poétiques pour le net. Extraits du livre. Surréel des surrénales Urgences à foison, mystiques incurables. Prodigieux gisements d’araignées repues. Les fous culbutent au son des grenades. Les fugitifs peuvent échapper aux bouches des gorgones, aux nageoires et aux vidanges mais pas à la douleur jaune du sniper dans le fracas des ruines. Quand ils sont capturés, souvent ils serrent dans leurs poings des sédiments, des scolopendres ou des charbons ardents. On devine l’exil et la terreur dans la trouée des artères, cet étourdissement à la pliure du cœur comme un jumeau qui se dilate. Les poètes arrachés aux rouages prédisent la fonte de l’infini, plongent leurs molécules de fortune dans des flacons de mescal, parlent de floraison de cuisses au comptoir des yeux, d’un butin à grimper et dealent le sang trouble de leurs dragons desséchés, la morphine des siècles à la morgue cosmique. D’austères marionnettes attendent à la porte avec leur couteau à moelle mais l’homme automatique refuse d’ouvrir les cieux. Dérisoires broderies, elles se retrouvent pelures. On passe alors leurs têtes ciselées de poudre à la meule sucrée. On leur laisse la fièvre, les échardes et une infusion de draps caillés. Peu importe la confiture, l’interrupteur est calciné. La panse des actionnaires n’est plus verrouillée. Les cafards de ferraille à gueule de ténèbres les rendent insomniaques. La fièvre du labyrinthe est un mythe. Les bouffons exultent et picorent dans les entrepôts rapiécés. Personne n’explique les ciments hostiles, l’étrange répulsion des fissures assassines et à force de douleurs, les entrailles déferlent par saccades. Sincérité. Un bain consternant de phalanges et d’organes. Le colleur de viande y ramasse ses cornets de boyaux.
Alchimie des prothèses, pompes et capsules. De somptueux marais de faïence irriguent une tumeur flottante sous l’épiderme, là où la pince des éclairs affûte les clavicules. Tandis que par la fontanelle la sainte banquise déverse ses poissons, les écrans phosphorescents clignotent, tranquillisants. La palpitation lasse des jardins hallucinés trace un pont entre cimes et cimetière. Vers le calme éternel. ***
Né en 1955, Pierre Ech-Ardour réside à Sète. Dense sa parole poétique, tissée en un vocable immuable, interroge le cœur du monde. En son rapport intime aux lettres, sa poésie, «tours de mots» où interfèrent extrinsèques lumières et clartés profondes, incarne la parole d’une utopie propice à l’approche des sources du monde. En 2016 paraît à compte d’auteur un recueil au titre sommatif « réparations ».
Blessure et renaissance, chute et enciellement, dès le premier moment, l’un est ailleurs et la filiation des mots comme celles des fils n’est vraiment nulle part. Le calame crée de tout surgissement un étrangement. Dans sa course, l’écriture façonne pour le poète le meilleur chemin possible, c’est-à-dire une instable traversée, car le monde court sur un fil, la lumière brûle le plus souvent d’une mèche de vent et d’inaccessible infini.
En 2018, sont publiés :
Aux Éditions Levant , deux abécédaires, « L’Arbre des Lettres en Chemin » et « L’Arbre des Lettres d’Exode »réunis en regard sous le titre « L’Arbre des Lettres » où l’Homme est l’Arbre. Les calligraphies spécialement créées pour le projet sont l’œuvre de Saïd Sayagh. Comme les racines de l’arbre, les lettres hébraïques ouvrent un chemin vers le ciel. Pour Michel Eckhard Elial, elles y puisent, non pas la tentation du tout qui peut être l’ambition du langage, mais une source de lumière et un éclairement du monde et de ses mystères. Pierre Ech-Ardour présent à la Comédie du Livre de Montpellier en mai 2018, a présenté son recueil à la première journée croisée France-Israël de Montpellier début juin. Il est invité en juillet au Festival de poésie « Les Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée » à Sète. À l’Institut d’Estudis Occitans del Lengadoc (Centre culturel occitan « Lo Camèl ») de Béziers, le recueil : « Lagune – archipel de Thau », grâce au soutien de la Région Occitanie. La poésie est traduite en occitan par Joan-Frederic Brun, ornée d’encres acryliques et de chine créées pour le recueil par Alain Campos. Comme le souligne Georges Drano dans l’avant-propos du recueil :« Loin des profondeurs obscures et des flots malmenés, la surface de l’eau accueille une étrange présence ajoutée au mystère de la lagune et de la langue, elle garde ses secrets ».La poésie témoigne la fragilité du lieu et celle de la langue. L’écho occitan reflète la richesse d’accents en résistance. Pierre Ech-Ardour présentera ce recueil bilingue en septembre 2018 à l’évènement littéraire « Les Automn’Halles » à Sète.
Lecture d’extraits.
Autrement noire la lagune renouvelée la scintillance au limon excave le flux des verticales amarrées
De ma désirance longer le hâve sentier raviver l’ombre des pierres de mes lèvres mouillées
Éphémères empreintes au sable bu allégée des inflexions du vent difforme l’enténébrée voilure s’épand
Odyssée alourdie des filets esseulés dessein ramifié en la masse du temps rembruni sur l’étang dérive l’effluve iodé
*** Jean-Michel Bongiraud fait paraître : « René Blain ou la Poétique du vélo - Poème politique enthousiaste et sérieux » 162 pages 14,00 € , Atramenta éd.
Jean-Michel Bongiraud est né en 1955 et habite le Jura. Il a dirigé la revue Parterre Verbal de 1992 à 2002, et anime, depuis Juin 2008, le bimestriel Pages Insulaires. On relèvera la probité émouvante de cet auteur, livré tout à la fois à son authentique passion de poésie et à un doute lancinant sur la pertinence de la parole face au monde. À lire : À la fin du cri (Encres Vives, 1993), L’Établi à mots (Traces, 1993), Les Fruits de l’alphabet (Encres Vives, 1995), Mots d’atelier (Le Dé bleu, 1997), Mouvements (Encres Vives, 1997), Mots du manœuvre (Épi de seigle, 1998), Fermentation poétique (Éditinter, 1998), Apesanteur fiscale (Éditinter, 2000), Le Livre des silences (Éditinter, 2001), Le Cou de la girafe (Éditions de L’Amourier, 2001), La noisette n’a pas son pareil pour ouvrir l’esprit (L’Épi de seigle, 2001), Un Livre pour la pluie (Éditinter, 2007), Du Bout de mes orteils (Éditinter), L’Herbe passagère (Éditinter, 2009), Arpège, précédé de : Une Quinte sous nos doigts (Éditinter, 2010), Sang & Broussailles (Rafael de Surtis, 2011), L’Empreinte humaine (Éditinter, 2011), L’Herbe et le néant/ Das Grass und das Nichts (Éd. En Forêt, bilingue) écrit Claude ARGÈS dans la Revue Les Hommes sans Épaules.
Le thème de ce livre est autant une parodie de la vie que la critique de notre société. René Blain en est le héros, à la fois philosophe, anarchiste et rêveur, il est également naïf, bon et placide. IL est attentif à son vélo, lequel est pour lui une manière de se montrer à part des autres et d 'exprimer son refus de la société actuelle.
Ce roman, de quinze chapitres d’égale longueur, plus une transition et un épilogue, est difficile à classer, même si la fantaisie, voire le fantastique sont présents tout au long des pages. Sous cet aspect fantaisiste se dévoile donc une critique sociale et politique abordée sous le trait de l’humour. Le vocabulaire est simple, parfois élaboré et quelquefois inventé, mais ces « trouvailles » sont toujours en référence à une personne ou à un courant politique. Cet ouvrage se veut également poétique au sens le plus noble du mot.
Extrait du livre :
Olympe Desssous
Blaise, Louis et le chef de bande, dénommé René, la regardèrent avec attention et découvrirent, dissimulée derrière un tablier à fleurs fanées, la déception amoureuse. Trois cloques sur les joues se gonflaient puis se rétractaient tant la douleur, la détresse, l’incompréhension et la déception suintaient par ses pores. Les pleurs avaient irrité ses ridules tant sa peine fut grande. Affectueusement, ils l’entourèrent de leur corps et lorgnèrent vers le plateau sur lequel de multiples croissants chauds embaumaient l’ambiance froide et neutre du magasin. Ils voulurent tendre la main vers ces délices mais la boulangère se retira avec vivacité. Elle leur signifia qu’ils pourraient les manger s’ils faisaient le serment de l’aimer toute leur vie. Sur le sujet, ils ne se posèrent aucune question métaphysique et jurèrent tous les trois. Ils s’approchèrent vers le plateau dont ils convoitaient avec envie et un peu d’amour les gâteries. À nouveau, la boulangère se recula. — Vous ne trouvez pas qu’il fait froid ici ? leur demanda-t-elle. Blain, le chef des gourmands, expliqua qu’effectivement ils avaient trouvé cet endroit particulièrement réfrigéré sans comprendre la raison pour laquelle le froid avait pénétré ici, y compris les pains, pâtisseries et viennoiseries. La boulangère posa son plateau sur la dernière marche de l’escalier et s’assit à côté de lui. Peu rassurée quant au sort de ses croissants, elle les cala contre son fessier, car elle préférait les avoir sous ses yeux. Les trois hommes se tenaient à une distance respectable. Un regard de la boulangère vers eux les faisait se reculer aussitôt. Elle poussa un grand soupir, car sa joie d’avoir vu des clients disparaissait à mesure que l’air glacé envahissait ses avant-bras, ses mollets et son cerveau. La douleur l’encerclait à nouveau et la seule issue se trouvait dans l’extirpation de son être de l’amour mortel qui la possédait tel un dieu dispose des corps encapuchonnés. Ils virent la face de leur hôte changer d’aspect, se durcir, s’enlaidir, la bouche se serrer sur les gencives, les yeux se clore à demi. Son corps devenait plus épais, plus grand. Seconde après seconde, il prenait du volume. Les hommes n’étaient pas terrifiés, mais ils s’inquiétaient de cette métamorphose. La haine et la colère de ce corps prenaient possession. Les courbes, la grâce, la délicatesse de celui-ci, les trois amis ne se lassaient pas de le contempler. Les jambes repliées sous elle, alors qu’elles étaient fines, élancées, droites, Olympe Dessous, enfin révélée aux lecteurs, poussait un ultime soupir. Le buste recroquevillé sur lui-même cachait une poitrine généreuse, des hanches radieuses. Blaise, Louis, et le René des pains étaient devenus amoureux l’instant d’avant, et ce tableau leur fit passer des frissons. De la boulangerie, ils auraient voulu s’enfuir, tant ils leur semblaient être pris au piège de l’amour. N’avaient-ils pas fait un serment et les croissants n’étaient-ils pas pour eux ? Une ère glaciaire ou d’une qualité plus appropriée s’éternisait entre eux et l’Olympe. Olympe Dessous se mit enfin à parler, alors la clarté revint peu à peu. Elle raconta son mariage, ses enfants disparus, sa boulangerie, ses rêves et ses illusions envolées. Dans une main, elles tenaient. — Je n’en ai eu qu’une, précisa-t-elle, celle de l’amour. Son mari était un honnête travailleur. Il réalisait des gâteaux de différentes sortes, des pains, des tartes. Sans être succulent, ces mets étaient mangeables, mais elle voulait plus. Elle prodigua à son mari, non des conseils, de l’amour, de l’amour pour l’exhorter à se surpasser, à toujours faire mieux, à exceller. Chaque matin nouvellement né, elle l’aimait davantage, et cette affection se ressentit dans ce qu’il faisait. Les clients semblaient contents, satisfaits des qualités commerçantes du boulanger et de ce qu’il leur offrait. Olympe devenait de plus en plus heureuse, aussi ne se modéra-telle
plus ! |
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06/09/2018
Michel ECKHARD– ELIAL
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En préambule, Christian Saint-Paul fait résonner sur les ondes de Radio Occitania la voix de Franck Venaille énonçant « La descente de l’Escaut ». Franck Venaille a rejoint l’immortalité des poètes le 23 août 2018. L’invité de la semaine est le poète, directeur de la revue et des éditions Levant, traducteur, Michel Eckhard Elial. D’emblée il rend hommage à ce géant de la poésie d’expression française qu’est Franck Venaile et fait observer que dans le poème écouté, il est fait allusion à la sentinelle, thème biblique que l’on retrouve dans « Même pour des milliers d’années » de Dahlia Ravikovitch (traduit de l’hébreu par Michel Eckhard Elial, postface de Sabine Huynh, 115 pages, 14,50 € aux éditions Bruno Doucey). Le poète est une sentinelle, un guetteur, qui veille dans les ténèbres au surgissement de la lumière. C’est tout le sens de l’œuvre poétique de Dahlia Ravikovitch, nous dit son traducteur, et son œuvre, dont le livre est une anthologie de moments significatifs, est témoin de la traversée des guerres que connut sa patrie Israël. Elle écrit comme une mère, une mère universelle. Elle est aujourd’hui reconnue et honorée, faisant figure de proue de la poésie féminine et plus largement de la poésie hébraïque. Les poèmes de Dahlia, comme on l’appelle tendrement en Israël, poursuit Michel Eckhard Elial, sont des étincelles jaillies des ténèbres. C’est sa réponse aux événements violents, ces lueurs qui brillent, sont celles de la nécessité d’une humanité qui fait mine de s’enfuir. La poésie est une parole sacrée du simple fait qu’elle est une parole prophétique. La poésie puise dans un temps immémorial. Le livre se décompose en 4 sections, il y a un cheminement. L’Occident bleu - Dans le vent juste - Un temps pour tout - Le chant de la terre « Même pour des milliers d’années », cette anthologie se lit comme un retour sur l’Histoire et une leçon éthique des événements. Le scénario qui attend notre monde, s’avère catastrophique si nous laissons les choses comme elles sont. La guerre pervertit tout. Dahlia évoque dans deux de ses poèmes, le cerf-volant, simulation de l’oiseau. Ce jouet si inoffensif et si ludique va devenir une arme de guerre et nous ramène à la violence. Dahlia a su émouvoir un peuple qui ne sait comment se débarrasser de la violence. Elle fait aujourd’hui l’objet de nombreuses commémorations. Pour retrouver l’innocence de l’enfance, parfois dans le poème, elle adopte le ton de la comptine et ceci pour un récit tragique. Les lieux sont présents dans les poèmes de Dahlia Ravikovitch. Il existe des lieux lunaires en Israël, soupire Michel Eckhard Elial. Dieu, l’ineffable, ne peut être nommé. Pour le désigner, il ne faut pas moins d’une centaine de noms. Un des noms de Dieu est le lieu. Un lieu que le poète peut faire vivre. La poésie est la manière dont Dahlia se saisit du lieu.
Et Jérusalem est un lieu qui rassemble, en demeure de l’avenir. Le poète est celui qui fait émerger la lumière. Il y a une sentinelle, un guetteur, qui voit le jour au bout du tunnel. Il est dans l’urgence de la lumière. Jérusalem est la lumière.
Lecture par Michel Eckhard Elial d’extraits des quatre parties du livre.
Même pour des milliers d’années
Je ne peux refaire le monde et ça n’a guère de sens. Un jour et puis un autre jour, une autre nuit n’apportent rien. Au printemps fleuriront pois de senteur, roses, et fleurs de margousier, Toutes à leur taille et dans leurs couleurs. Aucun véritable renouveau même tous les dix ans. Qui veut respirer les parfums des roses les cueille au fil du vent. Qui veut planter un arbre plante un figuier, pour le bien des générations futures.
Demandez-moi si j’ai jamais vu la beauté, je répondrai que je l’ai vue, mais pas aux bons endroits. Prenez l’exemple de cascades, si je les ai vues, que dire sinon que d’immenses chutes d’eau ne sont pas une vision agréable.
Les choses vraiment belles ne se trouvent pas dehors mais souvent à l’intérieur d’une pièce, quand les portes sont fermées et les volets tirés. La vérité c’est que les belles choses ne sont ni des fleuves ni des montagnes ou des rivages. Je les connais trop pour me troper, et penser à d’autres choses.
Ce qui est laissé après la peine c’est la curiosité de voir ce qui survient, et de voir quel est le terme de toute beauté.
Je sais : je ne dois pas planter de figuier. On peut penser autrement, attendre le printemps, des roses et des glaïeuls. Mais la course du temps rend les hommes durs comme des ongles, gris comme des rochers et têtus comme des pierres. C’est peut-être une vision séduisante : devenir un bloc de sel, avec une force minérale. Les yeux vides rivés à une usine de potasse et de phosphate même pour des milliers d’années. ****
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30/08/2018
Dahlia
Ravikovitch
Hanne
Bramness
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Christian Saint-Paul signale la parution de plusieurs livres : 1 - Même pour des milliers d’années de Dahlia Ravikovitch Traduit de l’hébreu par Michel Eckhard Elial Postface de Sabine Huynh, aux éditions Bruno Doucey, 120 pages, 14,50 € Collection : En résistance. Le mot de l’éditeur : « Ces étincelles de lumière dans l’obscure matière… » A-t-on jamais vu femme poète évoquer avec tant d’ardeur le clair-obscur de la vie ? L’enfance brisée et l’espérance vibrante. Les drames de la guerre et le désir de paix. L’effondrement personnel et la joie. L’intime et l’universel. Le goût de l’atemporalité biblique et le caractère fugace du vivant. Pour autant, la poésie de Dahlia Ravikovitch habille de clarté l’obscurité fondamentale de l’existence humaine, cherche l’or dans la boue et tente de dompter la violence du monde par la douceur des mots. Ses poèmes touchent parce qu’ils s’enracinent dans une fragilité. Et s’ils portent au loin c’est que leur auteure, féministe et militante, a su les faire glisser sur le fil du rasoir de l’Histoire. Je suis heureux et fier d’être le premier éditeur francophone à publier la poésie de cette voix majeure des lettres hébraïques. *** Dahlia Ravikovitch est née en 1936 à Ramat Gan, près de Tel Aviv. Elle a six ans lorsque son père est tué par un conducteur ivre. Elle part alors vivre avec sa mère dans un kibboutz, puis dans différentes familles d’accueil. Son premier recueil de poèmes, L’Amour d’une orange, est publié en 1959. Il sera suivi de neuf livres qui feront d’elle la grande voix de la poésie féminine israélienne. À la fin de sa vie, elle lutte contre une grave dépression, avant d’être retrouvée morte dans son appartement en août 2005. Même pour des milliers d’années, est son premier recueil traduit en français.
Extrait : Les choses vraiment belles ne se trouvent pas dehors mais souvent à l’intérieur d’une pièce quand les portes sont fermées et les volets tirés. Michel Eckhard-Elial, le traducteur, par ailleurs poète et directeur des éditions Levant, dresse longuement le portrait littéraire de cette auteure majeure d’Israël. Il revient sur sa biographie et l’image de la poésie qu’elle incarne toujours en Israël. Une émission particulière prolongera cette dense présentation, la semaine prochaine. *** 2 - Michel COSEM Aile, la messagère nous entraîne. Editions Unicité 3 sente des Vignes 91530 Saint-Chéron 148 pages,15 €.
Le nouveau recueil de Michel Cosem convie au voyage à un double titre : par le déplacement, la traversée des espaces et par l’arrêt, le surgissement de lieux. Avec l’auteur, nous montons dans le train, l’avion… ça défile, ça glisse, le passage d’un poème à un autre nous retient comme on attrape de l’eau, comme on remplit ses poumons d’air pur, façon impossible. Il y a là une cinétique du désintéressement que les fenêtres successives du poème sédimentent insensiblement, suscitant une douce métamorphose du voyageur. Et puis, au cœur du déplacement tout à son silence, il y a ces frappes instantanées, pour ne pas dire décisives, ces lieux en tableau qui mi-disent des histoires balayées par les éléments, des scènes incrustées de présences de pierre, de terre, de chair. Michel Cosem, avec Aile, la messagère, dresse une série de ponts de mémoire, sans drame ni cérémonie, témoins d’une existence qui va qui vient, qui goûte, tel un panier offert à l’imagination de qui s’en saisit, lucidement. Lecture de larges extraits. Serpentins et confettis bougent au vent de Castille. La place de Salamanque se gorge de cris et de lumière et la grenouille sur le crâne du mort s’apprête à sauter avec tous les autres fils et filles du vent, de l’herbe et des trous d’eau. Les générations se mélangent et les arches sereines, sous les blasons tutélaires, se jouent des modes et des lubies du temps. Le ciel soudain se dresse, noir d’orage et toujours le vent qui soulève les jupes des femmes et les papiers gras. Les pigeons se rapprochent de l’odeur des cafés et tout recommence à l’instant où l’on croit que tout va s’apaiser. (Salamanque, Plaza Mayor, Castille) *** 3 - Jacques Canut Alcancia Tirelire éditions Calamo bilingue espagnol français et Claires-voies éditions pour solde de tous contes, illustration de couverture de Thomas Lecœur. Chaque livre 7 € à commander chez l’auteur : 19, allée Lagarrasic, 32000 Auch.
Né en 1930 à Auch, poète bilingue (français-espagnol), ancien professeur Lettres-Histoire. Depuis 1975, il a publié 95 recueils ou plaquettes (poèmes, aphorismes, humour). Douze de ces recueils écrits en espagnol ont été publiés en Espagne et en Argentine. Deux recueils ont été traduits en allemand et publiés en Allemagne, cinq ont été traduits en brésilien, deux en murcien. Des poèmes figurent dans plusieurs anthologies, ainsi que dans des manuels scolaires (classes élémentaires, collèges). Des textes ont paru dans de multiples revues en France, Belgique, Allemagne, Italie, Espagne, Canada et surtout en Amérique Latine (Argentine, Brésil, Chili, Uruguay, Pérou, Paraguay, Mexique, Cuba) et en Floride (USA). **
Ma ville, d’importance moyenne ; il m’arrive de « m’aventurer » dans certains quartiers, où depuis longtemps, je n’avais eu la nécessité ou le loisir de passer, de me rendre.
Surpris, rajeuni, me voici étonnamment ébloui par cette (re)découverte, tel un touriste plongeant dans un site inconnu et enchanteur.
Extrait de Claires-voies.
