25/12/2015
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Christian Saint-Paul présente le dernier livre de poèmes de
Monique Saint-Julia : « Un jour de
plus à aimer » aux éditions L’aire.
Cette catalane française qui étudia à Paris, vit aujourd’hui à Revel
dans ce Lauragais de la Haute-Garonne, aux portes du Tarn et de
l’Aude. Elle fut un des auteurs des éditions Subervie dès 1958 à
Rodez. Ses poèmes furent publiés par maintes revues de poésie dont :
Acilece, Texture, Arpa, Friches, Multiples, Insulaires, Thauma,
Lieux d’Etre, Diérèse, Les Hommes sans épaules, Rue Ventura, Voix
d’encre, Les citadelles … et elle totalise une dizaine de recueils :
« Un jour de plus à aimer » fait figure de quintessence de
l’art poétique de Monique Sain-Julia. Son optimisme rayonnant,
empreint d’un amour inextinguible de la vie, de la nature, des
animaux et des personnes, n’est pas obscurci par la lucidité de son
irrévocable destinée inscrite dans une durée qui va en s’amenuisant.
Alors elle loue ce « jour de plus à aimer » avec la noblesse de
celle qui, en des temps plus cruels, implorait : « encore une minute
de plus, monsieur le bourreau ». « Et nous allons poussés par le
temps / que rien ne peut arrêter », constate-t-elle avec cette
douceur qui rejette tout pathos, « Fragiles bateaux nous traversons
la vie / menés de voyages en voyages infinis ». « Que me reste-t-il
à dire ? » s’interroge-t-elle en louangeant l’œuvre de Guy
Goffette. Mais précisément, elle a toujours beaucoup à dire,
celle qui voit toujours « Tant de reliques en moi », les images
inexpugnables de la beauté du monde et des êtres, animaux comme
humains. La langue qui se charge de cette beauté qui fait que chaque
jour servira à aimer, demeure à hauteur d’homme. Pas de démesure
chez Monique Saint-Julia. Le foisonnement de la beauté, du bonheur
né d’aimer, s’épanche dans un langage maîtrisé, dans des poèmes
brefs comme des évidences. Elle saisit les images dans leur
intensité et leur fulgurance : « Un souffle, un courant d’air / joue
avec les rideaux / éveille le jardin assoupi ». Cette poésie
contemplative, poésie de célébration, de la beauté, de l’amour,
n’élude pas l’appréhension du devenir, propre à tout mortel :
« L’ampleur du silence enferme en nous la peur ». Mais le silence ne
fait pas toujours naître l’inquiétude, il écrase le paysage quand il
accompagne les grandes chaleurs de l’été : « La chaleur met bas un
enclos de silence ». Ces poèmes sont comme murmurés dans un long
souffle, celui de la vie, dont la seule preuve d’exister est la
capacité d’aimer, et d’ajouter ainsi « Un jour de plus à aimer ».
Lecture d’extraits.
A Gaston Puel
La cloche de Veilhes qui sonne
me rappelle sa voix soucieuse de plaire
embusquée quelque part
à l’ombre d’un chêne séculaire.
*
Un souffle, un courant d’air
joue avec les rideaux
éveille le jardin assoupi,
une échappée, une respiration
une orangerie de senteurs
nous inonde
se jette à notre cou.
L’air transparent
comme une toile abstraite
cherche à préserver en notre mémoire
son pouvoir de vie.
***
C’est encore l’amour, éros et agapè<, qui vibre chez
Isabelle Lévesque dans
ce livre sur lequel revient Christian Saint-Paul,
« Nous le temps l’oubli »
aux éditions L’herbe qui tremble, peintures de Christian
Gardair, 115 pages, 16 €. Car le temps et l’oubli se conjuguent,
dit-elle, pour un « nous » fécond. « Je n’entends pas, je prends le
sable. / Je retiens. / Des jours meilleurs où fut/ l’été ». Le
temps, qui songerait à le canaliser, à le domestiquer, à le
dominer ? « Qui fera sombre tranchée (rigole plutôt)/ de temps ?
« Un poète. Ignorant des saveurs du jour. Un devin devise et s’arme
de patience », répond Isabelle Lévesque dans une foi inébranlable du
langage. C’est bien l’artiste qui sauvera le monde. Et l’artiste qui
parvient à fusionner le temps l’oubli dans un « nous » universel.
L’artiste aux aguets du silence : « Et si c’était ce soir, / grande
équipée de silence ? (…) Je ne répète que le silence si/ ta
bouche ». Une poésie syncopée où le vide, le silence façonnent en
creux le mystère de la langue qui nous fait naître. Plus que la
peur, c’est la terreur qui s’invite comme une image à repousser :
« Où s’affole. Tu auras / emporté la dune. Mer où vagues ». Le monde
d’Isabelle Lévesque n’est pas un monde fini. C’est une œuvre à
compléter. D’où l’abrupt arrêt sur un mot, un verbe. Que le lecteur
achève le vers, le poème, qu’il en soit responsable. Car cette
poésie conçue comme un témoignage du monde, ne peut l’enfermer. Sa
vocation est de suggérer, de remplir le silence de ce « nous »
qu’elle appelle de toute son âme. Ce silence qui peut détruire comme
la mort : « Affaires cessantes, à force silence / terrassé
l’histoire de l’un ». Ce livre, c’est « nous », proclame-t-elle dans
le dernier poème, comme un cri de victoire sur le temps l’oubli.
Lecture d’extraits.
Et si c’était ce soir,
grande équipée de silence ?
Si moindre, assorti de promesses, un pas,
triste ronde ?
Et si venu tu prenais
champs, labours accomplis,
la semence ?
Si les fleurs tard rendues retenaient
- printemps de lèvres ?
Quelle bouche silencieuse résisterait
au voile de taire, quelle précipitation ?
Tu tords tes doigts, je pense
au recours savoureux.
Engendre encore.
Ta bouche.
Le monde ta langue de signes,
inverse.
Quel témoin sans secret dénoncera le jour ?
Piquet, à l’horizon
le ciel, sa sanction ?
Je ne répète que le silence si
ta bouche.
*
Christian Saint-Paul revient sur le n° 52 de la revue
Nouveaux Délits,
revue de poésie vive, à commander à Association Nouveaux Délits,
Létou, 46330 Saint-Cirq-Lapopie, 6 € le n° (+ 1,53 € de frais de
port), abonnement 4 numéros 28 €. Un excellent numéro illustré
avec force par Jacques Cauda cité dans une précédente
émission, avec ces notes de lecture indispensables à la diffusion
des ouvrages, un sommaire toujours riche, le tout sous le ton de la
fraternité tendre et militante de Cathy Garcia. Ce sont des
poèmes de Marie-Françoise
Ghesquier qui sont lus à l’antenne. Cette hispanisante
vit près de Chalon-sur-Saône et publie ses poèmes dans les revues
Décharge, Comme en Poésie et Traction Brabant. Elle publie son
premier recueil chez Michel Cosem à Encres Vives, puis chez Bruno
Msika aux éditions Cardère avec « A hauteur d’ombre », recueil
illustré de photos en duo avec Cathy Garcia. Elle dit aimer les
esprits frondeurs.
Lecture d’extraits de « De tout bois si ».
On tourne en rond
dans notre bocal de ronces
Se dessèchent noires pointées
en sons filés assourdis
contre les fonds d’herbes
Les notes du chaos mineur s’égrènent
en idiomes grumeleux
ponctués noirs le long des failles
Faillite du moi
avec mots cadenassés
dans l’intervalle
Parole craquelée à la note forcée
Tant d’effort pour vivre
au travers des sons disjoints
Je renonce note à note M’
évapore parmi ronces et fuite d’ailes
au-delà des buissons démesurés
***
Toute cette grenaille crible
au plus fort du silence
Le sang s’étoile
aux charnières livides
des galaxies de paille
Je décimé par tant d’illusions
où je m’achève en éclosions
mortes rouges
Pétales glosés
clous ou glaives
dans la chair des chaumes
La langue s’insère
dans les versions
primitives glose entre les lignes
Parole close à l’instant
sur les lèves
mangées de coquelicots
Comment voulez-vous
que toute notion d’incarnat ?
Le poème en petite mitraille rouge
où coupée court
la phrase
***
Christian Saint-Paul reçoit son invité :
Jacques ARLET
Mainteneur de l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse, élu en 2002
au 1er fauteuil, Chevalier de la Légion d'honneur,
Officier des Palmes académiques, Professeur émérite de
l’Université Paul Sabatier, Faculté de Médecine, ancien Président de
la Société Française de Rhumatologie. Président fondateur de
l’Association Internationale de Recherches sur la circulation
osseuse. Docteur Honoris Causa de l’Académie de Dublin. Archiviste
adjoint de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres
de Toulouse. Auteur de livres sur l’histoire de Toulouse au XIXe
siècle, sous Louis XIV et de biographies.
Voir les émissions le concernant sur ce site dont :
http://les-poetes.fr/son/son%20emision/2013/130404.wma
Cet amoureux de Toulouse vient nous parler de son livre :
« La vie à Toulouse dans
l’entre-deux-guerres » éd. Loubatières – Histoire, 311
pages, 25 €.
L’essor culturel de Toulouse dès le XIème siècle avec les comtes de
Toulouse, protecteurs des troubadours, tolérants à l’égard de
l’hérésie cathare, l’épopée dramatique qui s’ensuivit jusqu’à la
chute de Montségur en 1244 et la mise sous tutelle de l’Occitanie,
désormais dominée par les rois de France et demeurée enclavée,
éloignée du pouvoir jusqu’aux années soixante du XXème siècle, sont
des faits bien connus.
Ce que l’on sait moins, c’est que Toulouse a toujours abrité des
hommes de génie et des hommes et femmes de talent qui lui offrirent
une certaine indépendance dans son enclavement et que, même tenues
en lisière de la capitale, elle prospéra malgré tout et parvint à
une certaine autonomie. Jacques Arlet connaît bien l’histoire de
Toulouse, il en aime les artistes ; nous avons consacré avec lui une
émission sur les poètes de Toulouse de la Belle Epoque. Pour les
vingt ans qui séparèrent les deux guerres mondiales, nul, mieux que
lui, ne pouvait en saisir l’atmosphère, ayant vécu cette époque. Et
c’est dans l’euphorie des lendemains de guerre et l’appréhension de
la prochaine, cette vingtaine d’années de paix, que Toulouse a posé
les fondations de son devenir : une ville moderne tournée vers le
progrès scientifique et technologique, en même temps qu’une ville
indéniablement douée pour les arts et les idées. Et au fond, elle
n’abandonnera jamais sa propre tradition. Occitane, indépendante,
toujours un peu rebelle.
Cette courte période fut si riche en événements, en créations, que
Jacques Arlet ne pourra tout citer sur près d’une heure d’entretien.
Dès 1920, la tradition et la modernité allèrent de pair. Le doyen de
la Faculté de médecine, M. Abelous qui enseigne la physiologie, est
aussi un grand amateur d’occitan. Plus tard, les médecins
perpétueront cette double culture, scientifique et littéraire,
souvent occitane, comme chez Ismaël Girard, Paul Voivenel, Camille
Soula.
Notre actuelle Université des Sciences Paul Sabatier porte le nom
d’un professeur de chimie, inventeur de la catalyse qui s’est vu
décerner le prix de chimie en 1912. Il présida la Faculté à laquelle
son nom fut donné et ne voulut jamais « s’exiler » à Paris.
Visionnaire, il créa des instituts pour la formation d’ingénieurs.
Jacques Arlet précise qu’il a construit son livre en suivant la
chronologie des trois municipalités qui se sont succédé durant cette
période : Paul Feuga, Etienne Billières, Ellen Prévot. Pour chacun,
les comparant à des étages, il convie le lecteur à les visiter dans
leurs composantes : municipalité, ateliers, magasins, facultés,
théâtres, librairies, buralistes, etc.
Jacques Alet nous apprend que c’est au lendemain de la victoire de
1918 que l’Institut catholique a créé l’Ecole Supérieure de
l’Agriculture de Purpan, après l’achat d’un domaine.
Quant à la reprise des arts plastiques, Jacques Arlet déplore une
certaine retenue dans l’innovation. Les peintres toulousains ne
dépassent guère le néo-impressionnisme. Il faut dire que le Musée
des Augustins va être dirigé sans partage, pendant 38 ans, par un
conservateur, M. Rachou qui va imposer un immobilisme. La période
fut au nombrilisme et même au chauvinisme, la lumière n’étant portée
que sur les artistes locaux.
Mais des peintres toulousains s’illustrèrent par leur génie, ayant
la plupart du temps été consacrés d’abord à Paris. C’est le cas
d’Henri Martin (1860-1943) qui fut l’élève de Jean-Paul Laurens et
qui a adapté la technique impressionniste à l’échelle monumentale.
L’Ecole des Beaux Arts, qui fut aussi un temps dirigée par le même
Rachou, devint un enjeu politique pour la municipalité qui organisa
pour les artistes des cours du soir.
Les tapisseries de Saint-Saëns demeurent dans le patrimoine mondial.
La littérature est bien vivante à Toulouse avec des auteurs qui se
partagent déjà entre Toulouse et Paris. La tradition des revues
poétiques toulousaines est largement respectée, inaugurée par Magre
et Delbousquet.
Maurice Magre, Armand Praviel qui trouvent l’objet de leurs romans
dans la vie à Toulouse ou l’Occitanie, connaissent un fort succès
national.
René Laporte (1905-1954), poète toulousain, a sa place au Panthéon
des poètes surréalistes, et ses poèmes ont aujourd’hui l’éclat et la
force de l’intemporel.
Les journaux, comme le Télégramme ou la Dépêche du Midi, puissantes
institutions alors, faisaient paraître des poèmes régulièrement.
Le sport, nous dit Jacques Arlet, tient déjà une grande place dans
la cité. On se passionne pour le rugby.
En 1930, on dénombre 5 morts sur les terrains de rugby.
Etienne Billières, socialiste libéral, fera construire le Stadium.
Paul Feuga laissera une ville endettée.
C’était aussi une ville ouvrière. La poudrerie ONIA comptait 30.000
ouvriers et devait sa création à un butin de guerre, un brevet
allemand. On a fabriqué à Toulouse des millions d’obus.
L’aviation connaît son épopée. Latécoère a ses ateliers en haut des
allées des Demoiselles.
Le 11 novembre 1918 vit la création de la première Compagnie
d’Aviation Civile. Toulouse devint une tête de ligne
internationale à la conquête de l’Amérique du Sud. Le 21 mai
1933, venant de Buenos Aires, Mermoz sur l’Arc-en-ciel, relie
Casablanca à Toulouse, sans escale.
Lecture par Jacques Arlet de cet extrait du livre.
L’Aéropostale, la Ligne, entrent dans la légende avec Antoine de
Saint-Exupéry qui logeait à l’Hôtel du Balcon, près de la place du
Capitole, Henri Guillaumet, Didier Daurat, Alexandre Collenot, le
mécanicien de Mermoz.
L’industrie aéronautique bat son plein. Après Latécoère, un de ses
ingénieurs, Dewoitine, crée sa propre société et les militaires
s’installent à Francazal.
Toulouse conservera son avance dans la future aviation commerciale.
Jacques Arlet évoque la figure mythique du nouvel archevêque de
Toulouse, Monseigneur Saliège, qui vient remplacer Monseigneur
Germain, enterré en grande pompe en présence de toutes les
personnalités civiles, militaires et religieuses, dans une « belle
unanimité et qui n’était pas seulement de façade et qui ne se
verrait plus aujourd’hui », commente Jacques Arlet.
Monseigneur Saliège, qui deviendra cardinal, né en 1870 en Auvergne,
est fils de paysan et arrive de Gap où il était en poste et « où il
a eu froid ! », s’amuse Jacques Arlet. Il devint l’ami de Jean
Guitton qui lui consacra une biographie. Mais rapidement, le
cardinal Saliège tomba malade, atteint d’une lésion définitive du
cerveau moteur qui lui ôtait ses capacités de marche et d’élocution.
Mais son intelligence et sa volonté étaient intactes.
Le nouvel archevêque, assisté de Monseigneur de Courrèges, fit
connaître ses opinions sociales dans ses « Menus propos » publiés
dans la Semaine Catholique de Toulouse. (Voir à ce propos le livre
de Pierre Escudé sur Monseigneur Saliège et l’émission que nous lui
avons consacrée).
La force universelle de ces aphorismes n’est pas contestable.
Jacques Arlet cite celui-ci : « c’est perdre son temps, c’est perdre
sa peine que de ne pas aimer » (13 mars 1938).
Jacques Arlet souligne enfin l’importance de la radiophonie à cette
époque, Toulouse se révélant, là aussi, ville pionnière.
La téléphonie sans fil mise au point par Branly et Marconi, la
T.S.F. voyait le jour. Le docteur Saint-Béat, passionné de
technologie nouvelle, donc de T.S.F., sans attendre l’improbable
autorisation du ministre des PTT, lança Radio Toulouse. Cette
installation en force, suscita une vive réaction de la part de
l’Etat qui créa, bien que manquant gravement de moyens financiers
(déjà …) « Toulouse-Pyrénées » pour concurrencer sa rivale, dans
toute la mesure du possible.
L‘esprit frondeur toulousain permît à Radio Toulouse d’émettre,
malgré les handicaps, et avec qualité.
Le livre de Jacques Arlet a pu emprunter pour sa réalisation des
illustrations et des documents d’une exposition que l’on peut
qualifier d’historique en janvier 2008, de la Bibliothèque de
Toulouse : « De grandes espérances Toulouse entre les deux
guerres, les écrivains, les artistes et le livre » qui donna
lieu à un catalogue qui, par son excellence, enorgueillit notre
ville.
Jacques Arlet est de la lignée de ces grands médecins qui sont,
aussi et peut-être avant tout, des humanistes, des honnêtes hommes,
selon l’expression du XVIIIème siècle, c’est-à-dire, savants et
touchés par la sagesse. Il se range aux côtés d’Ismaël Girard,
Camille Soula, Paul Voivenel qui étaient des exemples prônés par la
génération de nos pères. Sa curiosité dévorante, sa verve
littéraire, son œuvre au service d’autrui, l’héritage laissé à la
Faculté de médecine, en font une des figures les plus accomplies de
Toulouse. Il est heureux qu’il ait consacré ses forces
intellectuelles à l’étude de Toulouse au cours des âges et aux
toulousains remarquables. « La vie à Toulouse dans
l’entre-deux-guerres » nous apprend d’où nous venons, non seulement
nous, toulousains, mais tout homme, car l’histoire de Toulouse
s’inscrit dans l’histoire de l’humanité.
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Michel COSEM
Peire Vidal (Editions TDO)
Les vies multiples
du Troubadour
Peire Vidal
Ce roman historique retrace la vie tumultueuse de Peire Vidal, considéré comme l’un des troubadours les plus illustres du XIIIème siècle. Fils d’un artisan toulousain, il apprend son art au château des comtes de Toulouse auprès de son mentor Maître Guiraud, avec d’autres illustres ménestrels de son temps. Une fois sa formation achevée, le jeune homme partira sur les routes de l’Occitanie, et bien au-delà, pour satisfaire son désir insatiable de découverte et d’aventure...
Ce roman historique retrace la vie tumultueuse de Peire Vidal,
considéré comme l’un des troubadours les plus illustres du XIIIème siècle.
Fils d’un artisan toulousain, il apprend son art au château des comtes de Toulouse
auprès de son mentor Maître Guiraud, avec d’autres illustres ménestrels de son temps.
Une fois sa formation achevée, le jeune homme partira sur les routes de l’Occitanie, et bien au-delà,
pour satisfaire son désir insatiable de découverte et d’aventure. De la cour du roi d’Aragon à la Provence,
en passant par Byzance ou par la Hongrie, Peire Vidal rencontre les plus grands de son temps,
les plus belles dames de l’époque.
Accompagné de ses instruments de musique et guidé par son inspiration,
le célèbre troubadour toulousain entraîne le lecteur dans son sillage,
lui faisant découvrir la profonde richesse de l’Histoire occitane.
Les Soleils de la
tourmente
de M. Cosem
Éd. De Borée,
coll. "Roman", 320 pages. ISBN 978-2-8129-1676-2
Prix éditeur : 19 euros
Estelle se console de
l'indifférence et de l'autoritarisme de son père grâce
à sa passion pour la montagne.
Lorsque Francisco est embauché comme valet de ferme,
les deux jeunes gens tombent
sous le charme l'un de l'autre.
Josep, un voisin qui a des vues
sur la jeune femme, menace le valet qui finit par le tuer.
Francisco est alors contraint
de fuir, mais promet à sa bien-aimée de revenir.
17/12/2015
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Christian Saint-Paul
joint
Michel COSEM
au téléphone.
La figure de
Jean JOUBERT
qui vient de disparaître en novembre 2015 à l’âge de 87 ans est évoquée.
Michel COSEM était dans son amitié depuis longtemps et le côtoyait dans
diverses animations et salons du livre. Tous deux avaient beaucoup écrit
pour la jeunesse et se retrouvaient à l’occasion pour des signatures dans
toute la France. C’est avec douleur qu’il se souvient de ces moments
heureux passés ensemble. « On a perdu un grand poète » déplore-t-il. Il
suivait avec attention les publications d’Encres Vives et y a souvent
contribué. D’ailleurs, indique Michel Cosem, nous allons rééditer son
dernier recueil d’Encres Vives :
« L’éternité de la
rose » ; les
éditions
Bruno Doucey
ont fait paraître ce qui peut apparaître aujourd’hui comme une sorte de
testament :
« L’alphabet des ombres ».
L’émission « les
poètes » consacrera prochainement une émission à Jean Joubert.
*
Une autre figure de la
poésie nous a aussi quitté, un personnage qui incarnait également Toulouse
et sa fringale de culture poétique contemporaine :
Gil PRESSNITZER ;
il fut l’instigateur de la Salle Nougaro à Toulouse, nous fit découvrir de
superbes chanteurs à textes, anima le site
espritsnomades,
mine de renseignements sur les poètes contemporains et laisse une œuvre de
poète.
Radio Occitania
rediffusera prochainement l’émission au cours de laquelle il fut notre
invité.
Gil
PRESSNITZER*
La
revue DIERESE
fait paraître son n° 66.
Comme toujours, c’est
de la très belle ouvrage.
Jean MALRIEU, Hélène
MOHONE, Richard ROGNET
en sont les auteurs mis
en exergue. Ce volume de 284 pages est une vraie richesse tant pour la
qualité des auteurs que pour celle des illustrateurs et de la mise en
page. L’actualité de la poésie est exceptionnellement traitée dans cette
revue qui fait là un travail indispensable à la connaissance de ce genre
littéraire inconnu de la plupart des médias.
L’émission « les
poètes » reviendra sur ce numéro 66 de Diérèse.
*
L’émission est ensuite
consacrée à l’invité.
Michel Cosem
est originaire du sud de la France. Il a fait ses études supérieures à
Toulouse. Il écrit des romans et des poèmes depuis toujours. Il a publié
de nombreux ouvrages (romans, poèmes, anthologies) et consacre sa vie à
l'écriture, aux voyages, à la lecture et aux rencontres avec ses lecteurs
un peu partout en France et à l’étranger.
Ses romans parlent tout
aussi bien des régions du grand Sud aujourd'hui, que des pays lointains
dans l'espace et dans le temps comme l’Égypte (Le
Secret de la déesse Bastet, L’Or
de Pharaon),
le Sahara (La
Rose rouge du désert),
la Grèce (L’île
pélican), la
Mongolie (À
cheval dans la steppe),
l’Espagne (Les
Oiseaux du Mont Perdu, Feu
Follet de Santa Fé),
les Pyrénées (Les
Neiges rebelles de l’Artigou,
Les Traces
sauvages de
l’Estelas).
D’autres livres se situent dans le rêve et le légendaire (Malelouve
des terres à brume, Rendez-vous
avec Mélusine, Les
Chevaux du Paradis)
ou se déroulent au Moyen Âge ou à l’époque de la Résistance (Les
Doigts à l’encre violette).
Ses derniers romans
pour adultes accordent une grande part à l’histoire et à l’imaginaire : La
Nuit des naufrageurs relate
l’épopée des pirates et Les
Vies multiples du troubadour Peire Vidal reconstitue
la vie de l’Occitanie au temps des troubadours. Ces deux livres sont
publiés par les Éd. de Pierregord. Justine
et les loups qui
se situent en Aubrac et Le
Bois des Demoiselles en
Ariège (Éditions De Borée) mélangent réalité et légende tout comme Les
Oiseaux de la Tramontane (Souny). L’Aigle
de la frontière évoque
la montagne et ceux qui la traverse : contrebandier, berger, mais aussi
réfugiés et fugitifs.
Le point commun de tous
ces romans est l'imaginaire, le merveilleux, sans oublier la nature, le
fantastique et surtout l’aventure avec des personnages attachants.
Michel COSEM romancier,
poète, éditeur de la revue Encres Vives et de ses collections, familier de
l’émission « les poètes » vient présenter deux nouvelles publications.
D’abord un roman
Les Soleils de la
tourmente,
éd. De Borée,
coll. "Roman", 320 pages. Prix éditeur : 19 euros.
Estelle se console de
l'indifférence et de l'autoritarisme de son père grâce
à sa passion pour la
montagne. Lorsque Francisco est embauché comme valet de ferme, les deux
jeunes gens tombent sous le charme l'un de l'autre.
Josep, un voisin qui a
des vues sur la jeune femme, menace le valet qui finit par le tuer.
Francisco est alors
contraint de fuir, mais promet à sa bien-aimée de revenir.
Le roman se situe au
XIX° siècle, à Céret dans les forêts des Albères. C’est une période
qu’affectionne particulièrement l’auteur qui avait déjà situé un de ses
romans
« Le bois des
Demoiselles », pendant « la guerre des Demoiselles » en Ariège. Il
explique qu’il connaît une première période de méditation avec les
personnages et avec les lieux. Il faut que s’opère l’incubation du sujet.
Mais une fois la période choisie, les personnages vivent avec lui. Il a
alors envie de les montrer dans des situations difficiles, heureuses, dans
leurs rapports avec la Nature. Les nombreuses lectures diverses qui sont
les siennes vont l’aider à construire les personnages. Pour écrire ce
roman, l’auteur est allé dans la forêt des Albères.
Un roman qui connaîtra
sans aucun doute le succès des précédents.
Ensuite, Michel Cosem nous
informe que
« Les vies multiples du troubadour Peire Vidal »
est réédité par les
éditions TOD collection
Histoire. (voir sur
notre site la rubrique « Parutions »)
Ce roman historique retrace la
vie tumultueuse de
Peire Vidal,
considéré comme l’un des troubadours les plus illustres du XIIIème siècle.
Fils d’un artisan toulousain, il apprend son art au château des comtes de
Toulouse auprès de son mentor Maître Guiraud, avec d’autres illustres
ménestrels de son temps. Une fois sa formation achevée, le jeune homme
partira sur les routes de l’Occitanie, et bien au-delà, pour satisfaire
son désir insatiable de découverte et d’aventure. De la cour du roi
d’Aragon à la Provence, en passant par Byzance ou par la Hongrie, Peire
Vidal rencontre les plus grands de son temps, les plus belles dames de
l’époque.
Accompagné de ses instruments de musique et guidé par son inspiration, le
célèbre troubadour toulousain entraîne le lecteur dans son sillage, lui
faisant découvrir la profonde richesse de l’Histoire occitane.
Il s’agit de l’histoire tumultueuse et
incroyable, mais vraie, d’un grand troubadour toulousain de l’Occitanie à
la Terre sainte, au XIIIème siècle. Ce roman explore cette époque qui fut
l’une des plus belles de l’histoire de l’Occitanie avant que ne fonde sur
elle la croisade dite « des Albigeois ». Dans ce passionnant roman, la
grande et la petite histoire se côtoient pour faire émerger la figure d’un
homme profondément humain, fasciné par la Méditerranée, poète avant tout,
joyeux luron tout au long de sa vie.
Personnalité extravagante, Peire Vidal
attire par son côté un peu fou, totalement dans la démesure. A Chypre, par
exemple, il rencontre une dame qui se dit Princesse de Chypre et de
Byzance et cela suffit pour que lui, se prenne pour l’empereur de
Byzance ! Il transformait le monde à sa façon et se lançait ainsi dans des
aventures désopilantes et souvent dangereuses. Pour avoir courtisé une
dame mariée, on lui a coupé la langue, mais bien soigné il a pu retrouver
l’usage de la parole, ce qui est vital pour un troubadour. Il part en
Hongrie avec la fille du roi d’Aragon qui doit se marier avec l’héritier
du trône de ce pays. On finira par perdre sa trace.
Il a parcouru les rives de la
Méditerranée, lieu où les cultures se sont rencontrées et où le meilleur
et le pire se sont côtoyés.
Michel Cosem insiste sur le fait que la
vie de Peire Vidal se situe dans cette époque prestigieuse de la
civilisation occitane avant le désastre qui a suivi la Croisade des
Albigeois et la mise à sac de cette culture humaniste qui était trop en
avance sur son temps.
L’auteur a beaucoup travaillé les
troubadours ; les textes sur cette époque fastueuse sont nombreux et très
bien explicites. En effet, les troubadours qui leur ont succédé au XIII°
et XIV° siècle, ont tenu à raconter cette épopée dont ils étaient les
héritiers.
Ce roman reprend l’histoire réelle de
Peire Vidal démontrant par là-même que la réalité peut effectivement
dépasser la fiction.
Mais le ton est toujours alerte et
dominé par cet optimisme jubilatoire du romancier qui finit malgré tout,
selon son habitude, par une fin heureuse.
Lecture d’extraits du roman.
En conclusion, Michel COSEM dans une
langue qui est encore celle du poète qu’il incarne, nous offre deux romans
passionnants, et nous plonge dans deux périodes riches de notre histoire,
celle de la construction du monde moderne de la fin du XIX° siècle dans
notre Roussillon, et celle, emblématique, d’une civilisation perdue qui
rayonna sur l’Europe avant l’invasion des armées de Simon de Montfort et
la défaite de la bataille de Muret où périt l’ami de Peire Vidal, Pierre
d’Aragon.
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10/12/2015
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Avant de se consacrer à son invité, Christian Saint-Paul signale le livre
d’Andrièu RESPLANDIN « A
l’oumbro dou guidoun » « A l’ombre du style », avant-propos de
Marie-Jeanne Resplandin , en
provençal et en français, aux éditions L’Astrado, collection
L’Esparganèu, 167 pages (L’astrado,7 Les Fauvettes, 13130 Berre l’Etang.
Cette fois-ci, après avoir
dernièrement évoqué « Letro de la colo » « Lettres de la colline »,
on retrouve encore ce que la préfacière du livre nomme : « une constante
dans l’œuvre poétique d’André : une communion qui est communion entre le
poète et l’univers ». Poésie de célébration, de la nature et par extension
du cosmos dans une quête inextinguible de la vérité. Poésie métaphysique
donc, mais qui conserve toute sa lucidité aux choses dont il sait que
l’équilibre et l’harmonie sont fragiles. Comme les personnages du livre,
l’auteur n’a de destination que celle égarée, improbable dans un chemin
toujours à poursuivre. Le tout dans une langue pure, simple, transparente
comme l’eau qui se fait rare. Dans les deux langues les mots ont de la
clairvoyance, et le lecteur chemine aussi « à l’ombre du style ».
Lecture d’extraits en français et en
provençal par Alem Surre-Garcia.
Quand l’ombre du
peuplier
Touchera l’orée du
bois
Il sera temps de
rentrer le troupeau.
Comment faire
cependant
Les journées sans
soleil
Lorsque l’ombre
faillit ?
Ce sera peut-être le
vent,
Les senteurs
collinières
Qui nous diront le
soir.
Et la voix des
brebis aussi...
*
L’aube est longue
montée,
Croissance qui se
prolonge.
Fluide naissance du
jour
Sans heurt et sans
hâte.
Une rumeur de
source,
Une promesse.
Somptueuse,
L’aurore est un
grand cri,
Abrupt et fulgurant.
L’aube laisse la
lumière venir,
Au temps, elle donne
le temps.
L’aurore est un
éclair,
L’aube est une
douceur.
Qui fera plus bel
éloge de la lenteur.
*
Qui saupra dire au
jour nouvèu
Qu’aièr n’en fuguè
n’autre
E que deman nous
crido
Sus li cresten de
noste envanc.
Que lou brasas que
nous enauro
Souto lou cèndre
vendra braso
Pèr li flamo de
l’endeman.
D’aquéu biais d’aièr
à deman,
Jour à cha jour pèr
vuei passant,
Li tèms se fan...
*
Qui saura dire au
jour nouveau
Que hier en fut un
autre,
Que demain nous
appelle
Sur les cimes de
notre élan.
Car le brasier qui
nous exalte
Deviendra braise
sous les cendres
Pour les flammes du
lendemain.
Et de cet art d’hier
à demain,
Jour après jour par
lui passant,
Se font les temps...
*
Jean PICHET
publie à L’Arrière-Pays
« Une poignée de feuilles ».
C’est Henri Heurtebise qui nous
a fait découvrir au début du XXIème siècle, ce poète d’une grande
simplicité qui n’avait d’égale qu’une redoutable subtilité dans la retenue
de l’image et de la langue, qui lui assurent une force calme. Poésie de
célébration, d’éveil devant les petits riens que créent la Nature. Le
temps insaisissable comme l’oiseau dont les « ailes franchissent la
lumière ». Et la Nature devient seul objet de spiritualité à conquérir par
le regard et la langue. Mais de la désunion l’amour peut renaître,
emportant avec lui l’enfance. Le poète sait que l’innocence est faite pour
être perdue, mais que le poète en retrouvera l’essence dans le silence et
la lumière.
Lecture d’extraits.
Enfants
Cœurs désunis, cœurs
blessés,
Tendre détresse,
dorment
Du même sommeil gris
Dans leurs lits
disparates.
Les enfants de leur
amour
Désormais trop
lourd, trop loin,
Leurs enfants, comme
réveillés
En pleine nuit, vont
Vers lui...
Renaissent en lui,
non sans y perdre
L’enfance.
*
L’oiseau rare
Des jours partagés
entre la douceur
Et l’amertume. A
guetter l’oiseau
Plus rapide que son
vol.
En écoutant le vent
Souffler son rêve
A des sommeils de
feuilles.
Et tout à coup
L’oiseau vient boire
Dans les mains de la
pluie.
Alors, nos yeux
sourient.
Tandis que ses ailes
franchissent la lumière.
*
Attentif
Je vous écoute, et
c’est lumière.
Aujourd’hui comme
hier j’écoute
Vos mystères, vos
silences...
Votre simplicité.
Je vais jusqu’au
jardin ; je viens
Parmi ses herbes,
ses ailes
Et ses fleurs qui
sont à vous,
Aussi...Je ramasse
une branche,
Et je trouve les
mots
Qui me mènent chez
vous,
Près du vent et de
l’eau.
*
Nous aurons l’occasion de revenir sur
ce poète dont la sérénité de ton fait songer à son amie Monique
Saint-Julia.
*
L’émission est ensuite consacrée à l’invité
Alem SURRE-GARCIA
pour son dernier livre, un roman picaresque :
« Man Trobat » éd. IEO Edicions
collection A tots, en langue d’oc.
Alem Surre-Garcia est né en 1944
en région toulousaine. Il a été chargé de culture auprès du Conseil
Régional de Midi-Pyrénées de 1989 à 2006. Ecrivain occitan traduit en
allemand, français, polonais, catalan... Traducteur en français des grands
auteurs occitans. Librettiste, auteur dramatique, conférencier.
Organisateur d’événements culturels. Essayiste en langue française.
Il a publié de nombreux ouvrages :
Archipels et diaspora : essai
d'émancipation
La théocratie républicaine
Les avatars du Sacré
Les mohicans de paris
Il est aussi auteur de textes
poétiques :
-Insoumissions natives, Ed. Oswald, Paris, 1974
(en français) -Las Nivols uèi, Ed. Talvera, Paris, 1981
-Poemas traduits en allemand par Raoul Schrott in revue Literatur
Kritik, Salzburg, sept. 1994 -Milgrana Clausa o lo retaule
desmargat, 2001. Oratorio composé par Gérard Zuchetto et
interprété par le Troubadour Art Ensemble dirigé par Gérard
Zuchetto, CD, février 2002 (avec traduction en français, espagnol
et arabe). Création été 2002 à Rodez et (Estivada) et à Lodève
(Festival Méditerranéen). Représentations 2003 à Roques sur
Garonne (Centre Culturel le Moulin) et à Foix (Scène Nationale). 4
avril 2004 à la Cité de la Musique, La Villette, Paris.
-Posa-raca, recueil de poèmes choisis 1973-1999, inédit à ce jour.
Lectures de certains poèmes du recueil sur Radio Occitania, 2006
Auteur de nouvelles et romans :
-La dança del lop, Ed. Talvera, Paris, 1978 -Ikalanà, Ed.
Fédérop, Lyon, 1984 -Antonio Vidal, Ed. Le Chemin Vert, Paris,
1984. Traduit partiellement en polonais, Cracovie, 1987. Traduit
par Erich Thaler en allemand aux Editions Fischer de Francfort
sous le titre "Die Verletzung", 1999. Traduit en français par
Françoise Meyruels et Martine Boulanger aux Editions du
Trabucaire, Perpignan, 2001. Présenté le 19 juin 2001 à la
Librairie "Ombres Blanches", Toulouse -Lo Libre del Doble
Despartible (le livre du Double divisible), 1997, Editions du
Trabucaire, Perpignan. Prix Antigone , Montpellier , 1998.
Présenté à la Bibliothèque Municipale de Toulouse, 1998. Extrait
"Cant del pòble sillabic" inclus dans le spectacle de Serge Pey "
L'evangèli de la sèrp" , La Mounède , avril 1998. Extrait
"L'arbre-solelh" lu par Jean-Michel Hernandez et Florant Mercadier
au Théâtre d'Elche (Valencia, 2001). Extrait "Falsetat" chanté par
Eric Fraj en 2003. -Granas de lagrema, contes bilingues,
illustrations de Jean-Marc Petitfils, 1998 -Autisme, 2010 (à
paraître avec sa traduction en français par Martine Boulanger)
Auteur de théâtre :
-En quête de héros, Festival
universitaire de Nancy, mise en scène d'Antoni Vouyoucas, 1966 et
Tu seras rugbyman mon fils, joué une dizaine de fois en Languedoc
par Les Bouffons du Midi, 1980 -Lo lop, l'agaça e lo TGV, joué
une vingtaine de fois en Midi-Pyrénées et Languedoc par la troupe
Comedia dell'oc, 1992 -Las aventuras de Gran-de-milh, (en trois
langues, occitan, français et nahuatl) représenté par Comedia
dell'oc dans le cadre de la Foire Internationale de Toulouse,
1995. Pièce éditée par le Conservatoire Occitan, Toulouse, 1997,
illustrée par Jean-Marc Petitfils. Jouée par le Théâtre 107 dans
le cadre du Festival Théâtre en Fête de Carbonne, 1998.
-Astrada (en français, occitan et italien), créé au Théâtre du
Peuple de Millau en 1994 par Comedia dell'oc et représenté au
Théâtre de la Digue, Toulouse, en 1996. Edition d'une cassette
vidéo par Lapilli Films , 1997. Edition du texte prévue à
l'Institut d'Etudes Occitanes 2008. -Nadalet 2005, Nadalet
2006, Nadalet 2007, Nadalet 2008, Nadalet 2009 (occitan, français)
pastorales en occitane t français créés dans le cadre de la
communauté de communes du Val d’Agout (Tarn) Mise en scène de
Jean-Michel Hernandez
Auteur de traductions :
-Le
hautbois de neige de Max Rouquette, Ed. Gallimard, 1981 -Vert
Paradis de Max Rouquette, Editions Le Chemin Vert, Paris, 1980
Prix Olivier de Serres, 1980. Réédition aux Editions de Paris,
1998. Réédition aux Editions du Rocher 2006 -Le Livre de
Catoia/ Le Livre des Grands jours de Joan Bodon, Ed. Le Chemin
vert, Paris, 1982 -L'oeuvre théâtrale de Glaudi Bruèis, Théâtre
baroque occitan, mémoire de recherche pour les Hautes Etudes en
sciences Sociales, Paris, 1982 -Le jeune homme de novembre/La
pluie/La terre de Bernard Manciet, Ed. Le Chemin Vert, Paris, 1986
-Nihil consolamentum de Serge Pey, traduit du français en occitan,
Délit Eidtions, Topulouse, 2009 -La boca tampada, pièce de
théâtre de Belbel traduite de l'espagnol en occitan pour le compte
de ART Cie, 1999 -O Toulouse de Claude Nougaro, traduit du
français en occitan pour l’inauguration de l’Ostal d’Occitania,
2006. Chantée par Renat Jurié. -Chansons de Violeta Parra,
traduites de l’espagnol en occitan pour Jean-Pierre Lafitte, 2007.
Chantées par Martina de Peira. -Poème de Rûmi, traduit du
persan en occitan avec l’aide de Manijeh Nouri, 2007, poutr le
cérémonial « La passion de Rumi » du 8 octobre 2007, St Pierre des
Cuisines, Toulouse
"Librettiste" pour les spectacles
suivants :
-Douce-amère de J.M. Hernandez, La Mounède, mai
98 -Erm de ròsas, argument de ballet pour Michel Raji,
Toulouse, juin 98 -Contra suberna, livret d'une cantate de
Gualtiero Dazzi, création à la Halle aux Grains avec l'orchestre
de Chambre National de Toulouse, 1998 -La légende de Jaufre
Rudel, livret pour la création musicale de Vicente Pradal, La
Mounède, 2000, Fête de la Musique 2000 Toulouse, Estivada de Rodez
2000 -Terras del ponent, livret pour création musicale,
création à la Mounède, mars 2003. Représenté à Figeac (mai 2003),
à Roques sur Garonne (avril 2004), Festival Estivada de Rodez
(juillet 2003) -Terras londanas, livret poétique. Création
musicale de Gérard Zuchetto, novembre 2004 au Centre Culturel Le
Moulin, Roques/sur Garonne -La Passion de Rumi avec le trio
Chemirani et Manijeh Nouri, création Auditorium St Pierre des
Cuisines dans le cadre du Festival Occitania, octobre 2007 -Lo
Libre dels Rituals, en hommage à Françoise Meyruels (décédée en
1999). Composition électro-acoustique de Bertrand Dubedout,
directeur artistique du festival Novelum. Création le 27 novembre
2007, dans le cadre du festival Déodat de Severac, à l’auditorium
St-Pierre des Cuisines (Toulouse) : pour mezzo-soprano (Sonia
Turchetta), flûtes, trio à cordes (ensemble italien ICARUS) et
dispositif électro-acoustique.
*
Le dernier livre d’Alem
Surre-Garcia est un roman picaresque. Le roman picaresque trouve
son origine dans la littérature espagnole du XVIème siècle. C’est
un genre populaire. Dès le XVIème siècle la littérature espagnole
influencée non plus par la littérature française, arabe et juive
comme dans les époques précédentes, mais par Dante, Pétrarque,
Boccace et par eux par l’antiquité classique, n’en repose pas
moins sur un solide substrat populaire. Nourri d’une tradition
déjà longue, où la sensibilité chrétienne se combine avec une
conception stoïcienne et héroïque de la vie, son réalisme ne
redoute pas les aspects les plus sordides de la vie, mais demeure
lié à une profonde tendance moralisatrice qui s’exprime volontiers
sur un mode sentencieux. Or, le roman picaresque va reprendre
cette tradition littéraire en transformant le sentencieux en
comique jubilatoire. C’est cette force donnée par l’hilarité qui
va faire le succès en 1554 de Lazarillo de Tormes, qui
prend le contre-pied des productions narratives de son temps,
donnant naissance à un genre nouveau. Un narrateur, qui est à la
fois protagoniste de l'histoire qu'il raconte, s'attache à décrire
"sus fortunas y adversidades". Sa narration est émaillée de
thèmes récurrents qui constitueront le noyau dur du roman
picaresque: la faim, la représentation de certains types sociaux
(le noble, le curé, etc.) ou la transgression des valeurs sociales
de l'époque. Quarante-cinq ans séparent le Lazarillo de Tormes(1554)
du Guzmán de Alfarache (1599), "ouvrage de
fondation", comme l'a qualifié M. Molho, qui pose les
caractéristiques essentielles du genre picaresque.
Le roman picaresque est, en
premier lieu, le récit d'un antihéros. Le pícaro est un
gueux de basse extraction sociale, né de parents ouvertement
marginaux ou délinquants. Son but est de changer de condition, de
s'élever dans l'échelle sociale; à cette fin, il n'hésite pas à
recourir aux subterfuges les plus astucieux, à la fraude et à la
tromperie pour tenter d'échapper à la faim, ou à tout le moins, à
la pauvreté. Il vit de menus expédients et se consacre à toutes
sortes d'activités marginales, toujours liées à l'argent. Tour à
tour mendiant, portefaix, valet, voleur, voire dans le meilleur
des cas, financier, c'est-à-dire escroc pour les esprits de
l'époque, il incarne le rejet des valeurs sociales. Dans une
société où le profit est synonyme d'usure et le négoce d'activité
douteuse, le pícaro reflète une mentalité hostile au
mercantilisme. Au déshonneur de ses origines s'ajoute l'ignominie
du personnage, prêt à tous les subterfuges pour trouver sa
quotidienne pitance.
Le caractère moralisateur est
indissociable du genre picaresque. À l'instar des livres de contes
médiévaux et des sermons où l'exemplum illustre un
comportement censurable, le roman picaresque apparaît comme une
succession d'épisodes qui conduisent le gueux vers la déchéance.
Le roman picaresque est
toujours une satire de la société.
C’est sur cet archétype
littéraire qu’Alem SURRE-GARCIA a écrit « Man Trobat ».
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C’est l’histoire d’un jeune homme perdu
dans la grande Babylone, mégalopole contemporaine. Man trobat ("on m'a
trouvé", Montrouvé) raconte sa propre histoire en une succession de courts
chapitres à la manière d'un roman picaresque moderne. Man trobat ?
Voici comme le dépeint Gabriel dans son avant-propos
: « Un jeune, sans relations
sincères autres que virtuelles. Coupé de la nature, fasciné par ce qui en
reste. Un picaro contemporain en recherche d’emploi, qui se vit comme un
déchet entravant la bonne marche du monde. Inapte au bonheur, il n’apprend
rien des épreuves traversées. Incapable de s’enrichir, tant matériellement
qu’intellectuellement ou moralement ». A travers ce personnage
s'exprime une amusante satire
de notre société.
Ce roman picaresque est écrit en langue
d’oc, reprenant ainsi la tradition du picaresque de la littérature
occitane du XVIIème siècle.
Le comique de situations des
tribulations de Man Trobat révèle le cynisme de la société. En vain le
personnage tente de se soustraire à sa mauvaise condition sociale. Le
récit est fragmenté par des parties très courtes, faciles à lire. Chaque
épisode donne un éclairage sur la façon dont le personnage adhère ou pas à
la société. Par la succession de ces différents tableaux, l’auteur suggère
avec malice qu’il serait temps de corriger les mœurs de notre époque.
Quant à Man Trobat, il n’est touché par rien ; rien ne l’atteint, même pas
sa propre mort. Il ne comprend pas la société et la société ne le comprend
pas. On rit et pourtant c’est tragique.
Cependant la roublardise du personnage picaresque espagnol n’est pas de
mise dans ce récit. Ce n’est pas le caractère de Man Trobat. Il n’a même
pas ça ! C’est la différence fondamentale avec le picaresque espagnol. Le
picaresque occitan d’Alem Surre-Garcia est plus noir. C’est plus par
instinct que par discernement, que Man Trobat s’écarte d’une secte. Son
manque affectif est patent, mais en a-t-il
vraiment conscience ? C’est un
personnage projeté dans le XXIème siècle avec les archétypes du XVIIème
siècle. Par exemple, ayant vécu dans une ferme, il s’entiche d’une poule.
Alem Surre-Garcia, lui aussi, a vécu
dans une ferme dans les années quarante à soixante. A cette époque la vie
rurale ressemblait à celle de la fin du XIXème siècle. La vie à la ferme
était celle traditionnelle des animaux de ferme, d’une absence totale de
machinisme, d’une société avec ses règles sociales immuables. L’exode
rural dans les années soixante a pulvérisé brutalement et de façon
immédiate cet équilibre social. La vie y était dure certes, mais il y
avait une cohérence, le tout dans une grande simplicité.
Le récit est aussi mis en valeur par la
saveur de la langue occitane. C’est une fable.
Les errements de Man Trobat sont
prétexte à stigmatiser l’incommunicabilité, l’esseulement induits de notre
mode de vie. On rit de nos malheurs, de nos travers.
Comment survivre parmi nos ordures ?
Quel baume appliquer ? Celui de la Vierge Noire comme Man Trobat ?
L’auteur concède avoir mis beaucoup de
lui dans ce récit, mais il n’y a pas que lui. Comme Man Trobat il a été un
enfant abandonné. Certains, constate-t-il, ne s’en sortent pas. « A
soixante dix ans, je peux avec ce personnage, ruser avec la vie. Mais il y
a une distance. C’est un regard de discernement sur notre société. Les
médias zappent, le livre impose de prendre du temps, donc du recul. Cette
distance est indispensable pour mieux apprécier la vie », conclut notre
romancier.
Lecture en français d’extraits du livre
et lecture d’un passage en oc.
D’une langueur
chagrine (chapitre XI)
Pour quelle raison
vous me trouvez la mine défaite et le coeur blessé ? Hélas, Monsieur
l’Erudit, quelle mauvaise nouvelle. Le malheur me poursuit et les choses,
toujours, s’échappent de mas mains.
Voilà deux jours,
lorsque je réintégrai le couloir, Cloqueta, ma chère Cloqueta, je l’ai
trouvée étendue sur le parquet. Tombée du perchoir tandis qu’elle
dormait ? Un cauchemar ? Une maternité contrariée ? La fatigue ? Un espoir
d’envolée vers l’azur, que sais-je ? Un rayon cosmique...tout compte fait,
une indigestion, sans doute cette farine que je lui donnais.
Lorsque je me suis
approché d’elle, j’ai aperçu des filets verdâtres et puants qui
s’écoulaient de son bec. Pauvre Cloqueta, elle qui savait compter les
grains un par un jusqu’à neuf, je peux vous le prouver ! Cloqueta qui
chaque soir me picotait le lobe de l’oreille, Cloqueta m’a laissé trois
œufs en héritage.
Je l’ai portée chez
lz vétérinaire pour connaître la cause de sa mort. L’homme, un fin lettré
et savant réputé, établit un diagnostic assez métaphysique :
- Votre poule, jeune
homme, a attrapé une « langueur monotone »
- ça peut se
guérir ?
- Non et ce,
d’autant plus que nous sommes en « automne » et que « les violons sortent
du bois et que leurs plaintes détonnent »
- Coquin de sort,
mais d’où vient cette maladie ?
- Lorsque le fossé
entre la vérité et la réalité se resserre trop
- Et c’est
contagieux ?
- Tant de choses se
transmettent de nos jours. Voici un psychotrope. Vous l’absorberez chaque
soir au moment où votre poule vous picotait le lobe, et vous verrez, au
bout d’une semaine, la langueur sera plus supportable.
Et comme je
craignais tout particulièrement cette langueur chagrine, je pris sans
tarder la pilule et puis toute la boîte.
*
« Man Trobat » un chef d’œuvre d’une
centaine de pages, hilarant et décapant, qui confirme que la littérature
est la plus appropriée à révéler et corriger nos mœurs.
Certes, le texte est une perle de la
langue d’oc, mais accessible du fait du raccourci des chapitres à la
plupart d’entre nous qui avons une approximation de cette belle langue.
Ensuite, ce livre devra être traduit et pas seulement en français, car il
est universel.
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Christian Saint-Paul reçoit
Serge PEY.
Poète, écrivain, artiste plasticien,
enseignant à l’Université Jean Jaurès de Toulouse, président de la Cave
Poésie René Gouzenne de Toulouse, il a parcouru le monde entier pour dire
ses poèmes dans les rituels inventés de la poésie action qu’il incarne. De
ses nombreux ouvrages, retenons les derniers :
« Le trésor de la
guerre d’Espagne » Zulma, 2011 ; « Ahuc, poèmes stratégiques » Flammarion,
20111 ; « Les poupées de Rivesaltes » éditions Quiero, 2011 ; « Chants
électro-néolithiques pour Chiara Mulas » Dernier Télégramme, 2012 ; « La
boîte aux lettres du cimetière » Zulma, 2014 ; « La barque de pierre »
Voix Editions, 2014 ; « La sardane d’Argelès » dessins de Joan Jordà,
Dernier Télégramme 2014.
Au cours d’un entretien de près d’une
heure, cet artiste complet, dans la pleine maturité de son art qu’il n’a
cessé de pratiquer depuis sa jeunesse, se livre et s’explique sur sa
posture de créateur.
« Dans le poème, il y a cette voix
haute qui est là, celle du fantôme, dit-il, je suis un héritier des
troubadours. Il n’y a pas d’antinomie entre l’écriture et son expression
orale. Je ne suis pas français dans le fond, ce sont les poètes de ma
culture espagnole et hispano-américaine qui m’ont le plus inspiré.
Je suis un mystique ; je range cette
clairvoyance su côté du peuple. Je pratique une poésie populaire que ma
mère peut lire et comprendre.
Je suis un poète du rituel. Lorsqu’il y
a sacrifice du langage il y a poésie. Le sacrifice du langage peut se
résumer à un vers. Mais c’est une mise à mort. La Bible nous en parle, les
grandes religions nous en parlent, toutes les traditions initiatiques nous
en parlent. C’est la destruction de l’imaginaire qui permet le passage,
qu’on va pouvoir passer et trépasser, passer trois fois. Ce que je fais
n’est pas une rupture avec la tradition occitane des troubadours, je ne
fais que décalquer ce que j’écris ; je suis un poète du rituel. Je trace
par terre, je travaille avec des tomates, avec des bâtons. Le spectateur
peut ainsi passer dans un poème dans lequel normalement, il ne pourrait
pas passer. C’est un amour de l’autre. Il faut qu’il y ait des ponts. Nous
sommes là pour offrir ce passage. La poésie est toujours un dialogue avec
la mort. En opérant le sacrifice du langage, le poète devient un autre. Le
poète n’est pas quelqu’un de normal. C’est ainsi que les autres vont
devenir aussi des autres. La poésie va libérer le sacrifice caché de
l’autre. C’est un échange entre celui qui va dire et celui qui va
entendre. Les deux ressuscités vont se confronter et vont se faire face.
En ce sens, je suis chrétien. Ce sacrifice c’est celui que nous a donné la
tradition. La parole incarne le poème. La carnation conduit à la
réincarnation. Arthaud ne faisait rien d’autre. Le poème est un état
permanent de réincarnation.
Je suis passé de la révolution
permanente à la résurrection permanente avec le poème.
La poésie est une spiritualité. Elle
pense le monde d’un angle où personne ne peut le penser. Elle est
alchimiste. Depuis fort longtemps je travaille sur Jérôme Bosch. Inventer
le langage c’est s’inventer soi-même. C’est une expérience spirituelle et
mystique. L’athéisme est une spiritualité. La performance c’est l’art de
la publicité capitaliste, c’est la mise en scène de l’ego. L’ego n’est que
l’objet. Moi, je m’oppose complètement à cela !
Je pratique la poésie d’action, comme
le troubadour s’accompagnait de son luth autrefois. Mon projet n’est pas
le spectacle, mais l’engagement d’un amour permanent, la libération d’un
amour permanent de l’autre. Le poème ne fait que raconter ce chemin du
retour, celui d’Orphée qui revient vivant. Le poète est celui qui revient
vivant de son sacrifice. »
Christian Saint-Paul fait alors
allusion à un souvenir, celui de
Marianne Miguet,
brillante bibliothécaire du fonds régional de la Ville de Toulouse, qui
fit tant pour faire connaître la richesse de notre culture, qui,
s’interrogeant sur le malaise qu’elle ressentait lors d’une lecture de
poésie d’action de Serge Pey, avait fini par comprendre qu’elle était
entièrement submergée par l’émotion. Cette émotion n’est-elle pas le
résultat de la gravité du poème ? Dans l’amour il y a de la gravité
aussi ; elle ne peut se débarrasser de la pesanteur.
Serge Pey répond :
« La joie est grave. Nous sommes dans
un dialogue permanent avec la mort. L’acte sacrificiel n’est pas un acte
où l’on rit. Le poète, prêtre du langage, peut avoir cette distance dans
la dérision qui lui permet de rire. J’ai des poèmes qui font rire et je
l’ai voulu ainsi. L’émotion n’est pas la condition du poème, mais elle
menace l’autre dans sa carapace. Il faut être totalement désespéré pour
être libre. On peut alors, dans cet état de liberté, envisager un autre
niveau d’espérance. Je suis là, et d’un coup, je vais t’aimer. C’est ce
désespoir qui va nous permettre d’accéder à la joie, une fois cassée
l’espérance dans l’acte sacrificiel du poème. Car nous sommes dans la Joie
pure, celle de Spinoza, celle de la Connaissance. »
Avant de lire des extraits de « La
sardane d’Argelès », Serge Pey explique que ce livre d’artiste avec
Joan Jordà
répond à une nécessité de dialoguer avec les Ménines que venait de peindre
Jordà.
« Mes Ménines sont les poupées de
Rivesaltes. Jordà était dans le même camp de concentration que mon père.
Et nous avons été, avec Jordà élève du même collège.
La poésie n’est pas un exercice de
langage. Elle doit se perdre dans la vie. S’il n’y a pas d’aller-retour
entre la vie et le langage, elle n’existe plus la poésie. Ce n’est que la
copie des mots de la poésie.
A Rivesaltes, pour la commémoration du
camp, avec
Charria Mulas, j’ai réalisé
une poésie d’action. Avec une énorme boule de barbelés, j’ai mis en place
un rituel : avec des poupées de coton, clouées sur les barbelés, Charria
Mulas, nue, a déroulé un grillage de cent mètres de long, et moi, avec
deux anarchistes du POUM qui m’ont aidé à traîner les barbelés, nous avons
traversé ainsi le camp. Les gens pleuraient. Les poupées ont été
accrochées aux fils barbelés et du sang a jailli de ces corps de chiffons.
Et puis il y a eu un miracle : Charria Mulas a trouvé une photo de mon
père ; c’était le seul, au milieu des prisonniers, qui regardait
l’objectif du photographe.
C’est après que j’ai écrit
« La sardane
d’Argelès » car mon père,
comme tout catalan, dansait la sardane. J’ai imaginé une sardane dansée à
l’envers par des libertaires catalans, les dos des danseurs uniquement se
faisant face, la tramontane soulevant le sable froid, devant les fusils de
l’armée française. Cette danse, symbole de la nation catalane, où les pas
sont comptés en silence, est un hommage à ceux tombés dans toutes les
fosses communes de l’espérance. »
Nous avons acheté
des fusils à silence
pour tirer contre
les prières
Nous avons crié des
poèmes
de traverse et de
passage à niveau
La terre cloue nos
paroles
à l’entrée des
maisons
comme des oiseaux de
caoutchouc
et de cuivre
Nous moissonnons
le sable
Nous fauchons la
neige dans les morts
Nous comptons deux
fois
nos pas courts
au bout de nos
sandales
puis encore deux
fois
nos pas longs
Et encore les courts
deux fois
et les longs quatre
fois
jusqu’à compter les
pieds
de l’infini
Puis encore deux
fois
pour être plus grand
que le nombre du
sable
qui compte nos pieds
Deux fois nos pas
courts
et deux fois nos pas
longs
pour allonger
l’infini
d’un pas plus grand
que lui
Nous comptons nos
pieds nus
jusqu’aux pieds nus
des morts qui
dansent à l’envers
dans nos épaules
Et encore quatre
fois nos pas courts
les bras baissés
et six fois nos pas
longs
les bras levés
Sans nous arrêter
La nuit
n’arrête pas
d’arriver
Le Tout qui s’unit
au rien
tremble
dans ses additions
et ses preuves
Josep patiemment
creuse le silence
avec une pioche
La nuit coud les
étoiles
comme des boutons
sur sa chemise noire
Parfois quand il a
chaud
il déboutonne le
ciel
La nuit sue
quand il chante
|
|
|
|
Christian Saint-Paul revient sur le n°
52 de
« Nouveaux Délits, revue de
poésie vive » (6
€, abonnement 28 €, chèque à adresser à Association Nouveaux Délits, Létou
- 46330 Saint Cirq-Lapopie).
Cette semaine ce sont les textes de Corinne
Pluchart qui sont lus à
l’antenne. Elle vit en Bretagne. Marche. Chemine. Souvent face à la mer.
Et jamais sans poésie. Vous pouvez visiter son blog :
http://corinne.pluchart.over-blog.com
Habitude
Cette habitude des
murs
l’invisible cri
les cailloux,
l’épaisseur
le genou sous la
peau
quand tu dévalais
l’heure
qu’il ne fallait pas
asseoir
17 h 00 -
Sans rien d’autre
autour.
*
De la lumière
Parfois tu ne peux
rien
ta bouche habite
l’obscur
vacille à
l’intérieur clos.
*
Murmures
Murmures des bouches
pleines
grosses de cette mer
et de cet azur vert
qui s’enfonce
A couvert, sous
l’enrochement impassible
un lieu que tu n’as
pas ouvert
tu avais dit
étreinte et voix réunies
quand cette
absence de mer asséchait ta peau
et tout ce qui
soulève une paupière.
Derrière,
traces de lui, de
nuit.
Devant,
Traces de lumière.
*
Déflagration
Toujours tu crois
à la lumière et tu tends ta main, oubliant la brûlure possible,
l’imminence de l’obscurité.
Et il y avait comme
un effarement dans ce geste où tu le tenais serré : le détalement
impossible des bêtes à l’approche d’un désastre, la lenteur décomposée
d’une fulgurance
*
Prière
Il faudrait
s’agenouiller
coudes repliés
mordre jusqu’au
silence blanc
puis dans ce
mouvement de paupières
disjointes
couler dans un
murmure
jusqu’à l’effacement
de l’absurde
S’agenouiller puis
joindre les mains.
*
Ce n° de Nouveaux Délits, au sommaire
bien choisi comme toujours, offre aussi l’avantage de comporter deux notes
de lecture de
Cathy Garcia qui excelle
dans ce genre ce qui est l’apanage des artistes complets -ce qu’elle est
authentiquement- qui sont les mieux autorisés à écrire sur la poésie.
Lecture de la note sur
« Cigogne »
(nouvelles) de Jean-Luc A. d’Asciano,
Serge Safran éditeur, 184
pages, 16,90 €. C’est le
premier livre de fiction de ce docteur en littérature et psychanalyste qui
a fondé les éditions de l’Œil
où il a publié « Petite mystique de Jean Genet ».
*
Eugène Savitzkaya
fait paraître aux Editions de
Minuit
« A la cyprine,
poèmes »
( 100 pages, 11,50 €) ;
des textes sensuels à l’érotisme subtil. Une langue revigorée par un
regard débarrassé de tout préjugé qui a fait le constat que « sans la
cyprine, point de bonheur en ce monde, ni d’appétit ».
Lecture d’extraits
Il manque un doigt
à ton alliance, ma
mère
mais derrière la
haie
les mains s’unirent
dans la mort
comme s’unit la nuit
au jour
le sang au cœur,
courez !
vous n’avez plus de
poids
soyez dans le
prunier assis
aux meilleures
branches
petite mère et petit
père
qui ensemble
ramèrent
*
Le losange de
l’ouverture de la vulve
de soie est autour
de la pointe de la
flèche de la verge,
la chair est dans
la chair, l’os est
passé comme un col
et le long doigt
d’éponge fait joujou
dans l’anneau
iliaque, dure-mère, que
ton con est au-delà
des os !
*
Portant son mouchoir
à mes lèvres
je sus qu’elle
marchait au vent
à Tarifa, Rees ou
Tarfaya
que son genou droit
luit
que sa mère a tressé
ses cheveux
et que son ventre
bruit
tendre sœur connue
en rêve
dans l’odeur du
lotus
de la cannelle et de
l’euphorbe
*
Antoine de Saint-Exupéry
constatait :
« Il est aisé de fonder l’ordre d’une société sur la soumission de chacun
à des règles fixes. Il est aisé de façonner un homme aveugle qui subisse,
sans protester, un maître ou un Coran.
Mais la réussite est
autrement haute qui consiste, pour délivrer l’homme, à la faire régner sur
soi-même. »
Il m’a semblé que
Khalid El MORABETHI
était un homme qui régnait
sur soi-même.
Ce que j’ai lu de lui, je crois pour la
première fois précisément dans la revue Nouveaux Délits, m’a tout de suite
interpellé. Le regard qu’il lançait sur le monde était celui de l’intime
qui restitue, par ce qu’il y a de plus personnel, la nature universelle de
l’homme. Par la peinture de son entourage familier, Khalid El Morabethi
nous fait pénétrer dans le plus secret microcosme de la société dans
laquelle il évolue. Et ce faisant, il nous livre l’ensemble de la société
marocaine et accède par la justesse de cette représentation, à
l’universel.
« Ma civilisation, héritant de Dieu,
a fait les hommes frères en l’Homme »
concluait Saint-Exupéry. Et la poésie de Khalid El Morabethi, toute de
douceur et d’amour portés sur les hommes et femmes de sa ville, de sa
famille, crie que les hommes
sont frères en l’Homme.
Voici ce que ce jeune poète marocain
dit de lui-même :
« Depuis
la naissance d'un stylo, j'ai toujours écrit .
Je suis Khalid EL
Morabethi, né le 10 juillet 1994 / 1 SAFAR 1415 à Oujda au Maroc. J’ai
commencé à écrire dès l'âge de 12 ans. Après avoir obtenu le baccalauréat,
j’ai décidé de continuer mes études à la Faculté de Lettres Mohamed1 de
Oujda, en littérature française.
J’aime
écrire . Parfois j’écris les mêmes phrases, les mêmes mots mais surtout
pas les mêmes sentiments. Je veux juste écrire un message mais il me
faut juste cette chose, ce stylo d’or, cette force, cette voix, cette muse
du ciel.
lamuseduciel.blogspot.com
Mes textes ont paru dans quelques
revues comme :
( Tome ( Chemin faisant ) N°13 / Bleu
d’encre n°33 / XERO
N°13 / Traversées N°76
/ Interventions à Haute Voix N°54 – N°52 / Cahiers
de Poésie numéro n° 42 –
n° 39 / Art’en-Ciel ! N°22 - N° 19 / Cristal
Lyrics N°9 / PORTIQUE
n°97 – N°93 / TÉHÉRAN
n° 111 - n° 107 / Souffle vol 75 / Poésie/première n°60 / SOLEILS &
CENDRE N°111/ Vocatif
'' Là ou souffle le vent /
AaOo / Le journal des poètes / LIBELLE N° 258 / Les Cahiers de la rue
Ventura N°24 / Lélixire n°8 / A L'INDEX - espace d'écrits - N°22 /
Reflets du temps / La cause littéraire / Le Capital des
Mots / moniqueannemarta / Paradoxe / Salamandre D'axolotl N°14 - La
salamandre d'Axolotl
n°9 / Sitaudis / Mondesfrancophones / inks-passagedencres / La
revue Nouveaux Délits /
Le cahier d'écriture / Remue /
Ravage N° 9 / le florilège 2015 des Editions SOC
et FOC / Ce
qui reste / Recours au
poème 2013 / Francopolis )
J'ai un recueil de poésie publié sur
( lesalondumanuscrit ) sous le titre de ( Le juste que ... ) »
Lecture de textes de Khalid El
Morabethi
Absence .
Silence ! J’écris
l’absence, De ce point qui ne mettra jamais une fin, Et le retour de
quelqu’un, qui est loin, Et la paix, Et la lumière ! Sur la
terre, sur mon ombre, sur l’océan noir, Sur la terre, sur mes mains,
sur l’arbre noir, Sur la terre, sur mes doigts, sur la chaise noire,
L’absence, De ce monsieur qui écrit le sens et part, De ce monsieur
qui rentre tard le soir, Et dort tout simplement, J’écris l’absence
de ces rêves, malheureusement. Silence ! Absence, absence, De ce
monsieur qui a des ailes, qui vole, Et son sourire, Et son regard
qui peut tout dire, Et son présent, et son futur, J’écris le vide,
j’écris sur ce mur dur, J’écris le vide, j’écris sur … Silence,
Un absent meurt, D’autres résistent, Certains existent,
Quelques-uns écrivent leur propre liste, Et partent. Silence !
J’écris L’absence, D’un voisin fleuriste, D’un autre plus près, un
pianiste, Et la vieille dame d’en face, qui chantait l’opéra … c’était
triste, C’était beau, c’était … Admirable à écouter, Admirable à
voir, on ne pouvait rien ajouter. Et puis J’écris, Absence,
absence, D’une voix, D’un salut, D’un livre qui aurait dû être
lu.
*
Monsieur Noir
Monsieur noir,
Ouvre la porte,
monte l’escalier, passe dans un couloir,
C’est un homme,
C’est un loup,
Les contours de son
visage se découpent de l’ombre,
Et enfin il entre
dans la chambre,
D’un absent,
Innocent !
Un sens assis et qui
colore son sang,
Un sens conscient de
sa maladie,
Conscient de ce
qu’il écrit,
Un message pour
lui-même,
Un message pour ses
poèmes,
Un message pour sa
mort et l’homme qui enterre,
Un autre petit
message pour les vers de terre,
Et au questionneur
sans prénom ni odeur.
Au questionneur
habillé en blanc et qui porte une fleur,
Sans couleur,
Sans parfum,
Sans le mot de la
fin,
Sans sens.
Sans un rythme,
Sans …
Juste absence,
absence.
Le visiteur noir,
Grogne,
Respire,
Il lance un petit
sourire,
Et quand l’horloge
indique neuf heures et demie,
Quand l’horloge
indique que le cœur de la lune a arrêté de battre,
Que c’est bientôt
fini,
Quand l’horloge
indique que le soldat sans numéro a arrêté de se battre,
Que c’est fini,
Noir crie
Magnifiquement crie
Et fait partie
entièrement de lui,
De moi,
C’est un homme,
C’est un loup,
Une raison, une
passion, une foi,
Je l’entends parler,
Je m’entends parler
et répondre,
A mes questions.
Monsieur noir,
Me dit que mon
refuge est mon cri.
*
La chaise d’en
face
La chaise d’en face,
Isolée,
observatrice,
D’un vide qui danse
au rythme de son fils,
Une chorégraphie qui
fait couler les larmes du plafond,
De grosses gouttes
visqueuses s’écrasent au sol et se noient tout au fond,
Tout au fond d’une
mémoire douteuse face à son reflet putréfié,
Tout au fond d’un
regard oublié
La porte s’ouvre
pour laisser entrer le vent,
Faisant virevolter
les longs cheveux d’un vieillard assis au milieu et qui attend,
Faisant s’ouvrir
l’unique fenêtre violemment,
Et redonnant vie aux
notes blanches et noires du piano,
Tandis que les
lettres se lisent, se déchirent et se brûlent,
Et qu’au coin, près
de la chaise, la trompette hurle.
A la moitié de la
lune,
A la mort,
Au sort qui semble
pleurer la flore.
La chaise d’en face,
Seule, spectatrice,
Des robes qui
jaillissent du néant et déferlent à l’intérieur d’un cœur,
Qui bat lentement au
rythme d’une éternelle prière qui ne s’entend pas,
Qui bat lourdement
au rythme des anciens pas,
Des yeux qui se
divaguent, cherchent et se perdent ailleurs,
Et des mains
ouvertes, paumes face au ciel qui tiennent des fleurs,
Toutes ténébreuses,
Toutes pâles,
silencieuses,
Attendant les
petites gouttes de pluie,
Attendant une
lettre, un message, un cri.
La chaise d’en face,
Observatrice,
D’un chef
d’orchestre qui dirige avec une main l’Apocalypse,
Et au milieu de la
terre, la mère attend son fils,
Le soldat,
Mort ou blessé mais
victorieux au milieu d’un combat.
*
Un silence
poétique
Un silence d’un
vent, Un long silence du temps, Un rouge pourpre colore l’air,
Rien n’est clair, Noir ! Dis-je. La voisine d’à côté vient de
mourir, Je l’ai vue hier planter des roses avec un sourire, Voilà
qu’elle vient de partir. La pluie tombe et les gouttes font un bruit
étrange, Est-ce la tristesse ou la colère ? D’un ciel spectateur ou
la terre, Cette terre qui ne peut plus, Qu’on ne la mérite plus.
Un silence blanc, Qui contemple les fleurs orphelines, Un silence
d’espoir qui essaie d’illuminer leurs racines, Un rythme long, Une
forte respiration qui s’entend, Je m’assois et je dis que je serai le
suivant, il faut que j’attende, Je partirai bientôt de ce monde.
Vois-tu, je sais qu’il m’attend, je sais qu’il m’entend Un silence
beau, Face à ce corbeau, Un corbeau rongé par la tristesse et qui
pleure, Le soleil perd sa lueur, Et meurt, afin de laisser place à
la lune, Meurt poétiquement au bout de la dune. Espoir regarde le
ciel, pour faire pitié peut-être, Il regarde ce ciel en deuil qui a
besoin de sa prière, peut-être, Espoir pensif ne ferme pas ses yeux,
Même si ces chefs-d ‘œuvre tombent en feu, Même s'il a perdu son
combat, Même si les cœurs fabriqués en papier ne battent pas, Même
si les regards sont vides, Même si la patience affaiblit et commence à
avoir des rides, Un espoir silencieux, assis, Face aux débris,
Face à la vie, Une vie, Pathétique, Tragique, Poétique. Un
silence, En face de moi, le corbeau danse autour d’un trou immense.
*
Point à la ligne
Point à la ligne,
À l’entrée,
Une femme parle des
messages et des signes,
Elle parle de sa
maladie presque délicieuse,
Qui a créé la
poésie,
De son départ qui a
fait souffrir ses amants,
Qui les a rendus
silencieux, assis et sans battement.
À l’entrée,
En face d’un ancien
moulin,
Des rêves et des
soupirs,
Des larmes qui
coulent en dedans, sans prendre le risque de sortir,
Des réponses, et des
remises en question,
Des souvenirs qui se
rattachent aux vivants,
Qu’ils étaient
autrefois.
En face, des esprits
aveugles habitués par la même musique grinçante,
Errent dans une
terre abondante.
À la ligne,
La foi seule,
terrorisée et triste, crie famine,
Crie au secours,
A la vue de la haine
nue et qui bat à mort, l’amour.
Point.
À l’entrée,
Près de la rivière,
Les femmes à côté de
leurs ombres défigurées, chantent,
‘’ Ô temps,
dis à mon père qu’il attend,
Ô ciel, dis à ma
mère que je suis belle et rebelle. ‘’
Point à la ligne,
Le drame,
La vie,
La sagesse, la toute
vieille dame,
Que n’en finit pas
de vibrer,
Que l’homme n’a
jamais écouté ce qu’elle dit,
Que l’homme n’a
jamais vu ce qu’elle lit,
Que l’homme n’a
jamais pensé où elle part,
L’homme n’a jamais
pensé que le désastre sera un jour un art,
A la ligne,
Qu’est ce qui nous
reste ?
A l’entrée,
Le soleil se lève à
l'ouest.
*
Au fond
Au fond,
Elle dit,
Hélas,
Plusieurs fois de
suite,
Hélas, hélas …
Une guillotine en
face,
Là-haut, les yeux se
ferment,
Les pleurs du temps
s’arrêtent,
Les dernières
paroles et la pluie tomba abondamment, lourdement sur la terre,
Une tète coupée, une
belle histoire s’efface, derrière.
Si seulement...
Soupir en
contemplant un visage,
Vouloir comprendre
cette chose au milieu, au fond de ces pages.
Si seulement …
Ce Corbeau pouvait
parler de cette naïveté qui ne cesse de déchirer les nuages,
De ce chant d’espoir
montrant sa vieillesse, sa faiblesse,
Hurlant, s’étouffant
dans son oreiller et laissant doucement le poison pénétrer.
Si seulement …
Ce Corbeau et son
ami Oiseau pouvaient rechanter ensemble,
Et dire à ce
vieillard au regard amer,
Qu’à droite le
chemin mène à la lumière et l’autre jette brusquement en arrière.
Si seulement …
Un esclave pouvait
choisir.
Entre laisser ses
mains dans la poussière,
Et se battre contre
ces bras qui ont poussé sa flamme sourde en enfer.
Au fond,
Le sommeil du mal
est terriblement agité,
Seul dans un château
où rien ne bouge, sauf l’ombre de la fatalité,
Regardant le
plafond, cherchant le pardon,
Observant dans le
miroir ses yeux, ses joues tremblantes, ses rides,
Son regard qui le
percute de plus en plus dans le vide,
‘’Pardon … !
‘’
A écrit sur les
murs.
Au fond,
Ces trois chemins
mènent au cimetière
Ö Mort !
Votre odeur,
Votre lueur,
Proche, proche,
Ö Mort, la seule
réalité, prend cette illusion en douceur.
Khalid EL Morabethi
*
La COP 21 siège à Paris. L’enjeu
écologique depuis longtemps préoccupe les poètes.
Homero ARIDJIS
est de ceux-là.
Né à Contepec, dans l’Etat de Michoacán
au Mexique, en 1940, d’un père grec et d’une mère mexicaine, Homero
Aridjis commence à écrire à l’âge de onze ans et obtient son premier prix
treize années plus tard. Il a suivi des études de journalisme avant
d’enseigner dans plusieurs universités en tant que professeur invité. Il
est très impliqué dans la défense de la nature : il lutte activement
contre la disparition des forêts et la préservation des animaux et a
participé à la création du “groupe des cent”, groupe d’intellectuels
partageant son avis. Il a publié plus de nombreux ouvrages de poésie et de
prose traduits dans une douzaine de langues, dont La zone du silence,
roman paru au Mercure de France en 2005. Durant six ans il a été président
de l’International PEN, l’association mondiale des écrivains. Depuis avril
2007, il est ambassadeur du Mexique à l’Unesco.
De lui, Yves Bonnefoy, dans sa préface
à
« Les poèmes solaires »
(éd. Mercure de France,185 pages, 17,50 €)
dit : « Homero est assurément très de
son pays, qui est à la fois de langue indienne et espagnole. Il l’est
comme Octavio Paz. Il l’est par un apport essentiel à cette conscience de
soi dont il faut préserver la salutaire inquiétude ».
Lecture d’extraits de « Les poèmes
solaires » et plus particulièrement, ce poème choisi en songeant au poète
surréaliste toulousain
Jean-Pierre Lassalle,
spécialiste de Lautréamont.
Je te salue, vieux
Soleil
(Hommage au comte de
Lautréamont)
1-
Je te salue, vieux
Soleil,
quand tu apparais au
milieu du ciel
comme un jaune d’œuf
frit
entouré de nuées
insidieuses.
Je te salue, Soleil
de la ville polluée,
quand tout le monde
passe
maudissant la
chaleur
sans même te
regarder.
Je te salue, Soleil
des murs froids
et des chambres
abandonnées,
que personne ne
regarde ni n’habite.
Je te salue, œil
unique,
pupille blanche
de la nuit totale.
2-
Je te salue, vieux
Soleil à la face joviale,
toujours différent
et semblable à toi-même
grand solitaire,
beau dans ton règne azur.
Je te salue, Soleil
des matins gelés,
assommé sous les
édifices horribles
comme un jaune d’œuf
anémique.
Je te salue, Soleil
des soirs sanglants,
quand tes rayons
tambourinent aux murs
des temples le
tam-tam de la mort.
Je te salue, Soleil
des mystères ludiques,
quand tes pensées
dansent aux sommets
des montagnes comme
des jaguars d’or.
Je te salue, Soleil
des non-voyants,
quand tu descends
sur les mains noires
qui jouent dans la
rue les instruments à cordes.
Je te salue, Soleil
des lèvres bleues
et aux blessures qui
jamais ne se ferment,
quand tu te poses
sur les corps morts.
Je te salue, Soleil
des éclipses totales,
quand, entouré
d’obscurité,
tu nous regardes de
l’intérieur et du dehors.
Je te salue, vieil
Être,
Œil Unique,
pupille blanche
de ma nuit totale.
**
|
|
|
|
« On veut bien admettre que la conquête
politique passe par la force des armes, mais celle des cœurs et des
esprits exige l’assentiment, et une vibration à l’unisson chez les
individus. Le génie de l’intégrisme tient à cette parfaite connaissance
des masses frustrées auxquelles elle s’adresse : tant qu’on aura pas
compris qu’il joue également sur la fascination à l’égard des valeurs
spirituelles, on continuera de dresser avec horreur la comptabilité des
attentats et des assassinats », nous avertissait, il y a déjà longtemps, Henry Chapier
qui poursuivait : « La présence de l’intégrisme, quel qu’il soit et où
qu’il émerge, provoque les mêmes ravages : sa place dans le paysage
français au nom du droit à la différence est une aberration, un non-sens.
Il n’y a dès lors aucune raison d’encourager sa floraison dans des pays
comme le nôtre, et d’accepter cette régression à l’intérieur de l’harmonie
d’un modèle culturel français qui garantit à chaque individu une liberté
de conscience et un climat de tolérance à l’abri de toute frustration. »
Puissent ces paroles être enfin
entendues !
Et que peuvent les poètes dans cette
confrontation mortelle ?
Ecrire malgré l’horreur
était le thème en 2012 du n° 154 de la revue « l’Arbre à paroles ».
Max Alhau
écrivait alors que « la poésie n’était pas explicitement la traduction des
états de notre société, mais plutôt l’expression d’un parcours intérieur,
celui du poète, qui rejoint celui de tous les autres hommes. Soutenue par
les mots, elle fait obstacle au matérialisme de notre époque et elle
demeure cette aventure intérieure qui transcende le temps et s’inscrit
dans une sorte d’éternité. [ ...] La poésie, dans sa variété, par une
écriture qui est aussi cheminement de la pensée, reflète aussi la beauté
de ce monde, même si elle est témoin de la tragédie qui parfois la
sous-tend ».
La beauté de ce monde, elle est
affirmée dans les poèmes de notre invité
Cédric LE PENVEN.
Il est né en 1980. Après des études de Lettres à Toulouse et notamment une
maîtrise sur l’œuvre poétique de Thierry Metz, il devient professeur.
Agrégé de Lettres Modernes, il enseigne et vit actuellement dans le
sud-ouest de la France. Il écrit, cultive son verger, aime sa femme, et
regarde son fils grandir.
Publications :
-
Orage,
Prix de la ville de Béziers 2000, Editinter 2001
-
Elle, le givre,
Prix Voronca 2004, éditions Jacques Brémond, 2005
-
Ile de Cythère, à l’aube,
Encres Vives, 2005
-
L’Immobile serti de griffes,
Encres Vives 2008
-
Menus Travaux,
éditions Tarabuste, 2009
-
Elégies Barbares,
éditions Rafaël de Surtis, 2010
-
Permettez que ma voix, éditions Contre-allées 2011
-
Adolescence Florentine, éditions Tarabuste, 2012
-
Sur un poème de Thierry Metz,
Editions Jacques
Brémond, illustré par le peintre Jean-Gilles Badaire, 2013
-
Variations autour d'un geste,
Encres vives, 2014
-
Bouche-suie,
illustré par Philippe Guitton, Editions Unes, 2015
Livres d’artiste avec Jean-Pierre
Thomas :
un Livre pauvre
Les sources noires,
cinq Face à face,
un carnet de voyage Ce qui
n’est que passage, un livre
extrait de la collection Voyageurs
Le paysage le songe
Certains de ses poèmes ont paru dans
des revues telles que Poésie/Première, Contre-Allées, Décharge, Arpa,
Souffles, Friches, N4728, Héraclite, Rétroviseur et la revue en ligne
Terre à Ciel.
Un dialogue s’instaure avec Christian
Saint-Paul qui est entrecoupé de lecture de textes par Cédric Le Penven.
Celui-ci précise avoir découvert la
force d’attraction de l’écriture à l’adolescence, vers treize ans. Et
c’est bien la Beauté du monde dont parle Max Alhau qui fut à l’origine de
cet engouement. Cat c’est dans le paysage grandiose des gorges de
l’Aveyron que notre poète a grandi. A Saint-Antonin Noble Val , dans ce
triangle complété par Bruniquel, Penne de Tarn, où la beauté semble se
réfléchir dans des miroirs. L’écriture a parachevé cet espace en célébrant
une autre forme, indissociable, l’espace de liberté. Elle lui permet de
donner libre cours à ses idées. Et très tôt il lui apparait que la Parole
construit une forme de dignité à toutes les oppressions.
La lecture de Baudelaire va
l’influencer ; il sera fasciné par les zones sombres et dangereuses et ne
passera pas une journée sans lire de poésie. « Lire les autres, c’est
nourrir sa propre parole » s’enthousiasme-t-il.
Comme Alain Freixe, il est « un poète
qui enseigne ». Il n’établit pas de hiérarchie : poète et professeur sont
intimement liés, c’est faire don de sa parole aux autres, partager la part
d’humanité qu’on porte en nous.
Lecture d’extraits de
« Menus travaux » (éd. Tarabuste)
Cédric Le Penven est un poète de la
Nature. Il attache une importance primordiale aux lieux. Mais en aucune
manière il ne saurait être réduit à un seul lieu. Dire le lieu, c’est se
livrer à une expérience concrète. C’est une géographie de la conscience,
une introspection, encore une fois : concrète. C’est dire le monde
précisément et nommer chaque chose par son nom. Et cela , c’est une tâche
qui nous incombe. Car offrir des mots, c’est proposer des clefs de lecture
du monde.