*** 4 - Le poids de la lumière poèmes 1983-2017 de Hanne BRAMNESS
traduit du norvégien par Anne-Marie SOULIER Illustré par Florence Barbéris Edition bilingue avec des eaux fortes de Florence Barbéris Dans la collection : Po&psy in extenso, 883 pages, 25 €
Nous sommes dans les mains du mot, dans la violence des explications, une bouche qui nous assèche de ce que nous savons Le jour est l’allié du mot, lumière qui arrime une terre à l’autre, révèle que la forêt est toujours là, que la neige est neige, les gouttes d’eau toutes semblables…
Depuis ses premiers poèmes, écrits à 24 ans, les recueils de cette poète du grand nord ont mûri dans un univers essentiellement visuel, où la lumière semble engagée dans un corps à corps avec des visions tour à tour douloureuses, drolatiques ou dangereuses, que la poésie restitue sans merci. Née en 1959, Hanne Bramness figure parmi les poètes norvégiens les plus importants de sa génération. Elle vit entre la Norvège et Berlin avec son mari, l’écrivain Lars Amund Vaage. Son premier recueil, Korrespondanse, publié en 1983, sera suivi d’une œuvre poétique extrêmement riche (12 volumes) et variée, puisque sa bibliographie comprend également des recueils et des romans pour la jeunesse, ainsi que de nombreuses traductions d’auteurs très divers (Sylvia Plath, William Blake, auteurs chinois et japonais anciens…). Elle a obtenu les prix littéraires les plus recherchés en Scandinavie, dont le très convoité Doblougspris en 2006. Son dernier recueil, Fra håpets historie, paru au printemps 2017 a été immédiatement traduit afin d’être inclus dans le présent volume in extenso... Son premier recueil de poèmes, Korrespondanse, publié en 1983, sera suivi d’une œuvre extrêmement riche, puisque sa bibliographie comprend également des recueils et des romans pour la jeunesse, ainsi que de nombreuses traductions d’auteurs divers (Sylvia Plath, Denise Levertov, Selima Hill, William Blake, l’Indienne Kamala Das, l’Estonienne Marie Under, sans compter plusieurs recueils de poèmes japonais et chinois du passé). Hanne Bramness a obtenu les prix les plus importants du monde littéraire nordique. La lumière, le « poids de la lumière » : c’est la nourriture même de toute l’œuvre de Hanne Bramness. Beauté fatale de cette lumière, qu’elle soit reçue par l’œil ou émise par lui, violence d’une illumination, cruauté d’un regard ou abnégation insoupçonnée d’un veilleur. De Korrespondanse, premiers textes publiés par une toute jeune femme, aux Fragments d’espoir réunis dans son ouvrage le plus récent, les recueils ont mûri dans un univers essentiellement visuel, où la lumière semble engagée dans un corps à corps avec des visions tour à tour douloureuses, drolatiques ou dangereuses que la poésie restitue sans merci. La syntaxe est généralement simple, malgré une versification qui tend à se dissoudre dans les rythmes de cette « solitude en mouvement ». La syntaxe est généralement simple, malgré une versification qui tend à se dissoudre dans les rythmes de cette « solitude en mouvement ». Bribes de réalité, présences irréelles, affrontements des mondes physiques et métaphysiques se succèdent en d’imprévisibles fondus-enchaînés où les lignes dérapent. Qu’il s’agisse de strophes répandues sur la page comme des runes prophétiques ou de solides poèmes en prose ancrés dans la narration du présent, la typographie se laisse surprendre une émotivité invincible, refuse souvent la virgule ou le point final convenus pour laisser béants les blancs de la page comme autant de sources de miroitements. Lecture de larges extraits. A la frontière de la nuit se dresse un mur de défense un mur de pluie protège la pluie l’enfant dans le noir grandit en aveugle, neige aveugle sommeil aveugle
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Je porte un fardeau d’aveugle un regard mort à la vue mais l’oiseau que tu as tiré d’entre mes lèvres s’échappe le lait fait monter son flot sans visage ***
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19/07/2018 Michel DEGUY
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En préambule, Christian Saint-Paul invite les auditeurs à écouter les albums d’Eric Fraj, ce troubadour d’aujourd’hui qui compose ses poèmes mis en musique, en quatre langues : français, espagnol, occitan et catalan. Il se produira au Conservatoire Occitan à Toulouse en septembre 2018. Il avait donné, voici quelques années, un spectacle éblouissant au Théâtre Daniel Sorano de Toulouse, en hommage à son grand-père exilé espagnol : « Pep el mal », un alcoyan (natif d’Alcoi, Catalogne) qui eut le courage d’affronter l’inconnu du voyage et de sa destination pour fuir la misère. Dans « la prière » du grand-père, Eric Fraj reprend à son compte la posture d’Antonio Machado : « Seul compte le chemin/ il n’est pas donné à l’avance,/il se fait cheminant./Il n’a pas d’objectif ultime./Nous faisons notre chemin et notre/ chemin nous fait. » Eric Fraj invite l’homme à être étrange, convers, bohème, seules voies pour parvenir à être libre. Diffusion de « Pep el mal » (Pep le méchant) en catalan et lecture de la traduction en français. *** Christian Saint-Paul signale ensuite la parution du n° 127 de la revue FRICHES Cahiers de Poésie Verte (le n° 12,50 €, abonnement : 3 numéros 25 €, chèque à l’ordre de Cahiers de Poésie Verte, Le Gravier de Glandon 87500 Saint-Yrieix). Au sommaire : Bertrand DEGOTT et Claude BER et de nombreux auteurs tels Jacques Morin ainsi que de très bonnes notes de lecture indispensables pour connaître les publications de poésie. Une excellente revue connue de tous les amateurs de poésie et qui a rassemblé les plus grands noms de la poésie contemporaine. *** L’émission est alors consacrée à la nouvelle édition revue et augmentée de « A ce qui n’en finit pas - Thrène » de Michel DEGUY publié à La Librairie du XXIe siècle, Seuil, livre non paginé, 17 €. Né à Paris , le 23/05/1930 Michel Deguy est un poète et écrivain français. Philosophe, professeur émérite de lettres (à l'Université de Paris VIII), Michel Deguy participe par ailleurs aux revues Critique (« Conseil de rédaction ») et Les Temps modernes. Il a présidé de 1990 à 1992 le Collège international de philosophie, et de 1992 à 1998 la Maison des écrivains. Il est rédacteur en chef de la revue Po&sie qu'il a créée en 1977. En 1998, il a reçu le Grand Prix national de la poésie et en 2004 le Grand Prix de poésie de l'Académie française. L’action de Michel Deguy a toujours été de « contrarier l’impensable », imaginer, réinventer. Voici sa présentation du livre : Le thrène est un chant funèbre accompagné de danses. Te survivre ne va pas de soi. Je ne crois à aucune survie hors celle qui est la mienne pour aujourd’hui et qui reprend la peine au réveil. Je ne crois à aucun commerce avec les morts hormis celui que j’entretiens avec ton empreinte en moi. Je ne crois à aucune vie éternelle, nous ne nous retrouverons jamais nulle part, et c’est précisément ce défoncement du futur qu’aucun travail de deuil ne remblaiera en quoi consiste la tristesse, cette tristesse qui disparaîtra à son tour avec « moi ». Il y a un mois mourait ma femme. Je ne peux dire tu mourais, d’un tu affolant, sans destinataire ; et je dis bien « mourait », non pas dépérissait ou lisait ou voyageait ou dormait ou riait, mais « mourait », comme si c’était un verbe, comme s’il y avait un sujet à ce verbe parmi d’autres. Le livre sera non paginé parce que chaque page, ou presque, pourrait être la première, ou la nième. Tout recommence à chaque page ; tout finit à chaque page. Lecture de larges extraits du livre par Christian Saint-Paul. La note de lecture de Christian Saint-Paul : Pour être le livre le plus « intelligible » de ce monument de la poésie qu’est Michel Deguy, il en est également le plus « poétique ». Ce phénomène, qui est le plus souvent l’apanage des génies, naît de la simplicité de la langue qui parvient, avec une facilité désarmante, à faire ressentir les émotions les plus complexes de l’être humain. La poésie la plus marquante est généralement celle façonnée par le vécu. Ce n’est pas une règle, mais une probabilité. Blaise Cendrars a écrit un des plus beaux poèmes de la poésie française « La prose du transsibérien » sans avoir, peut-être, jamais entrepris le voyage. Quand Pierre Lazarref l’interroge sur la réalité de cette épopée, il éclate en sanglots avant que Cendrars ne lui réponde, ayant soudain compris combien sa question était sans intérêt et même stupide.
Mais il n’empêche. Le vécu et l’expérience sont les richesses des artistes. Les événements sculptent leur âme et ces soubresauts du temps traversent leur visage où s’épuise leur histoire. Il suffit de se souvenir de la dernière photographie du visage halluciné d’Antonin Artaud ou des derniers sourires de fin de fête mélancolique d’Henry-François Rey, le visage plissé de rides comme les vaguelettes de la mer calme de Cadaquès. La mort de la femme de Michel Deguy en 1994 a raviné son être d’une façon irréversible. Il compose un thrène, qui est un chant funèbre accompagné de danses. La tristesse, la douleur nous figent, nous mortifient à notre tour. Pour que l’épouse ne disparaisse pas, il reste le thrène. La chanter mais aussi chanter la peine, le chagrin. Parce qu’on ne peut rien faire d’autre devant la violence de l’absence.
C’est un lamento terriblement poignant parce que la langue le contient dans la relation lucide de la conscience, et de ce fait l’adoucit paradoxalement, d’une certaine pudeur. La souffrance est partout. Dans le silence des médecins qui accompagnèrent sa femme dans l’épreuve ; aucun n’adresse « une ligne de mémoire, de sympathie, aucune ligne ». C’est la règle, il le « sait bien mais quand même ». Toute la détresse est dans ce « mais quand même ». Quoi que nous fassions, nous souffrons tous d’un déficit d’humanité. Notre désir de consolation est inépuisable comme l’a ressassé Stig Dagerman. Les dernières pages, (les ajouts) sont un vrai plaidoyer, un appel à se tourner vers l’autre à « donner voix à cette altérité qui fait peur par son indétermination ». Il faut, dit-il, « de l’hypotypose, de l’allégorie - de la poésie ».
C’est cette exhortation où le philosophe, irrémédiablement blessé, reprend son souffle, qui fait de ce livre sublime un livre d’espérance. Oui, il faut nous humaniser. Cela passe par une « nouvelle alliance avec de nouveaux principes, de responsabilité, d’autolimitation, de désespoir ». Parce que « tout a moins de sens ».
« Qu’ai-je de plus cher en moi maintenant que la mort de M. dans le cœur, source ? » Ce deuil est une source qui irrigue la force créative de Michel Deguy reconnaissant, dans son inaltérable tristesse : « A toi qui m’as encore donné un livre en mourant, après m’avoir donné des livres en vivant ». |
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12/07/2018
Jean-
Philippe
SALABREUIL
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C’est la lecture du livre d’Isabelle Lévesque « Ni loin ni plus jamais - Suite pour Jean-Philippe Salabreuil » paru aux éditions Le Silence qui roule , 35 pages, 9 € qui m’a déterminé à réaliser une émission sur : Jean-Philippe Salabreuil dont j’avais parlé à Radio Occitania dans les années quatre vingt, avant même la réédition de « La Liberté des feuilles » chez Orphée La Différence avec son excellente présentation par Claude Michel Cluny. Mais laissons à Isabelle Lévesque le soin de présenter à son tour ce poète météore de la poésie du XXe siècle : Présentation de Jean-Philippe Salabreuil, 1940-1970 Jean-Philippe Salabreuil fut reconnu de son vivant. Né Jean-Pierre Steinbach à Neuilly-sur-Seine, le 25 mai 1940, il connut une vie brève : il mit fin à ses jours à Paris le 27 février 1970. Il publie son premier recueil chez Gallimard en 1964, La Liberté des feuilles (titre emprunté à René-Guy Cadou : « Oui mais l’odeur des lys ! la liberté des feuilles ! »). Il a vingt-quatre ans. De sa beauté, chaque photographie témoigne. Salabreuil célèbre le monde. Déchirés par le tourment, ses mots vacillent. De failles en cribles, blessures et vœux entrent dans le poème pour célébrer la gloire éphémère du jour et la douleur éternelle d’être vivant. Le poète a été honoré par ses contemporains : Jean Paulhan d’abord le remarque et lui fera obtenir deux prix : Félix Fénéon en 1963 (pour le manuscrit deLa liberté des feuilles), puis Max Jacob en 1964. Marcel Arland publie ses articles (critiques d’art et de littérature) dans la NRF et Georges Lambrichs dans Les Cahiers du Chemin. Deux livres aujourd’hui épuisés suivront La liberté des feuilles : Juste retour d'abîme (1965) et L'Inespéré (1969). Salabreuil passe plusieurs années en Afrique ; il obtient un poste de conseiller du ministre de l'Éducation congolais. Il prépare une thèse sur « Les coutumes africaines » pour le C.N.R.S. « La mort l’a pris très tôt », écrit Claude Michel Cluny dans sa préface à La Liberté des feuilles. Il rappelle les poètes baroques soulevés de tempêtes. Ses poèmes aux accumulations flamboyantes surprennent par leurs cassures associées à de longues envolées où la lutte entre les éléments ne cesse pas : « Aubade insoutenable chant Par l’entrebâillement d’une lente croisée Devant l’hiver avec les ombres nues les ans Infirmes sous la lampe de neige apaisée ». **** « Comment décrire ce qui s'ensuit Les pins sifflent l'étang bouge Alors je fume auprès d'un puits Toujours se déclare une joue très rouge Ici-bas tu portes le nom Léger que tu m'as dit j'en porte un autre Mais à nous deux nous portons le même amour au monde Aux plantes la même eau le même jour aux morts. » In La Liberté des feuilles, Éditions Gallimard, Collection Le Chemin, 1964 ; Orphée/La Différence, 1990, Présentation de Claude Michel Cluny. Les appels à l’Aimée, figure idéale, médiatrice entre le monde sensible de la Terre et les autres mondes, sont constants. À l’aube se révèlent les forces vives : « À l’orée les formes sont rappelées dans le congé blanchâtre des vergers chaotiques. Au centre inhabitable un visage roide emmêle nos sourires perdus. Et par-delà tout cet empilement feuillu de la forêt tardive une nuit frissonnante d’étoiles et de mots. Un monde recommencé comme journée de sable devant la source. Une âme offerte aride où n’est plus ce souci de vivre et de revivre. » In Juste retour d’abîme, Éditions Gallimard, Collection Le Chemin, 1965 Dans son dernier recueil, publié en 1969, L’inespéré, les textes en prose sont plus nombreux. L’aimée s’absente, comme un fantôme parmi les rêves choisirait de se taire. Neige et brûlure se frôlent : « Il a neigé sur de l’aurore. Éclat poudreux de l’ossuaire d’en haut qui s’écroule. Et tourbillonne en chute lente au-devant des bouillons rouges du jour nouveau. Là-dessus j’ai porté ma lourde tête au long des murs glacés de l’être. Il y a le ravin de l’âme devers et pas une brèche où se jeter. Rien à contempler ni rejoindre pour moi dans l’esprit. Mais écouter encore. Entendre toujours ceci. Le nœud d’oiseaux misérables d’abord qui se tend et qui glisse (je l’entends) par-dessus les flots roides là-dedans du silence. » In L’Inespéré, Éditions Gallimard, Collection Le Chemin, 1969.
Isabelle Lévesque
Bibliographie : -La Liberté des feuilles, Éditions Gallimard, « Le Chemin » (1964) – réédition présentée par Claude Michel Cluny, Éditions de la Différence, coll. « Orphée » (1990) -Juste retour d'abîme, Éditions Gallimard, « Le Chemin » (1965) -L'Inespéré, Éditions Gallimard, « Le Chemin » (1969) Sur Jean-Philippe Salabreuil : - Pierre Seghers, Poètes maudits d'aujourd'hui, Éditions Seghers (1972) – Jean-Pierre Salabreuil par Alain Bosquet, pp.245-266 *** Lecture de larges extraits de La Liberté des feuilles par Christian Saint-Paul |
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28/06/2018 05/07/2018
Alem Surre-Garcia
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21/06/2018
Monique SAINT-JULIA
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Christian Saint-Paul reçoit Monique Saint-Julia : venue présenter son dernier livre : « Un jour de plus à aimer » aux éditions L’aire, 75 pages, 20 €. Cette catalane française qui étudia à Paris, vit aujourd’hui à Revel dans ce Lauragais de la Haute-Garonne, aux portes du Tarn et de l’Aude. Elle fut un des auteurs des éditions Subervie dès 1958 à Rodez. Ses poèmes furent publiés par maintes revues de poésie dont : Acilece, Texture, Arpa, Friches, Multiples, Insulaires, Thauma, Lieux d’Etre, Diérèse, Les Hommes sans épaules, Rue Ventura, Voix d’encre, Les citadelles … et elle à ce jour elle a fait paraître plus d’une douzaine de recueils : De mains pigeonnières et d’herbes libres (Guy Chambelland, 1973), La Grippeminaude (Guy Chambelland, 1977), In « Le Coffret à Poèmes », éd. Saint-Germain-des-Prés, 1984), Belles Saisons (Guy Chambelland, 1988), Entre Jour (Le Tocsin des Mots, 2002), Un train de paysages (L’Arrière-Pays, 2005), Claire-Voie (n & b, 2008), Au fil des nuages (L’Arrière-Pays, 2009). On n'invente pas la neige, (Friches - cahiers de poésie verte, 2012) ; Regards croisés (éd. de l’Atlantique 2012) ; Rivière (éd. La Porte 2013) ; Je vous écris (éd. de L’Aire 2013).
Voici ce qu’on peut lire à propos de « Un jour de plus à aimer » de la plume de Éric Guillot dans la revue Poésie et Oc : Un jour de plus à aimer ». Tel est le titre de ce nouveau livre qui vient de paraître aux éditions L’Aire. Poète, peintre et auteur d’une dizaine d’ouvrages, Monique Saint-Julia réside à Revel dans le département de la Haute-Garonne. « Il me reste à aimer/Les grands rideaux veloutés des bois/Les vols magiques des alouettes» peut-on lire dans l’un de ses poèmes. L’écrivain nous fait partager ces moments privilégiés, ces instants saupoudrés de bonheur. Mais «On ne rattrape pas le temps perdu/Ni par l’écoute d’un clavier d’oiseaux/Ni par une basse-cour d’étoiles filantes». Dès lors, tout semble une course à la montre. En apparence seulement, car ne nous y trompons pas, la force des mots, l’élégance des vers contribuent à ce mouvement perpétuel, à cet épanouissement sans cesse renouvelé de ce récital ininterrompu. « Emmène-moi au bout du monde.../ Bouscule la vie en tous sens…» écrit Monique Saint-Julia comme pour mieux brouiller les pistes: « Emmène-moi dans un train au ventre chaud/A la crinière de fumées dansantes/Aux roulements de tambours rageurs... »; pour mieux nous faire rêver, comme Un jour de plus à aimer à travers une lecture qui nous conduit « de voyages en voyages infinis ». Un recueil de poèmes que l’on aime déjà. La note de lecture de Christian Saint-Paul : « Un jour de plus à aimer » fait figure de quintessence de l’art poétique de Monique Sain-Julia. Son optimisme rayonnant, empreint d’un amour inextinguible de la vie, de la nature, des animaux et des personnes, n’est pas obscurci par la lucidité de son irrévocable destinée inscrite dans une durée qui va en s’amenuisant. Alors elle loue ce « jour de plus à aimer » avec la noblesse de celle qui, en des temps plus cruels, implorait : « encore une minute de plus, monsieur le bourreau ». « Et nous allons poussés par le temps / que rien ne peut arrêter », constate-t-elle avec cette douceur qui rejette tout pathos, « Fragiles bateaux nous traversons la vie / menés de voyages en voyages infinis ». « Que me reste-t-il à dire ? » s’interroge-t-elle en louangeant l’œuvre de Guy Goffette. Mais précisément, elle a toujours beaucoup à dire, celle qui voit toujours « Tant de reliques en moi », les images inexpugnables de la beauté du monde et des êtres, animaux comme humains. La langue qui se charge de cette beauté qui fait que chaque jour servira à aimer, demeure à hauteur d’homme. Pas de démesure chez Monique Saint-Julia. Le foisonnement de la beauté, du bonheur né d’aimer, s’épanche dans un langage maîtrisé, dans des poèmes brefs comme des évidences. Elle saisit les images dans leur intensité et leur fulgurance : « Un souffle, un courant d’air / joue avec les rideaux / éveille le jardin assoupi ». Cette poésie contemplative, poésie de célébration, de la beauté, de l’amour, n’élude pas l’appréhension du devenir, propre à tout mortel : « L’ampleur du silence enferme en nous la peur ». Mais le silence ne fait pas toujours naître l’inquiétude, il écrase le paysage quand il accompagne les grandes chaleurs de l’été : « La chaleur met bas un enclos de silence ». Ces poèmes sont comme murmurés dans un long souffle, celui de la vie, dont la seule preuve d’exister est la capacité d’aimer, et d’ajouter ainsi « Un jour de plus à aimer ». Un long entretien s’instaure entre Monique Saint-Julia et Christian Saint-Paul. Lecture d’extraits de son livre par Monique Saint-Julia. A Gaston Puel
La cloche de Veilhes qui sonne me rappelle sa voix soucieuse de plaire embusquée quelque part à l’ombre d’un chêne séculaire. ***** Tant d’allers et venues de saisons laissées devant la porte s’ébrouant, s’endormant ventre au soleil comme un chien et de toutes ces simagrées de pluies mélopées à attendrir le cœur du plus dur des hommes ne restent que quelques nuages dans l’abandon d’un ciel hivernal. **** Une lumière écrite dans le froid De corbeaux qui essaiment leurs cris À fourvoyer les vents Et toute une lignée de perdrix Se blottissent, sous les haies Attendant l’éveil des fontaines Aussi chantantes que des promesses d’amour. ****** Une forêt assagie de brames Dans les rousseurs des chênes Qui touchent le cœur Tandis qu’un grand ciel Agitant ses sornettes Efface les fébriles tournoiements D’un faucon solitaire. ****** Rideaux écartés Fenêtres ouvertes L’enfant colle ses mains Sur les vitres Sa langue lèche les gouttes de pluie Son regard broute les rayures du jardin Tandis que des chants de pinsons Electrisent l’air.
Le soleil allongé sur la maison Un lézard tache le mur blanc Les bruits se posent étouffés ; Le chien gémit dans son rêve Pas croisés, lapées de voix Ebranlement d’un troupeau. La beauté habitée par la musique. ****** Surprendre dans la grange blondie de paille La tendresse dans les yeux des bêtes Retrouver le jaune abusif des colzas Le crissement des labours hersés Tandis qu’une lune vieille de mille ans Eclaire la beauté de la nuit. ****** De languissants nuages Sans couleurs Des pies aux cris rageurs Et des voix de femmes en colère Se confondent peu à peu avec l’orage. ****** Les paysages filaient à l’anglaise: Vignes chevillées les unes aux autres Ponts, chemins, prairies avalées Train coloré comme un jouet d’enfant Clartés voyageuses Telles de lumineux insectes. Une rivière coulait, glissait, s’insinuait A travers une terre gorgée d’eau. ****** Dans l’allée fredonnante de merles Les platanes beaux comme des statues Les nuages semblables à des rêves Abandonnés aux accoudoirs du jardin. ****** Est-ce le vent Qui cause à notre oreille? Tambourine à la porte Caresse la chair du jour ? Suivre les rires des enfants Dans le pré d’herbe grandie Quand la vie promène sur les vitres Le profil couronné de l’été. ****** Un souffle, un courant d’air Joue avec les rideaux Éveille le jardin assoupi Une échappée, une respiration Une orangerie de senteurs Nous inonde Se jette à notre cou. L’air transparent Comme une toile abstraite Cherche à préserver en notre mémoire Son pouvoir de vie. ****** |
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14/06/2018
Frank BARDOU
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07/06/2018
Jean-Luc DOUSSET
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Christian Saint-Paul signale aux auditeurs le livre d’ISABELLE LÉVESQUE et de PIERRE DHAINAUT : La grande année L’Herbe qui tremble, éditeur, 18 €. Comme avec les mots de ses poèmes, Isabelle Lévesque aime écrire avec la lumière, elle photographie. Ses amis le savent. Elle a invité Pierre Dhainaut qui, lui, ne dispose que de mots à l’accompagner sur les chemins de ses images. Au fil de la correspondance, ils se sont passé le relais, des regards aux souffles, des souffles aux regards, une année entière, « La grande année ». Ils ont moins cherché à construire un livre qu’à reconnaître ce pourquoi le temps n’est pas maudit et les langages ne sont pas confinés en eux-mêmes. En collaborant, Isabelle Lévesque et Pierre Dhainaut n’ont eu de cesse que d’ouvrir leur livre et de s’ouvrir à cette lumière qui est l’un des noms de ce qui les rassemble, la poésie. Isabelle Lévesque est née aux Andelys, en Normandie. Elle est poète et critique. Elle a collaboré avec les peintres : Jean-Gilles Badaire, Christian Gardair, Colette Deblé, Gaetano Persechini, Fabrice Rebeyrolle, Marie Alloy… Collaboratrice de La Nouvelle Quinzaine Littéraire pour la poésie contemporaine, elle écrit également des articles pour les revues Europe, Terres de Femmes, Diérèse, Terre à ciel… Elle anime des rencontres et lectures autour de la poésie. Elle vient de publier Voltige !, son deuxième livre à L’herbe qui tremble. En photographiant la nature, elle capte l’instant : le regard se porte sur un détail qui le retient. Le plus souvent végétale, avec le coquelicot pour emblème, cette approche devient matière d’écriture. Pierre Dhainaut, né en 1935, vit à Dunkerque. Dans Un art des passages (à L’herbe qui tremble), il a expliqué combien lui tient à cœur son travail avec les peintres, les graveurs, les photographes : peu importe qui prend l’initiative, qui la relance, il s’agit, c’est si rare, si vivifiant, d’un acte de partage. *** Isabelle Lévesque a publié également : Ni loin ni plus jamais suivi de Salabreuil le magnifique, éd. Le Silence qui roule, avril 2018, 36 pages, 9 € De ce dernier livre, voici ce qu’écrit Philippe Leuckx le 03.07.18 dans La Une: « Rendre vie et hommage à un grand poète tôt disparu, Salabreuil, né en 1940, décédé en 1970 : tel est le vœu de l’auteure, versée dans la lecture du grand aîné depuis longtemps. Sur le terreau de citations tirées de L’Inespéré (Gallimard, 1969), Isabelle Lévesque – quinze recueils depuis 2010 – donne à Il a neigé sur de l’aurore et à « l’ossuaire d’en haut qui s’écroule » de dignes prolongements, où « l’ardeur est telle/encore », la ferveur et la lucide appréhension d’un univers marqué, chez le poète regretté, du sceau d’un « cri » non entendu, d’amour mal vécu, de l’Absence qui trouve ici à se décliner. À rebours, la neige, le poème, cette flambée de mots à l’adresse de celui qui a « brûlé » ses espérances. Lévesque, page 29, nous dit : Un poète aimé ne meurt pas. Il renaît dans les mots du poème… il habite ce que nous écrivons à notre tour… La poète convoque, saganesque, « les bleus de l’âme », multiplie les appositions, joue de l’intime correspondance : Poids de l’âme infime aimer souffle, seule voix. Corps pur, prouesse de plume : système solaire (p.10).