Il convient qu’aujourd’hui les jeunes
se dirigent vers ce qui est porté par les médias, et donc vers le rap, la
chanson ; ils ne lisent pas de poésie. Mais quand on leur fait rencontrer
la poésie, ce sont de vraies révélations. La rencontre est riche. Et le
rôle de Cédric Le Penven, poète, est de favoriser ces rencontres, de les
provoquer, de les amener vers Nerval, Rimbaud, Apollinaire, James Sacré
etc.
Il est regrettable, toutefois , que
l’enseignement de la poésie au lycée se soit arrêté au surréalisme. Elle
marque ainsi le pas depuis une, voire deux générations.
Lecture d’extraits d’« Adolescence
florentine », textes dictés
par l’impression troublante des peintures de Fran Angelico à Florence lors
d’une visite du Couvent de San Marcos. C’est ainsi qu’il prit conscience
de sa soif de spiritualité, que la poésie comblera. Dans les tableaux à
Florence il ressentit cette sobriété déroutante qui signe les grandes
œuvres.
Dans ses livres de poèmes, il ne faut
pas rechercher de grands thèmes mais plutôt y discerner les nécessités qui
ont prévalu à l’écriture. En effet, chaque recueil est différent. Chacun
correspond à un état de conscience particulier. Car la conscience est
indissociable du langage. C’est avec la conscience que l’on se perçoit. Le
poème est la confrontation de la conscience avec le réel. Par ailleurs,
Cédric Le Penven est attiré aussi par le rapport avec les autres formes
d’art.
L’écriture provient aussi de « la
source noire », le magma de l’inconscient, les questions qui nous
travaillent. En la matière, son modèle c’est
Henri Michaux.
Thierry Metz
fut son sujet de maîtrise à l’Université. « Parce que c’était lui, parce
que c’était moi » explique-t-il en citant Montaigne. Il y a chez Thierry
Metz un contraste entre la simplicité du langage et l’opacité et la
vertigineuse profondeur des textes. De plus, il vient du peuple, et il
était lui-même du peuple. Maçon. C’était aussi un très grand lecteur.
Lecture d’un poème de Thierry Metz
suivi de poèmes de Cédric Le Penven.
Le Penven part de l’infime pour
découvrir la spiritualité, espérant ainsi s’approcher d’une forme de
sagesse. La parole poétique l’aide à être au cœur du sacré de la vie.
Être là est déjà un miracle en soi.
Dans la conscience du sacré, il m’importe peu qu’elle provienne d’un Dieu
transcendant ou d’une immanence.
Lecture de
« Gourgue »
poèmes inédits.
Y aller
pour le visage
émeraude tourné vers le ciel
la résurgence aux
moiteurs troublantes dont les traits appartiennent aux aimés
que la vie exila
j’entame une
histoire où trois pierres deviennent alphabet, de quoi tenir une nuit
entière contre la masse informe qui réclame forme. Tu sais ce que je
parle : mémoire, toujours mémoire
pour le chaos de la
voiture sur le chemin qui longe le ruisseau
l’arrêt au bord de
la barrière qui délimite le domaine du buis et du calcaire. Une ancienne
carrière propose ses trônes vides. La garrigue ressemble à une Atlantide
sous un manteau de ronces et de genièvres. Ces bois durs où graver des
vers qui n’auront meilleure mémoire
tout un arsenal
d’épines, de tiges sèches et coupantes, dans la stridence des cigales : le
désir de se couper et de laisser du sang sur cette poussière qui sent bon
après l’orage
sous la voûte
végétale
l’expression
consacrée qui s’ébroue et trouve place ici. Ceux qui remontent ce sentier
chuchotent, perçoivent peu à peu le caractère sacré de cette eau au cœur
d’un plateau aride : chapelle bâtie dans la patience d’un océan disparu
les rais de lumière
par la frondaison éclatés ne trouvent aucun vitrail, si ce n’est la
pupille de l’aimée qui parle du repas de midi
ce jour où
à l’écart des bruits
et des colères, nous avons décidé d’avoir un enfant, dans le vallon du
Frayssinet
remontant vers la
source tarie, nous ne savions pas encore les cinq années à venir, si dures
dans la peur de voir notre amour rester sans fruit
à chaque course, je
pense à cette émotion qui m’avait envahie
cette décision que
nous avions prise et que le corps nous a refusé
je priais alors
beaucoup alors que je me disais agnostique en société
arrivé au puits, je
ne regarde plus
(que ce qui repose
au fond repose)
*
Cédric Le Penven, un poète de la
spiritualité heureuse que nous aurons toujours à cœur de suivre son
parcours qui s’annonce long, et c’est tant mieux !
avant la résurgence, la rivière aux
eaux translucides, la succession de cascades, mousses minéralisées qui
retiennent la fraîcheur au cœur même de l’été
je cède parfois au désir d’y plonger
une main mais la morsure est trop vive, et je l’extrais d’un geste
parcouru de frissons, retrouvant l’air comme bain d’eau tiède
j’aurai eu le temps de fouiller ce que
l’on nomme une cave : espace secret qui s’enfonce sous la berge, où flotte
la truite, son ventre souple et glissant à flatter de la paume
y aller
pour
y aller
je trouve toujours
une pierre trouée qui me ressemble plus
que mon propre visage
plus becquetée d’oiseaux que dés à
coudre
un nouvel insecte entrevu dont il
faudra chercher le nom
la personne croisée qui nous a offert
le bon jour
ce lieu est le lieu
où être se couche dans ta paume
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Jean-Luc Dousset
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Christian Saint-Paul revient sur
la parution de la
revue « Nouveaux Délits »
revue de poésie vive, n° 52. Après l’éditorial de Cathy Garcia
qui avait été lu lors d’une émission précédente, c’est la lecture de
textes de Jacques
CAUDA qui est donnée à l’antenne.
L’auteur a poursuivi conjointement des études de philosophie et une
formation de réalisateur. Dès 1978, il réalise pour les télévisions
française, canadienne et algérienne une trentaine de documentaires. C’est
en 1998 qu’il interrompt cette carrière de documentariste pour se livrer à
la passion de peindre et d’écrire. Et d’ailleurs, c’est lui qui illustre
ce numéro 52 de la revue. Il crée un courant pictural : le sur-figuratif.
En écriture, il propose l’écriture polymorphe : « le style doit être au
service du sens, la forme être l’effet du fond ». Sa biographie vient de
paraître, écrite par Déborah et Elise Vincent chez Jacques Flament éd.
Lecture de textes extraits du n° 52.
Terre à terre
Quand on prend la
route
Le vent la nuit les
étoiles
C’était en 1497
Partir de Lisboa
vers les Indes
Les esclaves les ors
le Brésil
Comme à la lisière
du monde
Allant de
maniguettes en bisonnes
Fruits de Lisbonne
Au présent du passé
Com suas casas
D’azulejos bleu et
bleu
Et moi de Gama en
Pessoa
Mille routes mille
mots
En chemin seulement
seul
Prenant le temps
d’écrire
Ce voyage d’ici à
moi
Là-bas n(est pas
pour maintenant
J’ai tant à dire
Que je reste seul à
m’aimer
Immobile à grands
pas
Dans ma nuit aux
étoiles
Je me laisse marcher
Comme j’écris la
terre de
La terre pour
objectif
En chemin de papier
*
Revue Nouveaux Délits, le numéro 6
€, abonnement 4 n° 28 €, chèque à adresser à Association Nouveaux Délits
Létou - 46330 St Cirq-Lapopie.
Christian Saint-Paul accueille son
invité
Jean-Luc DOUSSET
journaliste, écrivain qui vit à Toulouse et qui vient de publier, presque
à la suite, deux biographies très originales sur des personnages qui
furent très connus et dont l'oubli menaçait de les ensevelir
définitivement. Ces deux livres sont publiés aux éditions
Jeanne-d'Arc au Puy-en-Velay ( www.ija.fr).
Il s'agit de :
Philibert Besson - le fou qui avait raison -
et de
: Giampretro
Campana - la malédiction de l'anticomane -
Le livre sur Philibert Besson a fait
l’objet de l’émission du 25 juin 2015 et est toujours disponible sur le
site.
Ce
soir, l’auteur qui vient de recevoir le
prix spécial du jury
d’Histoire 2015 des Gourmets de Lettres
, sous l’égide de l’Académie des Jeux Floraux de
Toulouse, vient nous parler de son livre primé :
"Giampietro Campana - la
malédiction de l'anticomane".
Anticomane, nous éclaire l'auteur est
celui qui est malade des antiquités, le véritable obsédé des antiquités.
Giampietro Campana, est un archéologue
italien, collectionneur "boulimique" du 19.° siècle.
Dans "Giampietro Campana la malédiction
de l'anticomane", nous explique Jean-Luc Dousset, je m'emploie à retracer
l'existence de ce personnage hors du commun !
La majeure partie de la collection
rachetée par la France en 1861 est conservée au Louvre (il y a une galerie
Campana qui comporte je crois neuf salles) mais nombre de ces objets ont
été dispersés à travers une centaine de musées en France. A Toulouse,
le musée Saint-Raymond en possède un certain nombre.
Giovanni Pietro Campana n'est pas un
collectionneur. Il est le Collectionneur !
Né à Rome en 1808, cet aristocrate
italien, devenu directeur du mont-de-piété de sa ville natale en 1833 a
constitué en moins de trente ans la plus importante collection
d'antiquités et d'œuvres d'art jamais réalisée !
Il perd la raison en mettant au jour
les trésors, les milliers de bijoux en or que renferment les tombes
étrusques !
L'anticomanie le dévore ! Il est en
proie à la fièvre...
Giovanni Pietro Campana est tour à tour
archéologue, marchand d'art, mécène... et directeur du mont-de-piété.
Giovanni Pietro Campana se constitue
ainsi une collection unique... avec plus de 15.000 objets d'art, des
bijoux étrusques, des poteries grecques et romaines, des majoliques mais
aussi des tableaux, des peintures des primitifs italiens de la
Renaissance...
Il a besoin d'argent, il n'en a plus,
le mont-de-piété en a.
Le cardinal Antonelli qui n'a pas
supporté la nomination de Giampietro Campana en 1833 à la tête du
mont-de-piété de Rome tient sa revanche près de vingt-cinq ans plus tard.
Campana a suscité la jalousie des nobles romains qui venaient mettre en
gage des objets au mont-de-piété sous son regard peut-être méprisant.
Arrêté, incarcéré à la prison san
Michele, à Rome, le marquis Campana di Cavelli, accusé de péculat, c’est à
dire d’enrichissement personnel, est condamné à vingt ans de galères pour
détournement de fonds publics...
Il a été le maître de Rome, il n'est
plus rien.
Grace à l’influence de son épouse, une
jeune anglaise dont la famille avait aidé au coup d’Etat de Napoléon III,
sa peine fut commuée en bannissement perpétuel. Il se réfugie alors en
Belgique puis en Suisse.
Dès lors, Giampietro campana va
assister à la mise en pièces de sa collection, devenue la proie des Etats.
Mais, bientôt, en 1861, la France
acquiert la majeure partie des œuvres d'art !
Pouvant enfin rentrer dans Rome après
la chute des Etats pontificaux , il va s'attacher à obtenir réparation, au
nom de la justice.
Mais son destin est scellé.
Certainement, le but de Campana n’était
pas l’enrichissement et son accusation de péculat est impropre puisque
plutôt que de s’enrichir, il s’est ruiné à l’accumulation de tous ces
objets archéologiques ou historiques. En réalité, Campana avait un rêve
qui témoigne d’une grandeur culturelle en avance pour son époque : celle
de constituer un « musée universel » où serait regroupé l’ensemble
de ce qui constitue une civilisation.
Le Musée du Louvre a aménagé 9 salles
pour exposer la collection Campana. Le Musée Saint-Raymond à Toulouse
possède sa collection Campana comme 100 musées en France.
Lecture d’extraits du livre.
Parallèlement à ces
activités de directeur du mont-de-piété, Giampietro Campana poursuit ses
fouilles. Avec avidité, il ouvre le sol italien.
En 1831, près de la
Porta Latina, sur le côté droit de la via Appia, lors de travaux près du
Parc des Scipioni, Giampietro Campana met au jour le colombarium de
Pomponius Hylas qui vécut entre 69 et 96 mais dont la construction est
antérieure et se situe entre 14 et 64 de notre ère, selon les inscriptions
retrouvées sur place. Le lieu qui avait été racheté par Pomponius Hylas et
sa femme Pomponia Vitalinis est magnifiquement orné de mosaïque et de
griffons.
C'est la première
grande découverte de l'archéologue Campana.
La trouvaille de
Campana est jugée si exceptionnelle que ses compétences en archéologie
sont désormais reconnues. Pour Giampietro Campana, la découverte est
immense et elle l'incite à poursuivre un peu plus encore ses
investigations.
Son obstination se
trouve vite récompensée, il dégage, via Latina, à Rome, deux autres
colombariums.
Il entreprend des
travaux minutieux pour la réalisation et la publication d'une monographie
de ces deux chambres souterraines abritant dans des niches des urnes
funéraires. Là encore, son travail est salué par les spécialistes en
archéologie. Il commence à faire partie des leurs.
Giovanni Pietro
Campana continue de fouiller à Ostie jusqu'en 1835. C'est ensuite dans
Rome qu'il revient continuer ses recherches archéologiques de 1837 à 1847.
Durant le même
temps, en 1842, il se rend à Tusculum, puis à Véies et à Caere, ou
Cerveteri, à partir de 1843.
Il est à un endroit,
il est ailleurs, il est partout à la fois. Son appétit se révèle
insatiable. C'est un boulimique. Sa quête prend un aspect pathologique.
Durant toutes ces
années, il effectue lui-même ses fouilles, y participe activement.
Il s'est entouré
d'une équipe d'assistants. Précédé, escorté par ces mains habiles, il est
là, présent à chaque endroit du terrain fouillé, fébrile, en espérant
toujours trouver la pièce rare, celle qui lui manque toujours.
A coups de pioche et
de pelle, ils percent la croûte superficielle, pénètrent de quelques
dizaines de centimètres, ils s'enfoncent un peu plus, deviennent peu à peu
plus délicats. Les outils de terrassement sont abandonnés, les pelles
jetées à terre. Il faut être précis malgré l'excitation qui monte.
Sous le soleil
italien, l'ombre de la truelle met au jour quelques tessons, Giampietro
Campana est comme un enfant, excité à la vue de ces trésors.
Il se met à quatre
pattes dans la poussière, pose son chapeau à côté de lui, ses mains
frottent les morceaux de poterie...
« Passe-moi
la brosse pour les nettoyer »,
hurle-t-il avec impatience.
« Tenez
Monsieur Campana » lui
répond invariablement et avec déférence l'un des jeunes étudiants en
archéologie de l'Université de Rome qui l'accompagne.
Giampietro Campana
se relève, le fragment de vase découvert à la main, il s'empresse de le
répertorier sur le carnet qu'il garde toujours dans sa poche. Le crayon
s'agite sur la page, une agitation mesurée, presque méticuleuse,
l'écriture est extrêmement petite. Il consigne tout ce que le sous-sol de
l'Italie centrale et le sud du pays lui révèle. Il referme la couverture
de moleskine noire, remet le lien. Tout est là. Rien n'en sortira... A
jamais scellé. A tout jamais. Que fait-il de ses carnets ? Rien
Une fois les pages
remplis de notes, de croquis, il les égare, il ne sait où il les met ; les
informations disparaissent. Seules subsistent celles qui envahissent peu à
peu son cerveau et finissent parfois par se mélanger.
Sa réputation
devient telle que lorsque le cardinal Bartolomeo Pacca décide de lancer
une nouvelle campagne de fouilles à Ostie, il en confie, tout
naturellement, la direction à Giampietro Campana. On l'y voit diriger son
équipe, mais déjà, il s'apparente plus à un commanditaire.
La campagne qu'il y
mène entre 1831 et 1835 est par ailleurs fortement critiquée pour les
méthodes qu'il emploie, jugées expéditives, manquant de rigueur
scientifique.
Giampietro Campana
ne prête guère attention à ces critiques qui commencent à se diffuser, il
est tout entier plongé dans sa mission.
« Plus
vite ! Plus vite ! Vous ne trouvez rien ! » scande
avec insistance Giampietro Campana aux membres de son équipe. « Fouillez,
mais fouillez vite ! »
Il est l'homme
pressé, l'homme passionné, l'homme d'affaires !
Les résultats qu'il
obtient à Ostie sont bien au-delà de ce qu'il pouvait espérer mais, comme
à ses habitudes, il communique peu sur ses découvertes. Toute l'insistance
de son ami, l'archéologue Edouard Gerhard, le persuade à peine de rédiger
une description brève et qui demeure somme toute assez vague sur ce qu'il
a découvert. Il fait cependant paraître cette notice succincte sur les
excavations menées jusqu'au 1er juin
1834,
dans le « Bulletin
de l'Institut de correspondance archéologique » dont
il est devenu membre.
*
Le directeur du
mont-de-piété, si empreint de témoigner du fruit de ses recherches se
laisse-t-il aller à quelques arrangements pour embellir la réalité.
L'appât du gain ne
semble pas sa motivation...
Sa fortune
personnelle... ses émoluments de directeur du mont-de-piété de Rome qu'il
dirige toujours malgré ses activités d'archéologue, de marchand d'art, de
collectionneur suffisent, encore, à ses besoins.
Plutôt est-il à la
recherche d'une reconnaissance qu'il ne parvient jamais à assouvir.
Peut-être aussi, la supercherie permet-elle de mettre au grand jour des
pièces archéologiques découvertes lors de fouilles clandestines...
Giampietro Campana
ne s'arrête pas à cela. Cette histoire n'est tout au plus qu'une anecdote,
une simple péripétie de sa vie d'archéologue.
Il achève à peine,
dans une monographie détaillée, l'illustration de la célèbre chambre
découverte à Véies dans « L'Album », qu'il repart en campagne.
L'essentiel est de
découvrir d'autres traces du monde étrusque perdu.
Sa campagne de
fouilles s'avère fructueuse, il découvre la tombe des Deux Pilastres dans
la nécropole de Banditaccia.
Il ne s'interrompt
jamais, ne se repose pas. Giampietro Campana poursuit durant des mois,
avec obstination à creuser le sol de l'ancienne Etrurie et trouve durant
l'hiver 1845-1846 quatre autres tombes de grande importance : de
l'Alcôve ; des Inscriptions ; des Sarcophages et du Triclinium.
A peine un an plus
tard, il pénètre dans ce qui est sa découverte la plus sensationnelle de
l'art funéraire étrusque, la « Tomba dei Rilievi » ou tombe des Reliefs.
*
A Rome, loin des
intrigues parisiennes, Léon Rénier et Sébastien Cornu continuent leur
travail, choisissent les œuvres et veillent scrupuleusement à
l'organisation de ce déménagement hors du commun.
Pour autant, alors
que les préparatifs de ce déménagement exceptionnel avancent, les
marchandages se poursuivent jusqu'au dernier moment, la commission du
Vatican chargée de procéder à des réserves oppose son droit de veto à la
cession de tel ou tel objet.
Ainsi, les deux
représentants français doivent composer avec la commission, constituée
notamment de Giovanni Battista De Rossi, archéologue éminent, opposé aux
rêves d'unité italienne et reconnu pour sa fidélité au pape, du sculpteur
Pietro Tenerani, président de l'Accademia di San Luca, directeur des
Musées du Capitole et qui vont prendre en charge ceux du Vatican.
La réserve établie
par la commission regroupe bien évidemment les pièces d'une exceptionnelle
beauté et par la même, souvent, le plus de valeur.
Ainsi, les plus
beaux bijoux, les vases les plus remarquables, les terres cuites les plus
abouties sont retirées de la vente sans qu'ils ne soient détaillés si ce
n'est le tombeau lydien qui est nommément mentionné.
Napoléon III est
dans l'obligation de se manifester ; de poser ses exigences, les
tractations se multiplient avec les liquidateurs de la collection.
L'intervention
personnelle de napoléon III est nécessaire pour que le Vatican revienne
sur sa décision et accepte à contre cœur de se défaire du tombeau lydien.
Les émissaires
russes n'ont même pas eu connaissance, eux, de l'existence de la plupart
de ces pièces.
*
Le marquis est
prévenu de cet article, se le procure, le lit, bouillonnant, contenant sa
colère, n'ayant plus qu'une idée en tête, se rendre compte de lui-même : « Le
nouveau musée vous laisse, à première vue, une assez mauvaise et maussade
impression. Il a fait tant de bruit, il a coûté si cher, il a été rapporté
de si loin qu'on s'attend à une série de merveilles. On compte sur
l'admirable, sur l'extraordinaire, tout au moins sur le curieux. Rien de
plus éloigné de la vérité... »
Giampietro Campana hurle ce
qu'il lit : « ...des
milliers d'objets d'art s'alignent devant vous ; une centaine-au plus!-
vous arrêtent. C'est d'un médiocre étonnement soutenu. »
Chaque série est
traitée ainsi. Aucune d'entre-elles ne trouve grâce sous la plume du
journaliste du « Figaro ».
Les bronzes,
échantillons de verrerie antique, bijoux : « Rien
de très merveilleux comme travail. »
Les peintures : « ton
passablement désagréable en même temps que d'une exécution très ignorante
et très rudimentaire. »
Les armes : « …
trophées assez pauvres. »
Des casques « qui
ressemblent à des pots »,
des boucliers « qu'on
prendrait pour des couvercles de marmites. »
Les statues « ont
la tournure et lourde guindée des faux-antiques du temps de Louis XVI ;
quelques-uns de ces bustes rappellent par la coiffure et par l'ajustement
les modes les plus ridicules du Directoire et du premier Empire. D'autres
encore, d'une facture gauche, dure, ignorante... »
Le « tombeau
étrusque ou lydien » : « …
le mari et la femme couchés et accoudés sur la pierre sépulcrale. Ce sont
deux horribles mannequins en terre cuite, informes et raides. »
Et en conclusion !!! « …
à quoi bon tant d'échantillon, souvent identiques, des mêmes choses ? Cela
dénature singulièrement le caractère du nouveau musée ; ce n'est plus une
collection, cela finit par être un magasin. »
Le marquis Campana
di Cavelli arrête sa lecture, tente de se reprendre.
« Quel être
abject et incompétent » finit
par lancer Giampietro Campana quelques secondes plus tard.
Pour leur part, les
journaux satiriques ne voient au Palais de l'Industrie qu'un nouveau
« Musée Campana » et refusent d'adopter la dénomination de « Musée
Napoléon III ».
Les découvertes
réalisées lors des missions au Moyen-Orient y sont bien présentes, mais
passées sous silence, absentes aux yeux des caricaturistes. Pour eux, tout
ce qui est rassemblé au Palais de l'Industrie provient de la collection
Campana.
Le public reste
indifférent à toutes ces querelles ; depuis l'inauguration du musée
Napoléon III, le Palais de l'Industrie continue d'accueillir chaque jour
un nombre important de visiteurs.
Le marquis Campana
di Cavelli s’enorgueillit de ce succès populaire et aristocratique. Il
prend, d'autant plus, fortement ombrage de ce que se permet d'écrire
Ludovic Vitet à ce sujet :
« D'où vient en
effet la défaveur presque subite, ou du moins l'extrême indifférence qu'a
rencontrée chez nous l'exposition de cette galerie ? D'où vient que les
vastes salles du Palais de l'Industrie sont devenues si promptement
désertes ? Qu'après le premier flot passé le nombre des visiteurs n'a plus
égalé qu'à grand ‘peine celui des gardiens, et qu'on s'est trouvé plus à
l'aise les jours publics que le jour réservé ? »
Giovanni Pietro
Campana est touché dans son orgueil. La fréquentation du musée Napoléon
III, c'est pour lui, la fréquentation du musée Campana ! Il ne peut se
résoudre à laisser dire que le public y est parfois moins nombreux que ne
le sont les gardes !
« A-t-il,
seulement, un jour pénétré le Palais de l'Industrie ? Ou bien sont-ce ses
informateurs qui l'ont trompé ? De quel droit ? Qu'il vienne avec moi, un
seul jour se mêler aux curieux et aux amateurs qui s'y rendent ! » se
met-il à crier, exaspéré, par ce qu'il juge de la seule mauvaise foi.
Même si le nombre de
visiteurs baisse un peu, il reste malgré tout relativement important,
Giampietro Campana est une légende, son histoire a défrayé la presse,
animée les salons, son nom attire, il le sait.
*
Il est heureux que
ce livre ait été remarqué et primé car il nous révèle comment se réalisent
de grandes œuvres, souvent au détriment de leur auteur. Jean-Luc DOUSSET
nous brosse avec l’entrain d’un romancier, la vie de Campana qui est
effectivement un vrai roman. A lire pour l’Histoire et pour le plaisir !
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« Nouveaux Délits ,
revue de poésie vive », fait
paraître son n° 52. Nous sommes habitués à cette belle ouvrage, conçue par
Cathy Garcia
qui signe un éditorial émouvant où elle dénonce le malaise dans lequel
nous plonge la société de l’immédiateté et du spectacle et son propre
mal-être, sa lucidité sans concession, mais où elle proclame que tout cela
ne l’empêchera pas d’être constante sur l’essentiel : la parution de sa
revue.
Nous la rejoignons dans cette posture
qui comble nos manques les plus significatifs : la dignité et le don. La
poésie est portée par de telles personnes qui l’ont placée en son juste
lieu, le centre du cercle, le cœur du monde, dans une vision prophétique
sacrificielle. Lecture de l’éditorial. Lecture d’extraits de textes de Jacques Cauda.
Sommaire de haut niveau, illustrations
à découvrir de Jacques Cauda, deux notes de lecture, et sur la dernière
page, cette citation de Goethe qui prend aujourd’hui un sens tragique : « il
n’y a rien de plus effrayant que l’ignorance à l’œuvre. »
Le numéro, 6 €, abonnement 28 €,
chèque à Association Nouveaux Délits – Létou – 46330 Saint-Cirq-Lapopie.
Le 446ème
numéro de la
revue Encres Vives publie le
recueil de
Marcel Migozzi
« Temps mort »
(extraits du journal d’un soldat victime de la guerre 39/45).
(Encres Vives, le n° 6,10 €,
abonnement 34 €, 2, allée des Allobroges, 31770 Colomiers)
C’est un récit fragmenté, « détourné »
d’un « carnet de route » authentique, précise l’auteur. Les textes sont
créés à partir de phrases d’un journal laissé par un soldat de la guerre
39/45. Cela commence dans l’attente lors du rude hiver 1939/1940 et finit
dans l’exaspération de l’attente dans un camp de prisonniers. Le talent du
poète, prompt à saisir l’essentiel, le remarquable, parvient à laisser de
ce journal la quintessence du vécu d’un soldat ordinaire qui veut, avant
tout, témoigner de la réalité de la guerre. Le résultat est surprenant, la
poésie totale. Suffirait-il d’alléger le langage pour parvenir à l’essence
des choses ? Car ces textes de ce soldat qui rend compte de l’ordinaire de
cette guerre, appartiennent, en noble partage, aussi, à celui qui a su
détacher et éclairer les mots, le poète Marcel Migozzi. Il suffit donc
d’une paire de ciseaux à censurer l’inutile, pour parvenir à faire œuvre
intégrale de poésie. Oui, car le poète sait voir le superflu et court à la
vérité. Nous suivons le soldat dans ses pérégrinations, après l’hiver,
juin 1940, et l’enfermement. C’est un vrai récit et c’est un long poème
stratifié de textes courts qui progressent comme une marche. Lecture
d’extraits :
Inutile de raconter
le ventre vide
L’ennemi est déjà
Et en nous
le silence irréel de
la défaite
*
Bas les armes
*
Sommes parqués dans
un jardin d’attente
accroupis dans la
rosée froide
Bourbier sentimental
Gamelle de soupe de
fèves
*
Cloches en plein vol
Le drapeau de
l’ennemi flotte en grosse caisse pleine de joie
*
C’est un autre matin
pour qui vers où
Sur la route
croisons des soldats ennemis
jeunes bras nus sur
des guitares
A nous de comprendre
C’est vite fait
*
Déjà le soir avec sa
faim
Des cerisiers de
talus ont pitié
*
Et le lendemain
départ en train
eau et tinettes
comprises
*
Allemagne
*
Stalag VIII/A
*
Christian Saint-Paul reçoit ses
invités :
Dominique FERNANDEZ,
psychologue de formation et psychanalyste. Celui-ci réalise depuis
plusieurs années des interviews filmées d’exilés espagnols et une
exposition photographique de leurs portraits. Il milite dans l’association
IRIS-Mémoire d’Espagne
qui contribue au travail de récupération de la mémoire historique de la
IIème République et de la révolution sociale espagnole.
Dominique FERNANDEZ est accompagné de Danielle
CATALA, comédienne bien
connue des toulousains, et depuis longtemps, totalement investie dans le
travail de mise en voix de l’écriture. Elle consacre beaucoup de son
activité artistique à la lecture de textes. Elle vient ce soir lire et
parler de la pièce de théâtre de Dominique FERNANDEZ,
« Fragments d’exil »,
qu’elle a déjà eu
l’occasion de jouer. Cette pièce est
éditée par les éditions N &
B, collection « théâtre »,
60 pages, 13 € :
Début février 1939. Quelque part sur
les crêtes enneigées des Pyrénées entre l’Espagne et la France, une femme
passe la frontière fuyant la barbarie fasciste. D’une vieille valise tout
aussi épuisée qu’elle, elle tire, parmi ses souvenirs, des destins
tragiques et poignants, les lambeaux d’une vie perdue, mais également le
désir d’une nouvelle existence à construire et la volonté farouche d’un
combat à poursuivre. Ils sont un demi-million à vivre comme elle cette
odyssée qui va les conduire dans les camps de concentration français.
C’est la Retirada.
Dominique FERNANDEZ évoque le
travail de Progreso MARIN
qui a publié aux Nouvelles
éditions Loubatières
« Exilés espagnols,
la mémoire à vif », préfacé
par Patrick Pépin (269 pages,
23 €). Comme Dominique
FERNANDEZ, Progreso MARIN a donné la parole à ces « oubliés de
l’Histoire ». Il est aussi l’auteur de recueils de poésie publiés par
N & B et Encres Vives.
Dominique FERNANDEZ rappelle que
Toulouse, à la fin de la guerre d’Espagne en 1939, comptait 25.000
réfugies espagnols pour une population totale de 250.000 habitants.
Il évoque son travail au sein
d’IRIS-Mémoires d’Espagne. Il faut garder traces de ces événements, de ces
hommes et femmes qui ont pu en témoigner. La guerre d’Espagne ne doit pas
être considérée comme une simple guerre civile où deux factions
s’affrontèrent. Il s’agissait de sauver une république légitimement élue,
de faire respecter la volonté d’un peuple. Ce fut un combat contre un coup
d’Etat militaire qui voulait imposer une dictature. Pour les républicains,
il s’agissait de sauver la légitimité d’un gouvernement élu. Ce fut non
pas une guerre civile, mais une guerre incivile. Cette guerre fut totale.
L’affrontement sans pitié. « On fusille ici comme on déboise », dira
Saint-Exupéry. A la différence d’une guerre de territoire, ce fut une
guerre d’extermination. Ce qui la rend terrifiante. Car la seule finalité
est de détruire l’autre, de le nier. Certes, il y eu des exactions des
deux côtés, mais il serait faux de croire qu’elles furent équivalentes. Le
pire fut commis par les troupes franquistes et l’horreur se prolongea bien
après leur victoire. Or, il n’y a jamais eu de condamnation des crimes
franquistes et pour des raisons d’équilibre politique, après la mort du
caudillo Francisco Franco, la mémoire ne fut pas maintenue en Espagne. Les
nouvelles générations n’en ont aucune empreinte. Le désastre est effacé de
la mémoire collective.
« Fragments d’exil » veut révéler la
vérité de cette période cruelle de l’Histoire par l’authenticité des
choses. Ce sont les souvenirs recueillis qui sont réécrits et se succèdent
tout le long de la pièce. C’est comme un concentré de la souffrance qui
est mis en scène. Le texte est émaillé de poèmes de l’auteur en espagnol
ou en français, ils ont été mis en musique par
Tomas Jimenez,
du groupe
« El Communero ». Danielle
CATALA a interprété « Fragments d’exil » pour la première fois en 2009 à
la Cave Poésie de Toulouse. Et c’est vrai que l’on dirait que cette pièce
a été écrite pour elle.
Lecture d’extraits de la pièce par
Danielle CATALA :
Les républicains ont
enfermé dans l’église curé, guardias civiles, gros propriétaires terriens,
notables …
Les femmes ne sont
pas d’accord, elles crient : « Hay que matarlos ! Si vencen os
perseguiran ! » - s’ils s’en sortent ils se vengeront !
Mais ici le comité
révolutionnaire n’a pas voulu de règlement de comptes.
Dans les immenses
plaines d’Extremadura les troupes franquistes avancent rapidement, semant
la terreur et la mort, violant les femmes, exterminant toute personne
considérée comme fidèle à la république … maires ou conseillers
municipaux, syndicalistes, maîtres d’école … femmes dont le seul tort est
d’être la mère, la sœur, la compagne d’un rouge …
Le village est vite
repris … Aussitôt libérés de l’église … c’est la chasse aux républicains,
aux « rojos » … tirés des maisons, traqués dans les rues, les cours de
fermes, les champs … abattus comme des bêtes…
Il y avait deux
frères … ils fuient à travers champs … ils atteignent le bois … le plus
jeune parvient à grimper dans un chêne … son frère non ! Et déjà la meute
est là … En haut de l’arbre, le plus jeune assiste épouvanté à la mise à
mort de son aîné.
Pour terminer, sont citées les
publications suivantes :
-Manolo Valiente : « Un
vilain rouge dans le
Sud de la France », édition bilingue, éd. mare nostrum 248 pages, 14 €,
-Evelyne Mesquida : « La Nueve 24
août 1944, ces républicains espagnols qui ont libéré Paris », cherche midi
éd. 372 pages, 18 €
-José Martinez Cobo : « Frères
d’exil. Espagne .Médecine. Politique » - Le pas d’oiseau éd. 313 pages, 23
€.
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Nous avions signalé la parution en
bilingue occitan (provençal) français d’ « Aquéli
pichot rèn » ces petits riens, d’Andriéu RESPLANDIN.
Chez le même éditeur
L’Astrado (7, Les Fauvettes - 13130 Berre L’Etang)
il publie
« Letro de la colo » lettres de la colline, préface de Michel COURTY,
toujours en bilingue, oc, français. Le lecteur est laissé dans l’ignorance
du destinataire de ces lettres, mais comme conclut le préfacier, « nous
pouvons ouvrir avec confiance les Lettres de la colline : le Poète nous
invite à l’accompagner pour que nous fassions avec lui (...) moisson /
D’heures pleines de colline, / D’odeurs et de chants de vents. »
L’intelligence de cette publication est
de paraître dans les deux langues, ce qui permet au lecteur français peu
ou pas rompu à la langue d’oc, d’accéder à cette poésie de célébration, à
sa fraicheur, à la légèreté d’une langue qui se déguste comme une brise
ténue mais omni présente. Une langue pour dire son cœur et son pays.
Lecture de la préface in extenso et
d’extraits dans les deux langues.
Ni les vents, ni les
pluies
Ne m’ont rien dit de
Toi,
Les grands oiseaux
non plus.
Oh la joie de tes
nouvelles.
Ne serait-ce
Que par quelque
grive siffleuse
Fuyant le nord
Ou quelque blanc
goéland
D’au delà des mers.
*
Tu languis sans
doute
Et tu n’en veux rien
dire.
Même si je devais en
souffrir plus que Toi
Dis-le moi.
Quand nous aurons
assez pleuré
L’un ou l’autre
saura
Dire le baume doux
Pour feutrer
d’amitié
La parole trop rude.
*
L’automne tout
embrase
Et la colline
flamboie de térébinthe.
*
Après la première
pluie
Je l’ai courue avec
le chienne
- Nous avons depuis
quelque temps
Une chienne d’arrêt
-
En cela
Tu ne la
reconnaîtrais plus :
Pas une aire de
crottes,
Pas un perdreau,
Nous n’avons vu que
des pies
Et de très loin,
Un pauvre écureuil
apeuré.
Les chasseurs seront
bien à plaindre.
Si cela pouvait te
lever
Un peu de tes
regrets.
Que je te dise,
cependant,
Mon chasseur de
battue
Qui guette depuis la
prime aube,
Au passage du chêne
noueux
Attentif et
silencieux,
Ecoutant les
aboiements de la meute
Pour savoir
Le chemin de la bête
pourchassée
Et calculer
Ses chances de
salut.
Mais peu lui chaut,
peut-être
Que le sanglier
S’échappe et se tire
d’affaire
Assez qu’il fasse,
lui, moisson
D’heures pleines de
colline,
D’odeurs et de
chants de vents.
*
Monique SAINT-JULIA
publie aux éditions de L’Aire
« Un jour de
plus à aimer ».
Cette lauréate du prix Troubadours nous
offre un nouveau livre de sensations toujours en éveil, au regard apaisé,
ravi de l’harmonie qu’elle décrypte dans son jardin à l’image de cette
Nature qui la rassure et qui l’enchante. Une poésie de l’équilibre, de la
sérénité, de la beauté qui se laisse admirer sans se cacher. Un bien-être
surgit de ces poèmes. Nous y consacrerons une émission.
Ecoute
nous poursuivre les
cris des chats
et la sarabande des
vieux rêves
dans les bordures de
la nuit.
Une odeur de
solitude campe.
L’Autan secoue les
hochets de chasselas
apprivoise les
dunes, roule les vagues
se pâme au passage
du jardin
où s’entêtent à
refleurir les arums.
*
Christian Saint-Paul invite les
auditeurs a aller voir l’œuvre de
Serge PEY
« Les
continents de la parole » au
Hall de la Maison de la Recherche à
l’Université Toulouse - Jean Jaurès,
5 , allées Antonio Machado 31300 Toulouse. Le vernissage aura lieu le
jeudi 12 novembre 2015 à 12 h 30.
Serge PEY qui publie au
Dernier Télégramme
« La Sardane
d’Argelès » avec des dessins
de Joan Jordà
(85 pages, 13 €). Le livre est dédié à
José Juan Amelino Pey Saguer qui dansa une sardane à l’envers
avec une poignée de compagnons dans le camp de concentration d’Argelès en
février 1939. Une émission sera consacrée prochainement à l’auteur entre
autres de « Ahuc, poèmes
stratégiques » Flammarion éd. , « Le trésor de la guerre d’Espagne » Zulma
éd. , « La boîte aux lettres du cimetière » Zulma éd.
Ils avaient dit
vous avez une gueule
et pas de bouche
Vous aboyez
quand vous parlez
Nous sommes devenus
des chiens
obligatoires
dans les parloirs
et les souterrains
Nous bouffons du
papier
comme les rats et
les lampes
La vérité casse
des bouteilles
pleines
sur le talus pendant
la messe des cochons
Depuis deux jours
la vérité ronge des
os à moelle
vivants jetés dans
la mer
par les avions
La vérité roule
son obscurité
critique
dans la cave secrète
des squelettes
*
Christian Saint-Paul joint son invité
par téléphone :
Alain FREIXE.
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Alain Freixe est né le 3 décembre 1946,
en terres catalanes. Il aime à musarder entre philosophie et poésie.
Président de l'Association des Amis de l'Amourier, vice-président
du Centre Joë Bousquet et son temps, Maison des mémoires, à
Carcassonne et de l’association Podio (Alpes-Maritimes), membre du
comité de la revue Friches, il chronique la poésie au journal
L’Humanité ainsi que dans de nombreuses revues de poésie.
Parmi ses derniers livres : Madame des
villes, des champs et des forêts, avec Raphaël Monticelli, éditions de
l’Amourier, 2011 ; L’homme-qui-cherchait-à-voir, avec 4
xylogravures d’Alain Lestié, La Diane Française, 2011; Vers les
riveraines ; L’Amourier, septembre 2013, Arrêt dans la montagne,
Les Cahiers du Frau (2014), Prises de vue, prise de sang, avec des
eaux-fortes de Gérard Serée, Atelier Gestes et Traces (2014) ; A la
belle matineuse avec 2 photographies, 2 lavis, une Egypte bleue, 1
dessin au trait d’Henri Maccheroni, 2015
Son blog :
http://lapoesieetsesentours.blogspirit.fr
Un long entretien s’instaure, émaillé
de lecture de textes.
Alain FREIXE interrogé sur l’activité
poétique, s’enthousiasme : « l’activité poétique, c’est la vie, la
« passante » comme je l’appelle. Je n’ai pas été un professeur qui écrit
de la poésie, mais un poète qui enseigne. Le poème est le rendez-vous des
hommes libres. La poésie est un combat pour que vive la langue et à
travers elle, l’homme. »
Il précise que sur le grand nombre de
ses publications, il y a en réalité peu de livres courants. La plupart
sont des livres réalisés avec des artistes, des peintres, des
photographes. Ce n’est pas nécessairement une complicité harmonieuse qui
prévaut à ce partage, car, révèle Alain FREIXE, il aime bien être dérouté
par les œuvres qui accompagnent les textes.
Saint-Paul évoquant la similitude avec
la posture de Gaston PUEL,
FREIXE se souvient d’une mise en garde de
Joë BOUSQUET
à PUEL : « Et souvenez-vous, Puel, il n’y a pas de grands hommes ». Mais
il y a des hommes qui ouvrent la voie, complète FREIXE. Puis l’invité
aborde son travail au sein des éditions L’Amourier et invite à aller voir
le site.
Se souvenant d’un livre de poèmes « Où suffit
la lumière ? », Saint-Paul
l’interroge sur l’existence dans son œuvre, d’une spiritualité sans Dieu,
et solaire comme chez Camus, Bousquet ou Malrieu. « Mystique, ça me va
tout à fait. Solaire, oui, mais si on aime le soleil c’est pour l’ombre ;
il y a cette part ténébreuse, comme des violettes cachées dans les
sous-bois. C’est ce moment où quelque chose vous saisit, vous êtes saisi,
cogido
en espagnol, surpris, arraché. C’est
quelque chose qui vous coupe la chique, qui vous coupe la langue. C’est
une révélation peut-être, mais de rien, en même temps. »
Pour mieux expliquer cette position, il
cite RILKE :
« ce n’est pas assez d’avoir des souvenirs, il faut encore les oublier ».
Le coup de soleil dont il est question chez FREIXE, est de cet ordre là,
de l’ordre de l’oubli.
Après une lecture de textes
(« Comme autant d’amoureux » La
Porte éd.), l’entretien
reprend sur l’influence qu’a exercée l’œuvre de
Joë BOUSQUET.