L’écriture, aérienne, « frôle », la « craie du ciel », perfore le bleu des étoiles, incise, à l’aide de métaphores, « le fantôme » vénéré :
Poète sans nom décrit l’Aimée sans fin Fulgurante aux faveurs de la nuit…(p.12)
Du petit livre s’élève un chant que les mots heurtent, puisqu’il faut bien relayer le parcours brusque et brusqué d’un poète véritable, que le destin a mangé :
Quelle nuit si pâle te protège enfin ? Les pierres seules s’éloignent gravées (pas d’oiseau) Allées si claires qu’aucune étoile ne fera vœu (p.18)
On dirait qu’Isabelle, voulant approcher le poète en son domaine de neige (le bas), d’étoiles (l’impossible demeure), souhaite jumeler les paradoxes : la négation de l’oiseau, le poids de la pierre, le refuge qui « protège »… Les lointains du temps ordonnent cette poésie, intemporelle, à la fois respiration en hommage, et concertation d’une écriture entre lignes, ombre et accent solaire ; oui, le « poète revit » d’un souffle, d’une eau même si « elle ne se boit ». La poésie est à ce prix : une solitude, un partage. Mission accomplie.
Philippe Leuckx *** Ni loin ni plus jamais. Le souffle affleure, minuit s’éloigne. Signe vie nue : les coups sévères. Nombres, artifices, à l’heure du feu, presque plus. L’été — aveu vaincu.
Main du gant libère neige incroyable (incompatible). Cesser, espérer l’encombrement, chemin des bleuets aux pétales pointus reconnus, autres jachères.
Pour le printemps, hymne. Rien de soi. Seule amertume, langue épuisée (ni loin ni plus jamais). Amour seul, à se méprendre et minuit, illégitime.
Forçant depuis l’aube les barreaux, ligne de fuite. Poète. J’ai lu il parlait ossature brève et silencieuse craie du ciel (Salabreuil, dix de plus sur livre d’or noms fendillés, tournés vers les étoiles – mine, plume, encre au fond). Ni loin ni plus jamais – le fil, sa corde, cou brisé de mille maux, le poète a eu sa chance : renaître rapide et sauvage, au ciel une meurtrissure unit deux points, vie à vie, poètes si sombres.
Isabelle Lévesque
Isabelle Lévesque écrit et lit des
poèmes. Elle photographie beaucoup les fleurs aussi (nette prédilection
pour le coquelicot). ***
L’émission est ensuite consacrée au
livre de
Jean-Luc DOUSSET : 342 pages ; 17 euros
Jean-Luc DOUSSET, journaliste, écrivain qui vit à Toulouse, poursuit son œuvre originale de biographe sur des personnages qui furent très connus et dont l'oubli menaçait de les ensevelir définitivement. Ses deux livres précédents étaient déjà publiés aux éditions Jeanne-d'Arc au Puy-en-Velay ( www.ija.fr).
Il s'agissait de : Philibert Besson - le fou qui avait raison - et de : Giampretro Campana - la malédiction de l'anticomane -
Le destin du Commandeur Cazeneuve est tout aussi déroutant et menaçait aussi d’être oublié.
*** Lecture d’extraits.
La Révolution déferle. Dès 1789, les blasons du roi et des Capitouls sont détruits sous les coups de masses et de marteaux des révolutionnaires. Symbole encore ! L’établissement est baptisé Collège national, puis six ans plus tard de nouveau débaptisé, et appelé École centrale du département de Haute-Garonne ! Et puis, surgit comme un diable, le consul Bonaparte qui en 1802, par une loi du II Floréal an X, instaure des lycées dans chaque préfecture de chaque département. Le temps passe. Le Consul est devenu Napoléon et à Toulouse en 1806 le Collège national devient Lycée impérial. La discipline y est quasi militaire. Et puis vient le temps de la Restauration qui lui redonne son nom de Collège royal. Les effectifs de l’établissement sont modestes au début de cette période, oscillant selon les ans entre 600 et 300 étudiants. » Ce n’est pas sans montrer un plaisir presque enfantin que Marius Cazeneuve vient de raconter brièvement l’histoire de ce lieu, avec emphase. Il aime s’enorgueillir de ses relations et de ses connaissances haut placées. Il ne dédaigne pas pour autant les plus petits. « Je fréquente également à l’école d’équitation une quarantaine d’élèves cavaliers désignés dans l’enseignement primaire pour suivre cette formation. C’est ainsi, je vous l’avoue, que je suis parvenu aisément à devenir le premier écuyer du Cirque Oriental. Jules et moi ne nous quittions plus à cette époque, tout aussi bien à l’équitation que pour nous perfectionner au sol aux exercices physiques dans le gymnase que dirigeait aussi son père, Paul Léotard, dans la rue du Rempart-Saint-Étienne. Tous les deux, moi et Jules, ainsi que nos deux fidèles amis, Léon Tanzi et Jules Garipuy, nous n’étions qu’un, indivisible. 33 Dans les années qui ont suivi, quels parcours avons-nous eus! Moi bien évidemment avec celui que vous savez! Mais avez-vous entendu parler d’eux et de leur virtuosité chacun dans son domaine? » La réponse jaillit d’Isidore Fidelio avec force. « Et comment! Trois Toulousains aussi illustres… Oh moins que vous, Maître… » Le jeune homme se tait un instant, observe du coin de l’œil la réaction. Il se pose la question. Marius Cazeneuve se rend-il compte de son ironie ou bien si imbu ne reçoit-il simplement que le compliment ? Un sourire laisse planer le doute mais demeure loin de briser l’élan d’Isidore, qui évoque les camarades d’enfance de l’illusionniste : « Qui comme Toulousain peut ignorer Jules Garipuy, peintre de genre et d’histoire dont le talent l’a conduit à devenir conservateur du musée des Augustins et professeur à l’École des Beaux-Arts de Toulouse abritée en ces lieux? Un perfectionniste. Tout comme vous Maître… » s’amuse-til à rajouter poussant la flagornerie qu’il manifeste jusqu’à l’outrance. Sans broncher, Marius Cazeneuve parle à son tour de son ami: « Vous dites perfectionniste en croquant le caractère de Jules. Exigence, me paraît le mot le plus approprié. Combien de ceux qui l’ont approché pour s’initier à ses côtés a-t-il découragé sans ménagement… Lui, l’ami d’Eugène Delacroix, aurait-il pu souffrir la médiocrité? Il n’accepte que les meilleurs parmi ses élèves. En 1860, il prodigue ses cours à Benjamin Constant recueilli à Toulouse 34 par ses tantes au décès de ses parents. C’est en partie grâce à lui qu’il va devenir le grand peintre orientaliste que nous admirons. Quelques années plus tard, entre 1876 et 1877, Henri Martin effectue avec lui aussi son apprentissage. Comme l’écrit Amandine de Pérignon dans la revue « L’Auta » on prend plaisir à lire (à écouter !) ce que le Commandeur veut bien raconter de sa vie, avec en contrepoint à ce récit fier un personnage fictif qui le met en butte à ses propres contradictions et faiblesses. Car vous l’avez compris, il s’agit avant tout d’un livre conçu comme un roman, puisque c’est le Commandeur lui-même qui dicte le récit extravagant de sa vie. Un beau travail de recherche et toujours la volonté de donner à lire un livre, loin des biographies sévères, mais au contraire, un livre plaisir !
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31/05/2018
Anne REBESCHINI
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Christian Saint-Paul a le plaisir d’informer les auditeurs que le poète Maurice Bourg avec lequel il correspondait dans la fin des années soixante, a fêté la veille ses 100 ans dans une maison de retraite de la région parisienne, et que la poésie est toujours sa passion !
Lecture
I Oui, j’ai lu la Forêt, étage après étage.
Je me suis ancré dans le nœud de ses racines, dans l’aubier de son aubier, dans le parfum de son parfum.
Avec les yeux du lynx, l’ivresse de la grive, je l’ai feuilletée, saisons après saisons. Rugueux en sont les mots comme l’écorce. Mais frais, encore de feuillages arrachés à l’enfance.
Toujours derrière ma lecture, ce frissonnement léger, affirmation de feuille !
II Ma Forêt, sur la page blanche, la parenthèse verte !
Entre les guillemets des saisons, sa phrase lovée comme un serpent. Sa majuscule qui s’enferre dans le point final. Toutes ses propositions si familières. Gland miellé offert aux lèvres. Branches nidifiées d’où l’oiseau s’échappe. Insecte sous l’écorce, comme une promesse d’envol.
Ma Forêt, parenthèse faite de milles renaissances.
III Cet alphabet d’eau et de lumière !
Avec ses lettres riches en sucs, en nœuds, en ramures. Ses lettres qui forment touffes, qui s’étendent. Toutes les lettres que la Forêt ne cesse d’agiter, hors du temps.
Cet alphabet du premier jour, à l’intention de ceux qui connaissent.
Saisons qui portez tout Librairie Saint-Germain-des-prés, éditeur, 1974
En hommage à Maurice Bourg, Christian Saint-Paul lit « Chanson du vieil ami » de Norbert Lelubre :
Te reverrai-je mon ami un soir pareil dans ma venelle reviendras-tu calme et content des cargos éteints de la nuit avec ta voix du bout des villes C’est à peine si je t’appelle c’est à peine si tu m’entends mon vieil ami que reste-t-il de toi et de mes jours vivants
Nous avons volé mon ami dans une jeunesse déserte où tous les ponts nous entouraient d’un autrefois illimité Nous avons veillé mon ami si près de ce grave bonheur sur les bancs de la lune ouverte au bord de nos jardins fermés où s’asseyaient toutes les heures
Se peut-il que nos mains s’ignorent que nos pas ne s’attendent plus quand notre ombre se cherche encore dans ces paysages perdus O mon ami mon sage ami le vent a dispersé les feuilles et les affiches déchirées je passe et je remonte seul les rues qui n’ont pas oublié *** Isabelle Lévesque qui vient de faire paraître avec Pierre Dhainaut « La grande année » livre de poèmes et de photographies, L’herbe qui tremble éditeur 18 €, (publication sur laquelle l’émission « les poètes » reviendra) a reçu le prix 2018 Yvan Le Gall pour son précédent livre « Voltige ! » chez le même éditeur (14 €). ***
Christian Saint-Paul reçoit Anne Rebeschini qui interviendra le 1 juin 2018 au Crédit municipal de Toulouse où l’association caritative : les amis de l’ oncopole font une exposition d œuvres picturales pour améliorer le bien être des malades et soutenir leurs proches. Actrice, Anne Rebeschini se produit en France. Anne a débuté sa carrière professionnelle en qualité d’artiste chorégraphique. Notamment au TANZTHEATER WUPPERTAL PINA BAUSCH (Café Müller, Le Sacre du Printemps, Palermo Palermo, Arien, Der Fersternputzer, etc.) et au THEATRE NATIONAL DE L' OPERA DE PARIS où elle interprète aussi bien le répertoire classique que contemporain côtoyant les plus grands chorégraphes du monde. Après l’obtention d’une maîtrise de Lettres à la Sorbonne, elle se tourne vers l’art dramatique en 2005 en se formant chez Jean Périmony et à l’école internationale J. Lecoq. En perpétuelle recherche sur le questionnement du corps en jeu, Anne s’enrichit auprès d’A.Louschik dont sa méthode spécifique est issue de grands maîtres Stanislavski, Vakhtangov et Michaël Chekhov. Actrice, elle a travaillé sous les directions (entre autres) de Didier CARETTE (les banquets) J.Louis MARTINELLI (Les Fiancés de Loches, Une maison de poupée, Ithaque), M.BOZONNET (en collaboration artistique : Stabat Mater Furiosa), F.MAS (ELLE-S), A.MARTY (La mort à Venise), J.-P.WENZEL (Ombres portées), M. CAMPANI (Pasavoir, Scandales Secrets).U. MIKOS (Le Sauvage). Elle a co-mis en scène HH avec Nathalie Broizat. En 2017, elle est à l'écran dans le Songe de Naurouze de Jean Périssé. Dans sa performance, qu’elle va donner au Crédit municipal de Toulouse pour l’inauguration de l’exposition d’œuvres picturales dont la vente alimentera les fonds des Amis de l’oncopole de Toulouse, elle reprendra une partie du spectacle qu’elle a conçu et interprété « Aie ! Un poète ! » de Jean-Pierre Siméon. Vie et poésie ! « Aie ! Un poète ! » réunit poésie, musique, clownerie, danse et théâtre. Aïe! Un poète!, d’après l’œuvre de Jean-Pierre Siméon est un voyage poétique à travers le temps. Le texte en prose fait appel aux poèmes de différents styles, de tous genres et de toutes les époques. C’est ainsi que cette lecture musicale interactive est une polyphonie dont les voix sont celles des poètes immortels : François Villon, Jean Tardieu, Raymond Queneau, Jacques Prévert, Lydia Padellec, Ghérasim Luca, Bluma Finkelstein, Boris Pasternak, Léopold Sedar Senghor, Roland Nadaus, Michel Cosem, Alphonse de Lamartine, Vladimir Maïakovski, et aussi Lao Tseu. Le spectateur est invité à prendre la parole pour répondre aux questions que pose Jean-Pierre Siméon : Qu’est-ce qu’un poème? A quoi ça ressemble les poètes? Qu'est-ce que le bon poème? Comment lire la poésie? A quoi ça sert, d’être un poète? Un partage, une fête, une communion entre les poètes, l’actrice et le public pour trouver le poète qui est en chacun de nous! Surprise, étonnement, échange, joie, humour et émotion sont au rendez-vous pour un éveil à la poésie! Voici ce qu’en dit Anne Rebeschini : Ma rencontre avec le texte AIE ! UN POETE de Jean-Pierre Siméon s’est faite grâce à Alexandre Louschik qui travaille depuis plusieurs années sur cette lecture-musicale interactive avec ses acteurs dans le cadre l’Atelier de Création de Spectacles. Entièrement séduite par sa mise en scène, j’ai le désir de porter ce projet plus largement dans les lieux institutionnels tout autant que les recoins les plus insolites lors de manifestations spécifiques. Porter ces textes vers des publics différents pour l’ouverture universelle qu’offrent les poètes à travers leurs mots. Marina Tsvetaeva nous dit : «(…) la poésie ne se morcelle ni chez les poètes ni en poètes, elle est une dans toutes ses manifestations, elle est toute en chacun, de même que, à proprement parler, il n’y a pas de poètes, mais un poète, toujours le même, du commencement jusqu’à la fin du monde, une force qui revêt les couleurs des temps, des tribus, des pays, des langages, des visages donnés, elle s’écoule entre les rives qui la bordent comme un fleuve, sous tels cieux ou tels autres, sur tels fonds ou tels autres. (…)» La poésie n’est pas une religion, n’a pas de religion, est apolitique, non mercantile, cependant de «la coupe du poème » pour citer Jean-Pierre Siméon, sourd une vérité pour tout un chacun. La vérité d’un seul qui est en tout et en tous. Le Poète est un Ami, altruiste, vaticinateur. A l’heure où les autorités ordonnent de fermer les frontières, où les communautés s’enferment dans la peur de l’autre, la nécessité d’ouvrir l’esprit, de rendre sensible l’être est urgente. «On demande comment, la poésie étant si peu nécessaire au monde, elle occupe un si haut rang parmi les beaux-arts ; on peut faire la même question sur la musique; la poésie est la musique de l'âme, et surtout des âmes grandes et sensibles » nous dit Voltaire. Interviewée, une petite fille de 5 ans répond à la question qui lui est posée: «-Qu’est-ce que tu apprends à l’école? -J’apprends à grandir.» La Poésie apprend à grandir l’âme à l’école de la vie. Etant tous faits d’un même moule, l’âme insensible peut devenir sensible. Il suffit d’un mot, d’une image, d’un vers, d’un silence entre deux strophes pour que le miracle de la poésie surgisse. A tout âge, la poésie nous révèle à nous-mêmes et au monde. Ce spectacle lecture-musicale interactive souhaite engager l’auditeur à aller à la rencontre, à la découverte et redécouverte des poèmes, des poètes, de la poésie. AIE ! UN POETE de Jean-Pierre Siméon est une lumière éclairant le chemin vers la poésie, le poème, soi-même, le monde, l’universel. Alexandre Louschik met en scène les lumières par l’acte dramatique les poèmes de toutes les époques, de tous temps en suivant le fil et fin conducteur de Jean-Pierre Siméon pour la joie des spectateurs. Le metteur en scène Alexandre Louschik s’était expliqué : En lisant, la première fois, AIE! UN POÈTE !, le magnifique texte de Jean-Pierre Siméon, j’ai aussitôt senti et compris qu’il pouvait devenir un très beau spectacle, agréable à dire, à jouer, et à partager avec les spectateurs de tous âges. Un texte vivant, dynamique et plein d’esprit, qui a toutes les qualités pour faire rêver les acteurs de théâtre de l’avoir dans leur répertoire. AIE! UN POÈTE est un petit chef-d’œuvre poétique, très inspirateur, chargé des belles émotions autant que d’humour, mais aussi un chef d’œuvre pédagogique qui éveille votre curiosité et vous entraine dans un espace poétique, en même temps qu’il nous renvoie à nous-mêmes et notre rapport à la vie. En fait, il ne s’agit pas d’un monologue, mais d’un dialogue passionnant où l’auteur nous parle en tête à tête comme à des amis, au point que la simplicité et la spontanéité de son propos nous touche personnellement, même quand l’auteur évoque des «matières» compliquées. AIE! UN POÈTE est une initiation spirituelle, sous forme d’invitation à un voyage, fait d’aventures inédites et de découvertes, auxquelles nous sommes conviés par tous les poètes. La création d’un tel spectacle est un périple sous le signe du merveilleux, la «poésie vécue» (suivant l’expression du poète surréaliste Alain Jouffroy). A l’origine, Poésie, (du grec ποιεῖν - poiein), signifie “faire, créer”: La Poésie c’est la “création” et le Poète est donc un créateur. Le Poète est un créateur de Sens, un inspirateur, un inventeur de formes expressives. Durant des siècles, la poésie fut une tradition vivante orale, liée à la musique, au chant (les chœurs antiques), à l’improvisation, à la danse et au théâtre. Des créations où les moments de la vie ou les événements de l’histoire collective étaient ainsi représentés devant les habitants de la cité, qui participaient avec enthousiasme à ce qui était une fête de l’esprit. «Aujourd’hui à la poésie intéresse moins de 1% des habitants de notre planète», a dit le poète russe Iossif Brodski, et selon le poète français, Paul Valéry, “certains se font de la poésie une idée si vague qu'ils prennent ce vague pour l'idée même de la poésie”. AIE! UN POÈTE de Jean-Pierre Siméon, assigne à la poésie une place essentielle dans notre vie, de telle sorte que notre manière d’être - notre rapport au monde et aux autres - est existentiellement dans l’ordre de la poésie. La courte introduction de l’ouvrage (quatrième de couverture) précise qu’il s’agit d’une œuvre «sous forme d’une lettre à un correspondant intimidé par la poésie, afin de lui donner des clefs pour y entrer, et s’y retrouver en pays de connaissance…. Une sorte d’ouvre-boîte… “Poésie, pas peur…” Comme un trousseau de clefs, des outils, moyens, instruments, aussi amusants que surprenants, mais faciles à s’approprier, efficaces pour l’enchantement du voyage. Une des premières questions du discours revient comme un refrain: «Ça existe encore des poètes?», et puis celles-ci: «A quoi ça ressemble un poète ?(…) A quoi ça sert d’être un poète? (…) Qu’est-ce qu’un bon poème? (…) Comment comprendre la poésie?» L’auteur nous prodigue quelques conseils et parfois nous désoriente : «La poésie, ce n’est pas ce que vous croyez! (…) Oubliez tout ce que vous croyez savoir de la poésie (…) Comprendre un poème ne signifie pas être capable d’en parler (…) La poésie, d’abord et surtout, est une questionneuse enragée (…) Moins il y a de réponses, plus la poésie interroge (…) La poésie pose des questions qui n’auront pas de réponses. (…)» Quelques directions sont à suivre: «La poésie ça sert à voir plus loin, plus profond dans l’obscur, à apprivoiser la nuit qui est en soi (…) Un poème vous comprendra comme on ne vous a jamais compris (…) Le poème vous mènera vers les autres». Toutes les qualités qui font un grand texte dramatique y sont réunies! Le poème – suivant le questionnement de Jean-Pierre Siméon - fait appel aux poèmes de différents styles, de tous genres et de toutes les époques. C’est ainsi que le spectacle est une polyphonie dont les voix sont celles des poètes immortels : François Villon, Jean Tardieu, Raymond Queneau, Jacques Prévert, Lydia Padellec, Ghérasim Luca, Bluma Finkelstein, Boris Pasternak, Léopold Sedar Senghor, Roland Nadaus, Michel Cosem, Alphonse de Lamartine, René Philombé, Vladimir Maïakovski, et aussi Lao Tseu, ainsi que des textes de chansons populaires françaises, des chants rituels des Indiens Navajos, et même une comptine pour enfants. AIE! UN POÈTE de Jean-Pierre Siméon est devenu un spectacle polyphonique qui réunit poésie, musique, clownerie, danse et théâtre. Une communion – une sorte de transe collective - entre les poètes, les acteurs et le public, dans le temps, hors du temps. A la fois spectacle, débat, concert, fête, stage d’initiation, école de vie, qui nous apprend à passionner la vie, notre vie. Un spectacle à offrir en partage, pour la joie d’apprendre le sens de la vie et de participer tous ensemble à la fête des Printemps des Poètes, au marché de la Poésie, et toutes autres occasions de vibrer intérieurement toute l’année, en métamorphosant l’ordinaire du quotidien en un moment extra - ordinaire, qui fait resplendir «La fleur inouïe du Je» (expression du grand poète martiniquais, Aimé Césaire dans Connaître la Poésie). Ce spectacle est un jardin dont les fleurs et les arbres sont des mots, où les poèmes chantent comme des oiseaux, et vous rappelle aussi que vous-même êtes un Poète, ce magicien qui dort au fond de vous et attend votre reconnaissance. AIE! UN POÈTE ! «Pas la peine de hausser les épaules, ni de filer en douce (…)» ce spectacle s’adresse à vous, personnellement! Et oui! Le Poète, c’est VOUS! Merci de vous joindre à nous. Bienvenue au club des aficionados de la Poésie et des Poètes! Jean-Pierre Siméon qui eut l’occasion d’être l’invité de cette émission « les poètes » est un de nos poètes vivants familiers du public. Poète, romancier, dramaturge, critique, Jean-Pierre Siméon est né en 1950 à Paris. Professeur agrégé de Lettres Modernes, il a longtemps enseigné à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Clermont-Ferrand, la ville où il réside. Il est l’auteur de nombreux recueils de poésie, de romans, de livres pour la jeunesse, de quatorze pièces de théâtre, d’un essai sur le théâtre et un sur Laurent Terzieff, d'essais sur la nécessité de la poésie, notamment Aïe un poète ! et La Vitamine P. Il réalise également des traductions (de l'allemand pour Le Voyage d'Hiver de W. Müller et de l'anglais pour Foley de M. West, ainsi que les poèmes de Carolyn Carlson). Il a fondé avec Christian Schiaretti le festival Les Langagières à la Comédie de Reims et est désormais poète associé au Théâtre National Populaire de Villeurbanne. Il enseigne parallèlement à l'ENSATT de Lyon jusqu’en 2010. Il enseigne, à partir de septembre 2012, l’écriture théâtrale à Sciences Politiques à Paris. Il a créé en 1986 La Semaine de la poésie à Clermont-Ferrand. Il a été membre de la commission poésie du CNL et a collaboré comme critique littéraire et dramatique à l’Humanité. Il a été conseiller à la Mission pour l'Art et la Culture du Ministère de l'Education Nationale. Il participe aux comités de rédaction de plusieurs revues et dirige avec Jean-Marie Barnaud la collection «Grands Fonds» à Cheyne éditeur. Il est directeur artistique du Printemps des poètes depuis avril 2001. Son dernier texte pour le théâtre Et ils me cloueront sur du bois sera créé au Festival de la Chaise-Dieu en août 2014 ; Philoctète et Le Testament de Vanda ont été joués en 2009, respectivement à l'Odéon-Théâtre de l'Europe, dans une mise en scène de Christian Schiaretti, avec Laurent Terzieff et au Théâtre du Vieux-Colombier, avec Sylvia Bergé dans une mise en scène de Julie Brochen. Producteur à France Culture pour l'émission Géographie du poème. Il publie chez Cheyne éditeur depuis plus de vingt ans tous ses recueils de poésie. Son œuvre poétique lui a valu le prix Théophile Briant en 1978, le prix Maurice Scève en 1981, le Prix Antonin Artaud en 1984, le prix Guillaume Apollinaire en 1994 et le grand prix du Mont Saint-Michel pour l’ensemble de son œuvre en 1998. Il a reçu en 2006 le prix Max Jacob pour son recueil Lettre à la femme aimée au sujet de la mort et en 2010 le Prix international de Poésie Lucian Blaga à Cluj (Roumanie). Il est président du jury du Prix Apollinaire depuis 2014. Il récompensa cette année le poète toulousain Serge Pey. Anne Rebeschini dit certains des poèmes extraits de ce spectacle et qu’elle a retenus pour sa performance en faveur des Amis de l’Oncopole de Toulouse. A écouter absolument ! |
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24/05/2018
Jean-Claude ETTORI
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17/05/2018
Hamid LARBI
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En préambule, Christian Saint-Paul présente une nouvelle fois le livre de JEAN-CLAUDE PERRIER Les mystères de Saint-Exupéry. Enquête littéraire Édition revue et augmentée Collection La petite vermillon (n° 441), La Table Ronde, 208 pages, 7,10 €. Jean-Claude Perrier est un écrivain et journaliste. Il a fait des études littéraires classiques. D’abord professeur de lettres, puis journaliste (il débute au "Quotidien de Paris", en 1980), il devient écrivain et éditeur. Journaliste littéraire au "Figaro littéraire" et à "Livres Hebdo", il a publié une histoire du journal Libération, un livre sur le cigare, des anthologies du général De Gaulle. Il dirige la collection "Domaine indien" au Cherche midi. Également critique rock au "Nouvel Observateur", il est spécialiste de la scène française et a écrit une quinzaine d’ouvrages sur la chanson française et le rap. Écrivain, il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages dans des genres et sur des domaines divers, qui correspondent à ses passions éclectiques et parallèles : l’Antiquité, l’archéologie littéraire, la musique (rock et chanson française), l’Inde, le havane… Grand voyageur, il a effectué de nombreuses tournées ou missions pour différents organismes (Alliance française, Cultures France, ambassades, CNL...) Il est l’auteur de "Le Fou de dieu, Héliogabale" (1988), "André Malraux et la tentation de l’Inde" (Gallimard, 2004), "Les mystères de Saint-Exupéry" (Stock, 2009), prix Louis-Barthou de l’Académie française 2010, et "André Gideou la tentation nomade" (Flammarion, 2011).
Nombreux sont les lecteurs du Petit Prince, mais la vie et la personnalité de son auteur demeurent pleines d'obscurité. Jean-Claude Perrier raconte son enquête menée au travers des mythifications et mystifications biographiques qui entourent Antoine de Saint-Exupéry. Au hasard de rencontres et de découvertes, le critique se fait archéologue littéraire, recompose à l'instar d'une mosaïque le portrait de l'écrivain, et s'emploie à réduire les zones d'ombre qui parsèment sa vie. Des histoires d'amour du poète à son décès dans des circonstances longtemps inexpliquées, en passant par son opposition au gaullisme et par sa carrière d'aviateur ainsi que par la genèse du Petit Prince, ce récit ponctué de documents inédits se situe à mi-chemin entre l'essai et la biographie, et se lit comme un roman. Ce livre a obtenu le Prix Louis-Barthou 2010 de l’Académie française. L’auteur s’explique sur la naissance de ce livre : « Il y a des écrivains que, sitôt découverts, on aime d’emblée, et qui vous accompagnent toute une vie. Pour moi, ce furent Montaigne, Proust, Gide, Malraux, Michaux, Mandiargues… Et puis d’autres, que l’on rencontre plus tard, et qui, une fois entrés dans votre bibliothèque idéale, agrégés à votre panthéon personnel, ne vous importent pas moins. Saint-Exupéry, dans mon cas, fait partie de ceux-là. Je l’avais certes lu, et aimé ses grands livres, Pilote de guerre, Terre des hommes, ou l’inclassable Citadelle. Et Le Petit Prince, bien sûr, découvert presque adulte, ce qui est finalement une bonne chose. L’homme, surtout, me touchait. Cette trajectoire terrestre si brève, si riche, si intense. Mais j’ignorais qu’un jour il me deviendrait si proche. Le déclic se fit grâce à ma collaboration à un grand feuilleton ‘‘à l’ancienne’’, paru dans Le Figaro. La ferveur des lecteurs, l’abondant courrier que reçut la rédaction démontrèrent l’intérêt considérable, voire les passions que l’écrivain-aviateur suscite toujours, soixante-cinq ans après sa mort. N’ayant pu alors utiliser toute la matière rassemblée, qui s’est enrichie depuis, j’ai souhaité poursuivre et approfondir ce travail, en utilisant un grand nombre de sources inédites afin d’éclairer les principales zones d’ombre de la biographie de ‘‘Saint-Ex’’: tels ses rapports complexes avec la politique, surtout durant la guerre, sa carrière cinématographique ratée, ses amours compliquées, sa succession rocambolesque…Homme paradoxal, aussi célèbre que mystérieux. Par chance, de nouvelles pièces du puzzle surgissent régulièrement de l’ombre. Je les ai donc ici réunies. Ni biographie ni essai, ce livre se veut une enquête sur un homme aussi tourmenté qu’attachant, devenu un grand écrivain. » *** Christian Saint-Paul signale : Couleur des larmes de Michel Ménaché Peintures de Mylène Besson Avec deux textes inédits de Michel Butor Bruno Doucey éditeur, 112 pages, 20 €.
Michel Ménaché, né en 1941 d’une famille originaire de la communauté sépharade de Constantinople, vit à Lyon. Il a fait de sa poésie un chant d’hospitalité : chroniqueur dans de nombreuses revues (Europe, Hippocampe, Cahiers critiques de poésie…), de plus d’une cinquantaine de livres d’artiste, il place son œuvre sous le signe du dialogue et de la fraternité. Il est l’auteur du recueil Couleur des larmes, réalisé avec la peintre Mylène Besson, paru aux Éditions Bruno Doucey en 2017. Elle peint des visages au regard clos, des yeux qui versent des larmes de sang, des corps qui s’effacent, des enfances sans joie, des portraits de femmes disparues comme les poétesses Sappho et Nadia Anjuman : par son talent de peintre, Mylène Besson donne des couleurs à l’absence. Il écoute les images de l’artiste, se laisse traverser par les émotions qu’elle suscite, écrit des poèmes pour prolonger les échos qui se font en lui : par ses mots, Michel Ménaché fait parler les silences de la peinture. Et un dialogue s’instaure entre deux arts ; lisible et visible se mêlent ; les portes de toile nous ouvrent à une compréhension plus subtile du monde. Comme l’a souvent répété Michel Butor, présent dans ce livre par deux poèmes inédits, l’avenir d’une œuvre d’art réside dans son inachèvement… France Burghelle Rey en fait l’éloge dans « La Quinzaine littéraire » : « Le dernier et superbe recueil de Michel Ménaché, qui en a lu des extraits au festival Voix vives de Méditerranée en Méditerranée de Sète en juillet 2017, dialogue avec les portraits féminins au regard clos de Mylène Besson et en fait parler les silences. Le poète, conscient du mystère que ces toiles garderont, cherche, comme il l’a écrit, à écouter ce qui y fait écho en lui. Le lecteur attentif éprouvera de la joie en se promenant dans l’atelier restitué ici. Dans un miroir de sang et de larmes elle avance paumes ouvertes à l’horizon de brumes et de poussières quand le monde s’égare dans un chahut de haines et de fureurs
*** Christian Saint-Paul recommande également aux auditeurs : Le poème recommencé de Gilles Lades Editions Alcyone 90 pages, 20 €.
Gilles Lades est né en 1949 à Figeac. Professeur de Lettres jusqu’en 2011. Enfance et adolescence partagées entre la région toulousaine et le Quercy, dont les paysages marquent son imaginaire. A beaucoup voyagé en Europe, particulièrement en Italie. Auteur de nombreux ouvrages de poésie. Parmi ses dernières publications : Lente lumière, L’Amourier, 2001 ; Le temps désuni, Sac à mots, 2005 ; Témoins de fortune, L’Arrière-pays, 2010 ; Damier du destin, Encres Vives, 2010 ; Au bout des pas la source, éd. Trames et La Porte, 2014 ; Chemins croisés, La Porte, 2015. Prix Froissart 1987 et Antonin Artaud 1994. En prose, récits : Dans le chemin de buis (Le Laquet, 1998) ; Sept Solitudes (Le Laquet, 2000) ; textes de critique, études de paysages : Les vergers de la Vicomté (Tertium, 2010) ; Quercy de ciel de roche et d’eau (Tertium, 2015).
Gilles Lades fait partie des comités de rédaction des revues Encres Vives et Friches.
L’éditeur et poète Daniel Martinez qui fait paraître l’excellente revue Diérèse a, dans la partie « Bonnes feuilles » de sa revue, publié une chronique dans Diérèse N° 74 (automne 2018) signée Michel Diaz. Il arrive très souvent que l’émission « les poètes » diffuse à l’antenne les propos tenus dans ces notes de lecture de Diérèse qui rendent bien compte de la qualité de la poésie aujourd’hui. Voici la « bonne feuille » de Michel Diaz :
« Ce qui se lève entre les lignes
La poésie de Gilles Lades est d’abord une voix. Elle est de celles qui, précédant toute saisie du sens, est avant tout matière de parole. Elle est de celles qui se lisent en murmurant, se disent à mi-voix, comme l’on se parle à soi-même, se façonnent et se modulent en musique sur les lèvres, dans le mouvement de chair de la langue.
Dans Le poème recommencé, recueil qui se divise en cinq parties, Gilles Lades donne à cette musique la lumière vacillante de la mélancolie, celle à laquelle puisent, au plus profond, les racines les plus intimes du poème. « Lumière de mélancolie » disais-je, qui peut être sombre, avare de clarté, complice de la mort, ou clarté douce, bienveillante et amie. Cette lumière-là, comme « une clarté qui vient sous la main », une « demeure où faire solitude », est celle que fréquentent volontiers les poètes, un espace de mi-pénombre offert à la lucidité de leur questionnement, d’eux-mêmes et du monde. Lumière dans laquelle la douleur, tenue à sa juste distance, se fait territoire fertile où vient puiser ce qui persiste de l’amour, et où s’alimente la source de la création. De toute création peut-être. Ainsi, écrit-il dans la cinquième section qui donne son titre à l’ouvrage, section dans laquelle le poète nous confie sa relation à l’écriture: attends que l’instant devienne mémoire reconnaisse ton pas te mène à la cour d’enfance amenuisée de toutes parts Ou écrit-il, par exemple encore, quelques vers plus loin, donnant à son métier d’écrire sa profonde et incontournable nécessité: […] le souffle qui soulève par surprise ta poitrine tisse des écheveaux de vie Ou dans ceux-là aussi, tout aussi explicites: désir d’accorder le poème à l’ultime leçon du vaste étonnement au point de fuite du silence Ce recueil, en effet, bâti de pierres assemblées à leur juste place, ne laisse aucune chance à quelque égarement sur des voies digressives. Cette lumière dans laquelle « la mémoire fait front à l’hiver », comme on use en peinture du clair-obscur, n’éclaire que l’espace de ses seuls objets, dans des textes où signes et lignes se rangent autour d’une lumière défendue ligne à ligne Ainsi sommes-nous, dès les premiers vers, appelés à une démarche méditative à travers souvenirs d’enfance, évocation des êtres aimés disparus, questionnement de ce qui fonde nos origines et de notre présence au monde: Ecoute vois la forêt sans feuille que même le vent n’approche pas […] ne sors que lentement des arbres et des pistes traverse mélodieux la mémoire de tant de disparus
Evocations de paysages, de places de villages ou d’un château ruiné, d’une « rue qui éclate en jardins cachés », de personnages égarés dans la solitude de la vieillesse, d’une hirondelle annonciatrice des « grands vols d’avril », d’un arbre « grand comme la beauté », d’une rose au bord d’un sentier, d’une clairière loin dans les bois ou du souffle aigre du vent de mars, constituent l’ample matériau de ces textes. Gilles Lades est ici le poète de ces presque riens, rencontrés çà et là dans l’affût du regard et au hasard des pas, de ces riens comme suspendus au-dessus, une chose coulant dans une autre, et toutes se fondant dans un long travelling de pensée ou de rêverie, sans que l’on sache où cela fut, ni même si cela fut, sauf que cela revient, lui revient comme une hantise, sans que l’on sache pourquoi ni comment cela lui revient: Une cendre de ciel survit le remords tourne au-dessus des rires comme la fatigue sur le dernier soleil Gilles Lades est aussi le poète de la fusion des états de conscience dans le même creuset poétique, quelquefois dans le même vers (« bonheur ce mot qu’il faut renommer »), douleur de la perte des autres et de soi à soi-même, nostalgie des temps de l’enfance et de ses éblouissements, mais quête toujours poursuivie de ces menus miracles de bonheur furtif et de jubilation dans sa présence provisoire au monde, ce qu’il nous donne à voir, à entrevoir, qui est là et s’échappe aussitôt, qu’il faut traquer sans cesse et, saisi un instant, couver dans la tendresse de ses mots, celle qui fait le cœur plus grand que toute la mort à venir. C’est ainsi qu’il écrit à sa mère, par-delà le néant de l’absence: merci de m’avoir donné cette main si fragile qu’elle soulevait la colline vers l’impossible avenir merci de me laisser parcouru de questions sévères et salvatrices Le poète se montre tout prêt, page après page, à sauter hors de l’espace mesurable comme du temps des horloges – cet autre espace – où ne joue que la causalité pour, par delà toute chronologie, à inscrire les choses les unes dans les autres dans un même regard attentif sur le monde. Attentif à le déchiffrer comme à en défier les apparences, dans des poèmes dont chacun, écrit-il, « contribue à dessiner une mystérieuse ligne de faîte, entre permanence et transmutation ».
Il y a une profonde nostalgie chez qui cherche, encore et toujours, comme le fait Gilles Lades, espérant que quelque chose se lève de l’obscur, d’entre les mots et les lignes, qu’il éclaire toute la scène, et donne sens par là au monde. Nostalgie qui fonde, j’y reviens encore, une mélancolie difficile à juguler. S’ouvre le ravin noir sous la musique de sa voix, reste le bord du précipice, le seuil du vide et de ce temps où « le printemps venu par effraction « s’annonce « comme une douleur de plus »… Le ton est certes grave, mais ce n’est pas rien pour autant cette confidence glissée dans la section « Avide solitude »: je choisis la terre vive limpide entre ses murs où quelques fleurs s’écrivent au bas d’une légende pauvre Gille Lades s’avance, dans ce poème recommencé, entre affirmation du désir de vivre et apprivoisement de sa familière et pudique désespérance. Et si cette faille d’abîme était à accueillir ? Pour ce qu’elle est. C’est-à-dire la ligne tracée de notre humaine condition.
Michel Diaz
Lecture d’extraits
Celle qui reste
seule *** L’émission est ensuite consacrée à la lecture de larges extraits de « L’être sans L’ombre » poésie de Hamid Larbi, préface de Arezki Metref, caricatures de Gyps, livre publié à Alger par les éditions APIC (400 Da), 70 pages www.hamid-larbi.net ISBN : 978-9931-468-43-1 Prix : 9 € L’ouvrage en France est à commander chez l’auteur par courriel :
Voici comment se présente l’auteur : « Je suis journaliste et poète, né à Alger. J’ai quitté l’Algérie en 1993, au début de la décennie noire pour m’installer à Milan. Une longue période d’incertitude s’est installée autour de moi. Les rencontres, la musique, le théâtre et le cinéma m’ont permis de retrouver de la maturité. En 1998, un nouveau voyage m’emmena vers un autre pays, une autre ville celle de Montpellier (France) où je vis aujourd’hui … Je suis auteur d’essais et de recueils de poésie traduits en espagnol, en italien et en russe, ma poésie prend sa source dans les profondeurs de l’âme humaine qui évolue vers un réalisme lyrique. En 1995, à Milan (Italie), j’ai reçu le prix en journalisme du Cercle de la presse de Milan pour Giornalistà estera ». Hamid Larbi s’installe à Milan en 1992. Puis à Montpellier en 1998. Il publie à Montpellier chez le poète Michel Eckhard-Elial qui dirige les éditions Levant : Furtif instant. Ce troisième recueil de l’auteur est illustré de calligraphies en tifinagh (alphabet berbère) par Smail Metmati. « J’ai fait l’expérience de les lire (poèmes) à haute voix, sur l'une des plus belles et célèbres mélodies de Haendel, Ombra mai fu. Un enchantement irréel dans le calme d’une nuit sans vent. Chacun pourra faire la même expérience qui permet d’approfondir la pensée du poète. Du Bellay nous a appris que la poésie consistait à chanter son mal. On peut dire avec Hamid Larbi que ses poèmes rendent notre mal plus supportable… mêmes pour de furtifs instants. » Le livre est préfacé par André Bonnet. Hamid Larbi vit aujourd’hui à Montpellier et est l’auteur d’essais et de recueils de poésie. Le magnanime du verbe Exilé vers le secret Son désarroi face A l’imagination sinueuse Son apathie à murmurer Et à inventer le récit L’agonie de l’allégorie Et l’incantation de l’euphémisme Est-ce la somnolence Qui illumine la conscience?
« L’être sans l’ombre » Par Hamid Larbi C’est le quatrième recueil de poésie de l’auteur. Ces poèmes sont un parchemin légué par les premières pulsations de l’humanité primale. Ce recueil est illustré par des sublimes caricatures du caricaturiste Gyps L’ouvrage Le préfacier, l’écrivain Arezki Metref dit son enthousiasme pour la lecture de ce livre de poésie qui fait rayonner la langue française et honore les poètes algériens qui ont choisi cette graphie : «… De ce point de vue, je lis la poésie de Hamid Larbi un peu comme la survivance que nous espérons régénératrice des émotions, des tourments, des coups de colère, des coups de foudre, de toute cette cosmogonie des combats et des fusions de ce Cercle des poètes algériens, notamment de graphie française. Ce cercle, depuis le début de ce mouvement qui a commencé très tôt, consistant selon le credo de Kateb Yacine à prendre la langue française comme un butin de guerre, s'est toujours passé le relais d'une génération à l'autre pour - là aussi, il n'est pas possible, ici moins qu'ailleurs de ne pas convoquer Jean Sénac- « ouvrir le poème comme une nacre » et marier, en de splendides noces dionysiaques, la poésie, l'amour et la révolution…» En janvier 2018, en France, il a été décerné à Hamid Larbi le prix du Concours International de poésie, « L’Amour de la liberté », de l’Académie Européenne des Sciences des Arts et des Lettres (l’AESAL) accompagné de la Médaille commémorative Taras Chevchenko et il a été élu membre de cette Académie.