Alain FREIXE s’est intéressé tôt à Joë Bousquet, il a rencontré
Ginette Augier, René Piniès ;
Bousquet est un homme important, un « grand » du XX° siècle. Souvent on
parle des écrivains blessés ou morts, là, remarque-t-il, on parle d’un
écrivain qui va naître de sa blessure. Simone WEIL lui a rendu visite dans
sa chambre rue de Verdun à Carcassonne. Citant
« Le génie d’Oc et l’homme
méditerranéen », Alain
FREIXE reprend les mots de
Jean TORTEL à propos de
Simone Weil : « la présence et l’écart ». Mais Simone Weil était une
militante, et le pays était occupé, elle devait voir Joë Bousquet pour
plusieurs raisons et pas que littéraires.
Cette notion du « Sud », de l’âme
méditerranéenne, FREIXE avoue qu’il l’habite plus, qu’elle ne l’habite.
Pour lui, le « Sud » c’est un territoire à construire au fil des jours. Il
cite une phrase de Jean
BALLARD qui a dirigé « Les
Cahiers du Sud », extrait d’une lettre à Joë BOUSQUET de 1940 : « Nous
sommes de vrais méridionaux, des hommes de jour pur et d’eau courante,
uniquement sensibles à la part renaissante de chaque chose qui dure, nous
savons qu’être c’est devancer dans ce qui passe, le souffle qui va
l’emporter, participer ainsi de ce qui le ressuscite et ne saurait, sans
la collaboration perpétuelle de la mort, entretenir la vie. »
« Les sources sont en aval » comme
disait René CHAR. « Que serait un éclair qui durerait ? » interrogeait
Apollinaire. « Probablement rien. L’homme est aux avant-postes de l’homme
et le Sud est toujours à venir. Il est en ce sens le possible sur lequel
veille le poète, le lecteur de poésie, un peu avant la nuit » répond Alain
FREIXE.
Lecture d’extraits de
« Vers les riveraines »
La Porte éd.
Interrogé sur la façon dont la poésie
peut changer la présence des uns aux autres, Alain FREIXE résume : la
poésie laboure la langue, elle refuse la grande langue molle des médias,
elle est insurrection. Elle va vers une lucidité toujours plus grande.
Elle est ce contre-sépulcre de Char. « Dans mon pays, on n’interroge pas
un homme ému ». C’est le respect de l’autre qui dit le poème. C’est
l’opposé de ce que nous servent les télévisions qui recherchent l’émotion,
les larmes et pratiquent le voyeurisme de l’audimat.
La poésie a à voir avec la vérité, elle
est donc parfaitement utile. Elle fait émerger le réel.
Lecture de poèmes.
Profil de vent, de
feu et de roc*
(…)
le pas glisse
la main glisse
le long du bras
qui ne retient pas
je pars
dit la main ouverte
visage renversé
je te regarde
partir
disent les yeux fermés
ton visage sur ma
paume
en véronique
deux bras
et des visages qui
s’abandonnent
deux mains
une clé sur le vide
et c’est l’amour
qui prend corps
quelque chose qui ne
se donne pas
à voir
et se voit
si on disait beauté
on donnerait un nom
à ce qui en manque
sur les miroirs
écorchés
du monde
passe une lumière
pressée
de retourner à
elle-même
(…)
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Alain Freixe
(collection A Côté,
2014, Les Cahiers du Museur, avec une photographie de Guy Divetain)
*Ce que cherchent
les danseurs, c’est le « profil sûr » : « le profil de vent, profil de feu
et profil de roc » dont parlait Federico Garcia Lorca
*
L’automne est sans
pitié*
1-
Il remontait le
courant.
La Castellane
engloutissait le temps dans la craie de ses eaux. Sa source hantait les
yeux de l’enfant, plus qu’au-dessous des pierres, les truites,
verrouillées à l’ombre des vases blanches.
Le vent sous le
crâne arrachait des aveux à l’absence de raison. Que de fois il a couru
jusqu’à la mine de talc qui écartait les forêts et fermait la rivière!
Sous le soleil du
vide, le mal venait d’en-haut.
Et l’enfance
rayonnait.
2-
L’extase des roses,
les doigts froids de la lune sur la muraille et les guirlandes d’écume
trop lourdes pour ce ciel, il ne les a pas vues.
Le vertige des
étoiles, leur chuchotis de lumière, leur fièvre écarlate, fille de la
nuit, sur la peau du lac, ce désir de sang, son chemin dans les ruines de
l’été, avant la mort couleur de cave humide, je le vois aujourd’hui.
Encore.
3-
Et rien de plus!
Sinon aimer ce bleu
qui bondit par dessus les arbres du jardin. Aimer ce coeur qui déchire les
lèvres et sur la mort prend assurance d’un mot. D’un charbon ardent sur
les cendres rugueuses d’hier. D’une luciole égarée dans les menthes qui
invente la nuit contre les lampadaires, les flambeaux et les torches.
4-
Le cœur vole au
profond des eaux changeantes. Des fleurs violentes prises dans le feu de
la rosée. Des clairières cloutées de ronds de sorcières autour de
Sainte-Marie-de-Jau.
Au coeur d’une
rosace d’herbes folles, l’olivier de Bohême attend sa souveraine, la
lumière blanche de l’été. Madone aux secrets gantés de gris.
5-
La solitude et le
silence. Deux anneaux Deux ondes. Deux rythmes accordés. Serpent noir qui
ondule jusqu’à se cacher dans ma langue. Au point de disparition, un nœud
dans le ciel sur le paysage dentelé de nuages. Comme une étoile
lointaine. Et pour la voir, jouer de l’oblique. Jouer
boules/bandes. Aborder de côté. Du côté de la coulisse.
L’œil ne serait-il
que dans l’œil?
6-
Jeté à côté, l’œil
zigzague. Chancelle. Fait un geste. S’offre à la perte. Il bat.
Deux bras tirant
l’un amont, l’autre aval. Deux bras s’effleurant, ouvrant sur le vide, clé
d’une prise de corps, profil sûr d’une séparation comme le jour de ce coup
de foudre qui fit sang sur Mascarda, ma sarrazine. Ma silencieuse à la
langue trouée.
7-
Comme s’abandonnent,
se déchirent deux danseurs jusqu’à aimer leur déchirement, l’oeil trouve
l’âme au moment même où il la perd, en enfuie entre deux corps.
À regarder, entre
hier et aujourd’hui, les odeurs sauvages que le vent noue à ce qui du
monde restera muet, on voit sa tête se perdre dans les nuages où s’abîme
notre vision.
Un paraphe de soleil
signe la fatalité du jour.
Alain Freixe
* A paraître dans
l’hiver 2015/2016 aux Cahiers du Museur, sous étui toilé de l’atelier A
fleur de peaux de Claude-Adélaïde Brémond, avec frontispice et 4 collages
de Claude Massé
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Lors de l’émission précédente consacrée
à RADO,
un poète de Madagascar disparu en 2008, Christian Saint-Paul avait annoncé
qu’il reviendrait sur une des voix majeures de la poésie malgache qui,
une, puis deux générations après sa mort, avait durablement marqué la
poésie francophone. Il s’agit de
Jean-Joseph RABEARIVELO
(1901-1937) qui s’est exprimé dans les deux langues : malagasy et surtout
français. Ce poète a tout sacrifié à l’écriture. Ce sacrifice pour la
parole poétique a accompagné son combat pour faire vivre la poésie dans
l’avenir de la modernité, en se heurtant à toutes les désillusions, à la
pauvreté et même à la mort de sa fille. L’administration coloniale
française, dans son implacable rigidité, l’a toujours tenu à distance,
ignare sur son génie. Elle l’a conduit au sacrifice suprême : le suicide.
Mais, nous dit Saint-Exupéry : « sacrifice ne signifie ni amputation, ni
pénitence. Il est essentiellement un acte. Il est un don de soi-même à
l’Etre dont on prétendra se réclamer. Celui-là seul comprendra ce qu’est
un domaine, qui lui aura sacrifié une part de soi, qui aura lutté pour le
sauver, et peiné pour l’embellir. Alors lui viendra l’amour du domaine. Un
domaine n’est pas la somme des intérêts, là est l’erreur. Il est la somme
des dons ».
Jean-Joseph RABEARIVELO, passionné de
poésie française, subira l’influence vivifiante du surréalisme qui donnera
à son écriture une vraie liberté. Correcteur d’imprimerie, donnant des
cours de français, inconsolable de la mort de sa fille, épuisé, criblé de
dettes, asthmatique ne se soignant pas, il met fin à ses jours, deux jours
après que l’administration française lui ait fermé ses portes.
Il est aujourd’hui une des voix les
plus puissantes de la poésie malgache et par extension, de la
francophonie.
Lecture de « dernier journal » :
A 14 heures moins 9
de mon horloge,
je prends 14
pillules de 0 grs 25 de quinine pour avoir la
tête bien lourde. Un
peu d’eau pour les avaler.
A l’âge de Guérin, à
l’âge de Deubel,
un peu plus vieux que
toi, Rimbaud anté-néant,
parce que cette vie est
pour nous trop rebelle
et parce que l’abeille
a tari tout pollen,
ne plus rien disputer
et ne plus rien attendre,
et, couché sur le sable
ou la pierre, sous l’herbe,
fixer un regard tendre
sur tout ce qui
deviendra quelque jour des gerbes.
Fixer un regard
tendre ! Tendresse de l’absence,
dans le Néant, Néant
auquel je ne crois guère.
Mais est-il plus pure
présence
que d’être à toi rendu,
ô Mère douce, ô Terre ?
On se retrouvera tous
dans ta solitude,
et peuplée, et déserte
ainsi que l’océan.
Et chaque fois que
ici-haut soufflera le vent du sud
en bas l’on causera des
survivants.
Quelles racines de
fleurs viendront alors nous boire
pour calmer dans le
soleil telle soif de fruits.
Se pencheront sur nous
les héliotropes du soir
et viendra prendre de
nos secrets le Bruit.
Le Bruit, le Bruit
humain –vaines rumeurs de
coquillages
pour les marins
endormis du sommeil de la terre !
Le Bruit, le Bruit
humain, toujours le même à travers
les âges
et qui ne se dépouille
que chez les morts d’un peu de
vos misères.
Mais déjà je sens
l’odeur de la poussière
et des herbes ; déjà
j’entends l’appel de ma fille ;
ah ! pour peu que
l’oubli n’ait pas cerné vos yeux de
terre
songez quelquefois à
nous dans nos grottes
tranquilles !
Et que ce ne soit pas
pour verser des larmes
près de nos portes
closes par le silence !
Que ce soit pour penser
qu’il n’y aura quelque
charme,
un jour, à être guidés
par nous dans la fin immense.
(…)
A 14 heures 37 de
mon horloge.
L’effet de la
quinine commence, bientôt dans un peu d’eau
sucrée, je prendrai
plus de 10 grs de cyanure de potassium.
(…)
aux livres de
BAUDELAIRE que j’ai dans l’autre chambre.
enfants, à vous mes
pensées – mes dernières.
J’avale un peu de
sucre. Je suffoque. Je vais m’étendre.
Lecture d’extraits de
« Traduit de la nuit » :
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XVII
Le vitrier nègre
dont nul n’a jamais vu
les prunelles sans nombre
et jusqu’aux épaules de
qui personne ne s’est encore
haussé,
cet esclave tout paré
de perles de verroterie,
qui est robuste comme
Atlas
et qui porte les sept
ciels sur sa tête
on dirait que le fleuve
multiple des nuages va
l’emporter
le fleuve où son pagne
est déjà mouillé.
Mille et mille morceaux
de vitre
tombent de ses mains
mais rebondissent vers
son front
meurtri par les
montagnes
où naissent les vents.
et tu assistes à son
supplice quotidien
et à son labeur sans
fin ;
tu assistes à son
agonie de foudroyé
dès que retentissent
aux murailles de l’Est
les conques marines –
mais tu n’éprouves plus
de pitié pour lui
et ne te souviens même
plus qu’il recommence à
souffrir
chaque fois que chavire
le soleil.
XIX
Il y aura un jour, un
jeune poète
qui réalisera ton vœu
impossible
pour avoir connu tes
livres
rares comme les fleurs
souterraines,
tes livres écrits pour
cent amis,
et non pour un, et non
pour mille.
Sur le golfe d’ombre où
il te relira
à la seule lueur de son
cœur où rebattra le tien,
il ne te croira pas
dans les houles
pacifiques
dont s’empliront
toujours les abysses sans soleil,
ni dans le sable, ni
dans la terre rouge,
ni sous les rochers
dévorés de lichens
qui s’étendront
derrière lui
jusqu’au pays des
vivants
aveugles et sourds
depuis la Genèse,
Il lèvera la tête
et pensera que c’est
dans l’azur,
parmi les étoiles et
les vents
que ton tombeau aura
été érigé.
(Extraits de « Traduit de la nuit »
Orphée. La différence éd.
C’est un éditeur en région toulousaine,
N&B, qui nous régale de la première anthologie poétique bilingue,
galicien, français, de
Manuel RIVAS,
« La disparition de la neige »,
anthologie réunie et traduite du galicien par Paloma LEON, 171 pages, 18
€.
Au moment où notre Sénat rejette la
ratification de la charte européenne des langues minoritaires, il est bon
de rappeler que cette anthologie de Manuel RIVAS a été publié en Espagne,
dans les quatre langues officielles de ce pays : le galicien, le
castillan, le catalan, le basque.
Paloma LEON
nous révèle que « dès les premiers poèmes publiés, les préoccupations
écologiques, les interrogations et les inquiétudes d’un futur incertain,
son amour pour la planète, pour sa Galice, ce
village mondialisé, transparaissent »
chez Manuel RIVAS. Sa poésie « se nourrit de [sa] contemplation, mais
requiert aussi l’enfermement, la solitude qui la fera naître comme la
végétation lorsque la neige disparaît ».
« La poésie de Manuel RIVAS se lit,
écrit-elle, comme autant de petits récits où se mêlent le désespoir lucide
du poète et l’espérance qui brûle comme « le feu obscur [dans] les mottes
de terre ».
Lecture d’extraits de « La disparition
de la neige » :
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POETES
Des flocons bleus
tombaient de l’ombre de ses yeux.
Si nous nous hâtons,
dit-il avec un sourire,
nous serons dans la
Grande Encyclopédie galicienne.
Et il en était ainsi.
nos noms étaient à la
fin de l’alphabet.
Mais cet hiver-là, à
Madrid
nous fîmes connaissance
de jeunes filles
qui remirent à plus
tard notre entrée dans l’Histoire.
AVERSE
J’aime par-dessus tout
le ciel quand il écrit
des vers qui se lovent
dans l’âme
vraiment. Les
lavandières courent vers l’étendoir,
les doigts sans ongles
et un éclat d’escargot
dans les yeux.
Les enfants forment un
arc
de l’école au grenier
Pour l’ouvrage,
On dirait que les
animaux n’ont jamais existé
mais les vieux étaient
là
s’endormant sur les
avis d’obsèques.
Le roi Carnaval s’est
enfui en exil
avec des allures de
mendiant
où il s’est enfermé
dans une église
parmi les boiseries
dorées
ou il a revêtu la
pierre
des terrifiantes
gargouilles.
Quoi qu’il en soit, le
roi Carnaval s’est enfui
et cela change tout.
La couronne de lumière
roule parmi les aulnes
qui exhibent leur
envers d’argent,
mais pour peu de temps.
Laissez passer l’héraut
de l’éclair.
Cent sbires avec leurs
dagues
ne pourront m’arracher
ces vers
écrits par le ciel
lorsque l’âme se love
dans un oursin.
L’ENIGMATIQUE
ORGANISATION
A Marcos Valcarcel
Les mots viennent
réclamer leur dû,
ce qui a été dérobé.
Loin des champs de
travail,
prudents ils se meuvent
comme la porcelaine
ou le premier jour du
mois d’avril.
Ne sens-tu pas la
fragrance hydrophile
des feuilles de leurs
épis,
la sueur argonaute de
leurs grains ?
Ils existent.
L’aviateur qui lit le
braille dans la nuit existe.
La borgne qui porte des
voix basses
dans son panier
d’oursins existe.
La bouche de la
littérature existe,
cette folle qui parle
seule
comme une méduse.
La bouche du puits qui
essaime,
charnue, malsonnante,
protégeant les siens,
existe.
Une autre mélancolie
existe.
Le train où voyage la
nostalgie
dépossédée existe.
Les mots dorment
sous l’Alzheimer des
ponts.
Dans les bouches
d’égout se déroule l’histoire :
les faux témoignages
torturent les poèmes.
Dans le tourment de
l’asphyxie,
les mots manquent
d’air,
la précieuse
information.
Survivront ceux qui
simulent la mort
dans la splendeur de
l’herbe.
Ou ceux qui se
souviennent de la complainte d’un aveugle,
dans laquelle tout se
raconte
sans espoir et sans
crainte.
Ou encore ceux libérés
par l’énigmatique organisation
des mots en alerte.
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Les
éditions Caractères,
sous l’impulsion dynamique de leur directrice
Nicole GDALIA,
poursuivent la publication de l’œuvre intégrale de
Bruno DUROCHER.
Après la création poétique (plus de mille pages), c’est la création
théâtrale qui paraît. L’émission « les poètes » reviendra sur cet
évènement.
En hommage à Bruno DUROCHER, Saint-Paul
lit « Elégie des
semences, à Bruno DUROCHER » de
Jean LAUGIER,
cet ami aussi de Georges PERROS, extrait de
« Le Verbe et la
Semence »
éd. Caractères, illustrations de Jan
BOUAL – 1982 :
ELEGIE DES SEMENCES
A Bruno DUROCHER
Alors que se profile, à
l’horizon, l’échéance des
oiseau voraces
augurant, sans
précision de l’heure, le dispersement
de la chair
de même qu’aux quatre
vents, et dans l’indifférence,
sous tous les ciels, de
par le monde, se partagent
parures ou guenilles
Quelle part secrète de
nous, un jour, au simple gré
de l’aléatoire
brassée dans les
successives turbulences des métamorphoses,
face au tribunal de la
précarité quotidienne
une fois pour toutes,
enfin, établi l’arrêt du bilan et
des comptes
Quelle part secrète, un
jour lointain, pourrait être
de nous tenue pour legs
saison après saison
dans le cycle infini et
salvateur des semences ?
On prêche la terre à sa
connivence
Dieu vous vertèbre
l’âme jusqu’au cou …
Une corde craque, et la
nuit s’ébroue
On imagine que le
soleil danse
Brûlant dans le nid
d’un nuage fou.
Et dans cet incessant
ballet séminal
qui, des salmonidés aux
bourdons et lampyres,
des phoques à trompe
jusqu’aux migrateurs saisonniers de l’espace,
impose à chaque branche
du vieil arbre de vie
son rite éternellement
dionysiaque
pour la pérennité
fragile de l’espèce,
sans aucune crainte
d’embûche et sans prévoyance
apparente des pièges,
Dans cet incessant
ballet nuptial qui fait de l’abeille
la porteuse et la
messagère de l’élément fécondateur,
pourvoyeuse ainsi comme
maquerelle de la végétation immobile,
et jusques au vent qui,
en son absence, la supplée
Ainsi confronté à
l’incessante et convulsive spirale
tourbillonnante
où s’engloutit sans fin
toute semence pour renaître,
qu’apporterions-nous en
offrande
si jamais ne léguions
au vent que notre chair friable
et la vanité toujours
possible du scribe
dans l’anonyme et
concertante transcription de
l’opéra du Verbe ?
Nous savons tous où
vont les choses :
Décharge publique du
Temps …
Cœurs fanés, pétales de
rose,
Même nos pleurs,
prisme-diamants,
Se moquent des
métempsycoses.
Oui, quelle part de
nous en vérité serait jugée digne
d’offrande
si par quelque accident
d’écoute ou de grâce,
le simple don de parole
qui nous fut imparti
oubliait de transmettre
Ne fût-ce qu’un seul
jour,
resurgi de la plus
lointaine mémoire pour d’autres
migrations futures,
l’unique et très
essentiel message d’amour où se
décode l’existence ?
Charnellement, nous
élevons l’espoir
Gerbe, du quotidien
transfiguré :
Les mots seront
semences de mémoire
Et nous engrangerons
amour et volupté
Quand deux regards se
conjuguent pour
[ croire.
Et quand bien même la
planète nous paraîtrait
fragile et vulnérable
aux mains de ces
fallacieux et pâles condottieri
qui, de chaque pôle à
l’équateur,
comme gibelins et
guelfes ne rêvent inlassablement
qu’à en découdre
à seule fin de survivre
seuls
et n’être plus
contestés dans leurs crimes,
Nous ne douterions pas
de l’aube.
Vaisseau aveugle de
l’espace
Planète programmée
pourtant,
Chacun de nous refait
surface
Et soucieux
d’enracinement
Cherche dans l’air
encor sa trace.
Arche terrestre,
quand bien même nous
trouverions-nous déjà à
l’orée d’un nouveau
déluge
qui ne serait plus
cette foi l’œuvre de Dieu, mais de
l’homme
nous garderions foi
dans l’impertinence absolue de
la vie
seule sauvegarde du
grain face à la mort
de même que la parole
même bafouée
pour triompher doit
renaître.
Toute création use
d’insolence
Parfois bouscule l’âme
en porte à faux,
On charroie l’esprit
comme une semence
Qui divorce de vous
sans souci de prudence …
Un rameau d’olivier
sauva Noé des eaux.
Entrevoyant les portes
du déclin du jour
alors que se profile, à
l’horizon, l’échéance des
oiseaux voraces
sachant bien qu’il me
faudra rendre, nécessairement,
à tous vents
la chair friable
au terme d’un face à
face éperdue d’espérance
Je ne léguerai devant
Dieu et devant les hommes
qu’une humble
quadrature
où s’encercle et
toujours s’évade pour un vol
d’amour la parole :
Poésie, semence du
Verbe.
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Les éditions N&B ont fait paraître « Fragments
d’exil » de
Dominique FERNANDEZ,
œuvre majeure qui fera l’objet d’une émission particulière avec l’auteur.
Enfin, l’émission s’achève sur la
lecture d’extraits de
« Chaldée »
du poète américain
Nick TOSCHES,
éd. Vagabonde, bilingue anglais,
français, 116 pages, 10 € :
« En quel ciel loge l’auteur de
Chaldée, livre qui oscille entre l’espoir de faire revivre, par
l’imagination, les rites archaïques de fertilité et la conscience, lucide,
que le monde qu’il s’efforce de ranimer est irrémédiablement perdu, qu’il
ne se manifeste plus que par la trace et la ruine ? »
On ne peut être plus actuel !
CONTRAPASSO
Sans une brise,
et ayant renoncé à
toute sagesse
et sachant qu’aucun
poème
ni aucune âme humaine
ne peut me sauver,
je me couche
et attends n’importe
quel dieu
qui soit assez
indulgent et puissant.
Etranger éternel,
soutiens-moi
Etranger éternel,
lève-toi.
Etranger éternel,
soutiens-moi.
Etranger éternel,
lève-toi.
Je me donne à toi qui
rassembles mes morceaux.
Photo Claude BRETIN
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Photo Claude BRETIN
Christian Saint-Paul invite les
auditeurs à assister à la conférence que donnera
Alem SURRE-GARCIA
à la Maison de l’Occitanie,
11, rue Malcousinat à Toulouse sur le thème :
« Les Orients
d’Occitanie III , Le Midi antichambre des Orients, méridionalisme,
orientalisme, colonialisme, du méridional à l’indigène. »
le jeudi 5 novembre 2015 à 18
h 30.
« Le romantisme européen a manifesté un
profond intérêt, à la fois historique pour le Moyen-Âge et géographique
pour le sud de l’Europe, la Méditerranée, portes de l’Orient. Le « Midi »
français, de par la poésie des Troubadours, de par son climat, ses moeurs,
de par ses façades méditerranéenne et pyrénéenne, a exercé sur les
voyageurs français et européens une vive impression : il sera considéré
pour la plupart comme l’antichambre de l’Orient. Entre la France du Nord
et l’Algérie décrétée française, et au moment où l’ethno type du
« méridional » se construit en même temps que celui de « l’indigène »,
comment les écrivains, les artistes de la société méridionale dans son
ensemble ont-ils réagi ? »
Alem SURRE-GARCIA qui a fait paraître
aux éditions A Tots. I.E.O.
-edicions,
« Man trobat »,
108 pages, 13 €, un roman picaresque en langue d’oc qui est une féroce
critique de la société d’aujourd’hui, de ses mythes et de ses valeurs
folles et fausses. Ceci par l’auteur des
« Orients d’Occitanie »
et de « La théocratie
républicaine » entre autres.
Michel BAGLIN
réédite
« Entre les lignes » avec
une préface de Didier Pobel
aux éditions Le bruit des
autres, 115 pages, 10 €.
Nous connaissons bien l’amour des trains chez cet écrivain, qui comme
l’écrit Jérôme Garcin : « dans un livre émouvant et juste, le poète Michel
BAGLIN paie sa dette aux chemins de fer qui, dans un sifflement de
western, ont traversé son enfance ».
Christian Saint-Paul signale également
des publications sur lesquelles il reviendra au cours des prochaines
émissions :
Manuel RIVAS
« La disparition de
la neige »
N&B éd.
anthologie poétique bilingue réunie et traduite du galicien par
Paloma Léon
, 172 pages, 18 €. Devant l’importance de cet événement éditorial, une
émission lui sera bientôt consacrée.
Béatrice BALTI
a publié il y a déjà quelque temps un roman historique sur une période
chère à beaucoup, le temps de Boaddil, dernier roi de Grenade,
« Zeyda, servante de
l’Alhambra » aux éditions
L’Harmattan.
L’auteure sera une de nos prochaines invitées.
Revenant sur les
Journées culturelles
franco-algériennes de Toulouse,
Saint-Paul invite les auditeurs à assister à une conférence à la Maison
des Diversités et de la Laïcité sur
« L’Algérie 2015 ».
Nous nous ferons l’écho de cette conférence dans les prochaines émissions.
Après avoir rappelé que
L’Atelier Imaginaire
de Lourdes a publié
« Lignes de vie »
dont le contenu est décrit sur le site les-poetes.fr , et salué
Lenny ESCUDERO
artiste qui a, entre autres, chanté les chants universels de la liberté,
l’émission se plonge dans un grand pays qu’a parcouru quatre mois, notre
éminent technicien
Claude BRETIN :
MADAGASCAR.
Cette île gigantesque, la troisième du
monde, s’est largement ouverte à l’extérieur par ses 5000 km de côtes.
C’est un pont entre deux mondes car elle doit à l’Afrique et à l’Asie son
milieu naturel, son peuplement, son histoire, son héritage culturel.
Nés de la mer, instruits de la mer, les
Malgaches se sont, au cours des siècles solidement ancrés sur ce petit
continent massif. C’est un peuple autonome, qui s’exprime par une unique
langue, de souche malaise selon les linguistes : le
malagasy.
Les français arrivèrent à Madagascar en 1895 au moment où la reine des
Mérina (caste la plus cultivée) voulait étendre sa suprématie à tous les
groupes minoritaires de l’île. Devenue colonie française en 1896,
Madagascar conservera toujours un très fort esprit de résistance. Elle fut
le seul exemple de colonie où les chefs locaux refusèrent de perdre leur
autonomie. L’échec de l’intégration provoqua de rudes soulèvements ; en
1947 une grande révolte fut impitoyablement réprimée par l’armée française
qui tua 80 000 insurgés. De là surgit plus fort encore une véritable
conscience nationale qui devait conduire le pays à l’indépendance en 1960.
Claude BRETIN a ramené des
photographies dont certaines s’affichent sur notre site, prouvant
l’existence d’une grande diversité des paysages végétaux et d’une faune à
part.
Trois noms illustrent l’histoire
contemporaine de la poésie malgache :
Jean-Joseph
RABEARIVELO, poète de la
dualité franco-malgache angoissée ;
Jacques
RABEMANANJARA, chantre du
nationalisme ;
Flavien RANAÏVO qui peut
être considéré comme le produit de l’acculturation réussie. Ce dernier fut
aussi à l’aise dans l’inspiration du patrimoine français que dans les
valeurs et traditions de l’Imérina, région de Madagascar.
Mais c’est d’un poète tout à fait
contemporain qu’il sera question dans cette émission, un poète à découvrir
pour nous français. Il s’agit de
RADO.
Cet artiste qui toucha à beaucoup
d’arts est considéré à ce jour, comme un monument de la culture malgache.
Né en 1923 à Antananarivo, le poète Georges ANDRIAMANANTENA,
connu sous le pseudonyme de RADO est fils de pasteur. Après des études
secondaires dans les meilleurs établissements scolaires malgaches, il
poursuivit ses études au Centre International d’Enseignement Supérieur de
Journalisme de Strasbourg. Il exerça diverses fonctions avant d’être nommé
Directeur au Ministère chargé de la Culture, poste qu’il occupa jusqu’à
son départ à la retraite en 1989.
RADO est mort le 15 septembre 2008 à 85
ans.
Ce poète dit son amour de la langue
malgache. Sa langue se veut simple, accessible. On le qualifie de poète de
l’espoir, de l’amitié, de l’universalité.
Ses poèmes sont étudiés dans les
programmes scolaires malgaches.
Ce fut aussi un musicien, un
journaliste bien entendu du fait de sa formation, où il s’illustra comme
le chantre de la liberté d’expression et de la pluralité des idées.
Il accumula les médailles en
reconnaissance de ses mérites, étant un pur produit de la
« méritocratie ».
RADO a fait le choix de n’écrire qu’en
malagasy. Il affirma ainsi sa volonté d’être reconnu comme un poète
populaire malgache.
Une anthologie bilingue
malagasy-français put être éditée en 2005 à Madagascar. Elle n’a pas
encore vraiment franchie les frontières et sans Claude BRETIN nous
n’aurions pas ce précieux exemplaire dont l’édition est celle d’un
imprimeur à Tananarive.
Monica,
originaire de Madagascar, directrice d’école en retraite, de passage en
France, a bien voulu lire RADO dans sa langue malagasy. La lecture est
ensuite suivie de la lecture des poèmes de RADO en français.
Georges Andriamanantena alias Rado
*
Le village de la
paix
Le nom de ce
village, je ne sais ni ne connais
Mais ce qui frappait
le plus ma vue et mon esprit
C’était cet ordre
emplissant tout l’endroit :
L’éventuel visiteur
s’y plaît déjà.
Toutes les petites
rues sont égayées de fleurs
Les rizières
ressemblent à des champs sans frontières
Des gens au sourire
ampli du temps des moissons
Travaillent dans
chacune des maisons.
Les tourments
pénibles, ici sont inconnus !
La paix règne dehors
ainsi que dans les codeurs
Vous êtes tenté de
croire au vu des alentours
Que ce village-ci,
n’a jamais vu la guerre.
Oui ! il n’a point
connu la guerre et ses souffrances
Les portes dans ce
lieu n’ont jamais eu de clé
Les habitants s’y
plaisent et s’aiment sans jalousie,
Leur livret de
famille ? La solidarité !
Et tous les noms des
rues y sont très édifiants :
Vous pouvez y
trouver : « Rue de l’Egalité »
« Rue de la
Justice », « Place de la Libération »
Ainsi que ce
« Monument des Droits et Liberté ».
Ce village conquit
mon cœur et mon âme
J’eus hâte de
connaître le nom qui le décrit.
Un enfant me sourit
puis il me répondit :
Ce village
s’appelle : « Village de la Paix ».
*
Laisse
Laisse donc tout
cela, n’en dis plus un seul mot
Pour ne pas remuer
sans le vouloir
La boue déjà
dormante enfouie dans son cœur
Le seul trésor de sa
mémoire !
Que ferais-tu de son
désespoir si se déversait le passé
Dont il a rempli sa
cruche ?
Car celui-ci est
fait des ruines de ce qu’il a projeté
Qu’il a gardées
pieusement.
A dire vrai, s’il y
a un lambeau du passé
Qui tombe sous des
yeux qui se souviennent...
Que ce soit toi ou
lui, je comprendrai
Qu’on veuille
jalousement le préserver.
*
J’en ai assez !
J’en ai assez, ô ma
Patrie
Reste donc là où tu
es !
Mais ma course et
moi
Nous allons fuir car
nous sommes las
De ta misère
De ton malheur
Qui devient ma
misère
Et qui me colle à la
peau !
...Pourquoi
serais-je le seul
A rester pour
regarder
Ton visage ravagé
Et ta beauté
défaite ?
La plupart sont
fatigués ;
Certains sont
devenus esclaves de l’argent
D’autres se sont
lassés de lutter
Et se sont fanés
avant que de fleurir.
D’autres encore ont
déserté
Epuisés par cette
lutte sans répit.
Il y a ceux qui
n’ont pu rien faire
Battus par les
flatteries et les applaudissements,
Ceux qui n’ont plus
honte
D’avoir goûté aux
haricots.
Il y a ceux qui sont
tombés sans pouvoir se relever
Après avoir bradé la
vérité
Tous ceux-là
Se sont éloignés
sans prévenir.
Et je reste seul
désormais
Des millions qui
étaient là
A supporter cette
poutre
Qui chancelle et se
fissure.
Oui, je suis bien
seul
Qui épuise mes
forces
Et qui perds le
sommeil
Pour redresser ce
pilier.
Pourtant ce mur-ci,
Je vois bien qu’il
penche
Et que dans quelque
temps
Il va tomber et
s’écraser
Si on ne vient pas à
son secours !
Les marches de
l’escalier sont brisées
Comme l’étage et la
plancher
Le toit que Père a
construit
Commence à se
lézarder.
Sont taris les silos
à grains :
La famine semble
proche.
L’acier qu’autrefois
l’on polissait
Le voilà qui est
rongé par la rouille...
Je voudrais avoir
dix bras
Pour te réparer, ô
mon bien.
[ ... ]
Qu’on laisse fuir
ceux qui veulent fuir !
Qu’on laisse éclater
ce qui va éclater !
Que le sort se
retourne !
Qu’on laisse aller
ceux qui veulent s’en aller !
Mais aie confiance,
ô ma Terre,
Idole que j’aime,
que je vénère !
De moi, regarde,
cette main
Je vais de nouveau
lui redonner force
[...]
L’émission se termine sur une chanson
d’Hinitra,
artiste malgache qui rayonne dans le monde entier.
Photo Claude BRETIN
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Christian Saint-Paul rappelle que se
tiendra à Toulouse le samedi 10 et le dimanche 11 octobre 2015, le
Salon du Livre des Gourmets de
Lettres, sous l’égide de
l’Académie des Jeux Floraux
de Toulouse. De nombreux
prix seront remis à cette occasion concernant le roman, les nouvelles,
l’histoire, la littérature scientifique et la poésie. Le salon et les
cérémonies de remise des prix auront lieu dans le cadre prestigieux de
l’Hôtel d’Assézat, siège des Académies savantes de Toulouse. Les
lauréats de ces prix seront invités au cours des mois à venir à l’émission
« les poètes ». Les 3ème
Journées Culturelles Franco-Algériennes de Toulouse
se tiendront du 6 au 17 octobre 2015. Un programme particulièrement riche
à suivre.
Le samedi 10 octobre 2015
à 17 h, une rencontre poétique réunira au
Château Saint-Louis à Labastide
Saint-Pierre, dans le Tarn
et Garonne, quelques auteurs de la
revue Encres Vives :
Jean-Louis
Clarac, Jean-Michel Tartayre, Cédric Le Penven, Jacqueline Saint-Jean,
Annie Briet, Christian Saint-Paul, Francis Pornon et Michel Cosem.
Michel Cosem,
écrivain, poète, revuiste, éditeur, se joint à l’émission. Directeur
d’Encres Vives,
il sera ce jour là entouré par ses amis qu’il a eu plaisir à publier. Il
précise que cette rencontre poétique
« Vendanges de
mots » a été organisée par
Jean-Louis Clarac,
instigateur des Moments Poétiques d’Aurillac.
Dans les dernières parutions de Michel
Cosem, un roman,
« Le berger des pierres »
(éd. Lucien Souny, 221 pages,
17,50 €), succède à son
précédent roman chez le même éditeur,
« Les Oiseaux de la Tramontane ».
Pierrot aime se retirer dans la partie
la plus sauvage du causse, un lieu favorable à la rêverie qui meuble ses
longues journées. Le berger s’y repose tout en gardant un œil sur ses
bêtes. Peu de gens s’aventurent sur ces terres, car elles sont le dernier
refuge des bandits, des vagabonds, des réprouvés, des lépreux. Ce désert
peut tout accepter ; il peut recueillir et même protéger, à condition que
ceux qui y viennent possèdent une connaissance de la nature et des
animaux, cultivent le goût de la solitude et éprouvent l’envie absolue
d’échapper au reste du monde. Michel Cosem a choisi cet endroit pour
raconter, sur plusieurs générations, une histoire fascinante. Depuis le
déserteur des armées napoléoniennes jusqu’aux jeunes d’aujourd’hui en
passant par l’époque de la Résistance, l’auteur dresse une fresque où
l’humain, le tragique, les légendes, les pierres se mêlent pour finalement
faire partie de notre quotidien et de notre imaginaire.
L’étrangeté, l’intemporalité, le
réalisme magique qui auréole ce roman, le rendent à la fois singulier et
remarquable.
Quand Michel Cosem s’intéresse à un terroir, il le « met dans tous ses
états ». Il le fait vivre au présent bien sûr selon les variables des
saisons, de l’heure ou de l’humeur ; au passé qui livre aussi de
merveilleuses clés de compréhension et enfin, au futur, le tout sous le
regard de l’imaginaire. L’amour de la nature, du merveilleux, de
l’histoire et du voyage sert de fil conducteur à l’auteur dans tous ses
écrits, quels que soient les lieux où se déroule l’action. Michel Cosem
est l’auteur d’une abondante production littéraire (romans, contes et
poèmes) qui s’adresse aussi bien au jeunes lecteurs qu’aux adultes.
Remarqué par la critique, plusieurs fois primé, il a été publié aux
Éditions Robert Laffont, Seuil, Milan, Seghers, Casterman, Gallimard et
Syros. Ses deux derniers romans, Justine et les loups et Le Bois des
demoiselles, ont été publiés chez De Borée.
(224 pages 20 € port compris à
commander 2, allée des Allobroges 31770 Colomiers)
Michel Cosem dit sa fidélité et son
attachement à cette forme d’écriture qui met en valeur un lieu et
l’histoire humaine de ce lieu. C’est cette passion de sonder, de décrypter
un terroir dans ses profonds mystères, qui l’a amené à créer
la collection « Lieu » aux éditions
Encres Vives qui rencontre
un réel succès, preuve de l’intérêt des auteurs et des lecteurs aux
ancrages géographiques et historiques, les deux caractéristiques étant
indissociables.
Cette préoccupation du lieu l’a conduit
à publier après
« L’Ariège, vérités et émotions »
chez le même éditeur Un Autre
Reg’Art :
« Le cœur et la
raison », livre sur les
beautés multiples et variées de la
Haute-Garonne,
avec de superbes photos. Sa volonté à Michel Cosem avec ce beau livre,
c’est de faire aimer cette terre.
Par ailleurs, il annonce que son livre « Les vies
multiples du troubadour Peire Vidal »
qui avait paru en 2009 aux
éditions du Pierregord, sera
réédité. Il s’agit de l’histoire tumultueuse et incroyable, mais vraie,
d’un grand troubadour toulousain de l’Occitanie à la Terre sainte, au
XIIIème siècle. Ce roman explore cette époque qui fut l’une des plus
belles de l’histoire de l’Occitanie avant que ne fonde sur elle la
croisade dite « des Albigeois ». Dans ce passionnant roman, la grande et
la petite histoire se côtoient pour faire émerger la figure d’un homme
profondément humain, fasciné par la Méditerranée, poète avant tout, joyeux
luron tout au long de sa vie.
Revenant sur les auteurs qui seront
présents pour ce récital à plusieurs voix au Château Saint-Louis, Michel
Cosem souligne que tous sont unis par des liens d’engagement poétique très
forts dans le monde.
Se tourner vers l’imaginaire, c’est
imaginer qu’il puisse exister un monde meilleur. Par l’imaginaire, les
poètes deviennent les prophètes qui nous montrent un monde qu’il serait
possible d’habiter en poète. L’écriture, nous dit Michel Cosem, est un
outil qui permet d’entrer en résonnance.
Michel Cosem donne lecture de ses
poèmes, dont des inédits, qu’il publiera sous le même titre qu’une
précédente publication
« Le Midi des
coquelicots ».
Où est le monde ?
Est-ce lui ce soir qui pleure avec un violon tsigane et qui renouvelle
toutes les espérances et la douceur des amours ? Est-ce lui qui écrit
l’étrange maison sauvage qui palpite des paupières et répond avec menace ?
Est-ce lui qui
chemine tel un témoin sur les sentiers de fortune et qui donne au silence
la vraie soie des oiseaux ? Nul ne le sait, mais toutes les réponses sont
possibles.
**
Nous cheminions
ensemble au bord des champs de blé dans la nuit des grillons et des
courtilières. Je croyais que nous serions toujours ensemble. Le
chèvrefeuille embaumait et quelques lumières annonçaient nos belles
futures maisons. Nous cheminions ensemble vers une séparation cruelle et
sans retour, vers des ciels de tourmente et des absences infinies. Restent
quelques écorces noircies et l’odeur du chèvrefeuille au printemps. Les
orages ont laissé des rides dans la poussière.
**
Simplement regarder
le fil de la vie comme on regarde l’océan au petit matin. L’horizon est
là, témoin fidèle. Les nuages parlent de continents imaginaires. Les
oiseaux ne cessent de refaire le monde en écrivant le ciel. Le silence
comme une bulle brille à chaque geste et entre les doigts on laisse en
riant couler le sable au creux de l’estuaire.
**
Les chênes la nuit
venue sont immobiles et l’image même du silence. Le feuillage noir dessine
une nouvelle géographie sur le ciel tandis que passent d’un trait les
engoulevents, ces oiseaux fous. La nuit a gagné l’étoile du berger, la
grande ourse est presque effacée. On sèche un à un les oripeaux de la
journée. Y aura-t-il seulement un autre demain ?
**
Quelle est cette
soudaine inquiétude qui me serre le cœur au milieu des pierres du causse
dans le matin clair et nu ou au crépuscule souligné d’ombres noire. En nul
endroit ailleurs je me sens aussi seul comme abandonné en un pays pourtant
bien connu. Comment expliquer cela ? Alors qu’un épervier blanc flotte
au-dessus des petits chênes bourrus qui sont aussi chez eux.
**
Bruyères et fougères
murmurent dans le sous-bois. Que disent-elles en cette nuit de grand
vent ? Quelles sont leurs confidences ? Qui donc veut s’emparer de leurs
corps fidèles pour jouer ensuite au migrateur à la pointe des herbes ?
Fougères, belles compagnes de l’été aux courbes qui font croire aux
longues histoires j’essaie de vous protéger. Bruyère aussi, petit monde
après l’orage et chanson sincère dans le silence. Quelle lecture inventer
pour vous ?
(extraits de « Le Midi des coquelicots,
Encres Vives éd. 6,10 €)
L’émission se poursuit par la lecture
de poèmes
d’Annie Briet,
qui ne cesse de dire son amour pour les terres du Lot et qui travaille du
reste à la rédaction d’un livre sur les écrivains qui ont séjourné dans ce
majestueux pays.
L’aube
les flammes de
l’aube
par brassées de
fleurs
lancées sur le
bûcher de la nuit
une croix de cendre
sur le fond du jour
les perles de rosée
à l’infini roulent
tout tremble, tout
bruit, à peine
c’est l’heure des
jardins
enclos derrière
leurs portes rouillées
elles couinent
apprivoisées comme les bêtes
une fumée monte par
bouffées de plaisir
c’est le songe de
l’arbre qui brûle
c’est le chant du
verger
les papillons se
posent sur les lèvres des fleurs
et la lumière
s’agenouille sur l’herbe
SOLEIL LEVANT
Couchant plus
somptueux que l’aurore
sommeil plus
langoureux que l’éveil
mais la première
étincelle
qui fait prendre le
feu du jour
comment ne pas la
choyer
telle une divinité ?
**
Matin
en guirlandes
d’églantines
en sanglots de
source
élu de l’aube
va cueillir la rosée
déranger le grand
sommeil des fougères
et l’air te sera
doux comme une grande aile
SOIRS D’ETE
Délicatesse de soie
des soirs d’été
ces amples papillons
de nuit
dépliant leurs ailes
sur la lumière du
jour
le souffle est en
suspens
aux lèvres des
secrets
**
Cachée derrière un
chêne
La lune est dans le
pré
Loup blanc grimpant
au ciel
Pour faire sa ronde
autour des bois
**
Contemple la nuit
qui s’élève en voile
de soie noire
cousue avec la
pointe d’argent des étoiles
pour recevoir la
lune
au jardin
d’étincelles.
Elle s’endort d’un
sommeil enfantin
sa joue blanche
posée sur l’étoffe fine.
(Extraits d’ « Eveil de feuilles et de
racines « ) (322ème
Encres Vives).
L’émission s’achève sur le signalement
du livre « VEGA »
de Daniel Martinez
qui vient de paraître aux
éditions du Contentieux (136 pages, 10 € port compris), à commander par
règlement à l’ordre de Robert Roman 7 rue des Gardénias 31100 Toulouse).
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Cédric Le Penven
Jean-Louis
Clarac
au récital du Château Saint-Louis
01/10/2015
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Christian Saint-Paul revient sur la
publication d’un livre qui apporte un fabuleux éclairage sur
l’appropriation par les poètes occitans contemporains du Grand Œuvre des
Troubadours :
« Les Troubadours dans le texte occitan du XXème siècle »,
sous la direction de
Marie-Jeanne Verny, Classiques Garnier éd. (Etudes et Textes occitans,1).
Quelle place occupent dans l’imaginaire de nos créateurs modernes ces
troubadours qui ont incarné un âge d’or où la langue et la littérature
d’oc fournissaient des modèles à l’Europe ?
Ce livre contient une somme de réponses
qui, cependant, ne se veut qu’une première ébauche synthétique de la
réception contemporaine des troubadours. C’est dire combien le sujet est
riche !
Lecture d’un passage de
Max Rouquette
reprenant un discours de son maître au lycée de Montpellier, le poète
catalan Joseph Sébastien Pons
qui rappelait les belles heures du pays d’oc et d’une langue « si
courtoise [qui] devait s’affaiblir malgré la promesse des fleurs ».
« Ce discours, d’un grand poète il est
vrai, exprime parfaitement ce que fut la place de l’occitan au cours, très
prolongé (presque jusqu’à ce jour) d’une histoire rapidement condamnée à
la clandestinité et au silence d’un oubli programmé. Alors qu’en deux ou
trois siècles elle avait marqué à jamais le destin littéraire de l’Europe.
[…]
Cette explosion printanière ne dura que
deux siècles environ, avant d’être écrasée par la Croisade albigeoise et
la mainmise capétienne sur le monde occitan. Deux cents ans ont suffi
cependant pour asseoir cette prépondérance culturelle sur le monde entier
d’alors. Le message des troubadours, illustré par quelques lyriques de
très haut niveau, s’étendit au continent tout entier : l’Espagne avec le
marquis de Santillana, l’Angleterre de Chaucer, l’Allemagne des
Minnesänger,
la France des trouvères. Et, plus éclatant, sur l’Italie de Dante et de
Pétrarque. Dante, la plus haute voix de la poésie italienne, ne cessa,
tout au long de son œuvre, de citer avec éloge les plus grands de nos
troubadours. L’hommage rendu à Arnaut Daniel est le plus éclatant. Dans
une œuvre immense où jamais aucune autre langue n’est invoquée que
l’italien, le poète accorde huit vers au damné qu’il admire, dans sa
propre langue. Huit vers occitans de Dante. Qui témoignent avec éclat de
sa parfaite familiarité avec le style et les formes de pensée du disciple
de Raimbaut d’Orange. Et d’une dette qu’il n’a jamais reniée. »
Continuant sur la poésie en langue
d’oc, est de nouveau signalé le livre
d’Andriéu Resplandin
« Aquéli
pichot rèn-Ces petites riens »,
l’Astrado éd. 7, les Fauvettes –
13130 Berre L’Etang.
Finesse, subtilité et musicalité de la langue provençale font de ce
recueil un régal de poésie contemplative où les « petits riens »
anesthésient dans la familiarité de leur douceur, l’écrasante pesanteur du
monde à vivre.
Lecture d’extraits dans les deux
langues : provençal et français
Si je regarde le
ciel
ce n’est pas pour y
quémander
quelque secours
divin
mais
l’aile de
l’alouette,
les nuages en
errance
et le vent …
Ah ! le vent !
*
Que fais-tu de tes
promenades,
que dis-tu au vent,
que te dit la
draille ?
par drailles et
collines
je grapille des mots
pour faire des
poèmes.
Puis je pars dans le
vent …
*
Les
Journées Culturelles
Franco-Algériennes se
tiendront à Toulouse du 6 au 17 octobre 2015. Le programme est sur le site
les-poetes.fr.
Lecture d’un poème
d’Abdelmajïd Kaouah
extrait de
« Le Cri de la mouette quand elle perd ses plumes »,
Encres Vives éd. (6,10 € 2
allée des Allobroges 31770 Colomiers).
Christ maure
C’est un simple
sourire
franc comme du
froment
de l’ancien temps
sourire étincelant
pareil à un horizon
après l’averse
Le petit maure
repose
dans une benne à
ordure
il a croisé son
destin
dit-on en guise
d’oraison
pas de Noël
pour Larbi
simplement un
cercueil plombé
pour la rive sans
jouets
des mottes de terre
jetées
à ciel ouvert sur un
ange lacéré
Larbi a rencontré au
détour des Aubiers
l’ogre des contes
ancestraux
Au royaume du petit
maure
le père Noël
n’existe pas
et ici pour rire
on le traite de
salaud
Etait-ce l’Ogre
nécrophage
un faux père Noël
le destin
dans une benne à
ordures
en la bonne ville de
Bordeaux
un enfant d’ici
d’ailleurs
un petit Rimbaud
sans voix
surpris par l’enfer
se décompose
entre gel et Noël
Christ fils de
Meriem
reconnais-le avec
effroi
Le petit maure
s’est trompé de
sourire
comme toi avec Judas
mais ceci est une
autre histoire
Le samedi 10 octobre 2015 à 17 h, un
récital poétique sera donné au
Château Saint-Louis,
domaine vinicole à Labastide-Saint-Pierre dans le Tarn et Garonne.
Jean-Louis Clarac,
Annie Briet, Michel Cosem, Jean-Michel Tartayre, Jacqueline Saint-Jean,
Francis Pornon et Christian Saint-Paul
feront des lectures de leurs textes.
La
revue Encres Vives
(n° 354) en janvier 2008 a consacré un numéro « spécial
Jean-Louis Clarac » avec
des illustrations de
Françoise Cuxac et des
critiques, notes de lecture sur l’ensemble de la création poétique de ce
poète né à Limoux dans la rigole des Corbières et qui vit à Aurillac où il
anime avec le Théâtre de la ville,
« Les Moments Poétiques »
où se sont produits bien des poètes.
Ces rencontres ont fait l’objet d’une
publication : Jean-Louis
Clarac « Vibrations en partage »
reprenant la présentation de chaque
poète et d’un texte (12 € La
Porte des Poètes éd. 128 rue Saint-Maur 75011 Paris).
A signaler également, en relation avec
ce récital dont tous les artistes ont été publiés par Encres Vives, le
numéro 60 de la revue
Poésie/première (15
€ 16 rue de Chaumont 75019 Paris)
qui consacre un long et vigoureux dossier à
Michel Cosem,
poète, romancier et éditeur de la revue et éditions
Encres Vives.
Cédric Le Penven
n’a pas encore participé à l’émission « les poètes ». Dans cette attente,
c’est ce jeune poète, enseignant, qui a reçu en 2000 le Grand Prix de
Poésie de la Ville de Béziers pour «Orage », Editinter éd, et qui depuis,
a multiplié les publications et s’est vu décerner le Prix Voronca en 2004
pour « Elle, le givre » Jacques Brémond éd, qui est choisi pour la lecture
d’un recueil dans sa totalité :
« Variations autour d’un geste »,
427ème
Encres Vives (6,10 €, 34 € abonnement, 2 Allée des Allobroges 31770
Colomiers).
Ces « Variations » ont été écrites à
partir de trois premières figures, peintes d’après des troncs d’arbres et
s’inscrivent au cour du projet « Commune Figure » qui réunit danse,
peinture, musique et poésie, nous dit Florent Mabilat.
Lecture de « Variatons autour d’un
geste ».
Figure 1
ce geste
s’il fallait retenir
un geste
main posée
contre écorce
ce silence immobile
vivant
qui épouse la
conscience
la trouble
*
l’arbre connaît
la saveur du sol
le goût du ciel
alors que moi
benêt
pas entendre
ce que lui ignore
connaître
et pourtant
ce geste
*
ce geste
pauvre
ce pauvre
geste
derrière l’écorce
des aveux
travaillent le corps
au corps
*
je
finirai par
ce geste
coup porté
au cœur
le corps entier
qui s’étire
et se ramasse
le poids du merlin
brise en deux
cette odeur de
l’intime
étonné
d’être
*
je commence aussi
par ce geste
lire de la paume
les lignes de
l’écorce
traits d’un visage
ami
aux paupières calmes
il chuchote
des conseils
étranges
se mordre la
langue
pour tenir debout
*
j’exprime
le dedans
comme vieille éponge
gorgée de
sel ou d’amour
de la colère
sur ce blanc
mots-colchiques
empoisonnent
vénéneux
mais
jolis
*
L’émission se termine par l’annonce de
la parution du dernier livre de
Daniel Martinez : « VEGA »
à commander pour
10 € (port compris) aux éditions du
Contentieux, 7 , rue des gardénias, 31100 Toulouse.
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Du 7 au 21 octobre 2015 se tiendra la 31ème
quinzaine littéraire et artistique de l’Atelier Imaginaire
à Lourdes, Tarbes,
l’Escaladieu-Bonnemazon. Les auditeurs sont invités à consulter la
programmation de cette quinzaine qui se déroule, comme chaque année, en
deux temps : la Décade et les Journées Magiques, sur le site :
w.w.w.atelier-imaginaire.com.
A ne pas manquer le dimanche 18 octobre 2015 avec la présentation de
« Lignes de
vie », quatrième ouvrage de
la collection « le livre d’où je viens », qui est la publication venant en
substitution de celles des prix anciennement décernés. Ecouter aussi
l’émission du 3 et 10 septembre 2015 consacrée à
Guy Rouquet,
instigateur de cette Quinzaine.
*
Le Centre Joë
Bousquet et son Temps
présente du 2 octobre au 5 décembre 2015 une
EXPOSITION : Edmond
CHARLOT, un éditeur méditerranéen Libraire-éditeur.
Edmond Charlot publia à Alger, dès
1936, les premiers ouvrages d’Albert Camus, et ceux de tant d’autres
écrivains de premier plan : André Gide, Jules Roy, Emmanuel Roblès,
Federico Garcia Lorca, Albert Cossery, Henri Bosco… soit un catalogue de
plus de 300 titres qui témoigne d’un attachement constant à la
Méditerranée. Il édite également les revues Rivages, L’Arche… et diffuse
dans sa librairie « Les vraies richesses » les nombreuses revues de
l’espace méditerranéen. Dans le même temps, Max-Pol Fouchet rayonne avec
la revue Fontaine ; plus tard, d’autre revues surgiront à Alger, Oran :
Forge, Simoun, Soleil… Henri Bosco au Maroc fait paraître la revue Aguedal
; en Tunisie, Armand Guibert édite Mirages, Les Cahiers de Barbarie…
Autant de revues qui transitent par la chambre de Joë Bousquet et
auxquelles il collabore parfois. Cette créativité des revues l’amène à
dire : « … J’ai travaillé, écrit, j’ai vécu de la vie des revues. Jean
Ballard, le directeur des Cahiers du Sud, a associé à ma destinée et à
celle de mes amis la destinée de son groupe. Aujourd’hui, cette revue
appartient au département de l’Aude autant qu’aux Bouches du Rhône ; et
c’est à Paris qu’elle se distribue, non moins d’ailleurs qu’en Algérie et
dans tout le bassin méditerranéen… ». Joë Bousquet à la photographe Denise
Bellon, 1946 Dans le prolongement de l’exposition permanente Joë Bousquet
et son Temps, cette exposition temporaire, consacrée à l’éditeur
méditerranéen Edmond Charlot, présente le Temps des revues d’Edmond
Charlot, de Jean Ballard, de Joë Bousquet... et de l’espace méditerranéen.
Exposition conçue et présentée par le Centre Joë Bousquet et son Temps
mise en oeuvre par René Piniès du 2 octobre au 5 décembre 2015 (Ouverture
du mardi au samedi, de 9h à 12h et de 14h à 18h Entrée libre)
Le samedi 3 octobre 2015 à 15 h 30, René Piniès
présentera, toujours à la Maison Joë Bousquet,
« Edmond Charlot,
Jean Ballard, de part et d’autre de la Méditerranée »,
suivi d’un entretien de Guy
Basset :
« Revues de la Méditerranée »
et d’une présentation et lecture des poètes édités par Charlot, par
Jean-Claude Xuereb et Jean-Louis
Vidal.
Le samedi 7 novembre 2015 à 15 h 30,
aura lieu une rencontre
« Méditerranées, Fidélité aux valeurs libertaires ».
Vous trouverez le détail de ces
programmations en page d’accueil de notre site :
http://les-poetes.fr
*
Brigitte Maillard,
auteur-interprète, vient de publier
« A l’éveil du jour »,
qui est le premier ouvrage de la collection « L’écriture du poète » de
« Monde en poésie éditions »
qu’elle vient juste de créer.
Il s’agit d’un livre au format de
poche, voisin de celui de la collection poche Poésie/Gallimard,
de 130 pages (12 €),
à la mise en page et au graphisme sobres et parfaits, illustré en page de
couverture d’une photographie en noir et blanc de l’auteure.
Brigitte Maillard vit en Bretagne.
Après des études de Lettres, elle devient comédienne, exerce différents
métiers liés à la communication, puis s’oriente vers la poésie et la
chanson. Un tournant s’impose : dire la vie, celle qui nous réinvente.
Elle a publié « La simple
évidence de la beauté » aux
éditions Atlantica, « Soleil,
Vivant Soleil », préface de
Michel Cazenave, aux éditions Librairie Galerie Racine.
« A l’éveil du jour » est le livre
« d’une expérience humaine vécue comme un appel à la « vraie vie » pour
que naisse le jour. Une aventure en poésie qui conduit l’auteure aux
portes du silence. Ce récit témoigne, par la douleur et la joie, de cette
clarté vibrante qui nous entoure. Une vie dont nous sommes, avant tout, le vivant poème.
Ce récit, émaillé de poèmes, est écrit
comme un poème en prose. C’est le journal, conçu comme une autofiction à
la Yves Charnet, où aucun fait n’est inventé, où tout a été vécu et
retransfiguré par l’art du langage. Une écriture précise, aux phrases
courtes trouvant comme d’instinct le bon chemin pour décrire le tracé
d’une vie dont elle dit pourtant :
« Je ne sais comment parler de la
vie / Elle vient de me rester dans les mains ».
Et c’est manifestement cet art providentiel de la parole qui sauve
Brigitte Maillard de l’hébètement dans lequel les cruautés de la vie
auraient dû l’anéantir. La poésie est la quintessence de la parole ; elle
l’empêchera de se noyer dans le vide qui s’ouvre sous ses pieds. Pour
cela, il faut dire. Dire la stupeur à l’annonce des maux qui frappent avec
une lâcheté aveugle. Cancer du sein à 39 ans, puis leucémie.
Mais la vie, quand on porte la langue
en soi dans tout le corps malade, est la plus forte. Sauvée par
l’intelligence des hommes de sciences, avec notamment le don de sang de
cordon, mais surtout par le combat de sa lumière intérieure qui a osé
regarder en face les ténèbres. Certaines sœurs d’armes n’ont pas eu cette
force. Et le triomphe n’efface pas le chagrin. La poésie, la langue
appelée comme une thérapie universelle. Sauvée par la sensibilité qui,
comme nous l’apprit Baudelaire, est notre génie.
Brigitte Maillard est de ces artistes
qui savent voir. La pensée est son regard. Ce qu’elle voit l’ancre à une
réalité secrète qui force la volonté de vivre. Nul artifice chez Brigitte
Maillard. Elle « regarde l’univers du haut de sa grandeur ». Elle écrit
« au bord du monde ». Privée de la vue après une opération, elle éprouve
cette nudité, ce silence d’où s’échappe seul le poème : « Les yeux posés
sur le regard / Monte une gravité soudaine / C’est le regard de l’animal /
Il n’y a rien d’autre / Le reste, une kyrielle d’idées ». La finalité de
Brigitte Maillard est de « chanter sans repos », maintenant qu’elle a
prévenu : « je n’existe pas là où tu crois ».
Lecture d’extraits de « A l’éveil du
jour » par Christian Saint-Paul.
Le vin nouveau est
arrivé ! Je savoure ce délice de l’accord de l’âme et du corps. Toutes
voiles dehors ! Vivons-nous pour sentir la lumière rayonner à chaque
instant de la vie ? La possibilité d’une flamme.
L’être pourrait-il
vibrer de vie, de beauté, de poésie ? Je le devine et mon corps semble
contenir le monde. Tout s’inverse, ce n’est plus l’homme dans le monde,
mais le monde dans l’homme. Il faut penser autrement.
Sur mon cahier de
pensées je note ce 22 avril 2003, rien ne sera plus jamais comme avant. Je
suis reliée. Une même étoffe et la conscience de tisser la matière.
Donne-moi ta chaleur
Ta couleur
Ton odeur
Et je vais de ce pas
Me mettre à danser
vibre l’amour des
croisés
Au large des océans
vibre la lumière
Au palais des
mirages
vibre le temps qui
reste
Vibre
*
La gravité vivifiante qui émane de la
poésie de Brigitte Maillard,
Matiah Eckhard
nous l’a offerte avec son recueil posthume
« Lointains chants
sacrés d’où je suis né »
(Euromedia éd.) : « Lumière, / tu me renvoies à la vie / tu me dévoiles ».
Lumière gagnée dans l’épreuve par la justesse des mots, mais aussi chez ce
musicien, par l’harmonie des sons. A 19 ans, cet artiste nous terrasse
d’une leçon indépassable résumée en quelques mots :
« Vivre c’est déjà être libre ».
Et c’est tout le sens du livre de Brigitte Maillard !
Lecture d’extraits de « Lointains
chants sacrés d’où je suis né », par Christian Saint-Paul.
Ressentir la vie
comme une création
perpétuellement nouvelle.
Le temps est aboli
mais les actions
sont d’autant plus
vives et colorées.
Ressentir une joie
immédiate,
que l’entendement
humain
n’a pas eu le temps
de salir,
d’analyser, de
juger.
Et avec cet
émerveillement continu
devant tant d’œuvres
nouvelles,
d’appels sensoriels,
d’inventions de la
nature,
s’éloigner des
souffrances
qui réhabilitent la
lourdeur terrestre :
le Temps.
Dépasser les
souffrances, car le monde est trop beau
pour qu’on puisse y
souffrir.
*
Retrouver mon Sens
profond
celui qui, à son
contact,
me reconnectera au
Monde et à moi-même.
Ainsi je vibrerai en
harmonie avec l’univers,
deviendrai une corde
unique
mais accomplie dans
la lyre cosmique.
Ne faire plus qu’un
avec le Cosmos.
*
La lumière, celle de l’éblouissement de
la parole, de la vie intérieure, de « la vraie vie », n’est pas donnée
sans désir de la recevoir. Elle nécessite l’effort de la volonté de ce
désir. En ce sens, pour y accéder, il faut se livrer à des
« Exercices de
lumière ». C’est le titre du
livre d’artiste de
Michel Eckhard-Elial
publié chez Robert Lobet (35
€). La parole du fils Matiah
guide le père vers la lumière. Et c’est de cette logique inversée,
acceptée avec l’humilité des grands, que jaillit comme une grâce
retentissante cette lumière si rare. Et le père peut dire du fils : «Je
porte / le visage de/ Ton nom ».
Lecture d’extraits d’ « Exercices de
lumière » par Christian Saint-Paul.
Au dessus du carré
de terre
Semé d’étoiles et de
cailloux
Qui voile le ciel
De mon fils
Je prie debout
Vers son visage
D’enfant visage de
dieu
Au milieu de tant
d’êtres transpercés
Chenilles papillons
Qui me disent la fin
Et l’infini de
l’être
Où se retrouvent
Le ciel et la terre
Après qu’ils furent
séparés
Je retrouve mon fils
Dans le ciel de sa
terre
Son visage est un
soleil
Qui les réunit dans
sa lumière
***
Namen
En ta voix
Je reviens au monde
Des noms à la
mémoire de
L’ange
Sans mémoire
Seulement je suis
Que je sais
Pour extraire un peu
De monde
A l’opaque
Douleur
Calfeutrée d’oiseaux
Pour le monde je
compte
Les déluges de mots
A découvert
d’ombre
Je porte
Le visage de
Ton nom
*
Mon fils
Mon roi
Vivant de mon corps
Aujourd’hui vivant
De mon âme
Tu existes
Dans le souffle
Du temps
Sans instrument
inutile
Source creusée
Dans la lumière
Du monde
Pour garder
Le nom comme
Une couronne royale
***
Au cours de l’émission du 11 juin 2015
consacrée à ce livre, Michel Eckhard-Elial avait précisé que l’œuvre du
poète espagnol
José Angel Valente (1929
- 200) l’avait fortement influée dans sa spiritualité.
La recherche de la lumière est la quête
de vérité. Or « ce n’est pas avec les mains que l’on saisit la vérité,
c’est en chassant au plus profond de l’abîme les ténèbres de l’existence »
nous avertit le poète surréaliste
Maurice Blanchard.
Les ténèbres, chez Valente et chez
Eckhard-Elial, sont issues du même sang : la mort d’un fils. Matiah en
2014, Antonio en 1990.
« Fragments d’un livre futur »
de José Angel Valente rassemble des poèmes de 1991 à 2000.
Licencié en philosophie romane, José Ángel Valente a enseigné rendant
quelques années à l'Université d'Oxford. De 1958 à 1980 il a vécu à
Genève. Il a partagé sa vie entre Almería, Genève et Paris. Son premier
recueil obtient le prix Adonaïs en 1955. En 1994, il reçoit le Prix
national de poésie. "Il appartient par son âge à ce qu'il est
convenu d'appeler la génération de l'après-guerre civile – la troisième,
pour être précis ; autrement dit cette génération de poètes qui publient
leurs premiers livres dans les année 50 au moment où naissent les
"novisimos", les "tout nouveaux”, qui arrivent à maturité aujourd'hui.
C'est dire sa position charnière dans le panorama de la poésie espagnole
de ce siècle."
Jacques Ancet, Le
nouveau dictionnaires des auteurs,
Robert Laffont, 1994.
"Situé au carrefour de la philosophie et de l'histoire, de la poésie
et de la prose, très à l'écoute des voies ouvertes par la musique et la
peinture, l'écriture de José Ángel Valente est une des plus vastes et des
plus profondes de la littérature espagnole contemporaine."
(G. de Cortanze)
"José Ángel Valente, un des grands poètes du siècle, mystique,
mystique de l'immanence, héritier de la tradition espagnole, nous conduit
en ces chemins de l'indicible, il nous rapproche du vide, du rien (...),
il ouvre ces chambres d'une interminable clarté voilée."
(Gaspard Hons, Espace
de Libertés,
N°205, novembre 1992)
"Suivre
l'itinéraire de Valente est d'autant plus important que son œuvre est
unitaire, les essais enrichissant la vision poétique sans jamais lui
conférer le dangereux statut d'illustration au service d'une théorie, si
belle soit-elle". (Laurence
Breysse-Chanet, Une
lointaine lumière d'aube,
La Quinzaine littéraire, 1/15 mai 1997)
« Fragments d’un livre futur »
constitue, comme pour Brigitte Maillard, une sorte de journal de poèmes.
« Descente au néant, disparition du fils » […]. Pour toi, la poésie fut
toujours ce paradoxe : mort et renaissance, indissolublement. […] Comme si
disparaître, c’était en même temps charger le vide triomphant de la claire
imminence d’une possible présence », écrit
Jacques Ancet
dans sa préface. La mort et la vie se confondent dans l’aspiration à
incarner cette présence immanente qui brûle d’amour. Et Jacques Ancet
relie le feu du bûcher mortuaire de Valente qui disait : « Brûle alors ce
qui a brûlé », aux flammes du supplice de Giordano Bruno dont la figure
tutélaire est évoquée dans livre.
Lecture, parfois en bilingue, de larges
extraits de « fragments d’un livre futur » de José Angel Valente.
QUELQU’UN me dit
qu’un jeune homme
vient
de temps à autre
rendre visite à ta tombe.
Il arrache les
mauvaises herbes.
Un jeune homme,
dit-on, beau
avec un chapeau de
paysan.
Interrogé, il a dit
être un ami de tes
proches.
Qui est cette
silhouette qui surgit ainsi ?
Peut-être est-ce
toi-même qui reviens
pour voir où tu te
trouves et qui déposes
au pied de tes
cendres,
humide, un bouquet
de pluie ou de
tristesse.
(Le
visiteur)
*
La voix au téléphone
fut une sourde agression de
l’ombre. Elle dit ta
mort, rauque, cruelle, inexorable.
Comme un destin.
Elle dit. Je ne pouvais pas la
comprendre.
(Anniversaire)
*
Les sens sautent
au-dessus des pensées.
Eckhart
Tu es là
dans ta lumière non
visible, non engendré,
unique, l’unique.
Ton regard se pose
sur l’absence de
toi, sur la non déchiffrable
irruption de ta
forme dans ton vide.
Tu y laisses la
trace de ton pas.
J’ai couru criant.
Rends-moi à tes yeux
que je porte en mes
entrailles gravés.
(Le
néant)
*
Animal étendu
par-dessus la durée,
tapis au-delà du
temps et des temps
ou au-delà du dieu.
Matière.
Mère
du monde.
Sein blanc dressé
qui touche le ciel
ou qui l’engendre
et fait naître
l’infinité.
C’est à peine
si nous existons un
bref instant.
Accueille-moi de
nouveau en toi,
mais seulement quand
mon chant
se sera achevé.
(En
survolant les Andes)
Et en feu tu
brûlais,
seul dans l’infinité
de l’univers,
et de ses
innombrables mondes,
victime de juges
tributaires de
l’ombre
de l’ombre
et de l’ombre
jusqu’à nous.
Ombre.
Mais toi tu brûles
encore lumineux.
(Campo dei Fiori,
1600)*
*Giordano Bruno.
***
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Daniel MARTINEZ
17/09/2015
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Christian Saint-Paul revient sur la
publication de
Fabien Marquet,
« Cent noms
d’oiseaux que je n’ai pas appris »,
recueil qui constitue le 442ème
numéro d’Encres Vives (6,10 €
le volume, abonnement 1 an : 34 € à adresser à Michel Cosem, 2 allée des
Allobroges, 31770 Colomiers).
C’est en Roussillon que vit Fabien
Marquet, dans la ville de Perpignan où, après des études de Lettres, il se
consacre au théâtre et à la poésie. Ses textes ont été publiés dans la
revue « Europe », « Bleu d’encre », « A l’index », ainsi qu’aux Presses
Universitaires de Perpignan. Poèmes courts, gravés comme des sentences.
Ton élégiaque, nostalgique, où l’incertitude devient dérision : « à la
lumière du soir j’ai gagné mon salut / le monde peut bien s’écrouler ».
Pour vivre, il faut apprendre « à sentir la lumière » et à « soulever les
pierres quand les heures se promènent ». Une langue simple et pure que
l’on espère lire encore bientôt.
Lecture d’extraits.
*
Christian Saint-Paul signale la
parution d’un livre qui comble enfin un manque dans l’approche de la poésie occitane :
« Les
Troubadours dans le texte occitan du XXème siècle ».
Un très bel ouvrage de 420 pages publié par les
Classiques Garnier
émanant des Etudes et Textes
Occitans, série « Les
Troubadours », textes rassemblés sous la direction de
Marie-Jeanne Verny.
Dans la renaissance de la
littérature occitane au xxe siècle,
les troubadours sont souvent invoqués par les plus grands écrivains (René
Nelli, Max Rouquette, Robert Lafont, Jean Boudou et bien d’autres), comme
images d’un âge d’or où la langue et la littérature d’oc fournissaient des
modèles à l’Europe. Cet ouvrage s’intéresse à la place de ces grands
anciens dans l’imaginaire des créateurs (la chanson est également
étudiée). Entre modèles idéalisés, figures recomposées sur un mode
romanesque, imitation des formes et motifs, et aussi distance critique ou
refus d’assumer un tel héritage, on trouvera ici une première ébauche
synthétique de la réception contemporaine des troubadours.
Cet
ouvrage analyse la réception des troubadours dans la littérature occitane
contemporaine, entre fascination pour un âge d’or où cette littérature –
ainsi que la langue qui la portait – se constitua en modèle européen,
imitation des formes et des motifs et distance critique.
Ce volume reprend les interventions du
colloque international des 1ers
et 2 avril 2010 à Montpellier par la composante RedOc qui associait les
universités d’Aix-Marseille, Bordeaux, Gérone, Montpellier, Pau, Toulouse,
sous le patronage de l’Association internationale d’études occitanes.
Des 14 auteurs contemporains étudiés,
seul Serge Bec, né en 1983 et dont nous avons salué ici les derniers
ouvrages parus notamment chez Cardère, est toujours vivant. Parmi les
éminents contributeurs de cette étude, figure
Franc Bardou
qui demeure, avec Félix Castan, l’érudit sur René Nelli. A deux exceptions
près, les interventions sont rédigées en français, ce qui fait de ce livre
un ouvrage destiné à un large public qui ne saurait ignorer le devenir
actuel de l’héritage des Troubadours. Bien des poètes du Sud en sont, sur
les formes les plus variées, les descendants reconnaissants. Cet
impressionnant ouvrage qui nous livre de multiples clés, fera l’objet
d’une émission particulière.
*
Christian Saint-Paul salue l’invité de
la semaine :
Daniel Martinez
Né le 24/11/1958, Daniel Martinez
réside depuis l’automne 1975 à Ozoir-la-Ferrière, en Seine et Marne.
Des publications en revues :
Les Cahiers du Schibboleth, La
Nouvelle Tour de Feu, Phréatique, Linea, Le Cri d’os, Arpa, Thauma,
L’Indicible frontière, Pphoo, La Passe, Les Citadelles, L’Arbre à paroles,
Verso, Concerto pour marées et silence, 22
(montéé) des poètes,
Voix d’encre, Carnavalesques, Revue Alsacienne de Littérature…
Daniel Martinez
dirige
la
revue
Diérèse,
à périodicité trimestrielle (actuellement quadrimestrielle) depuis mars
1998, 65 numéros parus à ce jour. Il dirige les
éditions Les Deux-Siciles,
depuis septembre 1998 (42 titres parus à ce jour, le catalogue reproduit
dans les dernières pages du n°65).
Daniel Martinez a publié pour
l’essentiel 12 recueils de poésie :
N'être qu'une fois
(éditions du Contentieux, sept. 2001),
Le
Bestiaire de Vénus,
préface de Jean Rousselot, en regard de collages de Jacques Coly
(coédition Les Deux-Siciles/Le Petit Véhicule, mai 2003). En janvier 2005,
Libre champ,
au Petit Véhicule. 2007 : en mars, coédité par Les Deux-Siciles & Le Petit
Véhicule, Feeders,
(20 peintures à partir de poèmes de Jacques Coly) ; en avril,
Les mains du songe
(éd. Le Nerprun solaire) ; en août,
Solstice d’été,
au Petit Véhicule. En avril 2009,
Approches,
au Petit Véhicule. En 2011 et 2012 ont été édités aux Deux-Siciles :
Diadème du regard
et Terre entière.
En mai 2013 : La croisée des
saisons et
Kakusha
(éd. du Contentieux). A paraître en
octobre 2015 : Véga,
aux éditions du Contentieux.
S’instaure un dialogue entre Christian
Saint-Paul et Daniel Martinez, interrompu par de longues lectures de ses
textes par le poète invité.
En particulier, Daniel Martinez offre
aux auditeurs de Radio Occitania la primeur de la lecture de poèmes
inédits à paraître :
« Le temps des yeux ».
Daniel Martinez confie qu’en 1998, il
décide de publier une revue et part véritablement de rien. Les auteurs se
sont ralliés au fur et à mesure des numéros.
Eric Rognet
fut un des premiers et apporte toujours une contribution bienvenue.
Pierre Dhainaut
et les poètes reconnus ont façonné au fil des numéros –Diérèse- qui n’a
cessé de s’enrichir de voix nouvelles.
Ce travail éditorial s’il n’étouffe pas
vraiment l’œuvre de création du poète Daniel Martinez, le contraint à un
certain retrait, devant l’impératif des échéances de parution de la revue
qui est prioritaire.
Lecture de
« Enluminures » poèmes
de Daniel Martinez, par lui-même.
Revenant à Diérèse, le n° 65 comme les
précédents est impressionnant par l’abondance et la qualité des auteurs et
des textes, ainsi bien-sûr, comme toujours, des illustrations. Le livre,
car c’est un véritable livre, est conçu au cordeau, dans une visée
esthétique d’une perfection de la mise en forme des textes et des
illustrations. Tout d’abord, on peut lire
d’Alain Fabre-Catalan
une sobre et remarquable analyse du travail de traduction :
« La voix de la traduction ».
Et on poursuit en bilingue par des poèmes de
Georg Trakl,
mort il y a cent ans, et d’un poète chinois de la dynastie Tang (IXème
siècle). Les deux œuvres sont présentées.
Richard Rognet
revient dans ce n° 65 avec des poèmes, et un livre inédit à suivre dans
trois numéros.
Juliette Drouet
et Alfred Jarry
sont présents dans ce numéro par les textes
d’Etienne Rouhaud
qui visite leurs tombeaux. L’originalité et la profondeur de cette
démarche attestent de la qualité exigeante de la revue.
Parmi les poètes, nous relevons
bien-sûr Isabelle Lévesque,
familière des auditeurs de cette émission, mais aussi
Monique Saint-Julia,
une amie proche, prix Troubadours comme
Béatrice Marchal
autre auteure de ce numéro. Figure également
Guy Girard
dont nous avons parlé récemment lors d’une récente émission « les
poètes ».
La poésie domine dans la revue, mais
elle se veut élargie aux récits, (Christian Saint-Paul a plaisir à
retrouver le poète Daniel
Abel) et même au cinéma avec
Jacques Sicard
et Jean-Paul Gavard-Perret.
C’est bien une volonté de ne pas s’enfermer dans la poésie, une recherche
d’éclectisme.
Les Bonnes Feuilles
rendent compte de l’opulence des publications de poésie, contrairement aux
idées reçues qui voudraient que la poésie soit moribonde. Ce catalogue de
notes de lecture, précieux pour les amateurs de poésie, mêle les auteurs
très reconnus (édités par Gallimard) aux poètes nouveaux à découvrir.
Sur le devenir de la poésie, Daniel
Martinez, en première ligne du front pour défendre la poésie, a compris
que les médias ont amorcé une forte position de retrait. Les journaux, les
magazines, ne publient plus de poésie et de plus en plus rarement des
notes de lecture de livres de poèmes. L’Etat s’est retiré aussi. Mais
cela n’empêche pas la poésie d’être toujours aussi vive. Les poètes savent
qu’ils doivent compter sur eux seuls. Il existe, dès lors, une kyrielle de
petites maisons d’édition. Et les revues demeurent intensément militantes.
L’effort créatif est intense. A aucun
moment, il ne faiblit. Mais les poètes ont saisi que leur existence, si
elle n’est pas dramatiquement menacée, ne sera pas facile. au loin : de
la langue perdue
le trop maigre écho
souffle le blanc gagné
feuilles ruines que l’on nomme
voyelles contre l’épaule amie
de celle qui m’est voix
puis modulant
dans la matière du corps
vingt peupliers d’Italie
*
question : de l’être et du percevoir
ses allées ses venues
au jour des charbons rougis
réveillent un champ de possibles
parfois dorment images
ou tracent au jugé
les proportions d’un refuge
dans la toile vivante
nombrer toutes les instances
*
exploration : la forêt qui noue
fil à fil la conscience
absente du monde dit
telle une horreur sacrée de l’inerte
longues et précieuses minutes
au-delà des évidences
sans point d’attache vraiment
quand le dessus gémit
à la moindre pression de la main
* (extraits du livre
d’artiste « Diadème du regard » avec Jacques Coly)
Daniel Martinez, avec quelques
autres d’un même sang et d’un même feu qui leur brûle les mains, porte
témoignage de l’impérissable force de la poésie.
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Guy ROUQUET
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« Le génie est d’un
seul type – l’originalité », assène Pessoa dans Erostrate. Trente années
durant, Guy
Rouquet a fait
en sorte de pouvoir traquer cette originalité et de la faire resplendir
chaque année par l’attribution des prix Prométhée (prose) et Max-Pol
Fouchet (poésie). L’aura de ces prix décernés à Lourdes a bien aidé à être
reconnus les artistes récompensés, dont d’ailleurs, beaucoup ont été reçus
dans l’émission « les poètes ». Aujourd’hui,
Guy Rouquet poursuit dans cette Bigorre qu’il n’a pas quittée, son œuvre
d’instigateur culturel. L’Atelier
Imaginaire ajoute
à ses créations éditoriales un volume centré sur la poésie « Lignes
de Vie » et
du 7 au 21 octobre 2015 se dérouleront la Décade Littéraire, les Journées
Magiques qui rassembleront plus de cent animations.
Guy Rouquet, que nous
sommes allés rencontrer à Lourdes, nous parle de Jacques Chancel,
de Max-Pol Fouchet, de son enthousiasme à conduire aux côtés d’artistes
magnifiques, cette organisation d’actions culturelles dans tous les arts.
Dramaturge, préfacier, Guy Rouquet est aussi auteur de poésie. Vous pouvez
l’écouter également lire un extrait d’un poème au cours de l’émission en
cliquant sur : http://les-poetes.fr/emmission/emmission.html
Le compte-rendu de l’émission :
L’émission
est réalisée à Lourdes, devenue depuis quelques décennies au mois
d’octobre de chaque année, un haut lieu de la poésie et de la culture,
ceci grâce à la passion tenace d’un poète : Guy
Rouquet qui
a créé, jusqu’à s’y confondre intimement, l’Atelier Imaginaire.
Il reçoit Claude Bretin qui
installe table de mixage et micros et Christian Saint-Paul ravi de
retrouver ce lieu chargé de mémoire qui accueillait dans l’amitié, le jury
régional des prix Prométhée et Max-Pol Fouchet.
Mais ce lieu est aussi chargé d’une
autre histoire comme le précise Guy Rouquet : nous sommes sur
l’emplacement de l’ancien presbytère où Bernadette Soubirous vint révéler
à Mgr Peyramale, curé de Lourdes, ses visions de la Vierge Marie. Une
plaque, du reste, en atteste sur la façade de l’immeuble qui a conservé la
petite porte d’origine. Président d’une association culturelle « Le
Grenier des Arts et des Loisirs », Guy Rouquet, en 1973, décide de créer
un prix littéraire d’importance, le prix Prométhée, qui concernait le
roman. Pax-Pol Fouchet et Jacques Chancel ont soutenu ce projet.
En 1980, l’association a pris le
nom de « L’Atelier
Imaginaire » et
a organisé tous les ans jusqu’en 2011, l’attribution des prix Prométhée
(roman-nouvelles) et Max-Pol Fouchet (poésie). En même temps, une
collection « Le livre d’où je viens » a vu le jour aux éditions Le Castor
Astral. Ont paru : « Ton monde est le mien, 39 poètes contemporains »,
anthologie présentée par Guy Rouquet ; «Le livre d’où je viens », 16
écrivains racontent « préface de Guy Rouquet ; « Livres secrets, 18
écrivain racontent », avant-propos de Guy Rouquet, préface d’Alain
Absire ; « Mon royaume pour un livre, 16 écrivains racontent, avant-propos
de Guy Rouquet, préface de Joël Schmidt (chaque volume 15 €).
En Octobre 2015, paraîtra « Lignes
de vie ».
Au total, 50 participants auront
livré aux lecteurs la raison profonde qui leur a donné l’envie d’écrire.
Cette interrogation, certainement essentielle dans la vocation de chaque
auteur, est née dans l’esprit de Guy Rouquet après avoir lu qu’Albert
Camus a écrit après la lecture d’un livre de Jean Grenier, « Les îles ».
L’originalité de « Lignes de vie »
est qu’il est entièrement consacré à la poésie. L’interrogation devient :
« Quel est le poème qui vous a fait entrer en poésie ? » 18 auteurs
composent un livret poétique idéal et chacun présente 10 poèmes d’auteurs
différents. Guy Rouquet a rédigé la préface. Il en lit un extrait :
« 18 écrivains sont conviés par
l’Atelier Imaginaire à s’interroger sur la place que la poésie occupe dans
leur vie. Ces auteurs, n’ayant jamais publié de poèmes pour certains, sont
d’abord de grands lecteurs. Avec une sincérité et une sensibilité rares,
ils racontent les circonstances qui les ont conduits à regarder l’homme et
le monde d’une manière différente après avoir découvert un texte en prose
ou en vers et, chemin faisant, à écrire leur premier “vrai” poème ou à
élaborer leur propre œuvre. Ils montrent de façon éclatante que la poésie
demeure une source d’inspiration et de réflexion essentielle pour les
chercheurs de sens, les aventuriers de l’esprit et les assoiffés d’absolu.