Lecture de « L’être sans L’ombre ». |
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10/05/2018
Yves BELAUBRE et Frédéric DUCOM
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03/05/2018
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26/04/2018
Andrea
GENOVESE
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En préambule, Christian Saint-Paul invite les auditeurs à lire le dernier livre de poésie d’Aurélia Lassaque « En quête d’un visage » occitan, français, aux éditions Bruno Doucey Collection : L’autre langue ; 144 pages, 15 €. Née en 1983, aujourd’hui installée dans la région de Toulouse, Aurélia Lassaque rêve et écrit en deux langues, le français et l’occitan. Poète cosmopolite, animée par un véritable goût de la scène, elle fait entendre sa poésie en France et à l’étranger dans des lectures musicales où interviennent parfois le chant, la peinture et la danse. Son premier recueil, Pour que chantent les salamandres, paru aux Éditions Bruno Doucey en 2013, a été traduit en plusieurs langues et souvent mis en voix . Elle publie donc un deuxième recueil aux Éditions Bruno Doucey, En quête d’un visage. Le mot de l’éditeur : Une femme attend un homme depuis longtemps… Et cet homme, parti au loin, espère que la femme ne l’oubliera pas… Histoire banale et universelle des amants séparés par le destin ? Oui et non, car l’histoire de cet homme est chantée depuis la nuit des temps, puisqu’il s’appelle Ulysse. Et voilà qu’Aurélia Lassaque nous entraîne derrière son Ulysse, l’homme qui dialogue avec « Elle », amoureuse qui n’a pas de nom. Dans ces longs chants poétiques entrelacés, composés en deux langues, l’occitan et le français, l’auteure donne vie à deux personnages qui peuplent son imaginaire depuis toujours. Et surgit l’évidence première de la poésie : l’amour tire sa force de la mort qui suspend le dialogue des amants ; le temps enlise nos saisons mais nos joies sont tenaces et tiennent tête au néant. Pour nous qui aimons la Grèce, ce livre est un cadeau de la vie. * En parlant d’Ulysse, Aurélia Lassaque a voulu parler de l’Histoire. Ce qu’elle écrit, c’est l’Histoire universelle et intemporelle. Le livre est un dialogue entre deux personnages : Ulysse et Elle. Dans la Grèce antique, la poésie, le théâtre ne formaient qu’un art. C’est ce que l’auteure a voulu perpétuer. Ce livre prouve, s’il en était besoin, combien est vivace et puissante la poésie occitane contemporaine. Les deux langues permettent heureusement à Aurélia Lassaque d’atteindre un large public. Mais elle est au cœur de la contemporanéité de la poésie. Elle démontre que cette poésie qui s’exprime en langue d’Oc n’a rien à voir avec le régionalisme, la ruralité ou le folklore. Elle est au centre de ce que la poésie véhicule d’humanité universelle. L’auteure qui n’a appris l’occitan qu’à dix ans avec son père, a fait de cette langue, la première langue avec laquelle elle écrit en poésie. Il y a là, une significative analogie avec la posture d’un autre poète occitan : Franc Bardou qui veille lui aussi à publier dans les deux langues. Tous les artistes n’écrivent pas fatalement dans leur langue maternelle, et la langue qu’ils adoptent alors, ils la magnifient. Lecture d’extraits :
« il n’est pas de
territoire plus vaste
cet homme qui
rassemble vos voix cet homme que vous appelez Ulysse » * Christian Saint-Paul reçoit alors son invité : Andrea GENOVESE venu parler de son dernier livre : Dans l'Utérus du volcan aux éditions Maurice Nadeau, 19 €. Voici ce qu’en dit l’éditeur : Vanni, écrivain italien résident en France, revient dans sa Sicile natale avec sa femme lyonnaise pour recevoir un Prix de poésie chrétienne richement doté et décerné par un ponte de la Mafia. Sous l’influence de l’Etna toujours prêt à s’enflammer, l’apparition de la pulpeuse Lilina va provoquer l’éruption des sens du poète et mettre à mal l’équilibre du couple. Dans une ambiance de polar, qui peut faire penser à l’écrivain sicilien Leonardo Sciascia, l’auteur nous entraîne, sous la violence d’un été torride, des Îles Éoliennes à l’Etna, dans l’agonie d’un monde refermé sur lui-même. Nostalgie, sensualité effrénée, mythologie, l’écriture éclate comme une éruption volcanique. Écrivain italien, Andrea Genovese (né en 1937 à Messine en Sicile), vit en France depuis 1981. Il définit sa vie comme une Odyssée minime (titre de son premier recueil de poèmes), mais trois romans autobiographiques publiés en Italie nous en révèlent, de 1945 à 1960, à peine une partie. Poète, romancier, dramaturge, critique littéraire, d’art et de théâtre, il édite Belvédère, un webzine on line entièrement écrite par lui, hors norme et sans tabous. En français il a écrit des recueils de poèmes et des textes de théâtre joués à Lyon. Dans l’Utérus du volcan est son premier roman écrit directement en français. * Un entretien s’instaure entre Saint-Paul et Andrea Genovese qui rappelle qu’il a publié de la poésie écrite en français,( il lit des poèmes ) et qu’il est l’auteur de la revue en ligne Belvédère qu’il rédige seul. Cette revue accessible sur le web est également en ligne sur le site les-poetes.fr. Andrea Genovese s’explique sur la genèse de son livre, sur les rapports entre la Sicile et la France, sur l’héritage commun des troubadours. * Note de lecture de Christian Saint-Paul : « Dans l’Utérus du volcan » est un grand livre et il importe qu’il soit accueilli comme tel. Andrea Genovese est un auteur italien, poète, dramaturge, qui signe là son premier roman écrit en français. Et la langue est sublime ! Nous avons déjà eu Hector Biancciotti, cet argentin italien qui a épanoui notre langue. Nous avons aujourd’hui Andréa Genovese.
Mais le monde, maintenant, n’obéit
qu’à une seule loi, pour la première fois, l’universalité est atteinte.
C’est la sacro-sainte loi du marché. « Ha : La foule a le goût des valeurs du marché, Et le valet n’a de respect que pour le fort ; » Il nous appartient de faire connaître que « Dans l’Utérus du volcan » est l’œuvre d’un écrivain puissant, le « fort » qui plaît à la foule et que le livre « a le goût des valeurs du marché » et bien au-delà. Le plaisir que l’on prend à lire ce livre n’est pas dû qu’à la découverte, amenée de loin, de l’intrigue du récit. C’est la truculence de la langue émaillée d’expressions siciliennes et italiennes, c’est l’érotisme qui s’inscrit avec force dans la réalité crue du récit, c’est la peinture précise des lieux, Messine, la Sicile, Lyon, les îles Eoliennes, un village perdu face à l’Etna. C’est aussi l’atmosphère étouffante d’une époque où en Sicile, on vivait « entre la peur, le soupçon et la résignation », où les mafieux « faisaient » les politiques ou l’inverse.
« Tout sicilien naît en état de
guerre », résume l’auteur.
Vanni, l’écrivain italien héros du
livre qui vient de Lyon recevoir dans le pays qu’il a quitté depuis fort
longtemps, un « Prix de poésie chrétienne », emprunte beaucoup
naturellement à l’auteur. Pour l’avoir charnellement vécu, Andrea
Genovese peut se livrer avec justesse à une satire des mœurs de tous les
milieux de l’île, y compris le milieu littéraire. Le poète du roman, qui
vit à Lyon, est le « champion de la sicilianité européenne ». Il
retourne dans le port de Messine, où les « bateaux américains vont
emmerder les arabes réfractaires à la démocratie mafieuse ». Vanni a
consumé sa jeunesse à Messine, issu de cette « génération babba »
(sotte), affamée, attendant l’aventure impossible ». Vanni n’ignore rien de l’animalité des origines du Sicilien, du mythe de Polyphème, ce cyclope « toujours à l’affût pour défendre son terroir », et de l’agression, l’intrusion de l’étranger, du Grec « venu planter un tronc brûlant dans l’astre de son œil ». « On ne s’infiltre pas impunément chez l’autre sans déclencher un bain de sang » , résume Vanni. Et la violence de tous les jours, qui règne dans l’île dans les années du retour du poète venu chercher le montant de son Prix de poésie chrétienne, et qui oblige ses parents, le père ayant été agressé, à se réfugier en montagne, trouve son origine dans les racines profondes de l’Inquisition. Pour lui, « le catholicisme était à l’origine des pires délits et génocides des derniers siècles ». Et depuis, l’île n’a cessé sa familiarité avec l’horreur. Pourtant, l’éloignement de la réalité compacte du lieu-dit Sicile, coagulation magmatique de sang et de rochers à l’intérieur d’une bulle gazeuse, fait de Vanni un perpétuel exilé.
L’amour d’une terre et l’amour d’une
femme, sa femme, Vanni l’éprouve au tréfonds de son âme. Et c’est un
homme blessé par sa propre infidélité à ces deux amours. C’est ce qu’il
apprendra de ce séjour dans l’île. La conscience douloureuse de cet amour double de la terre et de la femme, empêche la défaite totale du voyage, même si, comme en avaient eu l’intuition les Grecs, Vanni sait que « les êtres humains n’avancent pas, qu’ils tournent en rond, qu’ils se gaspillent. Qu’ils sont une plaie à jamais ouverte dans le Sacré-Cœur de l’Absolu ». EXTRAITs Extrait 1 : Vanni Un immense tapis de coquelicots se présenta inattendu, courant à perte de vue vers l’horizon haché par un ravin. Ses yeux avaient suivi comme dans une séquence cinématographique la palette de couleur fauve, presque au ras du sol, et c’est seulement quand son regard trouva la fracture du ravin qu’il reçut le choc de la masse gigantesque, pyramidale et absurde de l’Etna. Le volcan était si imposant, si nettement scandé et si minutieusement inscrit dans l’azur du ciel, avec son cratère central voilé de nuages, que Vanni ne comprenait pas comment il s’était imprimé en dernier dans sa rétine. C’était grandiose et écœurant. Effrayant, d’une certaine façon. Il le voyait comme un dieu descendu sur terre. Planté sur sa vaste base de lave, en juge, en justicier. En despote. Superbe, méprisant. Refusant toute identification, toute réduction à une échelle humaine. Pas de compromis, pas de ridicules comparaisons. Je suis et je demeure, au-delà de ton regard de petite fourmi, disait le volcan. Et cependant... Être fils de l’Etna, c’était monstrueux, c’était outrancier. Même pour un Sicilien, qui avait une conception cyclopéenne de la vie et portait en dot dès sa naissance la damnation d’un œil unique, démesuré et terrifiant comme un cratère. De là, de ce vagin de l’absurde, venait la pâte qui l’avait pétri, modelé et projeté dans la fiction théâtrale qu’était sa vie. Il était fils de l’Etna, donc il ne pouvait en aucune manière se soustraire à cette contrainte existentielle. C’est pourquoi, il ne pouvait pas se soustraire non plus à la rancune ancestrale qui l’incitait à s’affronter aux dieux. Tout Sicilien naît en état de guerre.
Extrait 2 : Louise — C'est vraiment comme je l'imaginais, la Sicile. L'haleine de Louise lui chatouilla l'oreille. Il sentit sur son dos la pression des seins, libres sous la chemise de nuit. Elle s'était levée sur la pointe des pieds et regardait l'agitation de la rue. Il aurait voulu se lancer dans une explication critique sur le caractère un peu fossile de la scène, sur cette présence presque irréelle d'un aiguiseur à une époque où, même en Sicile, les ménagères achetaient leurs couteaux par série de trente-six au supermarché, ou éventuellement sur la provenance des poissons, arrivés peut-être par avion, de Bretagne ou du Canada, on ne sait jamais. Mais il y renonça aussitôt et se retira dans la chambre, en laissant retomber les rideaux de la fenêtre. Louise se raidit, contrariée. Elle déplaça à nouveau les rideaux et s'étira. Ses seins pointèrent sous la chemise. Elle était bien cadrée par la fenêtre et, la voyant, l'aiguiseur arrêta sa machine, pour lui faire un grand geste de la main. Les trois femmes aussi levèrent la tête pour regarder vers la fenêtre. La vieille ne tarda pas à hurler son commentaire : — Fimmini piddùti, malanova chi-mm'aviti ! — Qu'est-ce qu'elle a dit la vieille ? demanda Louise. Vanni la regarda de travers. Il venait de se rendre compte du petit émoi que la présence de Louise à la fenêtre avait provoqué dans la rue. — La vieille a pris l'hôtel pour un bordel, répondit-il froidement. Louise se mit à rire, regarda avec mépris dans la rue, et laissa glisser à ses pieds la chemise de nuit, se contorsionnant comme une odalisque. Cette fois, les pêcheurs aussi regardèrent vers l'hôtel, en gesticulant entre eux comme deux marionnettes excitées. Vanni prit Louise par les épaules et la poussa brusquement sur le lit, puis referma la fenêtre.
Extrait 3 : Lilina Les détails de la scène atroce de la matinée s’étaient estompés comme ceux d’un cauchemar invraisemblable. Son inconscient se refusait obstinément à se laisser gâcher la journée par les brutalités de Bummulicchiu et de ses compères. Elle avait déjà le souci du comportement volatile de Lorenzo, pour penser à cette autre source éventuelle d’ennuis. « Je devais être vraiment saoule hier soir, se dit-elle, pour aller dormir à Mutandona ». Pour l’instant, elle avait le feu aux fesses. Et ce n’était pas seulement la chaleur du siège. Tous ses pores papillotaient. Elle savait bien ce que son corps réclamait depuis une semaine, et dont elle avait été dépossédée traîtreusement par son amant. La rage l’emporta, et ses mains se raidirent sur le volant. Jamais l’idée de cocufier Lorenzo ne lui avait traversé l’esprit. C’était une chose simplement inconcevable, dangereuse, et après tout jusque là non désirée. Mais cette manière cavalière avec laquelle il l’avait liquidée à la cérémonie de remise du prix lui parut éloquente, c’était tout à fait dans le style de Lorenzo. Si ce n’était pas un adieu, cela lui ressemblait beaucoup. Ne lui avait-il pas fait comprendre qu’elle pouvait coucher avec le poète, sans crainte ? « Ce que tu veux » avait-il dit. Il l’avait donc licenciée. Elle revit les yeux du Grand Prix , étincelants sous les lunettes, braqués sur ses seins. Non, il avait l’air d’un putanier je m’en-foutiste, le poète. Il avait empoché le chèque de dix millions avec une indifférence olympienne, tandis qu’il la détaillait avec une catholique ferveur religieuse. Non, elle ne comprenait rien et il était parfaitement inutile de supputer quoi que ce soit.
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19/04/2018
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Christian Saint-Paul présente le dernier livre de Gérard Bocholier : TISONS, éditions de La Coopérative, 112 pages, 15 €.La brûlure du désir et la brûlure de l’absence forment les deux grandes sources d’inspiration de ce livre placé sous le signe du feu, dont la genèse s’est étendue sur de longues années. La première partie rassemble des poèmes dont chacun fixe la mémoire d’un instant d’extase, d’une rencontre amoureuse faite de trouble et d’émerveillement : « Lumières éteintes / Dans la maison en sursis / Nous avons tendu sur le sol / La toile d’un feu très obscur. » Dans la proximité de Cavafis, de Sandro Penna et de Luis Cernuda, que le poète nomme à bon droit « nos tutélaires », ces poèmes disent avec simplicité la surprise causée par la découverte de l’accord avec le jeune homme désiré. Mais « comment faire durer le brasier ? » demande un des poèmes de la deuxième partie. Tout aussi incandescente, celle-ci affronte le mystère de la mort et de la séparation et situe l’expérience du désir dans la lumière qui, aux yeux du poète, lui confère sa vérité, celle de la rencontre des âmes par-delà celle des corps. « Mon Dieu / Tu m’accompagnes// La beauté me fait trembler encore / Je la traverse / Comme une vigne vendangée. » Nourri de la lecture des psaumes, comme les précédents livres de l’auteur, ce recueil s’achève comme un bréviaire d’espérance qui affirme que « La belle aventure de l’âme/ Ne finit pas ».
Né en 1947 à Clermont-Ferrand, où il a été professeur de lettres classiques, Gérard Bocholier dirige depuis plus de quarante ans la revue de poésie Arpa. Il est l’auteur d’une trentaine de recueils de poèmes et poursuit une activité infatigable de critique, pendant longtemps dans la NRF et aujourd’hui dans l’hebdomadaire La Vie.Parmi ses derniers essais, citons Le poème comme exercice spirituel(Ad Solem, 2014) et Les chemins tournants de Pierre Reverdy (Tituli, 2016). Parmi ses derniers livres de poésie : Psaumes du bel amour(Ad Solem, 2010), Psaumes de l’espérance (Ad Solem, 2012), Belles saisons obscures (Arfuyen, 2012) et Les étreintes invisibles (L’Herbe qui tremble, 2016). Lecture d’extraits. L’émission les poètes reviendra plus amplement sur ce livre et ce poète dans une prochaine semaine. ***
Danièle Faugeras, traductrice et éditrice de Po&psy est une artiste à part entière qui publie aux éditions Pippa des haïkus « A chaque jour suffit son poème » illustrés de ses propres photographies (15 €). Danièle Faugeras a noté au jour le jour pendant plus de dix ans, les observations et réflexions nées de son vécu dans son environnement naturel et humain, pour en tirer ces « leçons de choses ». Celle qui consacre désormais tout son temps à la poésie par ses activités d’éditrice, de traductrice d’actrice aux lectures publiques, poursuit la publication de ses propres œuvres poétiques. Plus tournée vers les poèmes brefs, ceux qu’elle fait connaître dans la collection Po&psy, il est naturel qu’elle écrive des haïkus. Les allusions savantes à des références littéraires anciennes, sont toujours expliquées par des notes figurant en fin de livre. Un ouvrage agréable à lire, saisissant dans le raccourci des images et du sens, et à regarder car les photographies de l’auteure émaillent avec brio ces fulgurations réussies. Lecture d’extraits.
qui consent à la caresse la caresse le transformera * les veines sous ma peau comme filons dans la roche : trajectoires du temps * les œufs durcissant dans la casserole trépignent comme déconcertés * debout à manger des sardines à même la boîte - ah ! solitude... * Les éditions Fata Morgana ont publié « Le poème des morts » de Bernard Noël (22 pages, 11 €). Toute la puissance poétique de ce poète majeur explose dans ce court recueil en deux parties « Tombeau de Lunven » et « Le poème des morts ». Obsession de la chair, thème familier du poète, de sa métamorphose, de sa défaite et la chair des hommes comme une simple marchandise qu’utilise les puissances qui nous gouvernent. Lecture d’extrait.
il manque à l’Etat un presse-cadavres des appareils pour exploiter les morts pourquoi brûler ou enterrer les corps chacun est une mine à ciel ouvert les os la peau la chair la chevelure un lot précieux de matières premières longtemps laissé au gâchis religieux voilà de quoi inventer des produits découper détailler vendre à la pièce on saura vite extraire de la viande un jus de jouvence aussitôt fameux pour peu que les médias fassent savoir que son fumet a fait jouir les dieux du temps où les humains les régalaient la mort enfin sera rendue rentable si bien que les cadavres manqueront alors sans doute envisagera-t-on de diminuer la quantité humaine pour augmenter la matière exploitable la rentabilité est si pratique qu’elle peut servir de règle morale * Fred Ducom publie aux éditions 39/17 (15 €) dans un volume où il apparaît aux côtés de Yves Belaubre, « Papiers d’Essaouira ». Une poésie épique, orale à souhait, narrative avec tout ce qu’il faut de surprises, de déconcertassions pour nourrir le poème de son souffle vivifiant. Un regard aussi inquiet que généreux sur notre humanité. De la puissance dans le ton, l’image et la musique d’alerte. Lecture d’extrait.
Réveillons-nous dans l’écriture pas sous les bombes que nous avons semées Avec cette odeur de cigales déterrées aux ouvertures Les chagrins d’une plante aimée Qu’en délient les fileurs éternels Aux sots les parures en toc et les fouets dyslexiques Pour nous les baisers à califourchon La pierre de Rosette sur un ruban de hanches Les bruits naissant dans le fandango des accents.
Frédéric Ducom est aussi l’auteur de « Estos Dias azules » avec les photographies de Antonio Lachos, magnifique livre hommage aux réfugiés espagnols de la guerre civile qu’il a eu la chance, dit-il de saluer tous vivants ! Fred Ducom sera prochainement invité à l’émission « les poètes ». *** Christian Saint-Paul reçoit alors son invité Francis PORNON qui vient de publier La Fille d’Occitanie aux éditions TDO, collection Histoire du Sud, 427 pages, 20 €.
Francis Pornon étudia
à l’École Normale d’Instituteurs et à l’université de Toulouse et
commença par publier des poèmes.
L’auteur rencontre en Occitanie la grande Histoire de la fin’amor qui éclaira et illumine toujours l’Europe, pour peu qu’on veuille bien la lire.
Pour bien situer ce dernier livre « La Fille d’Occitanie » il faut se souvenir qu’en 1218, Simon de Montfort, chef des croisés qui tentaient de prendre Toulouse, est tué d’une pierre lancée du haut des remparts par une Toulousaine. A l’occasion du huitième centenaire de cette victoire de la résistance occitane, les éditions TDO, éditeur en région, présentent donc ce livre: La Fille d’Occitanie, après Les Dames et les aventures du troubadour Raimon de Miraval et La Dame de Toulouse, Azalaïs de Burlatz ; ce tome achève un triptyque romanesque sur le Moyen-âge en Occitanie, avec les aventures de Colomba, paysanne et servante.
Colomba, pauvresse devenue servante, vit à la fois le sort d’une femme ordinaire au Moyen Âge et une exceptionnelle ascension sociale, aventures incroyables dans un monde troublé de guerres et de croisades. Elle côtoie Azalaïs de Burlatz, la Dame de Toulouse, avec sa Cour et accède à la poésie amoureuse courtoise. On la suit dans les péripéties d’une femme de son temps, amour et maternité, rencontres avec amis et amants, fréquentation de poètes, hommes et femmes comme Raimon de Miraval et Azalaïs de Porcairagues. Porté par le désir et l’énergie de Colomba, l’auteur fait partager les états d’âme de l’héroïne et entraîne le lecteur en aventures, moments graves ou festifs ainsi que chevauchées depuis la haute Ariège et la vallée de l’Aude jusqu’à Toulouse, Carcassonne, Béziers, Montpellier et même la Catalogne. De quoi revivre la grande richesse de l’histoire occitane et européenne d’alors. Comme Les Dames et les aventures du troubadour Raimon de Miraval et La Dame de Toulouse, Azalaïs de Burlatz, ce livre se lit d’un souffle et nous propulse au Moyen-Âge comme si l’on y était. Aujourd’hui où explose la revendication du respect des femmes, nous dit Francis Pornon, il se trouve que je viens de publier un triptyque romanesque se déroulant au Moyen-âge occitan. Or, la condition féminine (celle des dames de la haute société s’entend), fait alors un bond en avant, en avance même sur les siècles à venir. Dans la société occitane des XIIè et XIIIè siècles les femmes peuvent hériter et régner, elles jouissent d’une indépendance dans le mariage et surtout elles sont élevées au rang supérieur à l’homme par la poésie de l’amour courtois (la fin’amor).Après l’histoire du troubadour Raimon de Miraval et celle de la mécène de poètes, Azalaïs de Toulouse, dite de Burlatz, j’ai voulu écrire celle d’une femme du peuple, paysanne qui devient servante, entre autres aventures. La vie de Colomba (La Fille d’Occitanie) est le troisième volet d’un triptyque romanesque sur le temps de l’amour courtois en Occitanie médiévale. Car si cette aventure reste marquée par la grande culture du tròbar, la poésie d’amour, il eût été paradoxal – et injuste - de ne pas évoquer la réalité sociale et culturelle de la classe populaire composant la très grande majorité des vivants en ces temps et lieux. Lecture d’extraits. PROLOGUE Je n’ai crainte à le dire, je suis un miracle. Ou presque ! Fille née dans la terre de montagne, de mère paysanne et de père inconnu, mon chemin passa par de folles aventures. J’eus d’abord les pattes dans la fange. Excusez-moi de parler franc, c’est ainsi que j’aime à conter ma vie et c’est ainsi que je la veux transcrite. Je vécus le statut de servante, voire des états pires encore. Et parfois je bénéficiai d’une plus brillante condition, celle de suivante d’une châtelaine. Il ne m’était possible d’apprendre entièrement à lire et écrire, quand maints seigneurs et à plus forte raison bien des femmes ne le faisaient. Pourtant j’eus la chance inespérée de pouvoir goûter la poésie d’amour. Je naquis de ma mère. Bien fort qui peut faire autrement ! Elle me nomma Colomba, comme l’oiseau blanc paisible, alors que j’étais agitée et fort brune. Je restai autant que possible au chaud de son giron. Rien et nul autre ne me protégea, ce qui ne me laisse confiance en personne, sinon en la mère… Et encore !
Je vécus tout d’abord dans un orri, comme on disait chez nous d’une cabane en pierres sèches. Elle était heureusement recouverte de terre et d’herbe qui nous défendaient contre le climat terrible en montagne. Mes festins étaient faits de lait de chèvre, de racines, de brouets de fèves ou de farine de châtaigne. Lorsque je passais la tête par l’entrée, étroite et basse, je voyais les pentes jaunies par le gel ou blanchies par la neige, le castel aux lourdes murailles grisâtres et les monts abrupts qui ombraient le plateau. Mes premiers jours s’étirèrent à la lumière des Pyrénées, glacée par les neiges et le cers l’hiver, rôtie en été du soleil de midi. Dans la montagne, bien qu’on soit situé plus près du ciel, la lumière décuplée par les glaces et le soleil tombant dru, le monde sauvage est un hiver glacial où l’on est balloté et parfois écrasé par évènements et cataclysmes. Or, je découvris ensuite comme la vie est aussi printemps pointant avec des fleurs qui percent la neige. Après la tempête s’épanouit une embellie délicate et passionnée, celle de la poésie d’amour qui nous fait célébrer par de jeunes, beaux et valeureux hommes, nous, femmes ainsi reconnues. Un livre qui est à la fois un roman qui se lit avec le plaisir offert par le cheminement de l’intrigue incessante, mais aussi par la richesse de la langue qui incorpore les mots en langue d’Oc qui sont notre héritage et nous fait vivre dans les mœurs saisissantes de ce Moyen-âge et de la culture occitane. |
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12/04/2018
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Christian Saint-Paul dit sa joie de retrouver le studio de Radio Occitania et son ami technicien Claude Bretin qui rentre d’un long séjour à Madagascar.
Les bonnes publications qu’il faudrait présenter sont trop nombreuses pour être citées au cours de cette émission hebdomadaire d’à peine une heure. Cette semaine sera donc consacrée au signalement de quelques unes et non à un auteur particulier, contrairement à la norme habituelle. C’est en rappelant la vocation de l’émission « les poètes » qu’il évoque la réponse du poète éditeur Jean-Paul Michel à la question : « que peut la poésie ? Rien ne l’établit mieux que l’effet de quelques pages de vérité profonde et sentie : un arrachement à la vie inessentielle.»
Les auteurs cités dans cette émission nous recentrent sur la vie essentielle, que les tourbillons de la vie quotidienne éloignent, sans crier gare, de notre vécu, accaparé par ce dévorant inessentiel.
Michel COSEM vient de faire paraître à l’Harmattan :Echo de braise et de cigale, avec une photographie en couverture d’Annie Briet : Paysage andalou. 13 €Michel Cosem a fondé Encres Vives, à la fois revue et éditions qui compte près de 1000 titres au catalogue. Il publie régulièrement ses carnets de voyages poétiques vers les pays du Sud. Il est l'auteur de nombreux recueils de poèmes, d'anthologies de poésie ( Milan, Seghers, Gallimard) et de romans. Il a obtenu les prix Artaud et Malrieu pour l'ensemble de son œuvre.« Cet ouvrage permet de saisir sur le vif la poétique de Michel Cosem. Une nouvelle poétique ? En tout cas un nouveau palier vers l'unité et l'universel. L'on ne saurait trop souligner le ton d'émerveillement et de naïveté, au sens d'une capacité à saisir les choses à leur état naissant. Il y a là un pacte originel avec les "grandes étendues de l'imaginaire" qui sont "ses pays de naissance". » nous dit Gilles Lades.
Cet ouvrage sera évoqué plus amplement dans une prochaine émission. Lecture de poèmes de « L’Encre des jours » de Michel Cosem paru aux éditions Alcyone (20€). Palmiers endormis comme venus là par hasard et surpris tout simplement par l’aube, odeur de café, d’encre s’échappant des journaux du matin, immeubles blancs repeints de la nuit, enfant allant à école en sautillant : juste ce qu’il faut pour que le jour s’éveille, que les mots se rassurent et s’envolent et que tout naisse en harmonie. Les ombres de la nuit se cachent-elles encore quelque part ? Mon écriture et mes rêves ont survécu : cela suffit. (Peniscola, Espagne)
Encres Vives publie : Nathalie RINGAUD L'Équinoxe des songes Coll. "Encres Vives" n° 475. « Son univers envoûte et nous entraîne à fleur de ses songes. Quelques textes vivants, à la folie ; quelques textes timides aussi, tout en douceur : "Un papillon s'ébroue dans la chair des rêves..." "de l'échancrure des songes, s'est envolé un bout de soie d'anges." Où sommes-nous ? En poésie, sans aucun doute. L'écriture de Nathalie Ringaud existe. Elle est forte et fluide à la fois. L'univers de la poétesse est empli de vies singulières et hardies, audacieuses ; la profondeur d'une véritable personnalité. À découvrir. » écrit sur la 4ème de couverture le poète Alain LACOUCHIE. Lecture d’extraits.
Gérard MOTTET Petites Suites pour ombre et lumière Coll. "Encres Vives" n° 474. Les poèmes rassemblés ici sont extraits d'un ensemble de trois recueils publiés en 2017. Poèmes de l'absence et de la solitude, de la résonance entre les choses et les êtres, de la quête de soi dans les méandres de la vie, et toujours poèmes murmurés où s'entrelacent et se répondent ombres et lumières, en un dialogue sans fin. Poèmes qui tentent, par delà l'immédiateté du réel, d'appréhender l'envers des choses, le révolu ou l'originaire, le possible ou l'improbable, l'invisible, l'ailleurs vers où se porte notre être, qui ne se satisfait jamais d' "être-là". Lecture d’extraits.
Anne MOUNIC Aux courbes du langage Coll. "Encres Vives" n° 476 Anne Mounic, fut maître de conférences à Paris 3 Sorbonne nouvelle ; elle est l'auteur de plusieurs études critiques sur la pensée poétique. Jacob ou l'être du possible, a été publié en 2009 aux éditions Caractères et chez le même éditeur , L'eau de prudence ou La vigueur des reflets, a paru en mai 2011. Elle est une illustre « spécialiste » de l’œuvre de Claude Vigée. Elle fait paraître à Encres Vives son dernier recueil poétique qui regroupe des poèmes écrits de 2015 à 2017. Lecture d’extraits.
royaume
L’espérance est très lente qui se faufile entre les fûts des peupliers où s’esquisse à peine la promesse des bourgeons.
Les horizons s’inclinent sous les nuages rebondis. La lumière, plus intense, insuffle à l’intime une énergie toute neuve.
Le fleuve, paisible, la guide entre ses berges, au royaume très heureux de la patience.
Chaque volume 6,10 €, abonnement un an 34 €, chèque à adresser à Michel Cosem, 2, allée des Allobroges, 31770 Colomiers. *** Gilles LADES fait paraître aux éditions Alcyone « Le poème recommencé » avec une encre de Silvaine Arabo, 20 €. Gilles Lades est né en 1949 à Figeac. Professeur de Lettres jusqu’en 2011. Enfance et adolescence partagées entre la région toulousaine et le Quercy, dont les paysages marquent son imaginaire. A beaucoup voyagé en Europe, particulièrement en Italie. Auteur de nombreux ouvrages de poésie. Parmi ses dernières publications : Lente lumière, L’Amourier, 2001 ; Le temps désuni, Sac à mots, 2005 ; Témoins de fortune, L’Arrière-pays, 2010 ; Damier du destin, Encres Vives, 2010 ; Au bout des pas la source, éd. Trames et La Porte, 2014 ; Chemins croisés, La Porte, 2015. Prix Froissart 1987 et Antonin Artaud 1994. En prose, récits : Dans le chemin de buis (Le Laquet, 1998) ; Sept Solitudes (Le Laquet, 2000) ; textes de critique, études de paysages : Les vergers de la Vicomté (Tertium, 2010) ; Quercy de ciel de roche et d’eau (Tertium, 2015).
Gilles Lades fait partie des comités de rédaction des revues Encres Vives et Friches.
Celle qui reste seule n’a que peu de visages à aimer
un jour quelques jours quelque temps il y eut un soleil presque accordé
mais quel désert depuis les villages ensoleillés et froids
et la retombée dans la cour aux brèves échappées la mémoire d’années bâties de quelques belles pierres que l’on espère voir grandir la furtive compagnie de la plus haute vie voie du sang voie de la longue enfance sur l’indissociable chemin
Une émission sera consacrée prochainement à Gilles Lades.
*** Cathy GARCIA poursuit avec l’enthousiasme qu’on lui connait la publication de « Nouveaux Délits » Dans le n° 59, en janvier elle rédige cet éditorial : Eh bien voilà revenue l’année nouvelle ! Nous savons que ça ne veut pas dire grand chose, mais si ça peut nous permettre de nous sentir de même un tant soit peu neufs, décidés à laisser derrière nous le pesant et l’obsolète... Une nouvelle chance, un nouveau départ, un peu de poudre de perlimpinpin qui brille, une virginité en toc, un lustre qui disparaitra en deux coups d’éponge, mais quelques secondes de rêve, ce n’est pas rien, alors on ne va pas se les gâcher en faisant du mauvais esprit, surtout quand on s’appelle « Nouveaux Délits ».
Si la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil, comme l’écrivait Char, alors elle est au soleil pendant que d’autres sont au bureau, aussi spacieux soit-il. Alors, fait-elle vraiment souffrir cette lucidité ? Et si elle était justement la garante du rêve ? Entre la transparence et l’opacité, il y a la beauté de la translucidité, ce qui n’est pas sans rapport avec la poésie.
Aussi, je vous invite sans plus de blabla à la découverte des poètes de ce nouveau numéro. Je les ai choisis avec mon meilleur mauvais goût, clin d’œil à de pauvres petites idées fixes et préconçues et donc pas très neuves, de ce qu’est, doit être et ne peut pas être la poésie. Ne cherchez pas, la poésie n’y est déjà plus ! Souhaitons-nous plutôt de tirer le meilleur jus de cette année inédite et de le boire en chantant à tue-tête. Soyons sérieux : rions beaucoup et aimons plus encore !
Bonne année 2018 à vous toutes et tous et que la paix ferme le bec des imbéciles qui ne laissent pas passer la lumière.
Lecture de l’article rédigé par Cathy Garcia dans ce numéro 59, sur le recueil « Tu écris des poèmes » de Murièle Modély paru aux éditions du Cygne.
Dans le n° 60 Cathy en 4ème de couverture nous pouvons lire de Cathy Garcia : La simplicité joyeuse et volontaire, comme je la vis et l’ai vécue avant même de l’avoir nommée, c’est de savoir apprécier ce qu’on a, quels que soient nos moyens, et ceci sur tous les plans. Pas dans l’idée d’une discipline qu’on s’impose, d’une vertu à cultiver, non, pas d’efforts qui finiront par nous dégoûter, nous révolter et nous faire retomber plus bas qu’au départ, c’est vraiment autre chose. C’est une sorte d’initiation à l’essence du plaisir. C’est d’abord apprendre à regarder les choses à la loupe et à amplifier nos sensations. Lorsqu’on passe près d’une plante à toutes petites fleurs, souvent elle est tellement insignifiante qu’on ne la remarque pas ou à peine, mais si on prend le temps de se pencher et de la regarder de près, alors se révèlent des trésors de nuances, de finesse, de beauté. C’est pourquoi j’aime faire de la macro en photo. En macro une punaise devient un joyau, mais la macro, c’est aussi une façon de voir que l’on peut appliquer à tous les domaines de notre vie. Pas seulement pour aller remuer ce qui ne va pas, ce qui manque, ce qui fait mal, ça en général on sait tous le faire et il faut parfois le faire, mais il faudrait aussi le faire pour aller arroser les minuscules graines de joie inconditionnelle qui n’attendent que notre attention pour s’épanouir. Alors, ça ne veut pas dire se forcer à être d’un optimiste béat ou se voiler la face, bien au contraire, plus on sait apprécier le minuscule, plus on voit aussi la moindre petite ombre triste de ne pas être prise en compte elle aussi, car la vie est faite d’ombres et de lumière et nous avons à apprendre des deux. Les deux sont nécessaires pour prendre conscience, terme emprunté au latin classique « conscientia », la « connaissance en commun », donc quelque chose qui va au-delà de l’individu, quelque chose que nous partageons et que nous devons chacun alimenter autant que possible, afin que l’humanité dans son ensemble puisse évoluer. Ainsi la simplicité joyeuse et volontaire pourrait s’apparenter à une sorte de travail d’alchimiste : en plongeant dans l’infiniment petit, on dégage les éléments les plus élémentaires du réel et il nous est alors possible de transformer le plomb en or. (…)
La simplicité ce n'est pas seulement faire des choses mais c'est aussi et surtout ÊTRE. Faire autant que possible des choix qui nous permettent d’être plutôt que de paraître et/ou d'avoir (deux redoutables diktats), donc que ce soit sur le plan pratique et matériel ou moral, toujours se poser la question de l'utilité, du sens de ce qu'on l'on fait, de ce que l'on achète, de ce que l'on possède, de ce que l'on pense, de ce que l'on dit. L'utilité d'une façon très vaste et le sens et l'impact des choix que nous faisons, comment nous utilisons notre temps et quelle place nous laissons dans notre vie pour l'essentiel. Ce qui veut dire déterminer déjà qu'est-ce qui est réellement essentiel pour nous et là nous trouverons ce qui est essentiel communément à la plupart des êtres humains et puis ce qui nous est essentiel à nous tout personnellement et particulièrement, et pour déterminer cela il faut se connaître, au-delà de ce que nous avons appris, au-delà de ce que nous pensons devoir être ou faire, au-delà de ce que nous pensons devoir prouver et au-delà des attentes que nous pensons être les nôtres ou celles des autres qui nous entourent et de la société elle-même. Cathy Garcia
Lecture d’un poème de Florent Chamard.
Pour vous procurer ces numéros de « Nouveaux Délits » : ASSOCIATION NOUVEAUX DÉLITS Létou – 46330 St CIRQ-LAPOPIE Le numéro : 6 € + port (1,50 pour la France, 2 pour zone 1 et 2,60 pour zone 2) Abonnement : - 28 € pour 4 numéros ou 54 € pour 8 (France)
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- 34 € pour 4 numéros ou 66€ pour 8 (zone 2)
« Nouveaux délits et les 40 éditos » (mars 2011) : 10 €
Délit buissonnier n°1 (Feu de tout bois de Murièle Modély, illust. Sophie Vissière) : 10 € Adhésion à l’association Nouveaux Délits (non obligatoire) : 10 € *** Christian Saint-Paul revient ensuite sur les publications dirigées par Brigitte Maillard Monde en poésie. Monde en poésie a fait paraître Le cercle de l'aurore de Sylvie Méheut 232 pages, format 11/18, 13 euros ; ce livre a déjà été signalé dans une précédente émission, mais sa forme classique et en même temps parfaitement contemporaine en fait une des publications les plus remarquables de ces dernières années. William Cliff si attaché à la forme classique, ce François Coppée moderne et audacieux devrait aimer ce livre que Saint-Paul voudrait voir concourir l’an prochain aux Jeux floraux à Toulouse. Voici ce qu’en dit Jean Lavoué : « Chacun, nous sommes conviés à cet oratorio intérieur en nous laissant prendre et emporter par ces rythmes secrets, ces sonorités mystérieuses, ces envolées pleines de souffle soutenu et de tendresses partagées (…) C’est un chant de haute sensibilité que nous livre Sylvie Méheut avec ce recueil. Chaque mot y est accueilli avec une attention et une précision inouïes. On se laisse prendre par la houle de cette voix qui nous emporte ..." Lecture d’extraits. *** Monde en poésie éditions a fait paraître : Un monde de rosée de René Le Corre préface Pierre Tanguy, postface René Peron 130 pages format 11/18, 12€.
« Son écriture – à la manière de Philippe Jaccottet – mêle à la fois sensations vécues et méditations philosophiques, dans une prose que l’on peut qualifier de poétique. « Je suis toujours saisi d’un sentiment de secret, de quelque chose qui nous a échappé et que nous ne pouvons retrouver et qui est pourtant à portée de main ». Terrible et fascinant mystère de l’existence que l’auteur nous aide à sonder. Mais sa voix, nous dit-il, c’est « ma voix avec tous, plus pure quand elle va vers l’effacement (…) dans la dépossession de l’amour et de l’inconnaissance ». Oui, parole de sage, écrit Pierre Tanguy. René Le Corre est né en 1923 à Pouldreuzic. Il est à la fois philosophe et poète. Il se dit « écrivant » plutôt qu’écrivain. René Le Corre est homme d’expériences. Il contemple le monde comme une infinie merveille. Mais l’horreur n’est jamais loin. Celle de la fin, du retour à la poussière car « il y a une chute du temps pour chacun ». Pourtant, « L’hiver sera beau ». L’amertume qui se dégage de ses poèmes et de ses proses naît de savoir qu’il va bien falloir abandonner la merveille. Même si « le temps est venu » l’écriture nous plonge dans l’essentiel, la merveille, qui prend la forme du colchique ou d’une musique de viole. La simplicité de la langue de René Le Corre, pour une pensée où le fugace ramène toujours à une interrogation métaphysique, façonne sa parole d’une beauté proche, familière. Nous aimons le suivre dans sa célébration de la vie.
Lecture d’extraits. Le vieux temps effiloché s’en va. Le vent court sur la terre retournée. Premières fleurs sur les talus. Grèbes et harles s’aventurent près des bords et pêcheurs se hâtent au présent. Tu reviens, de quelle nuit ? Et quelles bourrasques encore nous guettent, en ces temps incertains ? La rose des vents ne résout pas l’énigme du sens. *** Enfin, c’est un roman qui est cité, le premier écrit en français d’Andrea Genovese : Dans l'Utérus du volcan aux éditions Maurice Nadeau 228 pages, 19 €.
Écrivain italien, Andrea Genovese (né en 1937 à Messine en Sicile), vit en France depuis 1981. Il définit sa vie comme une Odyssée minime (titre de son premier recueil de poèmes), mais trois romans autobiographiques publiés en Italie nous en révèlent, de 1945 à 1960, à peine une partie. Poète, romancier, dramaturge, critique littéraire, d’art et de théâtre, il édite Belvédère, un webzine on line entièrement écrite par lui, hors norme et sans tabous. En français il a écrit des recueils de poèmes et des textes de théâtre joués à Lyon. Belvédère est en ligne également sur le site les-poetes.fr à la rubrique « Parutions ».
Vanni, écrivain italien résident en France, revient dans sa Sicile natale avec sa femme lyonnaise pour recevoir un Prix de poésie chrétienne richement doté et décerné par un ponte de la Mafia. Sous l’influence de l’Etna toujours prêt à s’enflammer, l’apparition de la pulpeuse Lilina va provoquer l’éruption des sens du poète et mettre à mal l’équilibre du couple. Dans une ambiance de polar, qui peut faire penser à l’écrivain sicilien Leonardo Sciascia, l’auteur nous entraîne, sous la violence d’un été torride, des Îles Éoliennes à l’Etna, dans l’agonie d’un monde refermé sur lui-même. Nostalgie, sensualité effrénée, mythologie, l’écriture éclate comme une éruption volcanique.
EXTRAIT : Un immense tapis de coquelicots se présenta inattendu, courant à perte de vue vers l’horizon haché par un ravin. Ses yeux avaient suivi comme dans une séquence cinématographique la palette de couleur fauve, presque au ras du sol, et c’est seulement quand son regard trouva la fracture du ravin qu’il reçut le choc de la masse gigantesque, pyramidale et absurde de l’Etna. Le volcan était si imposant, si nettement scandé et si minutieusement inscrit dans l’azur du ciel, avec son cratère central voilé de nuages, que Vanni ne comprenait pas comment il s’était imprimé en dernier dans sa rétine. C’était grandiose et écœurant. Effrayant, d’une certaine façon. Il le voyait comme un dieu descendu sur terre. Planté sur sa vaste base de lave, en juge, en justicier. En despote. Superbe, méprisant. Refusant toute identification, toute réduction à une échelle humaine. Pas de compromis, pas de ridicules comparaisons. Je suis et je demeure, au-delà de ton regard de petite fourmi, disait le volcan. Et cependant... Être fils de l’Etna, c’était monstrueux, c’était outrancier. Même pour un Sicilien, qui avait une conception cyclopéenne de la vie et portait en dot dès sa naissance la damnation d’un œil unique, démesuré et terrifiant comme un cratère. De là, de ce vagin de l’absurde, venait la pâte qui l’avait pétri, modelé et projeté dans la fiction théâtrale qu’était sa vie. Il était fils de l’Etna, donc il ne pouvait en aucune manière se soustraire à cette contrainte existentielle. C’est pourquoi, il ne pouvait pas se soustraire non plus à la rancune ancestrale qui l’incitait à s’affronter aux dieux. Tout Sicilien naît en état de guerre.
Angèle Paoli en fait ainsi une critique de ce roman dans la revue TERRES DE FEMMES dont voici un extrait : Renouer avec l’île des origines n’est pas une mince affaire. Pour Vanni, émigré sicilien, le retour à Messine, sa ville natale, semble, même si c’est pour quelques jours, une épreuve qui l’entraîne, par-delà ses forces, dans un univers qu’il croyait ne plus jamais être sien. Revenir sur ses pas, sur les lieux de l’enfance, n’est pas aventure innocente, surtout si la terre originelle a quelque chose à voir avec le volcan. Car c’est lui, le volcan, ce « monstre » hostile, « sphinx indécryptable », qui draine depuis toujours les affects des enfants issus de ses entrailles. Le volcan, c’est l’Etna millénaire. Le Mongibel des Arabes. « Masse pyramidale et absurde » qui souffle à Vanni un refrain oublié dans les replis de sa mémoire : Di Muncibeddru figghi semu (« Nous sommes fils de Mongibel »). L’Etna, c’est cet utérus gigantesque qui éjecte au cours de ses éruptions tous ceux qui sont nés de ses mythes et qui s’en repaissent. Ou qui, au contraire, s’évertuent à s’en défaire, à trancher net les tentacules. Violences incontrôlées, passions poussées jusqu’à l’extrême, Éros et Thanatos fusionnant dans ses laves. Nul ne ressort indemne des coulées qu’il vomit hors de son effroyable vulve. Ainsi autour de Vanni, débarquant avec Louise, sa jolie épouse, Lyonnaise élégante raisonnable et quelque peu « frigide » — un reproche que lui adresse son mari —, se met en place toute une série d’actes et de rencontres. Lesquels se fomentent et se forgent dans le roman de l’écrivain et poète sicilien Andrea Genovese : Dans l’utérus du volcan. L’action première se noue à partir de Vanni, lauréat du Grand Prix de poésie chrétienne Gaetano Ferrella et invité d’honneur de la cérémonie qui va se dérouler dans les ruines majestueuses du théâtre gréco-romain des alentours. D’origine messinoise et vivant lui aussi . Lyon, Andrea Genovese signe là son premier roman écrit directement en langue française et enlève avec lui son lecteur médusé d’être d’emblée embarqué en plein cœur du violent et puissant engrenage de la cosca, le clan mafieux.
Ce livre fera l’objet d’une émission particulière avec l’auteur et sera présenté à Toulouse Jeudi 26 avril à 18h30 à la Librairie Floury 36 rue de la Colombette . Les intervenants seront : Andrea Genovese, poète, romancier, dramaturge, critique d’art et de littérature Pascal Papini, directeur du Conservatoire d’Art Dramatique et du Théâtre Julien Christian Saint-Paul, poète, animateur littéraire à Radio Occitania François Pic, Université Toulouse Jean-Jaurès ***
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29/03/2018
Casimir PRAT
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Christian Saint-Paul reçoit Casimir Prat. Ce poète, né en 1955 qui vit à Toulouse, se fait remarquer par ses poèmes publiés sous le titre « Herbier » en 1980, dans la revue Vagabondages qui avait alors une large diffusion. Henri Heurtebise, en 1983, publie son premier recueil dans la revue Multiples « L’horreur ou la merveille » avec un avant-propos de Francis Ponge. Il multiplie ensuite les publications jusqu’en 2005, est lauréat en 1989 du prix Antonin Artaud pour « Elles habitent le soir » (éditions de l’Arbre 1988), du prix Max-Pol Fouchet en 1995 pour « Tout est cendre » (éditions le Dé Bleu) et ses poèmes de 1995 à 2004 sont repris sous le titre « Sait-on jamais » par les éditions Gallimard, collection L’Arpenteur, avec une préface de Guy Goffette, en 2005.