Les témoignages singuliers des écrivains ici réunis ne manqueront pas de
constituer un guide pratique pour bien des lecteurs ou amateurs en mal de
poésie, en particulier de ceux, nombreux, dont une certaine société broie
les aspirations en ce domaine à la fin de l’adolescence. »
Ont participé à ce livre :
Guy ROUQUET ALAIN ABSIRE • MICHEL
BAGLIN • MARIE-CLAIRE BANCQUART CLAUDE BEAUSOLEIL • ARIANE BOIS • JEAN
CLAUDE BOLOGNE GEORGES-OLIVIER CHÂTEAUREYNAUD • SYLVESTRE CLANCIER HUBERT
HADDAD • WERNER LAMBERSY • JEAN-PIERRE LEMAIRE JEAN MÉTELLUS • JEAN-LUC
MOREAU • JEAN ORIZET JEAN PORTANTE • AMINA SAÏD • JOËL SCHMIDT FRÉDÉRICK
TRISTAN
L’atelier Imaginaire a été porté
dans ses débuts par deux fortes personnalités du paysage médiatique
culturel de l’époque : Jacques Chancel et Max-Pol Fouchet. Jacques
Chancel, homme de radio puis de télé, est bigourdan. Guy Rouquet suivait
son émission « Radioscopie ». C’est à Paris, à la Maison de la Radio,
qu’il le rencontre par hasard. Contre toute attente, il accepte d’apporter
son parrainage à l’Atelier Imaginaire.
Max-Pol Fouchet, lui, est reçu à
Lourdes par Guy Rouquet en 1973.
En 2000, à l’instigation de Guy
Rouquet, paraît au Castor Astral en collaboration avec l’Atelier
Imaginaire et l’Association des Amis de Max-Pol Fouchet, un très beau
livre dont Guy Rouquet signe la présentation, « Max-Pol Fouchet ou le
passeur de rêves » (21,34 €), qui offre des textes rares ou inédits, 48
photographies prises par Max-Pol Fouchet à l’occasion de ses innombrables
voyages dans le monde. Chaque tableau a inspiré un commentaire original
offert pour la circonstance par ses amis écrivains ou gens de culture,
comme José Artur, Marie-Claire Bancquart, Eric Brogniet, Jacques Chancel,
Edmond Charlot, Pierre Dumayet, Julien Gracq, Jules Roy et d’autres aussi
prestigieux.
Max-Pol Fouchet se disait « amant
de la liberté et marié à la poésie ». Toutefois, son œuvre personnelle est
mince. Actes Sud, dirigé alors par Hubert Nyssen, a publié son anthologie
poétique : « Demeure le secret », préfacé par Marie-Claire Bancquart.
C’était un grand admirateur de Victor Hugo qui disait plaisamment : « j’ai
planté ma tente aux pieds de la montagne Hugo ».
Comme Hugo, Max-Pol Fouchet
considérait qu’on ne saurait être poète dans sa tour d’ivoire. Le poète
doit être poète dans la musique, doit s’engager, mettre un bonnet rouge
aux mots du dictionnaire, s’opposer à la tyrannie, à la médiocrité.
Max-Pol Fouchet, dit Guy Rouquet, c’est une grande figure romantique,
grand voyageur, curieux, amoureux des arts. Mais il ne perd jamais de vue
ceux que Victor Hugo nommait : « les pauvres gens ».
L’Atelier Imaginaire s’est calqué
sur cette posture : sa démarche se veut à la fois élitaire dans sa volonté
de tirer le public vers les sommets, et en même temps, égalitaire, que
chacun puisse y accéder.
Guy Rouquet évoque ensuite les
figures successives qui ont marqué le prix Max-Pol Fouchet, ne pouvant
citer la trentaine de lauréats. Le sud toulousain retiendra Michel Baglin,
Casimir Prat, Jean-Luc Aribaud, Jacqueline Saint-Jean. A signaler la
persévérance de Dominique Sampiero qui a participé 7 ans de suite avant de
recevoir le prix.
Mais sans un livre, sans une
édition originale, il n’y aurait pas d’Atelier Imaginaire. Cette année,
Guy Rouquet se réjouit de la parution de « Lignes de vie ».
Cependant, Guy Rouquet, dans cette
boulimie d’activités littéraires et d’organisation d’animations
culturelles de haut niveau (théâtre-concerts-expositions-lectures)
n’a-t-il pas été empêché d’exercer son art de poète ? C’est vrai que sa
grande passion pour la poésie éclate d’évidence chez Guy Rouquet. Mais,
dit-il, il faut faire des choix dans la vie, pour réaliser cette « vraie
vie ».
Sa passion s’est vraiment révélée à
la Faculté. Au fil du temps, les rencontres, les échanges, les lectures,
l’ont façonné. Il a été fortement impressionné voici 40 ans par
l’interprétation à la télévision de « Pour faire le portrait d’un oiseau »
de Jacques Prévert. Il voyait vraiment l’oiseau. La lecture de « Lettre à
un jeune poète » de Rilke l’a également marqué.
Les journées de l’Atelier
Imaginaire lui ont permis depuis plus de trois décennies de lier amitié
avec des gens de théâtre, de musique, et de bien des artistes.
Chaque année est programmée une
centaine d’évènements. Guy Rouquet a écrit des œuvres théâtrales. Mais il
faut imaginer le désert culturel qu’était la Bigorre il y a 30 ou 40 ans.
Il ne pût monter de troupe. Les poètes sont dans la vie comme les autres,
se plaît à rappeler Guy Rouquet. L’étude de Mallarmé alors qu’il était
étudiant, l’a fasciné. Il veut, comme lui, « rendre les mots de la tribu
plus purs ». Quant à Saint-John Perse, il ouvre une page au hasard et elle
lui parle.
Guy Rouquet n’a publié qu’un poème
écrit en 1974 et enrichi plus tard. Jacques Ibanes a mis en musique
précisément cet ajout du poème.
Lecture d’extrait de ce poème par
Guy Rouquet.
«
....
Les marins enfiévrés imaginent les
courses
promulguées certains soirs par la
houle jalouse
dans les barbes de miel du bourdon
exorcisé
Les gagneurs de vent épient des
baguettes sidérales
la trame impalpable des dissidences
célestes
quand sur l’arbre d’étrennes les
tourterelles enrouées
incantent les fifres cloués aux
étoiles
Hissez haut la herse de Citadelle
Loin des sables éclatés au sillon
de mémoire
je devins l’idolâtre des fontaines
perdues
alors qu’en guise d’offrande
des mages perfides déversaient sans
vergogne
leurs sortilèges accrus à des gels
perpétués de bronze
leurs enclumes aux portiques des
recluses accréditées
délimitant du jardin conciliatoire
l’itinéraire inventorié
désignant à grands coups d’airain
mon investiture de forges
mon enclouure reniée
Et rivalisent aux carquois des
anges
les palefrois échevelés des
fouleurs de vigiles
que les courtisanes tutélaires
à défaut de cuirasses
lestent des miroirs les plus fastes
pour donner le change aux guetteurs
exténués
Ah ! que n’ai-je gardé de mes yeux
fous les noires étincelles
Une lande partout incalculable
s’octroie
vaste aire cérémonielle
à mes poumons déhalés
me notifie l’arborescence prochaine
sur la crique scintillante
où l’officiant extatique émonde ses
propres cicatrices
Un merle flûteur se souvient des
pailles d’aurore
comme s’effrange la ronde des
cinéraires vieilles
à pleine amorce écriée
parmi les chevaux solaires en leur
enclos lacté
Un promontoire m’est acquis
à la péninsule des milices
percluses
des alliances culbutées
dans les instances du salpêtre
trafiqué
par foudres d’arquebuses engainées
de lucioles
Au confluent des fissures d’ivoire
sur les masques éclatés à l’extrême
profuse des vases
vulnéraires
toutes cousues de soie et
d’émeraudes tièdes
des guérisseuses louangent les
neuves lignes de faîte
soudain reconnues à l’axe des
sillages écornés
de
constellations
Au gouffre d’abysse j’ai planté ma
bannière
une nuit que les meutes du songe
aboyaient à leur éveil d’exil
que de l’obituaire prémonitoire
en révélation des légataires
faillis jusqu’à nos héritages d’hier
j’inventais les pétales arénicoles
sur l’emblavure
désacralisé
Et je martèle depuis à fleur de
terre une eau encore plus
douce
que la mer des toisons en fête sur
nos chemins
de
transhumance. »
Enfin, Guy Rouquet invite les
auditeurs à assister à la Décade littéraire et aux Journées Magiques qui
se dérouleront à Lourdes, Tarbes, Escaladieu, du 7 ai 21 octobre 2015.
Voir le programme détaillé sur www.atelier-imaginaire.com.
A retenir, la présentation le
samedi soir de « Lignes de vie » en présence des auteurs. De 9 h à minuit
seront mobilisés des ateliers sur la création, sur la poésie. « Mémoires
d’un fou » de Flaubert sera donné au théâtre de Tarbes. Et « l’opération
2000 jeunes » sera poursuivie cette année encore. Les meilleurs élèves qui
se sont distingués dans les épreuves de Lettres viendront passer 4 jours
en Bigorre.
Le dimanche soir sera consacré
à Jacques Chancel ; le spectacle « Maitre Jacques » sera une soirée dans
l’esprit qui animait l’action de l’écrivain journaliste. Cela permettra de
faire connaître cette figure marquante de la culture aux jeunes
générations qui vont le découvrir. Ils apprendront que dans son livre «La
nuit attendra », Jacques Chancel, jeune journaliste à Saïgon, blessé, est
demeuré huit mois aveugle, expérience humaine décisive.
L’opéra, la chanson à textes de
Ferré, Ferrat, Béart, Brassens, seront représentés avec les interprètes
d’aujourd’hui.
Le dimanche soir verra la grande
messe de la littérature, avec la soirée « Lignes de vie », des lectures de
poème, des poèmes chantés et des chansons de poètes.
Notre ami le poète-chanteur Bruno
Ruiz aura cette année aussi sa place dans la programmation. Dans la
préface de « Ton monde est le mien », Guy Rouquet écrit : « Depuis
Malherbe, nous savons que le poète n’est pas plus utile à l’Etat qu’un bon
joueur de quilles, mais avec d’autres, nous savons aussi et depuis
longtemps, que la poésie est comme le levain dans la pâte, qu’elle est en
mesure d’élever le cœur de l’homme et d’infléchir le destin de toute une
nation ».
Guy Rouquet est le bon boulanger de
Lourdes. La pâte de la poésie a bien levé et élève tous ceux qui, grâce a
lui, peuvent aller à sa rencontre.
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Jacques CANUT
Eric Dubois
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L’attention portée par Annie ERNAUX au quotidien, sa façon de s’en
saisir et de le projeter dans nos mémoires, est toujours apparue à
Christian Saint-Paul comme une tentative de transcender ce que Georges
PERROS nommait : « la vie ordinaire ». Et, sur cette vie que nous
vivons tous, que nous le voulions ou pas, elle pose la seule question qui
vaille : « de quelle façon sommes-nous présents les uns les autres ? »
(« Regarde les lumières mon amour » ; Seuil 2014 ; P 40).
Être présents les uns aux autres est la finalité qui guide depuis plus de
trois décennies l’émission « les poètes », poursuivant en cela le principe
même de la culture occitane que fait rayonner
Radio Occitania.
C’est ainsi que souvent sont présents les uns aux autres, les poètes
vivants et les poètes disparus, confondus dans un même élan de la pensée
qui nourrit.
C’est ainsi que le jeudi 27 août 2015, deux poètes d’une
belle différence, de génération, de style, d’expression de révolte devant
un monde qui échappe à l’amour, sont mis, par le simple truchement de
leurs textes, en présence l’un l’autre. Et le monde rassemble ces voix
infinies dans leur diversité en un ensemble mystérieux, laissant à chacun
le soin d’y découvrir son unité.
couter : http://les-poetes.fr/emmission/emmission.html
1 )
Jacques CANUT, vétéran de la poésie, né à Auch en 1930, n’a cessé d’exercer son art, en
français et en espagnol, se dressant contre la solitude et trouvant dans
les mots simples, l’observation du quotidien, « une résonnance sans
égale » selon l’expression d’Henri MICHAUX.
Jacques CANUT vient de publier ses deux derniers
« Carnets confidentiels » :
« Derniers kilomètres » et
« Bastide » (à commander chez l’auteur, 19, allées Lagarrasic, 32000 Auch).
Lecture in extenso des deux livres par Christian Saint-Paul.
*
Agir avec la démesure du poète.
Aviateur Saint-Ex,
les ailes du Latécoère moins vives
que l’imagination,
le ciel est-il plus vaste la nuit
que le jour ?
Certaines contrées bouleversent-elles
autant que brûlante passion ?
Extrême Sud en friche
où l’on se retourne pour admirer
le soleil
courant sur les pampas...
Etait-ce la récompense,
le terme capiteux du voyage ?
*
Quel destin en cet appartement
sur l’Atlantique ?
Séjour où tant d’objets ressuscitent
l’image d’êtres chers
trop souvent absents
ou désormais disparus.
Mais le soleil refait la Nature.
Le beau temps s’exhibe
sur la dune et l’Océan, miroirs
d’instants paradisiaques jouant
de nos corps,
de nos âmes.
* (extraits de « Derniers Kilomètres »)
Les rues se recoupant à angles droits
autour de la médiévale place centrale
(festonnée d’arcades) je respire un air
de vie castillane.
En cette cafétéria à la salle profonde
comme une avenue ombragée je me plais
à regarder le soleil glisser sur les murs
d’en face.
Je plonge entre songes et regrets, fais revivre
de multiples et chaleureuses découvertes,
des rencontres qui sublimèrent d’exaltantes
évasions.
*
Dans Mirande il y a
Mardi.
Mardi.
C’est si calme Mirande
après le trépidant marché de la veille.
Recueillie, la bastide semble n’avoir
d’attention que pour moi.
J’en savoure les discrets, inaltérables
enchantements sur les pas, les pages
d’Alain Fournier.
* (extraits de « Bastide »)
Le poème, cette arme chargée de futur, se transforme en abri pour ceux qui
sont exposés au déchaînement de la violence.
Salah AL HAMDANI dans son livre sur l’exécution de Saddam Hussein : « Adieu mon
tortionnaire » écrit à propos de l’Irak : « Il est vrai que sur cette
terre arabe, il n’y a plus de refuge excepté dans le poème pour ceux qui
fuient la sentence de mort des islamistes et des baassistes. (Le Temps des
Cerises 2013, p.112)
En octobre, l’émission « les poètes » donnera la parole depuis le Maroc, à
un jeune poète
El Morabethi
Khalid, poète marocain d’expression française.
Christian Saint-Paul rend hommage à l’incessant travail depuis 1974 de
Guy Rouquet au sein de
L’Atelier
Imaginaire de Lourdes, qui délivra trente années les prix Prométhée et Max-Pol
Fouchet. En 209, L’Atelier Imaginaire, avec le Castor Astral, publia
« Ton monde est le mien , 39 poètes contemporains », une anthologie présentée précisément par Guy Rouquet (155 pages, 15 €).
La prochaine émission « les poètes » sera consacrée à Guy Rouquet qui
parlera de son action à la direction de L’Atelier Imaginaire et du
programme 2015, déjà accessible sur la page d’accueil de notre site.
*
2 )
Eric DUBOIS, le cadet de Canut, né en 1966 à Paris, mais déjà dans la maturité de son
art, homme de radio, blogueur, familier de la technologie qui régente
notre quotidien, jette sur le monde un regard suspicieux. La revue
Encres Vives lui a consacré son 444ème numéro en publiant son recueil
« Le Silence sur la dune » (le volume 6,10 €, abonnement 34 € à adresser à Michel Cosem, 2 allée
des Allobroges, 31770 Colomiers)
Lecture du recueil par Christian Saint-Paul.
*
L’œil de la distraction
apporte la preuve
Que le monde
est le dernier spectacle
A la mode
On n’est rien
Que surface
Pixel mort
dont la bouche
Se tord
dans une grimace
Hachures de sable
Contraction
Le temps est disponible
quand l’offre et la demande
Circulent
*
Nous sommes les poèmes du temps, mes mots du ciel, les cris
de la
pluie, les silences du soleil, les larmes et les rires de
l’orage.
Nous vivons des hypothèses et des sempiternelles questions.
Nous
sommes des pièges dans une histoire à écrire toujours.
Je suis le poème qu’on oublie.
La soif du ciel est l’avatar suprême.
On parle toujours de quelque chose sans parfois en dire
davantage.
Les mots forment la réalité. La charpente du temps soutient
le poids
des pensées.
Navigue toujours à vue et n’épargne pas les récifs.
Chaque corps obéit au magnétisme des temps.
Le bruit du monde est pour mes oreilles une chanson
familière.
La pierre du langage fonde le désir.
Le mot est peut-être une caméra.
L’œil exercé
sait avant tout.
Il y a quelque chose.
Il y a quelqu’un.
Les cendres remuées emplissent les voix seules. La
trajectoire fait
l’existence.
* |
|
|
|
« La poésie est partout
[…] ; poésie dans le vacarme des voitures sur le pavé » expliquait Fernando
Pessoa dans
son Journal. La poésie est dans la corrida; le combat de l’homme et du
taureau a toujours fasciné les artistes : peintres, musiciens, poètes,
romanciers. A Toulouse des artistes comme Yves Charnet et Francis Ricard
ont renouvelé l’approche poétique de la tauromachie. Dans la nuit chaude
toulousaine du mois d’août, Christian Saint-Paul lit « La
corrida des Ombres » de Francis
Ricard (éditions
Atlantica, 15€).
Composé comme un livre d’artiste aux feuilles volantes, les poèmes sont
illustrés de photographies de l’auteur et l’alternance de pages blanches
imprimées en noir et de pages noires imprimées en blanc, n’est que
l’alternance de l’ombre et de la lumière, du jeu où triomphent dans une
dualité qui disparaîtra, la vie et la mort.
Monologue de la
peur
l'éclat des trois
clarines
fait la piste claire
le sable est ratissé
les clameurs
s'éteignent
le silence
s'installe
minute fatale
page vierge
ils ne sont plus que
deux
seuls
duo
duel
dialogue
peur contre peur
c'est l'unique
question à présent
instant suspendu
corps tendus
deux peurs
s'affrontent
dialogue
force et
intelligence
violence et temple
meuglements et mots
bave et bouche sèche
deux peurs
dialogue
le sable vierge se
couvre de traces
je te parle toro
quieto toro
tu m'entends
tu t'inclines
je te tue
tics rites et rictus
la main ne tremble
pas
la page s'écrit
le sable vierge se
couvre de signes
l'encre ruisselle
monologue
*
Cathy Garcia a
fait paraître en mars 2014 aux éditions
Cardère « fugitive ». Avec
ce livre elle parvient à la plénitude de son art. Très beau livre dont les
illustrations originales de l’auteure, artiste accomplie, sont elles aussi
comme dans le livre de F. Ricard en noir et blanc et font de ce livre, un
véritable livre d’artiste à la portée de tous (12€).
Lecture de « fugitive »
par Christian Saint-Paul.
Douce musique, si
douce, mais la berceuse ricoche, crible
le cœur.
La folie est à
quelques cellules à peine, trois fois rien.
Le refuge du placard
est vain.
Traquée,
détraquée. Ça me hurle.
Ma lèvre tremble, le
ciel est tombé en cataracte de verre.
En granit fracassé à
la mer.
Tant de pêcheurs
encombrent la rive et le soleil veut
sa part de crème
géologique.
Je glisse, toboggan,
vers l'abîme entraperçu sous la couverture
des océans.
*
Couchée. Nue sous un
sureau, des hanches comme des
barques. La
catharsis.
Puis la confession
acidulée des choses haletantes.
La lune à blanchir
piaffe un requiem. Le ruisseau suscite
une rivière.
Et je rejoins mon
ombre qui dévide le rouet des incantations.
Tenace
Déchue
Fugace
Rétive
Fauve
Et fêlée
Fragile et
voluptueuse nouée.
*
Je danse alors la
nitescence des aurores.
Le sourcier rompt la
pluie et butine les pigments.
L'inépuisable ouvre
les serrures d'eau gelée.
Je danse oui car il
faut oser l'amour.
Ouvrir les cuisses
pour l'envol.
La vie nous tend
brassées de lumière, volée d'oiseaux.
Suspend sa musique à
nos oreilles.
Ne pas oublier, non,
ne pas oublier.
Elle et moi sommes
fugitives.
*
En juin 1958, Pierre
Boujut faisait
paraître dans sa collection « les poètes de la tour » de la
Tour de Feu (n°58)
un recueil de poèmes deJean
Laurent (1912
- 2000). Dans sa présentation Pierre Boujut écrivait sur celui qui avait
dit : « Etre à sa petite place de poète mineur, je trouve cela déjà si
merveilleux que j’enrage d’en voir tant qui sont malades de ne pas se
sentir suffisamment élus parmi les élus… » : « orateur de réunion
publique, Jean Laurent sait bien que le meilleur des discours électoraux
ne portera jamais aussi loin et aussi longtemps qu’un poème « réussi ».
Quand celui-ci n’aurait que cinquante lecteurs pendant cinquante ans, le
jour viendra où le monde ne pourra plus avancer sans passer à travers le
poème. »
Lecture de « cantate
pour un jeune mort » par
Christian Saint-Paul.
J'ai compté les pas de
l'enfant dans la rue
Je l'ai vu sauter
par-dessus les fossés des marelles
Il s'est assis sur le
trottoir
A regardé le flot de la
vie
a penché la tête a
fermé les yeux
S'est endormi dans les
sables
A rêvé de châteaux de
clowns et de fiancées
A retrouvé son front
bercé sur des genoux de
mère
A pris l'espace en son
regard
A joué de chaque
feuille éperdue et de neige
Et s'est chauffé les
doigts aux cœurs fraternels
J'ai vu j'ai vu
l'adolescent
Devant moi a passé le
collier de ses folies
Sa joue s'est colorée
d'images tendres
Il a pleuré pour un
soir qui ne finissait pas
Pour une note
incertaine un cœur fermé
Quand je prenais ta
main de grand garçon
indocile
Aux heures où nous
jouions la liberté
C'était pour te
conduire où tu savais marcher
sans moi
Et mieux que moi
Chez les enfants qui
rient dans les royaumes
poétiques
Et les terres prêtées
pour inventer des joies
nouvelles
Ils te diront les
compagnons du rire et de la
grimace
Ils voudront poings
tendus contre le néant
Témoigner de ta vie
placarder les vrais mots
Jurer de la vérité de
ta voix et de tes pas
Les chants de tous les
pays l'entouraient
Et construisaient pour
lui l'univers aux cent
dimensions
Il a marché il a couru
dans les forêts du monde
brûlées
A travers les collines
d'automne et les landes
Dans la ville fermée
sur ses orages mortels
Dans la ville au soleil
triste des soirs du Nord
La vie aux Climats
infinis aux orgues grandiloquentes
Au sourire dans le
silence et dans l'étude
Flattant la table aux
signes familiers de France
La vie portée par les
lointaines lumières des ans
Il a pu l'enfermer et
lui donner le baiser de
l'éphèbe
Mais il tendit un jour
à sa mère un long bras
d'épouvante
La terre avait menti à
sa faim d'espace
Les portes qui se
refermaient sur lui
Nul corps nulle
angoisse nulle supplication
Ne pouvait plus les
laisser entr'ouvertes
Il a fallu pleurer sur
un souvenir
Ensevelir vingt ans
dans des gerbes rouges
d'amour
Et se taire à jamais
dans l'ombre absolue de
la mort
Devant moi la tempête a
brisé les branches
du jardin
Et pourri le plus
substantiel des printemps
Les voûtes où j'ai
cru déchaîner des foudres
de colère
En unissant mes mains à
celles des crucifiés
Ma haine à leurs
entrailles déchirées
Où j'ai jeté mon
anathème contre les forces
divisées
N'ont pu que répéter
une complainte abécédaire
Une homélie qui
s'éteignait dans un surplis
Un amen sur des flûtes
d'esclaves
Mais la branche va
refleurir
Les racines ont trempé
dans l'eau des révoltes
Nul ne refermera la
terre
Nous avons nié la tombe
et refusé l'holocauste
Il n'y aura pas de fin
malgré la mort
Nous viendrons épauler
debout entre les mâts
brisés
Tout destin faussement
navigué
Non je ne brûlerai pas
d'encens
Mais je ne crierai plus
Le mausolée n'insultera
plus aucun dieu
J'ai dessiné pour toi
le cercle où l'on ne peut
mourir
Regarde Voici le
miracle des pleurs.
TU AS VÉCU DEUX FOIS
*
Pour Jean-Pierre
Siméon, ce
jour "où le monde ne pourra plus avancer sans passer à travers le
poème" ne saurait tarder, puisqu’il est sûr que « La
poésie sauvera le monde »,
titre se don essai aux éditions
« Le Passeur »,
90 pages 15 €.
« La dématérialisation
que génère l’absorption du réel dans le virtuel dévalorise de facto les
sens du combat charnel avec le monde : le toucher, le goût, l’odorat. Dans
les pays développés, parangons du monde tel qu’il doit advenir, une
abolition progressive du lieu du corps avec l’environnement est à
l’œuvre. » C’est la poésie qui invite « à rejoindre le réel par
l’évocation sensible » : « Il n’est pas de poème digne de ce nom qui ne
fasse appel à l’expérience sensible du monde, donc à la mémoire
sensorielle du lecteur. »
L’émission " Les Poètes
" reviendra sur cet essai de Jean-Pierre Siméon.
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Marcel
MIGOZZI
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Pour mémoire, Christian Saint-Paul
signale, sans s’étendre car il y reviendra à l’occasion de prochaines
émissions, la parution de deux nouveaux
« Carnets
confidentiels » de
Jacques Canut.
Le n° 45
« Derniers
kilomètres », poèmes courts,
bouffées d’émotion qui remontent des ans passés et des lieux vécus, et un
hommage élégant à un poète-éditeur qui avait gardé « un souvenir
émerveillé de ses années d’enfance passées dans un sombre orphelinat »,
près de la ville natale de l’auteur.
Agir avec la démesure du poète.
Aviateur Saint-ex,
les ailes du Latécoère moins
vives
que l’imagination,
le ciel est-il plus vaste la nuit
que le jour ?
Certaines contrées
bouleversent-elles
autant que brûlante passion ?
Extrême Sud en friche
où l’on se retourne pour admirer
le soleil
courant sur les pampas…
Etait-ce la récompense
Le terme capiteux du voyage ?
Le n° 46
« Bastide ».
C’est Mirande dans le Gers. L’auteur y déambule avec les souvenirs
prégnants et des questions sans réponses :
« N’aurait-on de délivrances que
celles
Où l’imagination offre
d’exceptionnels
Et intimes délires ? »
Ouvrages à commander à Jacques
Canut, 19 allées Lagarrasic 32000 Auch.
Christian Saint-Paul lit un extrait de « Cœur
sauvage » de
Joël Vernet,
lettre à
Marina Tsvetaeva, récit,
éditions de l’Escampette, 133
pages, 15 €. L’auteur, par
ce récit à lire comme un roman passionnant, est allé à la rencontre de la
grande poétesse russe, qui vécut 14 années « d’existence invisible dans la
banlieue parisienne » avant son retour en 1939 dans une Russie terrifiante
de folie.
L’émission est ensuite consacrée à
l’invité :
Marcel Migozzi.
En 2012, il s’était expliqué au micro
de Radio Occitania (voir sur le site émission du 4 octobre 2012) sur le
livre qu’il venait de publier alors aux Editions de l’Atlantique
(aujourd’hui disparues). Voici la relation qui en était faite :
En réalité, ce poète a
su privilégier une vie faite d’observation heureuse des choses de la
nature et de la vie, avec une volonté de conserver malgré tout une
sérénité et une intelligence rare du bonheur. Bien sûr, sa lucidité n’est
jamais entamée et il n’échappe pas aux tourments du temps perdu et de
l’impuissance devant l’injustice.
A ce jour, il a publié
une soixantaine de recueils, a collaboré à la revue
Action Poétique et
à la revue
Sud, compte
de nombreux amis parmi les poètes reconnus de notre époque, a été honoré
de nombreux prix dont le prix Antonin Artaud en 1995.
Il vient de publier « A
la fenêtre sans rideaux » aux éditions
de L’Atlantique, collection Phoïbos 50 pages, 14 €. Il
s’explique sur ce livre composé de quatre parties qui forment un tout, une
unité, celle du regard de l’enfant qui a vieilli et se tient devant la
fenêtre, avec son dénuement, sa transparence, sur un temps désorienté,
passé-présent passant dans l’immobilité silencieuse des souvenirs.
Vivre-écrire à la fin n’est-ce pas se regarder au-delà de la page (de son
corps, de sa rue, de sa maison, de l’amour…) dans un visage où les rides
ne vont pas tarder à disparaître ?
Il lit des extraits de
« A la fenêtre sans rideaux » en avançant dans les quatre parties.
L’émission s’achève sur
la citation de Paul
CELAN reprise
dans un des poèmes :
Dire
alors
comme Paul Celan
bientôt on se retrouvera dans la
langue
on aura une voix et répéter avec un souffle
à partager
jusqu’à la chambre on ne sacrifiera pas nos
éclats de draps
n’oublie pas mes caleçons de coton
n’oublie pas mon
pyjama de laine répétant ce mot vivre
pour retrouver le
souffle et l’espace de la chambre du désir
n’entends-tu pas déjà
l’imprononçable écho bientôt on
se retrouvera
Ce jeudi 13 août 2015, il vient parler
de l’ensemble de son travail d’écriture. Il est né à Toulon en 1936, dans
une famille que l’on qualifiait alors de prolétaires. Il en gardera une
stimulante fierté. Il devint vite instituteur et d’impliqua dans l’édition
de revues de poésie comme
« La Cave » ou
« Chemin ».
Puis il intégra le comité de rédaction de la revue historique
« Action Poétique »
et collabora à la revue
« Sud ».
Dans les années soixante, il publia des recueils chez
Guy Chambelland,
chez Pierre-Jean Oswald.
Déjà, ses premiers textes étaient des écrits sur l’enfance. La revue
Poésie 1
le présentait, de la même manière d’ailleurs que
William Cliff,
comme un poète « intelligible ».
Marcel Migozzi se dit peu favorable
à une poésie de laboratoire. Il écrit une poésie du quotidien, une poésie
du vécu. Il se veut en phase avec le réel. Le poème naît toujours d’une
émotion.
Il lit des extraits de
« Cité aux entrailles »,
des textes sur son quartier de Toulon.
Le poème, s’enthousiasme
Marcel Migozzi, permet de dédoubler la vie, de l’agrandir. C’est en
sur-dimensionnant la vie qu’elle se fait voir sous son vrai jour.
L’invité lit un poème sur sa mère, figure mythique de sa famille ; puis un
poème sur son père qui n’a jamais lu un roman. « Lire ne gagne pas de
pain », disait-il.
Le poète s’attarde sur le souvenir brûlant de
son père, atteint d’une cataracte avancée qui le cloisonnait dans un
univers réduit.
L’engagement politique est toujours
vivace chez Marcel Migozzi. Chez lui, on votait « pour les ouvriers »,
mais l’engagement n’allait pas au-delà. Il fut le premier à le revendiquer
comme une dignité de vivre, au même titre que l’écriture.
Il lit
des poèmes inédits, à paraître, ayant trait précisément à l’engagement. Il
cite Pablo Neruda :
« J’écris pour remercier ». Il reprend la phrase à son compte.
Le
prix Antonin Artaud 1995, qui n’a cessé de publier depuis, a évoqué aussi
la figure de son grand père corse, Marcel Vincenti qu’il n’a pas connu,
dans un livre
« De bogue et de roc, l’amour l’amort »
(Colonna édition 10 €)
où se marient Provence et Corse.
Ses derniers livres, en particulier « Derniers
témoins » (Tarabuste
éditeur, 11 €), sont d’une
lucidité sans concession. Il y explore le vide, le silence, la mort.
L’avenir du corps, dans sa route vers la déchéance, est un sujet récurrent
des poèmes. Le langage se fait cru. Il y a une violence devant l’obscénité
de la mort. « La mort ne me fait pas peur, s’explique l’auteur, je crains
la décrépitude. La mort est un scandale : il faut tout abandonner, tout
perdre ».
Marcel Migozzi rejoint le fameux
« mourir la belle affaire/mais vieillir, vieillir … » de Jacques Brel.
Toutes ces obsessions, ciselées comme
des diamants noirs, dans ses poèmes sur le dépérissement du corps, ne sont
pas de vaines jérémiades, mais des cris de rage devant cette injustice. A
quoi bon construire dans la lutte, toute une vie, si c’est pour la
perdre ? Il y a dans cette constatation quelque chose d’inadmissible. Et
ce scandale là, non plus, n’est pas à taire. Alors il le dit, dans un
langage serré, où ne subsiste que l’essentiel, dépouillé comme un arbre nu
lève ses branches au ciel. Paradoxalement, cette rage devant son
impuissance à lutter contre la fatalité du temps, donne sa force au poème
et à la pensée. Mais, dit-il, « je veux tourner le dos aux ombres et me
diriger vers la lumière ».
les corps ne font-ils que se
perdre
à s'aimer se griser
se ressembler comment
détacher son corps faible
du monstre aimer ce
monolithe
(extrait de "De bogue et de roc")
*
avec des mots de petit bois
et la page sans date
une flamme fera la loi
(extrait de "Derniers témoins")
*
aimer mourir espérer voir
se purifier croire
sentir mourir remercier
rêver écrire aimer
mourir
se souvenir de partager
cherchez l'intrus sans avenir
(extrait de "Derniers témoins")
*
La lumière a cessé de vieillir,
celle
qui leur avait promis de rayonner
encore quelques ans, cessé.
Plus d'ouvreuse dans la rosée.
Plus de souffleur dans le
sommeil.
La lumière des souvenirs
ne va plus en-deçà du passé, a
cessé.
*
L'un sans dieu parmi les enfants,
assis
dans un pré lumineux au cœur
d'un Centre de vacances,
l'autre,
le cœur d'un apôtre enseignant,
élu
par ses douleurs pour compatir à
d'autres.
Les deux disparus, nous allons
leur ressembler, et nous
de si peu de chair vive, irons
bientôt les embrasser dans nos
dépouilles.
(extraits de "Voyageurs sans regard"
E.V.éd.)
*
Si ces phrases sont lentes
longues, aux imprévisibles et facultatifs arrêts, c'est pour entendre
chanter l'enfant de 44, pauvre et libre. La campagne l'a protégé jusqu'à
la fin de la guerre enfin lavée des bas excréments.
C'est pour qu'il soit reconduit
(perdu ?) dans le labyrinthe des images sans dieu ni maître, vers une mère
et des soeurs.
Phrases qui sentent le fumier, la
pomme mûre, le vieil automne, ce que tu aimes depuis l'enfance, sans
mesure, peut-être bien jusqu'à l'arrêt du cœur.
Ou si c'est avec ces mots de
campagnard que tu cherches à effacer le lotissement sous ta fenêtre ? A
corriger comme un poème le paysage d'ici, toits en trop, et le béton, et
les clôtures arrogantes ?
Tu ne veux pas rester muet dans
l'autrefois vivace
Quand l'ombre mure d'un pommier
te gagne
Du fond vert-noir d'obscurs
désirs, te lange
Et t'englue de tendresse ?
Pour Louisette, ma sœur
(extrait de "Et si nous revenions, sans
vieillir ?" E.V. éd.)
*
Marcel Migozzi, prix Jean Malrieu
1985, prix Antonin Artaud 1995, prix Des Charmettes/Jean-Jacques Rousseau
2007, poursuit son itinéraire en poésie, tendu vers la lumière des hommes.
Tant qu’il y aura du souffle, le poème naîtra, témoin de ce miracle qui se
nourrit à la fois du bonheur d’exister et de la rage de périr.
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Jacqueline Saint-jean
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La
revue Diérèse,
poésie et littérature
a fait paraître son n°65 Printemps-été. Un numéro volumineux (383 pages)
comme les précédents avec des poèmes bilingues (allemand-français) de
Georg Trakl présentés par Alain Fabre-Catalan qui conclut que
celui qui avait pour devise : « A celui-là seul qui méprise le bonheur,
sera donnée la connaissance », a « réussi à créer un univers qui
n’appartient qu’à lui : son écriture prise dans le désarroi du quotidien
fait du sujet une instance impersonnelle et de ses poèmes un espace
« débordant de mouvements et de visions ». » Richard Rognet revient
dans Diérèse 66 avec une suite de poèmes « En chaque aspect du monde » et
un livre inédit à suivre dans les 3 numéros de Diérèse 65, 66 et 67 : « La
jambe coupée d’Arthur Rimbaud » présenté par Jean-François Sené. Le
reste de la revue est égal à cette exigence d’excellence à laquelle elle
souscrit et nous offre un panel de poètes dont entre autres Monique
Saint-Julia, Isabelle Lévesque, Jeanpyer Poëls, Daniel Martinez, Guy
Girard, des récits où nous retrouvons Daniel Abel, des « libres
propos » et des nouvelles du cinéma et plus de quarante pages de « Bonnes
feuilles » qui fait de cette revue la plus importante du genre. Les
illustrations sont à la hauteur des textes et la présentation soignée au
cordeau comme toujours avec Daniel Martinez. Un vrai livre qui prend
place dans la bibliothèque au côté des livres de poésie. Nous
reviendrons dans une prochaine émission sur cette publication. Diérèse,
le volume 15 €, abonnement 45 € à adresser à Daniel Martinez, 8 avenue
Hoche, 77330, Ozoir-la-Ferrere.
La diffusion de la
poésie aujourd’hui requiert ce type de revues dont Diérèse est le fleuron,
mais aussi, et de façon tout aussi vitale, l’audace, l’éclectisme et la
persévérance qui ont assuré une longévité inégalée à la
revue Encres Vives
qui depuis plus de cinq décennies nous livre des recueils de poètes aussi
bien, très reconnus, que découverts, et permet de suivre le panorama en
mouvement de la poésie de notre siècle. Michel Cosem livre ses
trois derniers numéros, des recueils de 16 pages chacun : 442è Encres
Vives :
Fabien Marquet « Cent noms d’oiseaux que je n’ai pas appris » ;
443è : Ivan
Dmitrieff « Présence » ;
444è Eric
Dubois « Le silence sur la dune ».
Nous reviendrons également sur ces publications à peine évoquées pour ne
pas amputer le temps consacré à l’invitée. Chaque numéro d’Encres Vives
6,10 €, abonnement 34 € à adresser à Michel Cosem, 2, Allées des
Allobroges, 31770 Colomiers.
Christian Saint-Paul
reçoit
Jacqueline Saint-Jean.
Deux émissions lui avaient déjà été consacrées de manière à faire écouter,
par la lecture de poèmes lus, cette voix qui marque l’histoire de la
poésie du XXème et XXIème siècles. Pour cette émission, il s’agit
d’interroger la femme poète, écrivaine et militante de la lecture et de la
poésie. Et Jacqueline Saint-Jean se raconte. Avec pudeur, retenue mais
avec passion.
Ce qui apparaît tout de
suite, à la lecture des nombreux livres de Jacqueline Saint-Jean, c’est sa
double identité - pour reprendre un terme tristement galvaudé par nos
médias - de Bretonne et de Pyrénéenne.
Elle naît à Saint-Geven
dans les Côtes d’Armor. Dans ses oreilles d’enfant vibre ce frottement de
la langue bretonne, ses mélodies, ses danses. La culture au sens fort,
s’enthousiasme Jacqueline Saint-Jean. Profondément marquée par la
Bretagne, elle se ressent en même temps Pyrénéenne. Dans son livre
« Lumière de neige », on découvre la traversée de la montagne et son
répondant intérieur. On se connaît au travers de la langue. L’auteure
publie ses premiers textes à vingt ans, un peu sous l’influence de René
Guy Cadou, après la lecture d’ « Hélène et le règne Végétal ».
Mais en consentant à
publier, elle a senti que ce serait l’engagement de toute une vie. Les
poètes d’Encres Vives ont été le déclic énorme qui m’a fait assumer
entièrement le fait d’écrire, et surtout d’écrire de la poésie, se
souvient-elle. C’est devenu un centre, un foyer de vie et de partage qui
m’a élargi la vie.
A partir de ce
moment-là, Jacqueline Saint-Jean connaît une régularité dans les
publications. Mais lorsque Christian Saint-Paul l’interroge sur les
« étapes » qui jalonnent son œuvre, elle répond que c’est plutôt les
critiques qui détiennent la réponse. Sa première période, avec la parution
de « Décliner vos noms, prénoms », c’est la recherche de soi-même dans une
écriture ininterrompue, un flux, un assaut. Chaque texte de ce recueil est
une entrée identitaire. Par l’écriture elle, l’auteure, réussit à
s’inscrire dans un lieu, dans une filiation culturelle, dans ce que la
guerre a ancré en elle, avec son père Résistant. Elle a été marquée par la
Shoa. Cela imprègne aussi son œuvre destinée à la jeunesse. Le prix
Max-Pol Fouchet en 1999 pour « Chemins de bord » suivi de « Visages
mouvants » (préface de Vahé Godel) et le prix Xavier Graal en 2007 pour
l’ensemble de son œuvre poétique marquent également un passage, celui de
l’assurance d’une reconnaissance dans le milieu littéraire et donc des
lecteurs.
Dans « Isthmes » ou
dans « Table de l’estuaire », elle a voulu créer des espaces intérieurs
plus que géographiques. Jacqueline Saint-Jean lit un extrait de « Les
Mordorées », une scène d’enfance où sa mère apparaît dans une procession.
Reprenant l’entretien avec Christian Saint-Paul, elle cite Guillevic :
« Quand je parle de la vie des pierres / c’est comme si je parlais de ma
propre vie ».
En effet, toute
perception est subjective. Car que prélève-t-on par le paysage ? Qu’y
voit-on ? Sa propre subjectivité, constate Jacqueline Saint-Jean. Par
exemple, illustre-t-elle, récemment elle a isolé et révélé d’un paysage,
les orties, le lierre. Or, ce sont des choses fortement liées à des
ancrages personnels. Les orties, c’est l’enfance. Le lierre, c’est la
lumière qui s’enroule au corps. Un paysage est foisonnant d’informations.
Et nous choisissons nos propres signes.
Par ailleurs, poursuit
l’invitée, les vestiges humains me fascinent dans les lieux. Elle a écrit
un recueil sur un tumulus vu en Irlande. Toujours elle ressent une
impression très forte dans les lieux préhistoriques. Dans son livre sur
l’estuaire du Guadalquivir, elle est hantée par les traces de l’Histoire,
les conquêtes, les parias. Elle rentre en contact avec tous les humains de
toutes les époques. Le lieu est le croisement de l’espace, du temps et de
l’histoire humaine. Les contes, les mythes, les légendes des lieux parlent
de nos angoisses. Mais Jacqueline Saint-Jean ne parle pas de tous les
lieux où elle va en voyage. Seuls, les lieux qui ont provoqué de fortes
émotions feront naître les textes à publier.