Depuis cette date, aucun nouveau
livre de Casimir Prat n’a encore paru. Un manuscrit se prépare dont il
donne lecture de quelques extraits à la fin de l’émission. Mais c’est un homme exalté par l’actualité qui répond, considérant comme primordial les messages de soutien qu’il peut lancer au micro, sur deux sujets qui le hantent. La passion quand elle rejoint le devoir citoyen, doit s’exprimer. Et Casimir Prat s’exprime. Il explique qu’à Toulouse, le collège Bellefontaine a perdu son classement dans la catégorie des ZEP. Que les enseignants qui ont contesté cette décision ont été lourdement sanctionnés par leur hiérarchie. Qu’en protestation de la démesure de la sanction et dans une volonté de vérité et de justice, une enseignante du collège Bellefontaine, Laure Betbeder, a entrepris, se faisant l’écho de l’ensemble de ses collègues sanctionnés, une grève de la faim depuis 15 jours, devant les nouveaux locaux du Rectorat de l’Académie de Toulouse. Les poètes Serges Pey et Yves Charnet ont manifesté leur soutien à la gréviste. Casimir Prat s’associe à cette démarche et salue à l’antenne Laure Betbeder, en souhaitant qu’une solution intervienne rapidement, la santé de l’enseignante étant en péril. Casimir Prat clame ensuite son soutien au peuple grec. Il s’insurge sur le sort que subit, de la part des décideurs européens, la Grèce, pays fondateur de la démocratie et de la pensée occidentale. Il rappelle que les poètes grecs ont nourri la poésie française. Il dit son attachement à la poésie contemporaine grecque, l’éblouissement qu’il ressent à la lecture des poème de Yannis Ritsos. La France, exhorte Casmir Prat, doit retrouver dans ce combat l’image de défense de la liberté, qu’elle a toujours eue. En réalité, explique Casimir Prat, il s’identifie au peuple grec, en raison de ses origines. Il est fils de réfugiés de la République espagnole. Ses parents ont été séparés à la frontière et dirigés dans des camps d’internement différents. Son père, pour rejoindre sa mère, s’est évadé du camp d’Argelès. Il y a une similitude dans la souffrance que connut le peuple espagnol et celle que subit aujourd’hui le peuple grec. Casimir Prat, après ce long préambule, évoque ses publications. Année après année, il commente chaque libre publié. « S’éloigner de la flamme » (édition L’Arrière Pays 1993; A Chemise ouverte 1999) a été préfacée par Gaston Puel, une des grandes figures de la poésie, qui a vécu en accord avec lui-même, nous dit Casimir Prat, sans compromission avec le milieu imprévisible de la poésie contemporaine. Il est heureux d’annoncer que la revue du Tarn va bientôt faire paraître un numéro spécialement consacré à Gaston Puel. C’est Jean Malrieu qui, dès qu’il l’a lu, lui a donné envie d’écrire de la poésie. Pourtant, à la fin des années quatre-vingt-dix, ses livres étaient introuvables. Aujourd’hui, il serait urgent qu’un éditeur reprenne son œuvre dans une édition de grande diffusion. La poésie, pour Casimir Prat, est une sorte de consolation, un des chemins de la réappropriation du langage. Il faut laver les mots de tous les jours et les utiliser de façon qu’ils provoquent un étonnement. C’est d’ailleurs l’étonnement, cher à la poésie, et qui met l’intelligence en éveil, qui est commun avec l’engouement de la philosophie. Poésie et philosophie, l’une et l’autre, ont pour vocation d’aider l’homme à mieux vivre sa condition humaine.
Interrogé sur ce qu’il était advenu
de son travail de poète de 2005 à 2015, Casimir Prat explique que « le
poète, ça n’existe pas. Il est comme tout un chacun, il travaille » à
gagner sa pitance. Ecrire n’est rien, être dans la situation d’écrire,
voilà la difficulté. Pendant longtemps, Casimir Prat, libraire à la
FNAC, chargé de famille, n’a pu trouver cette disponibilité. Il cite le
regretté Pierre-Autin
Grenier qui confiait à son
épouse le soin de subvenir aux besoins du ménage. Comme Charles Juilet à
ses débuts. La vie triviale empêche ce travail qui exige un vrai retour
sur soi, une concentration absolue. Il cite le cas d’un auteur qui
imposait un silence total à sa femme toute la matinée, pour ne pas le
divertir dans sa tâche d’écrire. L’idée peut disparaître comme une bulle
de savon. Ce travail de poète requiert un effacement des obligations
ordinaires. Casimir Prat avoue beaucoup aimer son travail de libraire.
Il a écrit la plupart de ses livres la nuit, dans un silence propice.
Yves Heurté, lui aussi, médecin, écrivait la nuit dans la chambre, pour
ne pas s’éloigner de son épouse, dont il disait qu’ainsi, elle le
connaissait surtout de dos. La plupart des poètes sont des enseignants,
souvent universitaires. C’est normal, car ils ont déjà l’accès à la
culture, et des vacances privilégiées. Mais certains exercent des
métiers sans aucun lien avec l’écrit. Pierre Gabriel,
très cher à Casimir Prat, dirigeait une distillerie d’Armagnac. Pierre Boujut
fabriquait des tonneaux pour le cognac. Lecture d’extraits de « Vers la nuit » (à Pierre Gabriel) ; « Au moment de partir », « Sait-on jamais ». EN ATTENDANT Avec son index, il traça un cercle sur la poussière de la table, puis un autre, plus petit, à côté. Un œil, plus loin, en haut. Une étoile. Des branches. Il écrivit l'heure aussi. Et signa. Rajouta quelque chose, que je n'ai pas pu déchiffrer - peut-être à propos des longues jambes du lierre qui pendaient devant la fenêtre et de leurs reflets jaunes qui se mêlaient tristement dans la pénombre du couloir ? Ou de l'immortalité frémissante du rayon de soleil au fond d'un tiroir laissé grand ouvert. * Lecture d’inédits.
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22/03/2018
Frank BARDOU
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15/03/2018
Bruno DUROCHER
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08/03/2018
Michel HOST
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01/03/2018
Margo OHAYON
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22/02/2018
BRETAGNE SAINT-PAUL
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15/02/2018
Marianne MOORE
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Christian Saint-Paul présente plusieurs publications récentes de poésie :
1 ) Serge Pey
Flamenco. Les Souliers de La Joselito Voici la présentation de l’éditeur : Serge Pey est né en 1950 dans une famille ouvrière du quartier de la cité de l’Hers à Toulouse. Enfant de l’immigration et de la guerre civile espagnole, son adolescence libertaire fut traversée par la lutte antifranquiste et les mouvements révolutionnaires qui secouèrent la planète. Militant contre la guerre du Viêt-Nam, il participa activement aux événements de mai et juin 1968. Parallèlement à son engagement politique, il découvrit très tôt la poésie et les voix de fondation qui transformèrent sa vie. De Lorca à Whitman, de Machado à Rimbaud, de Villon à Baudelaire, de Yannis Rítsos à Elytis, d’Alfred Jarry à Tristan Tzara, des troubadours à Antonin Artaud, des poésies chamaniques à celle des poésies visuelles et dadaïstes… Il commence alors la traversée d’une histoire de la poésie contre la dominance française des écritures de son époque. C’est au début des années soixante-dix que Serge Pey inaugure son travail de poésie d’action et expérimente, dans toutes ses formes, l’espace oral de la poésie. En 1975 il fonde Émeute puis, en 1981, les éditions Tribu. Coopérative d’édition à la distribution nomade, Tribu a publié sous sa direction des auteurs comme Bernard Manciet, Jean-Luc Parant, Gaston Puel, Rafaël Alberti, Dominique Pham Cong Thien, le Sixième Dalaï Lama, Allen Ginsberg, Ernesto Cardenal, Armand Gatti… Il fut l’éditeur de Jaroslav Seifert, prix Nobel de littérature en 1984. Dans Les Funambules de Prague, réalisé avec son ami Karel Bartocek, il donna à lire en France des auteurs comme le philosophe Karel Kosik ou Vaclav Havel. Maître de conférences à l’université de Toulouse-Le Mirail, Serge Pey dirige le séminaire de poésie d'action du CIAM. Créateur de situations, il rédige ses textes sur des bâtons avec lesquels il réalise ses scansions, ses performances et les rituels de ses installations. Poète de la rupture des frontières de l’art, plasticien, théoricien et critique, il explore les phénomènes de ritualisation du langage dans la pratique orale du poème. La note de lecture de MICHEL MÉNACHÉ : Enfant des désastres de la guerre civile espagnole, chantre des insurgés, héritier de la poésie de Lorca et de Rafael Alberti, dans la proximité du théâtre de la Cuadra de Sevilla (Andalucia Amarga), Serge Pey consacre à la Joselito, « sorcière noire de la danse noire » un grand poème narratif aux fulgurances rythmées des pieds et des mains, une célébration enflammée du flamenco… Dans une lettre-hommage à son maître d’espagnol, Martin Elizondo, ayant éveillé les enfants de réfugiés à la poésie et au théâtre, il venge cet « oublié central de l’inauguration du Théâtre National de Toulouse », bâti sur l’emplacement même du CEG Maurice-Fontvieille où il avait conduit l’initiation à la langue et à la culture hispaniques. Un premier ensemble intitulé Les Aiguiseurs de couteaux (los afiladores) est écrit à l’occasion des obsèques de la Joselito à l’église St-Sernin de Toulouse, avant son enterrement à Béziers, en 1998. Danseuse dès l’âge de cinq ans, « voleuse de pas », Carmen Ascensio, devient la Joselito, du nom masculin du célèbre torero tué par le taureau Bailaor (le « danseur »). Le destin de la danseuse s’inscrit dans une trinité symbolique forte : el Joselito, Gomez « el Gallo » lui transmet son nom comme un pouvoir avant d’être tué par le taureau danseur, lui-même tué dans le combat. « Réincarnation de deux morts », elle est mariée à un autre Gomez, « Relampago », son guitariste : « elle fut mariée une seule fois avec deux hommes dont elle portait le nom en même temps. » À la mort du second, « Relampago », elle rejoint le guitariste flamenco Pedro Soler à Toulouse qui l’accompagnera jusqu’à sa mort et sera présent à ses obsèques : « le guitariste écoute la morte / qui danse / à l’intérieur du cercueil / comme un tambour. » Coplas infinies pour les hommes-taureaux du dimanche est dédié à Jean-Marie Binoche qui inventa des centaines de masques de taureaux pour les prisonniers du pénitencier de Carabanchel. Une corrida avait été organisée à l’intérieur de la prison en 1992. Le mythe des hommes-taureaux irrigue le recueil : « Faites-moi de l’air disait Dieu couché sur la deuxième planche de la cellule […] Dieu s’attachait des masques pour moissonner les morts. » Le poète, aficionado, célèbre les grandes figures du flamenco. Dans un poème dédié à Isabel Soler, le thème du flamenco « comme un poème debout » contre « le feu noir » de la mort est magnifiquement suggéré : « Il faisait froid / et la danseuse chaussait / des oiseaux dans ses souliers / pour donner la vie à vivre / et la mort à mourir. » Outre les Photos de la voix pour cinquante cantaors, l’ouvrage s’achève sur un entretien très éclairant du poète avec Ramiro Oviedo : « Avec le flamenco, les poètes ont en commun la terre et les pieds. Mouvement de pied mental sur la page du ciel. » Une poétique du débordement en cataracte d’images paradoxales, d’où jaillit comme un rituel le chant profond, « l’incendie de l’âme » à voix nue… Une émission sera consacrée ultérieurement à ce poète qui vit à Toulouse. 2 ) Les mots de la lune ronde de Michel Cosem Avant-propos de Jacqueline Saint-Jean. éditions L’Harmattan collection témoignages poétiques 100 pages, 13 €. Chaque prose capte ici un lieu, un instant, saisis dans leur vérité et leur mystère. Une attention bienveillante et songeuse recrée chaque microcosme, par le prisme des sensations vives, la saisie de détails justes, la focalisation finale sur un gros plan écrit Jacqueline Saint-Jean dans son avant-propos. Michel Cosem est originaire du sud de la France. Il a fait ses études supérieures à Toulouse. Il écrit des romans et des poèmes depuis toujours. Il a publié de nombreux ouvrages (romans, poèmes, anthologies) et consacre sa vie à l’écriture, aux voyages, à la lecture et aux rencontres avec ses lecteurs un peu partout en France et à l’étranger. Lecture d’extraits. 3 ) Dialogues d’outre nuages de Simone Alié-Daram poésie, 40 pages, 12 €, Copy Media , à commander par courriel à : daramalie@free.fr Simone Alié-Daram, médecin, s'est illustrée dans les avancées de l'immunohématologie. Membre d'académies scientifiques, elle est aussi Maître es-jeux de l'Académie des Jeux Floraux de Toulouse. Son humanité à fleur de peau s'est exprimée dans la parole poétique par la publication de recueils : Écritures, Émoti'icones, Effluves, Des Ephélides plein les poches, Ellipsoïdes, Paradis ébouriffés et Passions effleurées. Des poèmes comme d'incessants soliloques sur ce qui captive son regard et son âme. Une poésie passée au tamis des sentiments violents qui emporteraient les passions dans les marécages de la conscience humaine, mais une poésie vivante, terriblement vivifiante et claire ! Après « Syllabes » qui constituait le n° 450 d’Encres Vives (le n° 6,10 €, abonnement 34 € à adresser à Michel Cosem, 11, allée des Allobroges 31770 Colomiers), Simone Alié-Daram avait fait paraître « Désinvolte Eros » Poésie , Copy Media, 10 € à commander par mail : daramalie@free.fr Dans l’émission qui lui a été consacrée ensuite le 20 juillet 2017, et que l’on peut écouter sur ce site (http://les-poetes.fr/son/2017/170720.wma) elle répond à la phrase de Hölderlin : « Qui marche sur sa détresse grandit ». Acquiesçant à la formule d’Hölderlin, Simone Alié-Daram ajoute : « Si tu la piétines, elle n’existe plus. Comme tout ce que j’écris, en ce qui me concerne, disparaît de mon esprit parce que c’est écrit. L’écriture est une catharsis. Il y a un autre phénomène, c’est la création artistique et celle-ci ne vise pas celui qui crée, mais l’autre, le lecteur. C’est aussi un partage. Il existe trois façons de visiter un écrit : celui qui l’écrit, celui qui le lit tout bas et celui qui le lit tout haut. Cela fait trois créations. On peut lire un texte en y voyant un sens personnel qui n’est pas du tout une trahison de l’auteur. C’est l’énorme différence avec la prose où le sens est univoque. La poésie invite le lecteur à une création nouvelle. Cela explique en partie la fascination qu’exerce toujours la poésie. Dans les deux derniers de mes recueils, dit-elle, il y a le deuil.
« Dialogues d’outre nuages » est un suivi d’un deuil familial, mais le livre est séparé en trois parties : le deuil pendant, le deuil un an plus tard et la reconstruction.
Ces parties tissent un historique du deuil :
« Tôt » « Tard » « Toujours ». Les poèmes sont souvent de petits flashs. Ces textes sont emblématiques de la posture du poète. Une lucidité paralysante, car la réalité se révèle dans sa noirceur et le regard qui finit par se poser au-dessus, vers ces nuages d’outre tombe.
« Les merveilleux nuages » fascinent Simone Alié-Daram.
4 ) Anne Mounic, Tout l’à-propos de ces merveilles. Encres Vives, 2017 , 6,10 €, à commander à Michel Cosem, 2 allée des Allobroges, 31770 Colomiers. Abonnement 34 €.
Née en 1955, Anne Mounic est l’auteur d’une œuvre poétique, romanesque et critique. Elle a également traduit quelques poètes anglo-saxons, tels que Robert Graves, Stevie Smith ou Vincent O’Sullivan. Elle collabore à plusieurs revues, dont Europe. Elle est elle-même co-rédactrice de Temporel, http://temporel.fr, revue littéraire et artistique en ligne. Peintre et graveur, elle expose régulièrement depuis 1980, en groupe, individuellement ou avec son époux, Guy Braun. http://atelier.guyanne.free.fr Elle est maître de conférences à Paris 3 Sorbonne nouvelle. Anne Mounic vit en Ile-de-France. Elle publie poèmes, récits poétiques et ouvrages critiques. Certains de ses ouvrages ont été primés. Sa recherche est axée sur les liens entre mythe et poésie. Elle s’intéresse à des auteurs de langue anglaise ou française. Elle a participé quelque temps activement au Printemps des Poètes en tant que conseillère municipale et co-responsable de la bibliothèque communale. Responsable de la revue Peut-être, revue annuelle de l’Association des Amis de l’œuvre de Claude Vigée. Anne Mounic a publié aux éditions Feuilles en 2014 un recueil de quatre novellas intitulé Le Dit du corbeau. A paru en 2015 aux éditions Honoré Champion son étude écrite sous l'impulsion d'Encres Vives : L'Inerte ou l'exquis : Pensée poétique, pensée du singulier. Son catalogue poétique est paru en 2014 : Bleu singulier : Nocturnes et autres résonances (Atelier GuyAnne). L'Atelier GuyAnne inaugure en janvier 2015 sa collection "Le singulier dans l'instant" avec un recueil agrémenté de dessins : Mais au jardin d'Eden on ne cesse d'entrer.
Lecture d’extraits.
jours de lumière
Septembre – nous nous tenons en équilibre entre les derniers rayons du soleil, les tissant, les nouant sur nos épaules afin de nous vêtir encore des tenues légères de l’été tant regretté...
Eté de la liberté, des splendeurs et des enchantements, été des couleurs franches, gorgées de vie et de bonheur. Les minutes se dispensent généreusement sans butées de contrainte, sans obstacles aux échappées, sans réserve. On se blottit dans la chaleur, tout délesté des pesanteurs, lié seulement à la source qui, au fond de soi, irrigue la belle éclosion des jours de lumière –
alliance féconde du feu et de l’eau.
* utopie qui respire
La paix vaste et féconde, synonyme de plénitude, s’atteint sur l’axe vertical de l’utopie qui respire, puisant comme un arbre en nous son souffle, sa sève, tandis que s’étire le fleuve, lisse sous le soleil et apprivoisant le ciel sur le défi de sa lenteur. Durant les dernières journées de l’été, il faut savoir rassembler les raisons cachées de la joie – l’infatigable énergie où s’enracine l’arbre du souffle.
Anne Mounic, Tout l’à-propos de ces merveilles. Colomiers : Encres Vives, 2017
5 ) La voix levée, Léon Bralda Editions Alcyone, (Collection Surya) 65 pages, 17 €. Les textes sont accompagnés de la reproduction de huit gravures et estampes infographiques de Lionel Balard.
Léon BRALDA est né à Béziers en 1963. Agrégé d’Arts Plastiques et Docteur en Esthétique et Sciences de l’Art, il est enseignant à l’Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education, à Clermont-Ferrand.
Il est des saisons qui durent à jamais dans l’enchevêtrement des désirs et des rêves… des saisons qui reviennent inexorablement aux lèvres du poète. La voix levée : un chant qui porte au sud, en terre-mère, en ce lieu où l’enfance a frayé. Parmi les vignes et les vergers, au pied des grands immeubles, l’enfant fait cicatrice de tout ce qui advient et le poète, dédiant ce recueil à sa fille, écrit :
" Je garde en moi cette voie souveraine où les tours ont gravi l’ombre du souvenir, où les passants ont un front noir pour parler au matin. Noir ! Comme pour enfanter l’orage derrière la saison chaude. Le ciel aura conquis ses myriades de plumes avec du vent offert à la rumeur du monde. (…) J’aime l’instable mélopée des tentures de lin et de coton tissés, leur âme jaune prenant dans le dénie des murs chaulés, assommés de lumière et de mélancolie, le froissement discret des vitres qui donnait l’heure aux chats quand la faim appelait…
Ma fille, c’est cela-même qui construit les pontons au large de ma mémoire, avec du feu et de la pierre, de l’eau et des paupières rivées à la saison des plaies. "
Lecture d’extraits de La voix levée. ***
L’émission est ensuite centrée sur l’œuvre de : Marianne Moore (1887 - 1972).
Marianne Moore (1887-1972), " poète des poètes " parmi la génération des modernes américains, éditrice du magazine " The Dial " pendant des années, récompensée par les prix les plus prestigieux, n'avait jamais fait l'objet d'une traduction en France, à l'exception de quelques poèmes en revue et d'un choix chez Seghers en 1964.
Selon Marianne Moore, la poésie se doit de créer " une place pour l'authentique ", qui ne peut se trouver que dans le monde et non dans l'individu. Raison pour laquelle, le public, habitué à une poésie plus directement accessible parce que personnelle et intimiste, a pu être durablement dérouté par cette écriture toute en technique, en intellectualisme et en esprit, dont le " fini " fascinait ses pairs. Moore entend pousser le lecteur à accepter la relation entre grand et petit, entre animé et inanimé, entre idéal et objet. Dans la lignée de Pound et Eliot, elle fait de l'art avec de l'art, que ce soit à partir d'objets rares et précieux, de gravures ou de miniatures, d'animaux étranges ou fabuleux. Elle a recours à des rapprochements en apparence incongrus et qui pourtant, par le subterfuge de son écriture, s'imposent comme une évidence. L'introduction d'un humour vivace et éclairé contribue à l'équilibre précaire du poème moorien qui menace à tout moment de s'effondrer et qui, au contraire, affiche une miraculeuse solidité, à la manière de l'improbable pont suspendu de Brooklyn... Etudiante, Marianne Moore présentait la création poétique comme l'art de créer des " hiboux imaginaires dans des forêts imaginaires ". Quelques années plus tard, et l'évolution est significative et instructive, elle concevra la poésie comme un « jardin imaginaire avec de vrais crapauds dedans ».