Lecture par l’auteure
d’extraits de « Retour aux terres rouges ». Ces poèmes disent la
similitude de la condition humaine, de la pauvreté. Jacqueline est très
sensible à ce qui lui fait voir les difficultés à vivre. C’est l’émotion.
Et selon l’étymologie, l’émotion veut dire : être soulevé. Lecture de « Tu
parles d’un village », de « Les pierres ». Interrogée sur le sens de la
phrase d’Edmond Jabès : « lorsque les hommes seront d’accord avec le sens
de chaque mot, la poésie n’aura plus besoin d’elle », elle répond que
Jabès écrit cela parce qu’il sait que ce n’est pas possible. Elle cite une
autre phrase de Jabès : « le mot c’est l’homme, sa mémoire et son
devenir ». Le mot est vécu par chacun dans une histoire personnelle
unique. Quand les mots se groupent autour d’une image, c’est comme les
gens qui se regroupent autour d’un feu. Il y a une communion humaine
possible autour d’une image, autour de la poésie.
Les mots aujourd’hui,
déplore Jacqueline, sont suffisamment aplatis, galvaudés, pleins
d’esbroufe, très superficiels. Guillevic disait que si l’on entendait plus
la voix des poètes, nous allons être condamnés à ce « bla-bla délavé des
médias ».
La langue, c’est la
saisie personnelle, donc unique, à l’énigme d’être au monde. Rien ne peut
remplacer les arts, d’une façon générale. Ce n’est pas parce que l’homme
est devenu plus civilisé, qu’il a commencé à graver sur les parois, c’est
parce qu’il a créé, qu’il est devenu plus civilisé. La poésie reflète
notre complexité au monde réel. Tout mot est chargé de l’histoire humaine.
Je n’aime pas théoriser
sur ma poésie, car ma poésie est dans mes poèmes, insiste Jacqueline
Saint-Jean. Lecture d’extraits d’ « Isthmes », de « Table de l’estuaire »,
de « Hors je(u) », ce dernier livre fait la part belle au social. Il a été
écrit alors qu’elle était immobilisée, donc « hors-jeu », à la suite d’un
accident. Les sensations décrites, universelles, se retrouvent, observe
Christian Saint-Paul, dans les livres de Marie Didier.
Jacqueline Saint-Jean
est une femme poète, prolifique, profondément humaniste, qui ne détache
jamais son regard de la destinée des hommes. Dans « Jelle et les mots »
elle « cherche un mot un mât une amarre / pour arrêter la dérive des
mondes ». Objectif colossal à hauteur de poésie ! |
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Gilles LADES
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Cette émission complète les émissions
déjà consacrées à
Gilles Lades.
Dans les premières émissions, il a été donné essentiellement lecture des
poèmes de cet auteur qui éclaire la poésie d’expression française depuis
près de 40 ans et qui, à l’apogée de son art, poursuit son œuvre, la
prolonge avec l’humilité - devant la force de la parole ainsi créée - des
plus grands artistes de notre temps. L’homme est discret, s’efface et
laisse généralement tout l’espace à ses textes.
Dans cette émission centrée sur
l’entretien avec Christian Saint-Paul, fait rare, il se livre. Le poète se
laisse approcher, s’explique sans détours sur les arcanes de sa création
littéraire, dominée par la poésie. Gilles Lades est aussi un critique de
talent qui saisit avec justesse le sens des textes et dispense cette
clarté sur les livres et les poètes dont il parle.
Ce qui lui est demandé ce jeudi soir de
juillet, c’est d’être à la fois l’objet et le sujet ; même s’il est plus
facile de parler des autres que de soi, Gilles Lades réussit étonnamment
l’exercice, avec toujours cette humilité naturelle au sens le plus noble
du terme.
Nous apprenons qu’il a écrit au sortir
de l’adolescence. Emergeant de « ces profondeurs difficiles », il vécut
une sorte de crise d’identité. Il s’aperçut que l’écriture pouvait l’aider
à se retrouver lui-même. Son premier réflexe fut de se réfugier dans la
poésie classique. Puis la lecture des poètes contemporains l’orienta vers
la modernité. L’aventure intérieure solitaire était en route. Très vite,
elle prend une autre dimension. Etudiant en Lettres, il comprend qu’il
fait de la littérature. L’écriture est alors un enjeu bien au-delà de
l’apprivoisement des tourments adolescents. Il va falloir dire le monde.
Et évaluer cette parole. Il lance alors des messages. Il adresse des
textes à Jean Malrieu qui lui répond : « vos poèmes sont bons ». Il
voit Joseph Deltheil qui lui prodigue ce conseil : « il faut vous
assurer que vous êtes plein de vous-même ». La formule fera mouche. Gilles
Lades n’écrira que lorsqu’il sera assuré « d’être plein de lui-même ».
C’est alors que durant ces premières
années de professorat, loin de son Sud-ouest chéri et immergé dans
l’apprentissage d’un métier accapareur, il observa un silence initiatique.
Six ou sept ans. Puis l’écriture revint. On se forge à travers le doute,
constata-t-il. Ce doute, qui est donc une force, lui fait aussi connaître
« des moments de désert ». La lecture de René-Guy Cadou lui a donné
l’élan pour trouver sa propre harmonie.
Les recueils vont alors se succéder.
Ils naissent d’une « liasse écrite pendant un ou deux ans ». Le livre « Le pays
scellé » rend compte d’un
temps et d’un espace un peu bloqué. Pour
« Le chemin
contremont », tous les
poèmes venaient se magnétiser sur cette idée de montée.
« Lente lumière »
est le constat de ne pouvoir faire émerger la lumière que difficilement.
Pour chaque livre, explique le poète, je suis animé d’une idée forte.
Cependant, l’auteur n’est jamais dans
la certitude. Inguérissable maladie bienfaisante du doute. A chaque livre,
il faut tout reprendre à zéro. Recommencer en innovant sans cesse.
Dans sa posture de poète, Gilles Lades
se juge « désintéressé ». Le seul enjeu est l’aboutissement d’une
écriture, la mieux réussie possible. « Je ne crois pas être doué pour le
bonheur, avoue-t-il, vivre c’est magnifique pourvu qu’on ait un peu de
liberté ».
C’est un grand lecteur de poésie. Il
signe des critiques pour des revues, notamment pour « Friches ». Il
aime relire Verlaine, Cadou, des ciseleurs comme Reverdy. Il a éprouvé un
peu de crainte face au surréalisme, mais André Breton est un très grand
poète. Il lit beaucoup les poètes étrangers, considérant que tous les
grands auteurs sont à découvrir au fil de leurs œuvres.
A partir d’un certain moment, son
écriture s’est resserrée. La poésie est l’art de la quintessence. Le choix
des mots le hante assez. « Est-ce le mot juste ? » Pour s’en assurer, il
faut ressentir un brusque décalage. Le mot doit être inattendu. C’est la
pratique du discernement.
Pour Gilles Lades, la poésie n’est ni
inutile ni gratuite. Elle est au commencement de l’homme. Dans la pratique
de la poésie, on ne peut qu’être en prise avec le destin.
L’entretien est entrecoupé de lecture
de poèmes.
Inédits de Gilles Lades :
Le bleu d'hiver
adouci de grands bois
questionne qui seras-tu
qu'as-tu perdu de toi ?
pourrais-tu demeurer
seul dans le cercle des jours
face aux pierres dressées
le chiffre des années
les versants d'ombre
sondant vers l'absolu silence ?
qui t'aurait forcé d'être
différent face aux mêmes collines
de t'assombrir comme renié
par le dévoilement de l'aube ?
que deviendraient les mots
une première fois tramés sur le métier
puis laissés libres à courir jusqu'au
bord du vide
délaissés du souffle ?
*
Page nouvelle
pour le vers ou la ligne
continue ronde
emmeneuse de mots de mémoire
de villes de rumeurs
de front fermé sur l'impossible
page
qui m'attend
que j'espère
au début de moi-même
de barrières levées sur la piste
blanchie
par l'arrivée soudaine d'un pépiement
de fleurs
par le souffle écrivant le long des
rameaux du jasmin
* |
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Christian Saint-Paul reçoit
Casimir Prat.
Ce poète, né en 1955 qui vit à
Toulouse, se fait remarquer par ses poèmes publiés sous le titre
« Herbier » en 1980, dans la revue Vagabondages qui avait alors une large
diffusion.
Henri Heurtebise, en 1983,
publie son premier recueil dans la revue Multiples
« L’horreur ou la
merveille » avec un
avant-propos de Francis Ponge. Il multiplie ensuite les
publications jusqu’en 2005, est lauréat en 1989 du prix Antonin Artaud
pour « Elles
habitent le soir » (éditions
de l’Arbre 1988), du prix Max-Pol Fouchet en 1995 pour
« Tout est cendre »
(éditions le Dé Bleu) et ses poèmes de 1995 à 2004 sont repris sous
le titre
« Sait-on jamais » par les
éditions Gallimard, collection L’Arpenteur, avec une préface de
Guy Goffette, en 2005.
Depuis cette date, aucun nouveau livre
de Casimir Prat n’a encore paru. Un manuscrit se prépare dont il donne
lecture de quelques extraits à la fin de l’émission. D’entrée,
Saint-Paul se réjouit que son ami Casimir Prat, après une période de
silence malgré tout préoccupante, ait rejoint les lieux de diffusion de la
poésie : La Cave Poésie, dimanche 28 juin 2015 pour la « Fête à Henri
Heurtebise » et ce jeudi, les studios de Radio Occitania pour l’émission
« Les poètes ».
Mais c’est un homme exalté par
l’actualité qui répond, considérant comme primordial les messages de
soutien qu’il peut lancer au micro, sur deux sujets qui le hantent. La
passion quand elle rejoint le devoir citoyen, doit s’exprimer. Et Casimir
Prat s’exprime. Il explique qu’à Toulouse, le collège Bellefontaine a
perdu son classement dans la catégorie des ZEP. Que les enseignants qui
ont contesté cette décision ont été lourdement sanctionnés par leur
hiérarchie. Qu’en protestation de la démesure de la sanction et dans une
volonté de vérité et de justice, une enseignante du collège Bellefontaine, Laure
Betbeder, a entrepris, se
faisant l’écho de l’ensemble de ses collègues sanctionnés, une grève de la
faim depuis 15 jours, devant les nouveaux locaux du Rectorat de l’Académie
de Toulouse. Les poètes Serges Pey et Yves Charnet ont
manifesté leur soutien à la gréviste. Casimir Prat s’associe à cette
démarche et salue à l’antenne Laure Betbeder, en souhaitant qu’une
solution intervienne rapidement, la santé de l’enseignante étant en péril.
Casimir Prat clame ensuite son soutien
au peuple grec. Il s’insurge sur le sort que subit, de la part des
décideurs européens, la Grèce, pays fondateur de la démocratie et de la
pensée occidentale. Il rappelle que les poètes grecs ont nourri la poésie
française. Il dit son attachement à la poésie contemporaine grecque,
l’éblouissement qu’il ressent à la lecture des poème de Yannis Ritsos.
La France, exhorte Casmir Prat, doit retrouver dans ce combat l’image de
défense de la liberté, qu’elle a toujours eue. En réalité, explique
Casimir Prat, il s’identifie au peuple grec, en raison de ses origines. Il
est fils de réfugiés de la République espagnole. Ses parents ont été
séparés à la frontière et dirigés dans des camps d’internement différents.
Son père, pour rejoindre sa mère, s’est évadé du camp d’Argelès. Il y a
une similitude dans la souffrance que connut le peuple espagnol et celle
que subit aujourd’hui le peuple grec.
Casimir Prat, après ce long préambule,
évoque ses publications. Année après année, il commente chaque libre
publié.
« S’éloigner de la flamme »
(édition L’Arrière Pays 1993; A Chemise ouverte 1999) a été
préfacée par Gaston Puel, une des grandes figures de la poésie, qui
a vécu en accord avec lui-même, nous dit Casimir Prat, sans compromission
avec le milieu imprévisible de la poésie contemporaine. Il est heureux
d’annoncer que la revue du Tarn va bientôt faire paraître un numéro
spécialement consacré à Gaston Puel.
C’est Jean Malrieu qui, dès
qu’il l’a lu, lui a donné envie d’écrire de la poésie. Pourtant, à la fin
des années quatre-vingt-dix, ses livres étaient introuvables. Aujourd’hui,
il serait urgent qu’un éditeur reprenne son œuvre dans une édition de
grande diffusion.
La poésie, pour Casimir Prat, est une
sorte de consolation, un des chemins de la réappropriation du langage. Il
faut laver les mots de tous les jours et les utiliser de façon qu’ils
provoquent un étonnement. C’est d’ailleurs l’étonnement, cher à la poésie,
et qui met l’intelligence en éveil, qui est commun avec l’engouement de la
philosophie. Poésie et philosophie, l’une et l’autre, ont pour vocation
d’aider l’homme à mieux vivre sa condition humaine.
Interrogé sur ce qu’il était advenu de
son travail de poète de 2005 à 2015, Casimir Prat explique que « le poète,
ça n’existe pas. Il est comme tout un chacun, il travaille » à gagner sa
pitance. Ecrire n’est rien, être dans la situation d’écrire, voilà la
difficulté. Pendant longtemps, Casimir Prat, libraire à la FNAC, chargé de
famille, n’a pu trouver cette disponibilité. Il cite le regretté
Pierre-Autin Grenier qui confiait à son épouse le soin de subvenir aux
besoins du ménage. Comme Charles Juilet à ses débuts. La vie triviale
empêche ce travail qui exige un vrai retour sur soi, une concentration
absolue. Il cite le cas d’un auteur qui imposait un silence total à sa
femme toute la matinée, pour ne pas le divertir dans sa tâche d’écrire.
L’idée peut disparaître comme une bulle de savon. Ce travail de poète
requiert un effacement des obligations ordinaires. Casimir Prat avoue
beaucoup aimer son travail de libraire. Il a écrit la plupart de ses
livres la nuit, dans un silence propice. Yves Heurté, lui aussi, médecin,
écrivait la nuit dans la chambre, pour ne pas s’éloigner de son épouse,
dont il disait qu’ainsi, elle le connaissait surtout de dos. La plupart
des poètes sont des enseignants, souvent universitaires. C’est normal, car
ils ont déjà l’accès à la culture, et des vacances privilégiées. Mais
certains exercent des métiers sans aucun lien avec l’écrit. Pierre
Gabriel, très cher à Casimir Prat, dirigeait une distillerie
d’Armagnac. Pierre Boujut fabriquait des tonneaux pour le cognac.
Casimir Prat a repris la plume, fort d’une expérience de la vie, encore
accrue. Son prochain livre aura pour titre :
« Du lundi au
vendredi ou le sable entre mes doigts ».
Une constance. Comment retenir ce qui nous échappe ? Mais la poésie
intimiste de Casimir Prat n’est jamais une poésie de la déploration. C’est
ce paradoxe où l’inéluctable n’est pas nécessairement tragique, ou
l’éphémère nous ravit, qui fait tout l’éclat de la poésie de Casimir Prat.
Lecture d’extraits de
« Vers la nuit »
(à Pierre Gabriel) ;
« Au moment de
partir », « Sait-on jamais ».
EN ATTENDANT
Avec son index, il traça un cercle
sur la poussière de la table, puis un
autre,
plus petit, à côté. Un œil, plus loin,
en haut. Une étoile.
Des branches.
Il écrivit l'heure aussi. Et signa.
Rajouta quelque chose, que je n'ai pas
pu déchiffrer
- peut-être à propos des longues jambes
du lierre
qui pendaient devant la fenêtre
et de leurs reflets jaunes qui se
mêlaient tristement dans
la pénombre du couloir ?
Ou de l'immortalité frémissante du
rayon de soleil
au fond d'un tiroir laissé grand
ouvert.
*
Lecture d’inédits.
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Gilles LADES
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« La pensée vole et les mots vont à
pied. Voilà le drame de l’écrivain », avait coutume de dire Julien Green.
Le livre de
Guy Girard,
poèmes associés aux polaroïds de
Christian Martinache,
préface de
Jean-Pierre Lassalle,
Le Grand Tamanoir Editeur, 98
pages, 12 €, est un peu un
démenti à la déploration de Green. La surréalité du monde est saisie au
vol par les deux artistes. Et les mots ont chaussé les bottes de sept
lieues pour marcher au rythme d’une pensée emballée. Le surréalisme qui a
opéré la plus profonde des révolutions en poésie, certainement plus que
dans les autres arts, et imprègne qu’on le reconnaisse ou non, notre
poésie actuelle, compte toujours des adeptes de talents. Guy Girard, nous
dit son préfacier Jean-Pierre Lassalle, poète surréaliste lui aussi,
répond aux exigences énoncées par
André Breton
selon lesquelles « il n’y avait de poésie qu’avec le ton, l’image, le
souffle ». Et, insiste Lassalle, l’originalité des images de Guy Girard
« renouvelle la métaphore et l’hypallage : « la laine hilare des
taupinières », "une petite fille de mercure qui nidifie sur la banquise de
l’impatience », etc. Le poète est, par ailleurs, un plasticien : « il épie
les faillites de l’objet », cette phrase est saluée par le préfacier comme
« une phrase-prisme qui réfracte une part des interrogations de l’art
contemporain ». Ce bien beau livre, avec des polaroïds en couleurs (pour
12 € !) de Christian Martinache, plasticien de haut vol, honore la poésie
surréaliste, toujours présente et vivace. Nous solliciterons Jean-Pierre
Lassalle, Mainteneur de
l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse,
pour approfondir l’impact des surréalistes et évoquer aussi son œuvre
personnelle. Lecture d’extraits du livre. A signaler également,dans
l’immédiat, l’article à lire pour mieux connaître la personnalité de
René Nelli
qui a été publié dans la revue
« La sœur de
l’ange » N° 14 (2015) :
« René Nelli
et Toulouse : des amours difficiles ».Nous
reviendrons sur ce sujet et sur cet article dont le titre est loin de nous
surprendre, dans une prochaine émission sur René Nelli.
*
Un petit éditeur toulousain, ou plus
exactement un éditeur indépendant,
Jean-Pierre Paraggio,
publie dans sa collection de l’umbo Passage du Sud-Ouest :
« Où mes ruines sont
fixes » de
Mauro Placi
avec un frontispice de
Claude Barrère.
Des poèmes, comme des cris
d’interrogation, dont le ton est magnifiquement résumé par l’auteur
lui-même dans un des textes du livre :
" Poèmes d'un lent échouage, d'une
accalmie funèbre, muette, qui tire sur la corde jusqu'à la voix.
Et pourtant une main qui consigne, qui
parle long, qui voudrait convaincre les mots que l'exigence perdure, que
le cœur n'est pas faible, que la Ville est ouverte, toujours. "
Il y a comme un renoncement douloureux
dans ce recueil à la beauté noire envoûtante, parce qu’il y a, là aussi,
le souffle, le ton, l’image.
Et le frontispice de Claude Barrère,
qui tire sa force de la méticulosité du détail de sa fabrication, est
désormais un « classique » de cet artiste dont le style affirmé est
immédiatement repérable. En résumé, de la belle ouvrage que ce petit
recueil publié par Jean-Pierre Paraggio.
*
L’émission est ensuite consacréeà
Gilles Lades.
Elle sera suivie d’autres émissions sur ce poète qui vit à Figeac, ville
où il est né en 1949. Il a été professeur de Lettres dans plusieurs
académies, avant de retrouver le Lot au cours des années 80. Il a publié
de nombreux recueils de poésie depuis 1977. Parmi les plus récents :
"Lente lumière", éd. L'Armourier, 2002,"Le temps désuni", éd. Sac à mots,
2005, "Vue seconde", éd. Encres Vives, 2008, "Témoins de fortune", éd.
L'Arrière Pays, 2010, "Au bout des pas de source", éd.Trames et La Porte,
2014.
Il est également l'auteur de récits et
de nouvelles : "Dans le chemin de buis" éd. Le Laquet, 1998, "Sept
solitudes" éd. Le Laquet, 2000, ainsi que d'études de paysages :
"Rocamadour, le sanctuaire et le gouffre" éd. Tertium, 2006, "Les vergers
de la Vicomté" éd. Tertium, 2010. Il a composé une anthologie des poètes
du Quercy éd. Le Laquet, 2001.
La poésie de Gilles Lades occupe une
place prépondérante, et bien cernée, dans la mosaïque de plus en plus
vaste de la poésie d’expression française. Il est, par le ton, le voisin
immédiat de son ami Michel Cosem. Une écriture irrépressible qui
quitte le corps qui l’a créée et qui la retenait, avec une maîtrise
savamment calculée. Lades est avant tout un orfèvre. Il cisèle la langue,
l’enferme au cordeau dans les mots justes et suffisants. Tout est dans cet
équilibre étincelant. L’homme est pudique, ce qui pourrait être un
handicap en poésie. Mais il n’élude pas la réalité. C’est un poète de la
lucidité. Il ne la crie pas. Il la laisse voir en filigrane. Dans certains
recueils, l’angoisse est là, tapie sous quelques mots. Elle devient
familière, non envahissante, inquiétude qu’il faut bien apprivoiser. Cette
inquiétude inhérente à l’état deviné du monde, de la difficulté de
s’harmoniser à ce monde, ne peut s’apaiser que dans le travail de
création. Etre poète, c’est être un artiste au travail. Paradoxalement,
pour trouver sa place dans le monde et chanter le monde, il faut se
« défamiliariser » d’avec l’état entrevu de ce monde.
C’est ainsi que « la terre est bleue
comme une orange ». Il faut énoncer le monde en le renouvelant. En
l’offrant sous un jour surprenant mais plus juste ; Et qu’est-ce qui
accroche le regard de chacun ? Les lieux de notre présence, les lieux
traversés. Dire les lieux, c’est peindre le particulier, le détail,
unique, croit-on, et pourtant qui confine, s’il est bien saisi, à
l’universel. Et à cet exercice, Gilles Lades, dans toute son œuvre de
poésie de célébration, excelle. Ses mots précis, retenus, grattent le
paysage jusqu’à l’os. Un de ses derniers recueils
« Village à l’Embrasure »
(Encres Vives, collection Lieu), avec une économie de mots poussée
à son comble, cerne le réel d’après les photographies, subversives, comme
toutes les photographies, de
Jérémie Fauré.
Et dans cette suite de poèmes fulgurants, à l’instar des instantanés du
photographe, Gilles Lades construit son art et parvient par là-même à la
sérénité : « devenir / le silence / de la paix / d’octobre ».
Lecture par Christian Saint-Paul de
« Village à l’Embrasure ».
Dans
« Chemins croisés »
(La Porte éd. 2015, 3,83 € - livret à commander à Yves Perrine, 215 rue
Moïse Bodhuin, 02000 Laon), le ton est plus ample, la phrase plus
large. C’est la vie du poète qui remonte des profondeurs et l’interroge.
La douceur de la mère, de l’été, du jardin, de la maison d’enfance, relie
une nostalgie sans pathos, mesurée, mais terriblement lucide : « Pays qui
s’en va / seul / avec ses morts / qui le regardent ». Un petit chef
d’œuvre où le poète, à sa façon toujours pudique, maîtrisée, se livre
intimement. Cette retenue donne une force à l’émotion qui est un grand
plaisir de lecture.
Lecture de « Chemins croisés » par
Christian Saint-Paul.
Enfin, avec son ami
Claude Barrère,
poète et plasticien, Gilles Lades a fait paraître un livre d’artiste chez
Trames
« Une source au bout des pas »,
un régal pour les yeux, avec les gravures de Claude Barrère et le luxe de
l’impression, et pour le texte conçu dans la perfection, de Gilles Lades.
*
Chaque hiver
les troncs se redessinent
comme pour atteindre
la pureté du symbole
ils sont les remparts
d'un pacage tendre
dont la beauté brille
pour le seul inconnu,
dont le silence
habite la durée
comme l'arôme noir
les longs couloirs d'une maison
*
Gilles Lades, un poète du siècle, à
coup sûr. Qu’il faut lire dans le recueillement pour écouter cette voix
ténue, mais vive, comme une musique envoûtante dans le silence. |
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Jean-Luc Dousset
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Christian Saint-Paul
appelle les auditeurs qui le peuvent à participer à la
" Fête Henri
HEURTEBISE "
qui rassemblera ses amis poètes toulousains à la Cave Poésie René Gouzenne
à Toulouse le dimanche 28 juin 2015 à 15 h.
Ce poète, éditeur de la revue
Multiples et
de la collection
" Fondamente ",
fait partie depuis le tout début des années soixante dix, de
l'incontournable paysage poétique de la cité mondine. Il publie un très
grand nombre de poètes, et construit dans le même temps une œuvre
personnelle, essentiellement publiée chez Rougerie.
Lecture d'un poème d'Henri
HEURTEBISE.
Ode à mon père
Toi qui m'a appelé ton
petit frère, frère poète frère
communiste que tu ne
comprenais pas
Nous nous sommes
côtoyés dans le silence, moi
qui savais parler, moi
qui ai vécu longtemps
seulement au bord de
tes prés, de tes fleurs,
de tes départs brusques
Toi qui as payé mes
diplômes qui n'ont servi qu'à
plus de silence, plus
de gêne entre nous
Toi qui m'as légué ton
rire (tu t'étonnais de ce
qui te venait comme ça
et que j'appelle
maintenant ton humour)
Qui m'as donné cette
naïveté forte, ce goût de
la vie et de la femme,
de cette matière noble
que je sais chanter
maintenant
Rien ne me fera baisser
le col, rien ne rabaissera
ce qui en moi vient de
toi, qui illustrera
notre nom aérien, cette
musique qu'aiment
de grands étrangers
Sais-tu que george est
un laboureur, un vacher
d'Homère, un terrien ?
Sais-tu que ce qui lui
faisait honte (tu diras que
tu es le fils d'un
propriétaire terrien) est
aujourd'hui mon
honneur, mon émotion, ma vitalité ?
Sais-tu que ton fils
vieillit avec courage, aidé
seulement de ses mots,
de ses gestes et de
ses regards ?
Un jour sans doute je
serai vieux, très fatigué
comme toi
Mais aujourd'hui que la
vie m'entoure comme
une amante rose, que
j'aime et je suis aimé,
que Toulouse me pousse
dans sa lumière,
que j'écris des odes
qu'aiment de grands
étrangers, des femmes
sensibles, des jeunes
à qui je donne ma
passion, mon savoir senti
et livresque, toi qui
ne lisais jamais
Je me tourne vers toi
qui ne vois plus, qui
n'entends plus, qui ne
bouges plus mais qui
m'aimes
Je te rends hommage,
je te rends amour pour
amour
mon grand frère aîné,
mon silence.
(Pour ton
anniversaire, ce 26 août 1992)
extrait de
"Le Chevet" ed.
Rougerie
Avant d'aborder le
thème central de l'émission consacrée à deux livres sur des personnages
historiques extravagants, c'est
Claude NOUGARO
que l'on écoute avec
"L'espérance en
l'homme".
Christian Saint-Paul
reçoit
Jean-Luc DOUSSET,
journaliste, écrivain qui vit à Toulouse et qui vient de publier, presque
à la suite, deux biographies très originales sur des personnages qui
furent très connus et dont l'oubli menaçait de les ensevelir
définitivement. Ces deux livres sont publiés aux
éditions
Jeanne-d'Arc au Puy-en-Velay ( www.ija.fr).
Il s'agit de
: Philibert
Besson - le fou qui avait raison -
et de :
Giampretro
Campana - la malédiction de l'anticomane -
L'auteur explique que
l'engouement pour ces personnages lui est venu, pour Philibert Besson
d'une très courte évocation sur la Chaîne Parlementaire de la télévision,
et pour Giampetro Campana, d'une visite au musée du Petit Palais d'Avignon
où certains de ses objets sont exposés.
D'abord,
Philibert Besson, le
député fou :
Philibert Besson est un
précurseur ! Ce natif de Haute-Loire , en 1898, avait "ses" visions pour
créer un monde nouveau fait pour l'Homme par tous les hommes.
Philibert Hippolyte
Marcellin Besson a eu le destin d'un héros de roman!
En avance sur son
temps, il a compris que la paix en Europe ne pouvait passer que par
l'unification des Etats. La guerre de 1914 qu'il a vécu l'en a convaincu,
le traité de Versailles qui inflige des dettes de guerre saigne à blanc
l'Allemagne vaincue, chauffe à rouge les esprits d'Outre-Rhin.
La paix ne peut
s'établir sur ce terrain.
Philibert Besson,
ingénieur en électrotechnique et en électricité, deux spécialités inédites
pour l'époque débute comme officier de la marine marchande; sur les grands
paquebots, il côtoie le monde capitaliste, se frotte à la misère lors de
ses escales.
Parcourant le Monde, il
découvre le taylorisme, voit les premiers effets de la crise qui commence
à meurtrir les Etats-Unis avant d'atteindre son paroxysme en 1929. Il voit
s'allonger les files d'ouvriers à la recherche d'un emploi.
C'est décidé, de retour
en France, il se lance dans la politique,. Devenu maire de sa commune en
1929, il part à la conquête de la Capitale.
Le peuple de
Haute-Loire ne s'y trompe pas.
Il est l'un des leurs,
parle leur patois, le gaga comme eux, s'intéresse à leurs préoccupations.
Original, honnête,
sincère, sont des adjectifs qui pourraient le qualifier.
Philibert Besson se
lance dans la bataille, il entre en guerre contre tous les Puissants, tous
les monopoles.
S'attaquant aux
Compagnies de chemins de fer, il commence à voyager sans billet, ou tend
au contrôleur toute une liasse de titres de transport déjà compostés mais
surtout il s'en prend aux Compagnies d'électricité qui développent leur
réseau au mépris des paysans.
Lecture
d'extraits par Christian Saint-Paul.
" -Les Vautours ! Les
Vautours ! Les Vautours ! Sur un trottoir, un homme d’apparence
respectable se met à courir en hurlant. Ses bras s’agitent de haut en bas.
Il lève et replie les pans de son manteau noir qui battent comme les deux
ailes d’un rapace. En face de lui, un groupe de soldats avance au pas
cadencé. Ce 16 mars 1941, à Paris, l’armée est allemande ! L’air occupé,
des passants ralentissent, observent avec curiosité cet homme qui continue
de courir, traverse subitement la rue en tous sens en vociférant toujours
et toujours. -Les Vautours ! Les Vautours ! Les Vautours ! Les cris
résonnent et finissent par s’évanouir alors que l’homme s’est déjà
immobilisé les bras en croix, les ailes ouvertes, la tête, surmontant un
long cou, jetée en arrière. Elancé, de grande taille, de faible
corpulence, le volatile frêle paraît décharné mais n'est pas dépourvu
d'envergure… La colonne vert-de-gris poursuit sa marche. Les visages
aux traits figés restent imperturbables, ne laissant trahir aucun
sentiment. Ayant suivi la scène à quelques mètres de là, un individu
s’approche de l’homme-oiseau planté au milieu du trottoir et lui tape sur
l’épaule. -Tourneil, cessez ! Vous voulez donc vous retrouver dans les
griffes de la police allemande ! -Il n’avait pas peur, lui ! Il n'a pas
peur, lui! -Qui ? Mais parlez moins fort tout de même ! s’inquiète
l’homme, de taille plus petite, un peu bedonnant, au feutre enfoncé
jusqu’aux oreilles. Forçant son aspect passe-partout, il semble se
ratatiner sur lui-même comme un escargot se retire dans sa coquille. Son
visage replet trahit une inquiétude qui paraît être imprégnée en lui.
-Besson, Philibert Besson ! Nom de Dieu ! Qui d’autre ! s’exclame Lucien
Tourneil. A ce nom, son interlocuteur paraît surpris. -Enfin, que
vous prend-t-il ! Vous avez eu de ses nouvelles, dernièrement? -Non,
pas depuis quelques jours, mon cher Roquenboule! Au début de son
incarcération, dans sa prison de Riom, nous pouvions encore communiquer.
Mais depuis un certain temps, personne n’en entend plus parler ! A croire
qu’ils l’ont mis au secret. L’un de mes amis doit lui rendre visite
dans les prochaines heures. En espérant que son autorisation lui soit
enfin accordée. Alors peut-être qu’aujourd’hui… -Poussez-vous donc ! Ne
traînons pas ici... Arrivée à leur hauteur, la colonne de militaires se
scinde en deux et passe à droite et à gauche sans rien changer à sa
démarche mécanique. -Pauvre Roquenboule, vous vous effrayez pour bien
peu de choses ! Que serait-ce si nous avions croisé Hitler en personne ?
Vous vous seriez découvert ? Deux silhouettes un jour d’hiver, en bas
des marches du palais Bourbon dans le froid d’une journée presque
ordinaire. Tous deux sont des habitués du lieu devant lequel ils
discutent. Ce ne sont pas des députés ! D’ailleurs, tous les députés ont
fui Paris ! Lucien Tourneil et Albert Roquenboule sont des assistants
parlementaires. Ils ont été au service de plusieurs représentants du
peuple, ont collaboré aux nombreux cabinets ministériels qui n'ont cessé
de se succéder ces dernières années, passant de l'un à l'autre au gré des
dissolutions. Sur les quais de la Seine, les hommes pressent leur pas
pour échapper à l’humidité, tiennent leur chapeau d’une main afin d’éviter
de se retrouver tête nue, fouettés par le vent glacé. Lucien Tourneil,
étranger à ce qui l'entoure, laisse se dérouler le fil de ses pensées.
-Si l’on veut bien accorder un peu de crédit aux dernières rumeurs, l’état
de santé de Besson inspire beaucoup d’inquiétudes. Il ne serait plus à
présent qu'un sac d'os, ne pèserait plus aujourd’hui qu’une trentaine de
kilos… Lui, si vigoureux et athlétique avant ! -Il en est à ce
point-là ? Sa situation est certes bien désolante mais quoiqu’il en soit,
son arrestation n’a été en rien surprenante. Cette fois il était allé trop
loin. Douter de la France, de la Patrie et du Maréchal, de cet homme qui a
tout sacrifié pour nous ! - C’est de la haute trahison. De toute façon,
Besson n’a jamais été français. J'entends, il ne s'est jamais senti
Français! - Vous ne pouvez le nier mon bon Tourneil. Il n’a eu de répit
de vouloir brocarder notre République -Il a tout de même combattu pour
le pays ! Ne le lui enlevez pas. -Le défendriez-vous ? Prenez garde que
ceci ne se propage en ces temps… -Et pourquoi pas ? Pensez-vous un
instant que les Vautours, fussent-ils venus d'Allemagne, m’épouvantent ?
Certes, nous sommes désormais en train de vivre à l'ombre des ailes d'un
aigle, mais je ne me laisserais pas intimider."
*
Les choses
ont-elles changé? Ses combats apparaissent encore d'actualité!
Philibert se joint aux
paysans anti ligériens, arrache les poteaux implantés en pleins champs!
Elu député en 1932, il
n'a de cesse avec François Joseph Archer, ingénieur original, maire de
Cizely dans la Nièvre, et fondateur du mouvement fédériste auquel il s'est
joint de vouloir créer les Etats fédérés d'Europe.
Dès 1928 ils créent l'Europa!
La "monnaie
universelle, la monnaie de la paix", selon leurs termes, circule, de
manière effective dans la Nièvre et en Haute-Loire.
Basée sur le
capital-travail et non sur l'étalon-or, elle doit terrasser les
spéculateurs qui s'enrichissent indûment.
Plus de 70 ans avant,
il crée l'euro! Une monnaie alternative...
Archer et Besson
continuent de ferrailler contre les monopoles et notamment les grands
groupes minotiers. C'est ainsi qu'ils développent le Pain Philibert,
fabriqué avec l'aide de petits producteurs de farine et vendu un tiers de
moins du prix habituel!
Toutes ces actions
dérangent...
On essaye de le faire
taire! Par tous les moyens on veut le museler!
En 1935, il est déchu
de ses fonctions de député, fait rarissime, pour une sombre et
insignifiante affaire de vol de carnet à souches.
Empêtrée dans les
scandales politico-financiers comme le dossier Stavisky, c'est l'ensemble
de la représentation nationale qui aurait dû être déchue!
Philibert s'enfuit! On
le cherche partout, il devient l'homme le plus recherché de France.
Pendant près d'un an,
il nargue toutes les forces de l'ordre, se réfugiant de ferme en ferme, se
déguisant en femme, en curé.
Arrêté en décembre, il
subira de nombreux procès, tentera plusieurs retours en politique.
Cet européen gardera
toujours l'affection de la population, mais à Paris on l'a assassiné
politiquement.
Auteur de son ouvrage "Peuple tu
es trahi!"
pendant sa cavale, Philibert enchaîne les conférences... et les procès !
On le traite de fou!
On le fait passer pour
un aliéné!
On évoque son état de
santé mentale lors des procès.
Mobilisé en 1939, pour
un conflit avec l'Allemagne qu'il avait prédit depuis près de dix ans, il
est arrêté pour propos défaitistes!
Il proclame dans un
café de Vorey-sur-Arzon, en attendant de rejoindre sa garnison que la
France ne peut vaincre...
Etait-il fou, encore?
Tuberculeux, tabassé
par ses gardiens, Philibert s'éteint à la prison de Riom, le 16 mars 1941!
Il a seulement 43 ans!
L'Europe a perdu
l'un de ses pères fondateurs.
Un père dont les hommes
politiques ont tout fait pour que son existence même soit oubliée.
Et si l'esprit de
Philibert revenait ?
Cette biographie se
présente sous la forme d'un dialogue entre deux personnages de fiction
mais tout ce qui y est raconté est véridique.
*
Ensuite, et
malheureusement dans le temps plus court qui restait de l'heure
d'émission, Jean-Luc DOUSSET évoque son deuxième livre :
"Giampietro
Campana la malédiction de l'anticomane".
Anticomane, nous
éclaire l'auteur est celui qui est malade des antiquités, le véritable
obsédé des antiquités.
Giampietro Campana, est
un archéologue italien, collectionneur "boulimique" du 19.° siècle.
Dans "Giampietro
Campana la malédiction de l'anticomane", nous explique Jean-Luc Dousset,
je m'emploie à retracer l'existence de ce personnage hors du commun !
La majeure partie de la
collection rachetée par la France en 1861 est conservée au Louvre (il y a
une galerie Campana qui comporte je crois neuf salles) mais nombre de ces
objets ont été dispersés à travers une centaine de musées en France.
A Toulouse, le musée Saint-Raymond en possède un certain nombre.
Giovanni Pietro Campana
n'est pas un collectionneur. Il est
le
Collectionneur !
Né à Rome en 1808, cet
aristocrate italien, devenu directeur du mont-de-piété de sa ville natale
en 1833 a constitué en moins de trente ans la plus importante collection
d'antiquités et d'œuvres d'art jamais réalisée !
Il perd la raison en
mettant au jour les trésors, les milliers de bijoux en or que renferment
les tombes étrusques !
L'anticomanie le
dévore ! Il est en proie à la fièvre...
Giovanni Pietro Campana
est tour à tour archéologue, marchand d'art, mécène... et directeur du
mont-de-piété.
Giovanni Pietro Campana
se constitue ainsi une collection unique... avec plus de 15.000 objets
d'art, des bijoux étrusques, des poteries grecques et romaines, des
majoliques mais aussi des tableaux, des peintures des primitifs italiens
de la Renaissance...
Il a besoin d'argent,
il n'en a plus, le mont-de-piété en a.
Le cardinal Antonelli
qui n'a pas supporté la nomination de Giampietro Campana en 1833 à la tête
du mont-de-piété de Rome tient sa revanche près de vingt-cinq ans plus
tard.
Arrêté, incarcéré à la
prison san Michele, à Rome, le marquis Campana di Cavelli est condamné à
vingt ans de galères pour détournement de fonds publics...
Il a été le maître de
Rome, il n'est plus rien.
Dès lors, Giampietro
campana va assister à la mise en pièces de sa collection, devenue la proie
des Etats.
Mais, bientôt, en 1861,
la France acquiert la majeure partie des oeuvres d'art !
Pouvant enfin rentrer
dans Rome après la chute des Etats pontificaux , il va s'attacher à
obtenir réparation, au nom de la justice.
Mais son destin est
scellé.
*
Lecture d'extraits du
livre par Christian Saint-Paul.
" Dans les galeries du
Louvre, dans celles de nombreux musées en France, en Belgique, à Londres,
en Russie, à l'Ermitage, quand les portes se sont fermées, parfois un
étrange visiteur...
Désormais, tous les
matins, Giampietro Campana sillonne les ruelles de Rome, traverse les
places où le soleil commence 10 à étendre sa luminosité, pour se rendre
dans le quartier de Regola, non loin des méandres du Tibre.
Quotidiennement, il emprunte le chemin entre son domicile, via San
Giovanni in Laterano et la Piazza del Monte di Pietà. Selon l’humeur du
jour, il parcourt, soit à pied, soit en calèche, les deux kilomètres et
demi qui le séparent de l’établissement pontifical. Le plus souvent, c’est
à pied. Il aime à flâner, comme s’il se rendait à un rendez-vous amoureux.
Il remonte la via San Giovanni in Laterano, longe un moment le Colisée,
s’arrête contempler l’immensité de l’amphithéâtre, puis d’un pas plus
rapide, il traverse la Piazza Venezia, regarde l’ancien quartier médiéval
tout proche, poursuit sur la via di San Marco… Lorsqu’il emprunte son
cabriolet, il ne manque pas de demander à son cocher de passer le long du
Tibre avant de rejoindre le mont-de-piété… Le Palais du mont-de-piété
l’invite à admirer les témoignages du passé. Chaque jour, il pousse ses
pas sur le marbre jusqu’à la chapelle, chef-d’œuvre de l’art baroque.
Chaque matin, Giampietro Campana parcourt du regard, pose ses yeux sur les
trésors qu’elle recèle. Là, il se souvient de ce qu’il avait lu au sujet
de cet endroit, c’était bien avant qu’il n’y travaille. Enfant, il s’était
emparé d’un des livres de la bibliothèque de son père. Il s’agissait de
l’ouvrage d’Andrea Manazzale: « Rome et ses environs avec une description
générale très exacte de tous ses monuments anciens. »
L’étruscomanie
Parallèlement à ces activités de directeur du mont-de-piété, Giampietro
Campana poursuit ses fouilles. Avec avidité, il ouvre le sol italien. En
1831, près de la Porta Latina, sur le côté droit de la via Appia, lors de
travaux près du Parc des Scipioni, Giampietro Campana met au jour le
columbarium de Pomponius Hylas qui vécut entre 69 et 96 mais dont la
construction est antérieure et se situe entre 14 et 64 de notre ère, selon
les inscriptions retrouvées sur place. Le lieu qui avait été racheté par
Pomponius Hylas et sa femme Pomponia Vitalinis est magnifiquement orné de
mosaïque et de griffons. C’est la première grande découverte de
l’archéologue Campana. La trouvaille de Campana est jugée si
exceptionnelle que ses compétences en archéologie sont désormais
reconnues. Pour Giampietro Campana, la découverte est immense et elle
l’incite à poursuivre un peu plus encore ses investigations. Son
obstination se trouve vite récompensée, il dégage, via Latina, à Rome,
deux autres columbariums. Il entreprend des travaux minutieux pour la
réalisation et la publication d’une monographie de ces deux chambres
souterraines abritant dans des niches des urnes funéraires. Là encore, son
travail est salué par les spécialistes en archéologie. Il commence à faire
partie des leurs.