Voici ce qu’en écrit Ritta Baddoura :
« À l’exception de quelques poèmes en revue et d’un choix paru chez Seghers en 1964, l’œuvre de Marianne Moore ne fut pas introduite en France avant l’intégrale de sa poésie parue chez José Corti, traduite et éditée par Thierry Gillybœuf. Ce dernier présente une traduction intéressante et une postface foisonnant de notes, d’explications, d’anecdotes ; un ouvrage qui rend hommage à Moore tout en relevant les parts moins brillantes de son parcours comme par exemple sa réticence à publier des extraits du Finnegans Wake de Joyce. Face aux reproches faits à la poésie moorienne en termes de « sécheresse mathématique », Gillybœuf oppose l’argument d’une symétrie pentamère comme les échinodermes, ou spiralée comme le scalaire. Il invoque une poésie essentiellement visuelle, empreinte d’humour et caractérisée par une musicalité étonnante là où la syllabe donne la mesure et non le mètre. « Une pieuvre de glace. Trompeusement réservée et plate/ elle est couchée “en grandeur et en masse”/ sous une mer de dunes de neige changeantes/ des points rouge cyclamen et marron sur ses pseudopodes, clairement dessinés/ faits de verre qui ploiera – une invention bien nécessaire/ comprenant vingt-huit calottes de glace de cinquante à cinq cents pieds d’épaisseur/ d’une délicatesse inimaginée/ (…) Une antilope spéciale/ acclimatée aux “grottes d’où jaillissent des plumées pénétrantes/ qui vous font vous demander pourquoi vous êtes venus”/ (…) le soleil embrasant ses épaules à la chaleur maximale comme de l’acétylène, les teignant en blanc (…) distinguée par une beauté/ dont “le visiteur n’ose jamais totalement parler chez lui/ de peur d’être lapidé comme un imposteur”/ (…) la pieuvre vitreuse symétriquement pointue/ ses pattes coupées par l’avalanche/ avec un bruit pareil à la détonation d’un fusil/ dans un rideau de neige poudreuse lancé comme une cascade. »
La poésie de Marianne Moore est certes visuelle, mais pas seulement. Elle jouit éminemment d’un sens tactile poussé célébrant les textures, les enveloppes et les humeurs des surfaces. Son épopée se nourrit de la rencontre du minéral et de l’animal, du poli figé glacé et du mouvant humide tiède. Marianne Moore, sous sa cape rêche, adore les émeraudes et les rubis, les bibelots ciselés aux formes de créatures fabuleuses. Elle palpite aussi pour les mangoustes, les pieuvres, les licornes. Ses préoccupations existentielles font se côtoyer ses contemporains et les Grecs antiques. Ses poèmes architecturaux allient le squelette syntaxique à la subtilité de visions du merveilleux. Dessous les évocations insolites affublées de cadres compliqués imposants, dessous le tricorne de Marianne, une volupté intellectualisée se profile et un langage sexuel reste à découvrir. Dessus, elle raconte, énumère, se moque, critique, inventorie, décrit, contemple, et cela donne au final un poème, évidemment étrange et singulièrement libéré des préjugés littéraires. »
« (…) Mais nous prouvons, nous n’expliquons pas notre naissance. »
Lecture d’extraits de Marianne Moore, Poésie complète , Licornes et sabliers édité et traduit par Thierry Gillyboeuf , José Corti éditeur, 407 pages, 24 €. |
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08/02/2018
Jean-Michel TARTAYRE
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01/02/2018
Hervé TERRAL devant le trou de Bozouls
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Christian Saint-Paul signale la parution de « À l'éveil du jour » de Brigitte Maillard, éditions Monde en poésie, 130 pages, 12 €. A l'éveil du jour de Brigitte Maillard est publié dans un agréable format poche dans la collection «L'écriture du poète». Brigitte Maillard, auteur interprète, vit sur la côte sud du Finistère. Elle a publié deux précédents ouvrages de poésie : La simple évidence de la beauté (Atlantica) et Soleil, vivant soleil, préfacé par Michel Cazenave (Librairie Galerie Racine). Elle livre dans ce récit une expérience humaine, son expérience, qui l'a menée, pas à pas dans un parcours douloureux, de la maladie à la «vraie vie» et à la force vivifiante de la poésie. Un témoignage intime du retour à la vie qui a valeur universelle. Prose et poésie, ponctuées de citations puisées dans les lectures qui la ressourcent (Novalis, Tagore, Apollinaire, Char, Guillevic, Cheng...), cheminent ensemble et transcendent les limites génériques du récit. C’est la relation poétique d’une expérience humaine vécue comme un appel à la « vraie vie » pour que naisse le jour. Une aventure en poésie qui conduit l’auteur aux portes du silence. Ce récit témoigne par la douleur et la joie de cette clarté vibrante qui nous entoure. Une vie dont nous sommes avant tout le vivant poème. Brigitte Maillard auteur interprète raconte son combat contre un cancer du sein, puis une leucémie. Un témoignage intime du retour à la vie. "Un appel à laisser tomber les masques, les histoires figées de nos vies humaines. Un appel à vivre la beauté". Lecture d’extraits. Le regard intérieur met en route un nouveau ressenti. Est-ce folie ? Non, tout cela est surtout beaucoup plus grand que nous. L’émission « les poètes » reviendra sur ce livre et sur cette auteure. *** Christian Saint-Paul reçoit Hervé TERRAL qui vient parler de son dernier livre : « L’Occitanie en 48 mots » aux éditions IEO, 218 pages, 14 €. Professeur émérite de sociologie à l'université Jean Jaurès de Toulouse, il a publié plusieurs ouvrages sur la culture occitane, dont La langue d'oc devant l'école, aux éditions IEO et Figures(s) de l'Occitanie. XIXe-XXe siècles. Voici ce qu’écrit l’éditeur : 48 mots choisis pour, du néophyte curieux au militant, avoir plus qu'un aperçu des différents aspects de la langue et de la culture occitanes, qui font ce socle commun sans lequel il n'y a point de débat. 48 mots, comme autant d'entrées dans la pensée et les enjeux de la langue et de la culture occitanes. Pour mieux (se) comprendre et se connaître. Pour tous. 48 mots. Savant ou léger, sérieux, ironique ou caustique, Hervé Terral dresse, sans en avoir l'air, un état des lieux de la culture occitane, de ses aspirations et de ses contradictions, qu'il nous fait partager avec talent. Et voici l’excellent article rédigé par Colette Milhé, « Hervé Terral, L’Occitanie en 48 mots », Lectures dans http://journals.openedition.org/lectures/14805 : « Hervé Terral, sociologue de l’éducation à l’université Toulouse le Mirail, est l’auteur de plusieurs livres touchant aux questions occitanes. Il propose dans cet ouvrage de « faire mieux connaître la civilisation d’oc, celle d’hier, celle d’aujourd’hui, au lecteur quel qu’il soit » (p. 11), du simple curieux au militant convaincu. Pour ce faire, il a choisi la forme du dictionnaire puisque le livre rassemble 48 articles (en fait 49), rangés dans l’ordre alphabétique. Cette forme autorise donc plusieurs types de lecture, linéaire ou entrée par mots. L’auteur n’indique pas ce qui a présidé au choix de ces mots-là. On peut cependant les classer sommairement en quelques grandes catégories : « art de vivre » (gastronomie, chants populaires, jeux traditionnels, taureaux…), religion (protestants, juifs, croisades…), histoire, fêtes, arts (littérature, chanson, arts visuels…), « mythologie occitane » (Cathares, Montségur, paratge…), militantisme occitaniste… L’auteur définit ainsi le terme : « Paratge dérive de par, égal : les hommes sont égaux. Terral recourt pour l’essentiel à des sources bibliographiques diverses (littéraires, historiques, militantes…) et construit ses articles de différentes manières. Il peut par exemple se placer dans une perspective historique, situant des phénomènes (le catharisme, les troubadours…) puis exposant les appropriations symboliques postérieures qui en sont faites. Ainsi, écrit-il : « Aujourd’hui les cathares sont partout… et nulle part, puisqu’ils ont été exterminés entre le XIIe et le XIIIe siècle ! » (p.46). Dans certaines entrées, l’auteur « cerne » le mot par une succession de citations. Dans un autre registre, il liste des personnages (musiciens, cinéastes, peintres, savants, hommes politiques…) nés en Occitanie. Dans ce livre érudit, dont le style fluide rend toutefois la lecture accessible, l’auteur évite un écueil de taille par rapport à son ambition scientifique : écrire un ouvrage militant. S’il connaît parfaitement l’histoire du militantisme, des félibres (Mouvement né en 1854, pour l’essentiel littéraire, dont le chef de file était Frédéric Mistral) aux occitanistes, et les conflits violents qui opposent ou opposèrent les deux tendances (voire les conflits internes), Terral évite de s’y immiscer, d’abord en adoptant une perspective historique, ensuite en avouant lire indifféremment dans les deux graphies (la graphie félibréenne proche de celle du français, la graphie classique utilisée par les occitanistes s’appuyant sur celle des troubadours) Ce point peut apparaître comme une hérésie à certains puisque le choix d’une graphie est un des marqueurs de l’engagement dans un camp ou dans un autre et la graphie cristallise en grande partie le conflit entre les deux mouvances… Ensuite, Terral ne plaque pas un discours prêt à l’emploi mais le déconstruit parfois. Par exemple la remise au goût du jour de la littérature des Troubadours (XIe au XIIIe siècle) est l’œuvre des Romantiques au XIXe siècle : « Comme l’Ecosse chère à Ossian […] l’Occitanie devint une terre bénie pour les Romantiques » (p. 183). De même le Catharisme est valorisé par ces mêmes romantiques puis par les félibres et les occitanistes). Soulignons toutefois que, comme l’auteur n’expose pas clairement son projet, qui n’est pas plus explicité par la juxtaposition d’articles, on ne sait pas bien si c’est lui qui caractérise « la civilisation occitane » (qu’entend-il par là ?) entre autres par les Troubadours et les Cathares ou si ce sont les Occitans, ou encore les militants de l’Occitanie, qui se réfèrent à ces critères. Cela pose un certain nombre de problèmes, inhérents à l’idée même d’Occitanie, car il s’agit de phénomènes très localisés, à mettre en regard avec l’immensité du territoire (33 départements). Plus largement, ceci montre la difficulté à unifier un vaste ensemble qui n’a jamais eu de réalité étatique ou politique et dont l’unité linguistique n’est pas admise par tous. Terral en a conscience en évoquant dans son article « Occitanie » la pertinence du choix du terme : « Le problème majeur de cet ensemble est, bien évidemment, celui de son unité, de la conscience et de la reconnaissance de son unité à vrai dire » (p. 168). La forme même du livre ne contribue pas vraiment à le doter d’une cohérence : d’abord, un classement thématique aurait pu amener davantage de cohésion que le classement alphabétique. Ensuite, le projet de l’auteur, présenter la civilisation occitane, repose sur l’idée latente qu’elle existe et présente donc une unité. Plusieurs articles ne manqueront pas alors d’engendrer de la perplexité : les viticulteurs bordelais se reconnaîtront-ils dans les luttes de leurs confrères languedociens ? Les références multiples à Toulouse, où réside l’auteur, parleront-elles aux autres régions ? Les conflits récurrents entre militants motivés par des accusations centralistes permettent d’en douter… Mais en plus, certaines tentatives apparaîtront « tirées par les cheveux » : citons par exemple l’article « Jeux traditionnels » : « L’Occitanie ne se limite pas aux sports consacrés […], même si ceux-ci y tiennent toute leur place – structurante des identités locales » (p. 110). Terral énumère alors les grands clubs de foot, rugby et basket (en omettant au passage Antibes) ; or, rien ne lie en particulier les basketteurs rivaux de Pau-Orthez et de Limoges, surtout pas une quelconque occitanité ! Cet exemple illustre un autre problème de taille : une certaine prétention à l’exhaustivité se manifeste par une tendance au catalogage et à l’empilement. On retrouve ainsi au fil des pages une liste de plasticiens, de cinéastes, d’hommes politiques… dont le seul lien avéré avec l’occitanité, pas toujours assumée d’ailleurs, est d’être nés au-dessous de la Loire. Peut-être eût-il été plus fécond de s’attacher plus spécifiquement à ceux qui se revendiquent ou se disent occitans, pour exprimer ce lien qui fait vivre l’idée de civilisation occitane, sans se départir de l’exigence scientifique. « L’enjeu de ce travail est, on le voit, vaste, un peu démesuré peut-être. Ce sera au lecteur de faire son miel (ou sa critique) en toute liberté. Cela va de soi… Et encore mieux en le disant » (p. 12). Terral invite donc à l’expression. Pour conclure, certains articles, par le foisonnement des détails ou des digressions, reposant souvent sur de l’implicite ou de l’ironie, ne sont pas très clairs pour le simple curieux. Par contre, le livre regorge d’informations et la multitude de références sera une mine pour qui veut faire une recherche sur tel point particulier. » *** Pour Hervé Terral l’Occitanie vit dans l’illusion catalane. Le miroir de la Catalogne, c’est ce que n’ont pas réussi les occitans. Quand on diffuse le feuilleton Dallas en langue catalane, c’est la preuve de l’existence d’un parler catalan généralisé et populaire. L’Occitanie est une illusion mais il n’est pas interdit de faire des rêves. Malgré le cousinage des langues occitanes et catalanes, Barcelone regarde aujourd’hui plus vers Frankfort ou Milan que Toulouse. La posture de l’Occitanie est la formule de Maine de Biran : le moi se pose en s’opposant, formule reprise par ailleurs par les psychologues pour définir les enfants de trois ans. Il existe une forte littérature occitane d’écrivains de langue française, comme Pagnol ou Giono, lequel était farouchement opposé aux félibres. C’est une question d’enracinement. Beaucoup de gens, nous dit Hervé Terral, ont l’occitan derrière le français. En résumé « L’Occitanie en 48 mots » est le livre idéal pour comprendre et cerner le phénomène occitan dans notre culture française. Loin de s’opposer ou d’être une voie parallèle, la sensibilité occitane rayonne dans la langue française elle-même par l’intégration d’un important vocabulaire, mais surtout incarne des valeurs éthiques et culturelles qui honorent notre pays. Ce livre a l’énorme mérite de nous en faire prendre conscience. |
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25/01/2018
Gerard ZUCHETTO
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18/01/2018
Monique SAINT-JULIA
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Christian Saint-Paul reçoit Monique Saint-Julia : venue présenter son dernier livre : « Un jour de plus à aimer » aux éditions L’aire, 75 pages, 20 €. Cette catalane française qui étudia à Paris, vit aujourd’hui à Revel dans ce Lauragais de la Haute-Garonne, aux portes du Tarn et de l’Aude. Elle fut un des auteurs des éditions Subervie dès 1958 à Rodez. Ses poèmes furent publiés par maintes revues de poésie dont : Acilece, Texture, Arpa, Friches, Multiples, Insulaires, Thauma, Lieux d’Etre, Diérèse, Les Hommes sans épaules, Rue Ventura, Voix d’encre, Les citadelles … et elle à ce jour elle a fait paraître plus d’une douzaine de recueils : De mains pigeonnières et d’herbes libres (Guy Chambelland, 1973), La Grippeminaude (Guy Chambelland, 1977), In « Le Coffret à Poèmes », éd. Saint-Germain-des-Prés, 1984), Belles Saisons (Guy Chambelland, 1988), Entre Jour (Le Tocsin des Mots, 2002), Un train de paysages (L’Arrière-Pays, 2005), Claire-Voie (n & b, 2008), Au fil des nuages (L’Arrière-Pays, 2009). On n'invente pas la neige, (Friches - cahiers de poésie verte, 2012) ; Regards croisés (éd. de l’Atlantique 2012) ; Rivière (éd. La Porte 2013) ; Je vous écris (éd. de L’Aire 2013).
Voici ce qu’on peut lire à propos de « Un jour de plus à aimer » de la plume de Éric Guillot dans la revue Poésie et Oc : Un jour de plus à aimer ». Tel est le titre de ce nouveau livre qui vient de paraître aux éditions L’Aire. Poète, peintre et auteur d’une dizaine d’ouvrages, Monique Saint-Julia réside à Revel dans le département de la Haute-Garonne. « Il me reste à aimer/Les grands rideaux veloutés des bois/Les vols magiques des alouettes» peut-on lire dans l’un de ses poèmes. L’écrivain nous fait partager ces moments privilégiés, ces instants saupoudrés de bonheur. Mais «On ne rattrape pas le temps perdu/Ni par l’écoute d’un clavier d’oiseaux/Ni par une basse-cour d’étoiles filantes». Dès lors, tout semble une course à la montre. En apparence seulement, car ne nous y trompons pas, la force des mots, l’élégance des vers contribuent à ce mouvement perpétuel, à cet épanouissement sans cesse renouvelé de ce récital ininterrompu. « Emmène-moi au bout du monde.../ Bouscule la vie en tous sens…» écrit Monique Saint-Julia comme pour mieux brouiller les pistes: « Emmène-moi dans un train au ventre chaud/A la crinière de fumées dansantes/Aux roulements de tambours rageurs... »; pour mieux nous faire rêver, comme Un jour de plus à aimer à travers une lecture qui nous conduit « de voyages en voyages infinis ». Un recueil de poèmes que l’on aime déjà. La note de lecture de Christian Saint-Paul : « Un jour de plus à aimer » fait figure de quintessence de l’art poétique de Monique Sain-Julia. Son optimisme rayonnant, empreint d’un amour inextinguible de la vie, de la nature, des animaux et des personnes, n’est pas obscurci par la lucidité de son irrévocable destinée inscrite dans une durée qui va en s’amenuisant. Alors elle loue ce « jour de plus à aimer » avec la noblesse de celle qui, en des temps plus cruels, implorait : « encore une minute de plus, monsieur le bourreau ». « Et nous allons poussés par le temps / que rien ne peut arrêter », constate-t-elle avec cette douceur qui rejette tout pathos, « Fragiles bateaux nous traversons la vie / menés de voyages en voyages infinis ». « Que me reste-t-il à dire ? » s’interroge-t-elle en louangeant l’œuvre de Guy Goffette. Mais précisément, elle a toujours beaucoup à dire, celle qui voit toujours « Tant de reliques en moi », les images inexpugnables de la beauté du monde et des êtres, animaux comme humains. La langue qui se charge de cette beauté qui fait que chaque jour servira à aimer, demeure à hauteur d’homme. Pas de démesure chez Monique Saint-Julia. Le foisonnement de la beauté, du bonheur né d’aimer, s’épanche dans un langage maîtrisé, dans des poèmes brefs comme des évidences. Elle saisit les images dans leur intensité et leur fulgurance : « Un souffle, un courant d’air / joue avec les rideaux / éveille le jardin assoupi ». Cette poésie contemplative, poésie de célébration, de la beauté, de l’amour, n’élude pas l’appréhension du devenir, propre à tout mortel : « L’ampleur du silence enferme en nous la peur ». Mais le silence ne fait pas toujours naître l’inquiétude, il écrase le paysage quand il accompagne les grandes chaleurs de l’été : « La chaleur met bas un enclos de silence ». Ces poèmes sont comme murmurés dans un long souffle, celui de la vie, dont la seule preuve d’exister est la capacité d’aimer, et d’ajouter ainsi « Un jour de plus à aimer ». Un long entretien s’instaure entre Monique Saint-Julia et Christian Saint-Paul. Lecture d’extraits de son livre par Monique Saint-Julia. A Gaston Puel
La cloche de Veilhes qui sonne me rappelle sa voix soucieuse de plaire embusquée quelque part à l’ombre d’un chêne séculaire. ***** Tant d’allers et venues de saisons laissées devant la porte s’ébrouant, s’endormant ventre au soleil comme un chien et de toutes ces simagrées de pluies mélopées à attendrir le cœur du plus dur des hommes ne restent que quelques nuages dans l’abandon d’un ciel hivernal. **** Une lumière écrite dans le froid De corbeaux qui essaiment leurs cris À fourvoyer les vents Et toute une lignée de perdrix Se blottissent, sous les haies Attendant l’éveil des fontaines Aussi chantantes que des promesses d’amour. ****** Une forêt assagie de brames Dans les rousseurs des chênes Qui touchent le cœur Tandis qu’un grand ciel Agitant ses sornettes Efface les fébriles tournoiements D’un faucon solitaire. ****** Rideaux écartés Fenêtres ouvertes L’enfant colle ses mains Sur les vitres Sa langue lèche les gouttes de pluie Son regard broute les rayures du jardin Tandis que des chants de pinsons Electrisent l’air.
Le soleil allongé sur la maison Un lézard tache le mur blanc Les bruits se posent étouffés ; Le chien gémit dans son rêve Pas croisés, lapées de voix Ebranlement d’un troupeau. La beauté habitée par la musique. ****** Surprendre dans la grange blondie de paille La tendresse dans les yeux des bêtes Retrouver le jaune abusif des colzas Le crissement des labours hersés Tandis qu’une lune vieille de mille ans Eclaire la beauté de la nuit. ****** De languissants nuages Sans couleurs Des pies aux cris rageurs Et des voix de femmes en colère Se confondent peu à peu avec l’orage. ****** Les paysages filaient à l’anglaise: Vignes chevillées les unes aux autres Ponts, chemins, prairies avalées Train coloré comme un jouet d’enfant Clartés voyageuses Telles de lumineux insectes. Une rivière coulait, glissait, s’insinuait A travers une terre gorgée d’eau. ****** Dans l’allée fredonnante de merles Les platanes beaux comme des statues Les nuages semblables à des rêves Abandonnés aux accoudoirs du jardin. ****** Est-ce le vent Qui cause à notre oreille? Tambourine à la porte Caresse la chair du jour ? Suivre les rires des enfants Dans le pré d’herbe grandie Quand la vie promène sur les vitres Le profil couronné de l’été. ****** Un souffle, un courant d’air Joue avec les rideaux Éveille le jardin assoupi Une échappée, une respiration Une orangerie de senteurs Nous inonde Se jette à notre cou. L’air transparent Comme une toile abstraite Cherche à préserver en notre mémoire Son pouvoir de vie. ****** |
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11/01/2018
Franck VERNAILLE
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En 1966, grâce aux publications de Pierre-Jean Oswald, je découvris :
Franck VENAILLE avec « Papiers d’identité ».
C’était ça la poésie contemporaine. Une écriture faite pour l’oralité, aucune emphase mais une tension dramatique, une langue curée à l’os qui recréait un vécu à fleur de peau. Quelques mots suffisaient à ce poète éloigné de toute ornementation, pour faire vivre une atmosphère lourde de sens, sans que rien ne soit expliqué, comme dans la prose d’Hemingway. Peu d’auteurs pouvaient écrire cela. Lui, y est parvenu avec une régularité toujours en cours. En ce sens, c’est un des phénomènes les plus remarquables de la poésie contemporaine.
Au centre de ce long travail : l’homme, l’étrangeté de sa condition, les paradoxes de ses comportements, la blessure particulière reçue comme une blessure originelle.
Tous les hommes sont de grands blessés, surtout ceux qui ont fait la guerre. La guerre, Franck Venaille l’a connue en Algérie. Presque trois années à vivre cette guerre qui ne disait pas son nom. Il ne publiera pourtant « La guerre d’Algérie » aux éditions de Minuit, qu’en 1978. Elle aura, entre-temps, imprégné tous ses livres précédents. Des références subliminales parfois, mais toujours comme une nécessité. La guerre. Elle revient, trente cinq ans plus tard avec « La bataille des éperons d’or » (12,90 €) et ensuite avec « Requiem de guerre » (11 €), les deux livres au Mercure de France.
Guerre absurde, toujours, faite par ceux qui ne la veulent pas, alors que ceux qui l’ont voulu, ne la font pas. Les puissants s’affrontent par substitution. Rien n’a changé. Les puissants finissent rarement dans la fosse où ils envoient les leurs. « Le pouvoir dès qu’il s’exerce corrompt et se corrompt » affirme Maurice Blanchard. La vie apparaît alors comme une abjection : « la naissance est une guillotine » écrit Blanchard. Et Franck Venaille se désole dans « La bataille des éperons d’or » :
C’est laid la vie. C’est mal. [...] « Monde ô monde que vous ai-je fait ? Qu’ai-je dit qui vous ait blessé ? »
La réponse se fait attendre la réponse Mal et encore mal la vie d’un homme se fait attendre.
Le tour de force dans la poésie de Franck Venaille, est qu’à aucun moment, ne s’installe de décrochage avec la vie. Aussi redoutable que cela soit, tous, nous nous reconnaissons dans les poèmes de Venaille. En paraphrasant l’assertion abrupte de Rimbaud, nous pourrions dire : « beaucoup de poètes, peu d’auteurs. » Franck Venaille est un auteur de poésie.
Certainement, il obéit à l’intuition de Gaston Puel quand ce dernier écrit : « Au mieux on ne s’exprime qu’avec son être abandonné, le plus secret, l’exclu. Rejeté d’un âtre essentiel, il témoigne de l’absence qui l’a nourri. »
Pour expliquer l’engouement, et il ne faut pas le sous-estimer, le plaisir, que nous vaut la lecture des poèmes, même noirs, de Franck Venaille, Gaston Puel, dans son « Journal d’un livreur » ( L’Arrière-Pays éd.) l’avait déjà défini : « A la matière brute (le vécu remémoré) le livreur ajoute une plus-value : son écriture. Cette matière quelconque, commune à tous, se valorise par le style. Sur celui-ci le livreur sera jugé. »
Je vous invite à écouter ce style saisissant de Franck Venaille en cliquant sur deux émissions : - celle du 19 octobre 2017 : http://les-poetes.fr/son/2017/171019.wma - celle du 11 janvier 2018 : http://les-poetes.fr/son/2018/LES_POETES_2018-01-11%20michel%20venaille.wma
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04/01/2018
Michel COSEM
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