*
Le directeur du
mont-de-piété de Rome acquiert, également, la petite église Sainte Marie
Impératrice. Le lieu est abandonné, mais pourtant il vaut au nouveau
propriétaire quelques légères tracasseries. Ainsi en décembre 1846,
Giampietro Campana est victime d’une dénonciation anonyme auprès des
autorités pontificales, l’accusant de destruction d’églises. Aussi
passionné qu’il l’est par les vestiges du passé, Giampietro Campana n’en
aurait peut-être pas moins transformé la petite église en une simple
dépendance de sa propriété… pour raisons pratiques. Face à cette
accusation, il est dans l’obligation de se justifier auprès du
camerlingue, le Cardinal Riario Sforza. 45 Si l’entrevue est solennelle,
elle revêt, paradoxalement, un caractère presque amical, Giampietro
Campana est proche de la curie romaine. Il est du cercle pontifical. «
Monseigneur, jamais je n’aurais pu souscrire à l’idée même de détourner
Sainte Marie Impératrice de sa vocation. Son acquisition n’a pour objectif
que de lui redonner toute sa splendeur. Lorsque les travaux de
restauration auront été effectués, elle sera ouverte de nouveau au culte.
Bien évidemment, en tant que propriétaire et selon les termes du contrat,
j’avais toute latitude a lieu donner une destination toute autre. Mais
vous connaissez mon attachement à votre Sainteté. Bien évidemment, les
frais occasionnés par la restauration seront à ma charge. » L’affaire est
close. Aussi Giampietro Campana décide de faire réaliser un tunnel privé
reliant Sainte Marie Impératrice à sa villa de la via San Giovanni de
Laterano et passant sous la via Santi Quattro Coronati. D’autres
négociations se déroulent entre le directeur du mont-de-piété et le
Vatican au terme desquelles il obtient des conditions avantageuses. Le 7
décembre, il fait une demande d’autorisation de fouilles des terrains
alentour. Les surintendants Visconti et Grissi se rendent sur place la
veille de Noël. Seulement quelques jours plus tard, le 5 janvier 1847, il
est accordé au Commandatore Campana la possibilité de procéder à des
fouilles dans son jardin supérieur ainsi que dans les espaces publics
avoisinants. Dans un premier temps, il est prévu d’effectuer un partage
moitié-moitié entre les parties mais les termes du contrat changent et le
Commandatore Giampietro Campana ne restituera que 30 % de ce qu’il
découvrira.
*
Plus sobrement, ont
lieu les funérailles de l’ancien directeur du mont-de-piété. Les obsèques
du marquis se déroulent à l’église Santi Vincenzo et Anastasio a Trevi.
L’édifice de style baroque se trouve à proximité de la fontaine de Trevi
et, ironie du sort, du palais du Quirinal, l’ancienne résidence des papes.
De ceux-là même, qui l’avaient assassiné vingt-deux ans auparavant, en le
condamnant. Giampietro Campana était mort, à ce moment-là, se souvient
René de Lagarde, dans « Le Figaro »: « Il est expulsé de Rome, et il va se
réfugier à Naples dans l’obscurité et le chagrin. Rouelle aux Pégases et
aux Chimères, probablement une boucle d'oreille. Or à décor de filigrane,
de granulation et d'estampage, début du IVe siècle av. J.-C. 225 Hélas! Ce
n’était plus le brillant et généreux Romain connu pour son hospitalité
princière et qui mettait à la disposition des visiteurs de son musée ses
équipages attelés des plus beaux chevaux ! C’était un malheureux, maladif,
sombre, blanchi, courbé en deux comme un vieillard, attestant le ciel de
son innocence et maudissant l’intrigue qui l’avait précipité du faîte de
la fortune et qui n’avait visé que la place donnée depuis au frère d’un
haut personnage. » Depuis, il survivait. Le corps de Giampietro Campana a
pris le chemin du cimetière du Verano, à Rome, où il a été enterré sans
honneurs particuliers. Sa vie a déchaîné les passions, sa disparition
passe presque inaperçue. Dans quelque musée, dans quelques salles, au bout
de quelque galerie, on voit parfois passer une ombre…"
*
Deux biographies
d'une haute originalité, faciles à lire par le ton alerte employé par
Jean-Luc DOUSSET, dont on espère d'autres révélations aussi agréables, et
qui peuvent nous offrir deux livres de vacances qui pourront ensuite
prendre place dans la bibliothèque des livres d'Histoire. |
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Le 17 février 2015 s’éteignait dans un
hôpital de Berlin une des voix les plus prophétiques, les plus
étincelantes de la poésie algérienne de langue française :
Malek Alloula. Ses derniers écrits, mûrement
travaillés précisément à Berlin où il était en résidence d’auteur, ont été
publiés sans attendre, sous le titre :
"Dans tout ce blanc"
(82 pages, 8 €) à la fois par les éditions Rhubarbe d'Auxerre et par
les éditions Bourzakh d’Alger. C’est le romancier algérien,
Yahia Belaskri,
par ailleurs aussi journaliste, nouvelliste et essayiste, qui est né à
Oran comme son ami Alloula, qui est l’invité de Christian Saint-Paul pour
parler de son ami poète disparu. Yahia Belaskri, après une formation de
sociologue, a travaillé dans les ressources humaines dans des entreprises
algériennes, avant de se consacrer au journalisme. Les événements
d’Algérie de la fin des années 80 l’amènent à s’installer en France, dès
octobre 1988. Journaliste à Radio France International, il livre de
nombreux articles, notamment sur les relations entre la France et
l’Algérie, l’immigration, le dialogue des cultures autour de la
Méditerranée. Il écrit des romans et des essais. Son dernier roman, « Les
fils du jour », est honoré de deux prix.
Son œuvre romanesque :
2014 : Les fils du jour, éd. Vents
d'ailleurs, octobre 2014. Prix Beur FM TV5 Monde 2015 ; Prix Coup de cœur
des Journées du Livre Européen et Méditerranéen 2014.
2012 : Une longue nuit d’absence, éd.
Vents d’ailleurs, mars 2012 ; éd. Apic 2013, Alger.
2010 : Si tu cherches la pluie, elle
vient d’en haut, éd. Vents d’ailleurs, 2010 ; éd. Apic, Alger 2011 ; éd
Donata Kinzelbach, Frankfurt 2013 ; Prix Ouest France-Etonnants Voyageurs
2011 ; Prix Coup de cœur de Coup de Soleil Languedoc-Roussillon 2012.
2008 : Le bus dans la ville, éd. Vents
d’ailleurs, mars 2008 ; éditions Apic, Alger, 2009.
Yahia Belaskri lit, d’emblée, les
premières pages du poème éponyme du titre du livre :
Dans tout ce
blanc (Récitatif) : ...
je te dis/je te dis la mer/la mer la mer/ avec des poissons/des hommes le
matin/ (…) je te dis que ce bruit me revient/dans le souvenir même/dont tu
es absent ».
Il veut, ainsi, en faisant entendre
cette voix, avant même de parler de son ami Alloula, démontrer la
puissance évocatrice de ce poème taillé pour être lu à voix haute, mais
ciselé au microscope ; pas un mot qui ne soit indispensable ; bannies
toutes les fioritures qui décoreraient la langue. Il reste juste ce texte,
conçu comme un cri. Un cri qui, nous le confirme Yahia Belaskri, a été
dicté au poète d’Oran, le premier étonné de cette tension irrépressible
qu’il devait transcrire sur le papier. Oui, certains poètes connaissent
cette grâce. Elle stupéfait Yahia Belaskri qui constate avec émotion qu’il
suffisait de quelques phrases, de quelques mots seulement, à Malek Alloula
pour dire ce que lui, romancier, aurait dit dans tout un livre. Et cela
tient du miracle qu’accorde parfois la poésie à ceux qui la servent bien.
Et cette voix : -« quelque chose d’incompréhensible à jeter sur le
papier » - qui résonnait aux oreilles émerveillées d’Alloula et qui lui
parlait d’amour, était une voix de femme ! Il fallait donc obéir et écrire
en incarnant cette femme : « moi muette de tant de mots », « ai-je dit que
je t’aime ».
Yahia Belaskri donne le nom de la belle
inconnue, avare de mots pour mieux porter son lamento de femme écorchée :
l’Algérie. Car c’est terrible pour une femme éprise de passion de ne
pas savoir dire « je t’aime ». Et dans ce récitatif, obsédant chant
tragique qui refuse l’issue fatale, c’est tout l’univers de Malek Alloula,
nous dit Belaskri. C’est son attachement charnel à l’Algérie : « je te
parle mon amour/dans tout ce blanc », finit-elle par dire, espérant
simplement être entendue.
Yahia Belaskri évoque la vie que connût
son ami Malek Alloula. Né en 1937 à Oran, il s’installe à Paris en 1967 où
il y poursuit des activités éditoriales. Il meurt le 17 février 2015 à
Berlin où il travaillait à de nouveaux écrits, en résidence d’auteur,
invité par la DARD. Il avait fait des études de lettres modernes à la
faculté d’Alger, puis à Paris, à la Sorbonne. Son attirance pour l’esprit
des Lumières l’amena à rédiger sa thèse sur Diderot et le XVIIIème siècle.
Il laisse une œuvre importante :
Villes (poèmes), couverture de Khadda,
Souffles, Rabat, 1969.
Villes et autres lieux (poèmes),Alger
Barzakh 2008, Christian Bourgois éditeur, Paris, 1979.
Le Harem colonial, images d'un
sous-érotisme (essai illustré de photographies), Slatkine éditeur,
Genève/Paris, 1981 et Séguier, Paris, 2001.
Rêveurs/Sépultures suivi de L'Exercice
des sens (poèmes), Alger Barzakh 2008, Sindbad éditeur, Paris, 1982.
Mesures du vent (poèmes), Alger Barzakh
2008,, Sindbad éditeur, Paris, 1984
Alger photographiée
au XIXe siècle (Malek Alloula, Khemir Mounira et Elias
Sanbat), Marval éditeur, Paris, 2001
Belles Algériennes de Geiser, costumes,
parures et bijoux (L'Autre Regard par Malek Alloula, commentaires de Leyla
Belkaid) Marval, Paris, 2001.
Les Festins de l'exil (essai), Éditions
Françoise Truffaut, Paris, 2003
L'Accès au corps (poèmes), Éditions
Horlieu, Lyon, 2003 et 2005
Alger 1951, Un pays dans l'attente,
photographies d'Étienne Sved, textes de Malek Alloula, Maïssa
Bey, Benjamin Stora, Manosque, Le Bec en l'air et Alger, Barzakh, 2005
Approchant du seuil, ils dirent Paris,
Al Manar,2009
Dans tout ce blanc, Auxerre, Rhubarbe,
2015 (éditions barzakh, pour l'Algérie)
Prose
"Mes enfances exotiques" (in Une
enfance algérienne, Gallimard, Paris 1997)
Les festins de l'exil, Paris, Françoise
Truffaut, 2005
"Le Cri de Tarzan, la nuit, dans un
village oranais" (Barzakh, Alger, 2008)
Paysages d’un retour (photoroman),
photographies de Pierre Clauss, Actes Sud, Arles, 2010.
Essais/livres illustrés :
Le harem colonial. Images d'un
sous-érotisme Paris Séguier 2004
Belles Algériennes de Geiser Paris,
Marval, 2001
Alger photographiée au XIX
siècle Paris, Marval, 2001
L'infini du portrait Quelques notes sur
le travail photographique d'Arnaud Maggs 1984
Lent mouvement vers la lumière. La
peinture de Benanteur (Institut du monde arabe, Paris, 2003)
Les miroirs voilés. De Delacroix à
Renoir (Institut du monde arabe, Paris, 2003)
ALGER 1951.Un pays dans l'attente.
Photographies d'Etienne Sved. Manosque, Le Bec en l'Air, 2009
L'espace grand ouvert de
Dalloul (Centre culturel Jacques Brel, Thionville, 2006)
Algérie Indépendance Photos de Marc
Riboud Manosque, Le Bec en l'Air, 2009
Alger sous le ciel Photos de Kays
Djilali Alger,Barzakh/Manosque, Le Bec en l'Air, 2013
Anthologies
Une anthologie des poésies arabes,
images de Rachid Koraichi, (poèmes choisis par Farouk Mardam-Bey et Waciny
Laredj, calligraphies d'Abdallah Akkar et Ghani Alani), Paris, Éditions
Thierry Magnier, 2014 [poème: Déjà assises dans vos songeries]
*
Malek Alloula disait aimer
« l’abstraction concrète » (bel oxymore) que l’on retrouve, avec son
assentiment, dans sa poésie.
Ghislain Ripault,
dans son très bel « après-livre », brosse un portrait attachant de cet
écrivain scrupuleux qui ne voulait pas imiter bien des « confrères » qui
« vendent à peu près tout ce que le commerce réclame et disperse à
l’encan, à l’envi, à l’emporte-fantasia ! ».
Yahia Belaskri confirme l’attachement à
la terre natale de Malek Alloula qui a toujours revendiqué fièrement sa
« paysannerie ». En 1994, dans cette période de guerre civile en Algérie,
son frère
Abdelkader Alloula,
dramaturge reconnu, est abattu par des tueurs. Certainement, nous dit
Belaskri, le poète ne s’est jamais remis de cette blessure. Sa violence,
son injustice, la rendent irréparable. Et il n’aura de cesse d’exorciser
cette douleur, morsure indélébile, par le maniement de la langue
française. Le français : « une obsédante langue fantôme vivante ». Cette
fidélité à la langue française, qu’il considérait comme beaucoup plus
« qu’un butin de guerre », selon la formule de Yacine, nourrira sa
création toute sa vie. Il s’attache également à l’arable parlé, dont il
goûte les saveurs à chacun de ses retours en Algérie. La deuxième
partie du livre, intitulée :
« Il vient »,
est une suite d’ « invocations » minutieuses qui content les tribulations
des pluies, des vents, des hommes ancrés dans une terre à « l’immémoriale
soif », « cette terre que nous parlerons/ et que nous sommes devenus ». Le
poète s’identifie complètement à la terre algérienne. Cette terre est
riche de 2500 ans d’histoire. On y lit la latinité, la romanité, Byzance,
Saint-Augustin, l'émir Ab-el-Kader. C’est une terre mythique et une terre
de spiritualité.
Enfin, la troisième partie « Les pluies
du miracle », « courte séquence comme une queue d’averse qui serait
bienfaisante », résume Ghislain Ripault, s’achève sur un espoir dévorant.
C’est l’instant précis où « nous sommes au-delà du bonheur/au-delà de
notre vie », l’instant béni et construit de la « résurrection ».
...
nous tels un milieu passif et clair
nous diffractons
ce qui de lumineux nous traverse
pour rêver seuls sans fin à ce mystère
à ces nuances jamais entrevues
éclatant dans des irisations
et en cascades au-dessus de nos têtes
telle une eau chuchotant inaudible
mais toute hautement musicale
dans ses pierreries ses gemmes
dans une profusion de rires secrets
nous savons seulement alors
mais seulement à cet instant
que nous sommes au-delà du bonheur
au-delà de notre vie oui parvenus enfin
sans mouvement sans figement
et nous sommes cela oui
une résurrection
*
Euphorisante parole prophétique du
poète Malek Alloula qui nous offre en guise de testament le mode d’emploi
d’accession à cette « résurrection » d’un pays, d’un peuple capables de
connaître cet état de plénitude « au-delà du bonheur ». |
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Michel
ECKHARD–ELIAL
Matiah Eckhard
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Michel Eckhard-Elial,
poète, traducteur, fondateur et directeur de la
revue LEVANT
publia ses premiers poèmes à Toulouse où il résida jusqu’en 1967. Il vécut
ensuite quelque temps à Paris, puis rejoignit Israël où il s’établit à Tel
Aviv. Professeur à l’Université de Beer Sheva, il milite pour l’essor de
la poésie, rassemble les acteurs juifs et arabes de la création poétique
et affirme que la poésie est aussi l’instrument du rapprochement des
peuples. Il fait paraître en français la revue LEVANT où les auteurs de
haut vol se succèdent dans la progression des numéros. Un travail
considérable qui fait partie aujourd’hui de notre patrimoine littéraire.
Il traduit de l’hébreu
les auteurs contemporains. C’est lui, le premier, qui fait connaître en
France par sa traduction, le poète mythique Israélien, de la génération de
Ben Gourions, Yehuda Amichaï. On lui doit entre autres l’excellente
traduction de « La vie conjugale » de David Vogel (éd. de
l’Olivier) et des poèmes de Roni Sonek.
Poète de la
spiritualité, virtuose dans la méticulosité de l’emploi de la langue,
Michel Eckhard-Elial construit, avec une discrétion inhabituelle chez les
poètes, une œuvre qui comptera parmi les trésors de la poésie de langue
française.
Aujourd’hui, il fait
paraître dans une édition limitée à 100 exemplaires un livre de poèmes
d’artistes,
« Exercices de lumière »,
dans une édition livre d'artiste, illustré par Robert LOBET.
Le souci de la qualité
matérielle de la présentation (fort réussie) de ce livre destiné
certainement à une réédition dans une anthologie, fut une volonté forte de
l’auteur. Ce livre, d’une spiritualité éblouissante, est un acte
d’amour, car, nous dit l’auteur, que serait la poésie qui ne serait pas un
acte d’amour ? Un simple jeu de langage.
Et ce qui est vrai de
toute l’œuvre poétique de ce poète, l’est, de façon démultipliée pour ce
dernier livre « Exercices de lumière ». Ces poèmes, en effet, ont été
écrits pour Matiah.
Matiah Eckhard
a quitté ce monde il y a peu, terrassé par la maladie, à l’âge de 19 ans.
Matiah avait accompagné son père à Toulouse au musée Georges Labit quand
ce dernier était venu présenter la revue LEVANT. Matiah, musicien hors
pair, issu du Conservatoire National de Montpellier, composait de la
musique, en particulier des rythmes de jazz. C’est ainsi qu’il avait joué,
ce jour de présentation. Mais, en sus de cet indéniable talent, Matiah
maniait aussi, avec une maturité incroyable, le verbe, et écrivait des
poèmes, aujourd’hui publiés sous le titre :
« Lointains chant
sacrés d’où je suis né ».
Un prix international de poésie Matiah Eckhard a été créé pour les jeunes
poètes et attribué pour la première fois en juin 2015.
Les mots de Michel
Eckhard-Elial « Exercices de lumière » qu’il adresse à son fils Matiah et,
dans l’universalité de cet acte d’amour, à toute l’humanité, ne pouvaient
qu’être enfermés dans un écrin : le livre d’artiste.
En exergue des vers de
Matiah, de Paul Celan, une phrase de Hildegarde de Bingen : « J’ai entendu
une voix émanant de la lumière vivante ».
Michel Eckhard-Elial,
dans cette époustouflante création, fait œuvre de veilleur prophétique.
« Le silence prophétique apporte la plénitude » dit-il. Le poète doit se
rapprocher de la lumière. Il cite Victor Hugo : « Le puits de la poésie va
vers le ciel ». La poésie est verticale. Le sacré est cette dimension qui
nous pousse à habiter l’être des choses. Il s’en suit que la poésie ne
vient pas de la langue. Elle préexiste à la langue. Elle est la recherche
de l’éblouissement originel. La symbolique du visage (chère à Emmanuel
Levinas), et de la voix, éclaire « Exercices de lumières » : « En ta voix/
Je reviens au monde » ; « Je porte/ Le visage de/Ton nom ».
Le poète révèle avoir
puisé de la force dans le véritable réservoir de spiritualité qu’est
l’œuvre de José Angel Valente, en particulier, les « Trois leçons
de ténèbres ».
« Ce que disent
autrement les poètes, c’est le langage d’un avenir à penser et à
inventer. Et son humanité, faite de présence attentive, de rassemblement
et d’espérance », écrivait Michel Eckhard-Elial dans un éditorial de sa
revue LEVANT. L’espérance. Telle est la clé de son œuvre
magistrale, qui nous fait entrevoir, sinon une consolation, du moins, le
chemin de la sérénité. Lecture de larges extraits d' " Exercices de
lumière " et de « Beth » par l’auteur.
Le cri de l’arbre
Déraciné
s’étend
De la terre au
ciel
Il ajoute
A la blessure
L’amputation du
corps
Et l’exil
De quel cri
Vient l’infini
Aux lèvres
Un tissu de
Vide dans le
plein
De la fournaise
Vers le ciel
Lancer
Comme Moïse
La poignée de
terre
Pour parler
Et se rassembler
***
J’ai tenu droit
Le mot
Comme une hache
Sur les ailes
Du nom
En voix
D’étincelle
***
Au dessus du
carré de terre
Semé d’étoiles et
de cailloux
Qui voile le ciel
De mon fils
Je prie debout
Vers son visage
D’enfant visage
de dieu
Au milieu de tant
d’êtres transpercés
Chenilles
papillons
Qui me disent la
fin
Et l’infini de
l’être
Où se retrouvent
Le ciel et la
terre
Après qu’ils
furent séparés
Je retrouve mon
fils
Dans le ciel de
sa terre
Son visage est un
soleil
Qui les réunit
dans sa lumière
***
Une moitié de vie
Contre une moitié
de mort
Ainsi l’ombre de
la vie
Dans le monde
créé
D’une parole
Vivait
Quand nous
l’élargissions
Et le creusions
De notre amour.
Vagabonde
blessure
L’étoile resurgit
Au dessus du
temps
A la bouche
A encore un goût
D’amour.
***
Transformer l’effroi
en espérance, cette gageure est réussie dans le livre accompli « Exercices
de lumière » de Michel Eckhard-Elial. Il s’inscrit comme une des voix
majeures des poètes de la spiritualité de langue française. |
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Francis RICARD.
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En préambule deux
signalements de livres :
Dominique Sampiero:
Avant la
chair
Le Passeur
éditeur, 106 pages, 15 €.
Ce premier ouvrage de
la collection « Hautes Rives » interroge le silence qui a baigné l’enfance
du poète. De façon originale, un carnet de lecteurs de tous âges et de
tous milieux accompagne la prose de l’auteur et offre une multitude de
regards sur son œuvre. Le livre « J’ai appris à vivre dans la lumière et
le silence des récits et, grâce à eux, à aimer le silence des miens, père,
mère, et grands-parents surtout. À dénouer le silence des ombres et celui
des objets posés comme des guetteurs dans la maison. À consulter la
quiétude d’un arbre ou de presque rien, d’un escargot, d’un pissenlit dans
la haie, comme un oracle possible de ma présence au monde. À aimer le
rien, le rien du tout à force, l’invisible et pourquoi dire ange ou âme,
c’est là, c’est tout, on ne sait pas ce que c’est. » Dominique Sampiero
Dans son enfance ouvrière au royaume des taiseux, le poète a appris à se
taire, lèvres jointes pour ressembler au père et à la mère, ne rien
trahir. Comme si le silence était une façon d’aimer, d’être là, être avec,
rien d’autre. Puis des livres sont entrés dans la chambre et ont embarqué
la solitude plus loin dans les voyages. Un carnet de lecteurs succède aux
poèmes. De professions et d’âges divers, des lecteurs prennent la parole
pour évoquer leur promenade intime dans les pages de ce livre. L’auteur
Écrivain et scénariste (notamment de Bertrand Tavernier), Dominique
Sampiero est l’auteur de nombreux recueils de poèmes, livres jeunesse et
romans parmi lesquels Le Ciel et la Terre (2001), Les Encombrants (2009),
Bégaiements de l’impossible et de l’impensable (2012) et La vie est chaude
(2013). 1er titre de la collection « Hautes Rives » dirigée par Dominique
Sampiero
Malek Alloula : Dans tout
ce blanc (écrits
de Berlin)
82 pages, 8 €
- coédition Rhubarbe / barzakh (pour l'Algérie)
Le 17 février dernier, le poète,
nouvelliste et essayiste Malek Alloula mourait à Berlin où il était en
résidence d'écriture. Celui dont Tahar Ben Jelloun écrira quelques jours
plus tard (dans Le Point) qu' "il a enrichi et embelli la langue
française", dont "chacun des textes est ciselé comme un diamant", a laissé
trois suites poétiques inédites que les éditions Rhubarbe, associées aux
éditions barzakh pour la diffusion en Algérie, sont fières et heureuses de
proposer aujourd'hui.
La 4ème de couverture : Il y
a d’abord ce long poème-transe jailli d’une source ignorée. Il y a plus
tard ces invocations minutieuses qui content les tribulations des pluies,
des vents, des hommes ancrés dans une terre à « l’immémoriale soif »,
« cette terre que nous parlons que nous parlerons/et que nous sommes
devenus ». Il y a enfin cette courte séquence comme une queue d’averse
qui serait bienfaisante. Il y a
Dans tout ce blanc,
cet ensemble des derniers écrits poétiques, dits « de Berlin », ville où
Malek Alloula vivait depuis plusieurs mois, invité en résidence
d’écriture, et où il est décédé en février 2015.
Un homme est parti,
d’une ombrageuse discrétion, à l’égal d’une œuvre poétique soucieuse de ne
pas anéantir, sous la langue d’expression, cette part intime d’une
histoire algérienne qui a tenu lieu d’encrier primordial. G.R.
Christian Saint-Paul
reçoit :
Francis RICARD.
Francis Ricard, né à
Castres en 1947 dans une famille protestante qui lui a transmis de façon
indélébile les valeurs d’ouverture aux autres, de fraternité et
d’aspiration à la justice sociale, a enseigné longtemps le français dans
sa ville natale.
En 2001,
l’Harmattan
publie
« La Boîte Noire »,
une anthologie de ses poèmes de 1990 à 2000 qui sera suivie de
« L’heure juste »
en 2002,
"d’Eclipses »
aux éditions
de l’Epure
la même année. Il fait paraître en 2003 un livre sur la corrida
« La Corrida des
ombres » à
Atlantica.
En 2007, Jean-Pierre Siméon publie dans sa collection Grands Fonds des
éditions
Cheyne :
« En un
seul souffle ».
Il donne depuis longtemps de nombreuses lectures publiques de ses textes
qui ont également été portés par des comédiens, notamment à Toulouse par
Bernard-Pierre Donnadieu et Denis Lavant lors du « Marathon des mots ».
Il fait partie cette
année justement de l’actualité du « Marathon des mots », puisque le
jeudi 25 juin 2015 à
19 h au théâtre Daniel Sorano, sera créé : « Alerte ! »,
un concert littéraire du groupe
« Les Grandes
Bouches »
sur ses poèmes. Un spectacle qui mêle poèmes, texte de Francis Ricard et
création musicale de
Philippe Dutheil.
Dans une
époque déboussolée, nous dit l’auteur, ce spectacle est un porte-voix, un
lanceur d’alerte. La poésie comme une arme de constructions massive ».
Diffusion de
« Jaurès assassiné »,
texte de Francis Ricard sur une musique de Philippe Dutheil qui sera
repris dans ce spectacle et qui est extrait du CD qui accompagne le livre
« Jaurès !
Le bal républicain »,
éditions Le
passage dans
la collection Chants d’Action présente (Les Grandes Bouches).
« En un seul souffle »,
texte sur la langue, écrit pour être dit précisément en un seul souffle,
celui de la vie et au verbe qui lui donne corps, doit être bien considéré
comme un poème et non comme un roman, précise Francis Ricard, étonné que
ce livre soit classé en bibliothèque parmi les romans.
Diffusion de
« La Sentinelle »,
poème mis en musique et chanté par Philippe Dutheil, extrait du CD déjà
cité.
Francis Ricard dénonce
avec ironie la multiplicité des livres écrits à la suite de circonstances
extrêmes, comme si l’écriture était interdite à c eaux qui connaissent la
« normalité ». « Je t’aime mais avec quoi écrire », cela n’a pas plus de
sens que l’interrogation d’Adorno : « Peut-on écrire de la poésie après
Auschwitz ! »
Lecture de poèmes de
« La Boîte Noire » ; lecture de son poème qui plagie la prière qui a
marqué son enfance par son éducation dans la religion protestante.
Francis Ricard dit son
admiration pour les poètes épiques du XXème siècle, comme Blaise Cendras
auquel il dédie sa
« Prose de la
Volga »
dont il lit un large extrait. Dans les lieux visités par le poète, ici
Saint-Pétersbourg, c’est toute une culture historique, littéraire, qu’il
portait déjà en lui, et qui ressurgit dans ses pérégrinations Les figures
de Lénine, Pouchkine, Dostoïevski, Dimitri, l’héritier assassiné d’Yvan le
Terrible, Napoléon, Staline, Nazim Hikmet, défilent au rythme de cette
ballade, idéalement écrite pour être lue à la radio. Ressurgit aussi,
s’invitant à ce défilé historique, l’image du père du poète qui fut cinq
ans prisonnier en Pologne et libéré par les Russes :" bistro et davaï me
rappellent mon père / libéré par les Russes."
Pour Francis Ricard, le
verbe doit rester séditieux, le poème insoumis. Il s’insurge contre
« l’hygiénisme » de la poésie. Le poème doit nous maintenir en éveil. Il
faut écrire comme on embrasse.
Lecture d’extraits de
« En un seul souffle ».
Le projet immédiat de
Francis Ricard est la parution d’un
livre d’artiste
« Dehors dehors le silence » (30 ex à 100 €).
En lisant, puis
relisant ce poète à l’humanisme chevillé au corps, fraternel jusqu’à la
moelle, on mesure la justesse de la réflexion d’Annie Ernaux qui dit que
« voir pour écrire, c’est voir autrement. C’est
distinguer
des objets, des individus, des mécanismes et leur conférer valeur
d’existence ». Francis Ricard nous confère valeur d’existence, et par ce
souffle de la parole, confère une dignité à notre condition humaine. |
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Marc TISON
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Cathy GARCIA
poursuit don beau chemin et a fait paraître les n° 50 et 51 de sa revue "Nouveaux
Délits Revue de poésie vive".
(Le n° 6 €,
abonnement 28 €, chèque à adresser à Association Nouveaux Délits, Létou,
46330 Saint Cirq-Lapopie.)
Des textes toujours
intelligibles, ce qui ne nuit en rien à leur qualité, une relation
éditoriale sympathique comme le confirme l'invité de la semaine Marc
TISON. Une militante culturelle qui ne ménage pas son dynamisme militant,
avec une générosité qui signe sa personnalité. A titre personnel cette
artiste revuiste publie aux éditions
Gros Textes
:
"TRANS(e)FUSEES / 80 essais de décollage du réel 1993 - 2013"
"Il y avait au fond de
ma valise, un vieux brouillon, une veste d'homme, une bouteille, quelques
fantômes et leurs bleus désirs de méharées. C'est de bon cœur que je
m'apprêtais à les suivre, hélas, monsieur, en guise de départ, j'entendis
pleurer les bombes et je vis l'automne passer sous les rails. Oui Monsieur
! J'ai donc ôté mes souliers et j'ai même ôté mes pieds avant de me
glisser , sans rien de plus à dire, sous cet atôme de soupir où vous
m'avez trouvée."
Commande Gros
Textes, Fontfourane, 05380 Châteauroux-les-Alpes (chéques à l'ordre de
Gros Textes, 9 € + 2 € de port).
*
Denis HEUDRE
vient de publier :
Bleu naufrage /
Elégies de Lampedusa
éditions La Sirène
étoilée
48 pages 12€
à commander à :
lasirene.etoilee@orange.fr
Lecture d'extrait.
Jeudi 3 octobre 2013
-un fait divers
-pour à jamais verser
du noir
-dans mon bleu
--l’île des lapins
-pays de vaste lumière
-des hommes ont choisi
le paradis
-pour enfer
--un bateau de 20
mètres
-pour 500 migrants
--l’horizon effondré
-la mort y a jeté son
suaire de sel
--je ne sais rien de
toi
-je ne sais pas si tu
es un garçon
-je ne sais pas si tu
es une fille
-encore moins ton nom
--à ton cercueil blanc
-je te sais enfant
--je sais que ta
couleur noire
-assombrit nos âmes de
nantis
-je t’appellerai Quinze
-c’est peut-être ton
âge
-c’est le numéro sur
ton cercueil
--les hommes avec toi
-voyaient les femmes
d’ici
-avec des baisers de
coquelicot
--s'ils pensaient
réussir à apprivoiser
-le cristal et l’acier
de notre histoire
-ils ont cru aux
mensonges des miroitements
-et au bleu de ce qu’on
raconte
--la mer d’ici n’a que
faire de toi déjà oublié
-moi je t’ai donné un
nom
-et jamais il ne
tournera le dos à ma mémoire
--il nous faudra
toujours penser
-à effacer
méticuleusement les frontières
*
Murièle MODELY
déjà citée dans des émissions précédentes est à lire; avant qu'une
émission particulière lui soit consacrée, lecture d'extraits de
"Rester debout au
milieu du trottoir"
Contre Ciel
éditeur 12 €.
Extraits d'un recueil
précédent :
"Je te vois"
éditions du
Cygne, 13 € :
mordre
le vide mordre
laisser tous
les indispensables
biens de consommation
finir
dans la gorge
dans le creux du
pantalon
vomir pour se remplir
encore
*
Christian Saint-Paul
accueille son invité
: Marc TISON.
Il se présente aux
auditeurs :
1956 : Né entre les
usines et les terrils, dans le nord de la France. Fondamental. A la
lisière poreuse de la Belgique. Conscience politique et d’effacement des
frontières.
1969 : Lit un premier
poème de Ginsberg. Electrisé à l’écoute de John Coltrane et des Stooges.
1971 : Performe des
textes de Jacques Prévert sur les scènes de collège. Premiers écrits.
1977 : L’engagement
esthétique est politique. Punk et
free.
Déclare, avec d’autres, la fin du punk en 1978. Premières publications
dans des revues.
1977 – 1992 Il écrira
et chantera plus d’une centaine de chansons dans plusieurs groupes.
1980 : Décide de ne
plus envoyer de textes aux revues, le temps d’écrire et d’écrire des
cahiers de phrases sans fin. Cela jusque 1998 où Il jette tout et
s’interroge sur un effondrement du « moi ». Part alors à l’aventure
analytique.
2000 : Déménage dans le
sud ouest. Rend sa poésie de nouveau publique.
Engagé tôt dans le
monde du travail. A pratiqué multiples jobs : chauffeur poids-lourd,
concepteur- rédacteur publicitaire, directeur d’équipement culturel…. Il
s’est spécialisé dans la gestion de projet de l’univers des musiques
d’aujourd’hui. A élargi depuis son champ d’action à la gestion et
l’accompagnement de projets culturels et d’artistes.
Programme aussi des
évènements liés à l’oralité, la poésie dite, et la « poésie action ».
Ses publications :
1977 - 1980 : Publié
dans plusieurs revues (dont « Poètes de la lutte et du quotidien »)
2000- 2015 : Publié
dans diverses revues (« traction Brabant, Verso, Nouveaux délits,
Diérèse,…).
2008 : Recueil
collectif « Numéro 8 », éditions « Carambolage ».
2010 : Recueil
« Manutentions d’humanités », éditions « Arcane 17 ».
2012 : Recueil
« Topologie d’une diaclase », éditions « Contre poésie ».
Texte
« Désindustrialisation », éditions « Contre poésie ».
2014 : Recueil
« L’équilibre est précaire », éditions « Contre poésie ».
Trois affiches
poèmes, éditions « Contre poésie ».
2014 : Publications de quinze textes dans le livre d’artiste
« Regards » du photographe Francis Martinal.
2015 : Recueil « Les
paradoxes du lampadaire + à NY ». édition « contre poésie »
Depuis 2011 :
Performances / installations d’action poésie (solo ou duo avec Eric
Cartier).
L'entretien entre
Saint-Paul et Marc TISON est entrecoupé de lecture de textes par l'auteur.
"L’amour, ça ne s’écrit
pas / ça s’invente dans les nerfs", clame Marc Tison qui enrage dans
l’observation du monde : ‘L’humiliation c’est tellement indolore / à
regarder. » Il reste la colère qui « allume de petits phares épandus, mais
« pourtant le ciel en feux ça ne suffit / plus. » La poésie de Tison est
une poésie de dénonciation. Pour se révolter, donc agir, il faut d’abord
affirmer son refus du monde tel qu’il est. C’est le rôle de la poésie que
de changer le regard des contemporains sur le monde. Le poète accomplit le
dessein de « L’homme révolté » de Camus : Apparemment négative,
puisqu’elle ne crée rien, la révolte est profondément positive,
puisqu’elle révèle ce qui, en l’homme, est toujours à défendre. » « Il y a
tant de révolutions / à faire » écrit Marc Tison dans « l’équilibre est
précaire. » La première est celle de la langue. Même s’il utilise le mode
de l’harangue, le langage n’est jamais un langage habitué. Les mots sont
lavés de leur gangue de routine. Ils voyagent et sont comme les villes que
le poète traverse pour en saisir l’éphémère quintessence. Milan,
Barcelone, New York, Ostende, Hambourg, etc... la même mésaventure
humaine. Et l’univers invite à vivre « notre liberté inaliénable ».
Textes de Marc TISON :
J'engage aujourd’hui
06
janvier 2009 celui
qui m'a
volé mes disques le
03
décembre 1975 à me
les
ramener au plus vite
ou en
faire bon usage
surtout le
vinyle pressage 1957
du
« Mulligan meets
Monk »
acheté chez un
soldeur en
Angleterre en 1974
l’année
de mes 18 ans,
disque dont
le poids de matière
comme
l’épaisseur de la
pochette
cartonnée à la photo
en noir
et blanc si heureuse
ajoutaient à la
volupté de
l’écoute de sa
texture
sonore
*
Extraits de "Les
paradoxes du lampadaire suivi de A NY :
A NY j’ai entendu un
quatuor d’afro-américains septuagénaires chanter à capella du Doo wop dans
un wagon de métro le dimanche matin sur la ligne reliant Harlem
Ils avaient des
baskets neuves et deux des casquettes à longue visière
Un avait un chapeau
à bords ronds
Et j’ai vu tous les
passagers du wagon laisser des billets de 1, 5, ou même 10 dollars dans la
petite boite en fer peinte maladroitement en rose et tendue par le plus
costaud qui chantait la voix basse.
A NY j’ai croisé des
gens pauvres, beaucoup de gens pauvres.
A NY j’ai aperçu des
gens riches, beaucoup à « upper east side » .
*
A NY à l’aube
laiteuse nous cherchions les enfants somptueux des Fleshtones
Nous en avions perdu
la trace dans nos pas insouciants lors de battues sonores et vaniteuses.
Et puis dans ce qui
n’est pas encore le matin
A NY j’ai pris
des taxis qui
roulaient sur deux rails oranges
la nuit bleue
isotrope des lumières des yeux qui te regardent si loin d’où tu es
un trait scintillant
jusqu’à l’émoi sonore dans la gorge dans la poitrine qui résonne du mot
évadé « monamour ».
A NY j’ai vu un
après midi ensoleillé une junky en trithérapie promener son chien et
ramasser ses crottes avec un sac plastique fait pour ça
Elle n’a pas vingt
cinq ans.
*A NY j’ai vu de mes
yeux vu, le ciel si loin - il s’habille des façades - se rapprocher auprès
des foules au fond noir des avenues transversales, jonchées des éclats
trompeurs de rêves, poussières d’enseignes publicitaires
Clinquantes et
insomniaques.
A NY j’ai vu des
bibelots désuets
surpris des siècles
loin de moi
à l’étal d’une
brocante dans un entrepôt gris
les vitrages sécurit
des vasistas percés de trous
impacts de balles
comme des coups de pioches.
Confusion
harmonieuse des esthétiques mémorielles, revint en transparence la vitrine
de ce magasin de montres soviétiques à Kotor, et les reflets de la
poussière dans le maigre souffle de soleil
Evaporation des
pastels et les vendeurs qui souriaient.
*
Extrait de
"Manutentions d'humanités "
Pierres
Pierres qui calent
mesures d'usines imbriquent des briques de terre de pierres pierres rouges
les murs des maisons ouvrières des ouvriers effacés dans le canton de
Denain désintégrés statistique sociale troisième page des misères du
journal rouge maisons barricades planches aux fenêtres et les murs
désertés rouges de pierres s'effritent sans fin recyclées et d'autres
écrasées sans fin tapis des sols d'autoroutes sacrifices des os d'anciens
locataires sidérurgistes au RMI offerts à la condition de poussières
*
Extraits de
"L'équilibre est précaire" :
Suivras tu dans la jungle ses
pensées sombres sans fin. Croiras tu voir de l’or dans ses regards perdus.
Rentreras tu dans le corps
que tes bras enserrent. Et la joie et la peine pagailles d’émois qui
apeurent.
Le chant frotté des mains
poignant des chairs, bat l’arythmie haletante des souffles. Moiteurs de
suées aux ventres mélangées, et la bite dans le con défiant la mort de
baisers.
Il y a tant de révolutions à
faire.
Tu seras le désir cette sorte
de peine.
*
Un inédit pour
l'émission "les poètes" :
Mostar : arrivée
comme un road-movie
40° à l’ombre et le
ciel bleu
cache les traces de
l’enfer
Pelure sèche c’est
la terre
Là autour d’un pont
les prêches et les
sermons
des pervers
religieux ont nourris les canons
Ce jour de soleil
Les imams et
curetons
Ferment enfin leurs
gueules
Paraît il qu’ils
n’ont toujours pas honte
Là au bas d’un pont
Ce jour de soleil
Un Dj hiphop mixe
sur une plage de poussière
des jeunes femmes en
bikini ondulent
quand des ados fins
plongent en frimant
La rivière redevenue
bleue
Combien
d’assassinats snipers fallait il
Retransmis en direct
sur les télés du monde
Un jeu de gloriole
Les morts comme
figurants
On filme le poing
haineux brandi en vociférant
Le racisme
nationaliste fait people
Et dire qu’on promet
des unes spectaculaires sur son retour
Alors Mostar : 40° à
l’ombre et le ciel bleu
Y revenir
Dans le miroir du
présent
Plus jamais ça
Plus jamais ça
Ad lib..
*
Marc TISON une voix
témoin de son temps, totalement confondue et en mouvement avec l'art
d'aujourd'hui, qu'il est bon de connaître et d' accompagner dans notre
énigmatique époque.
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Jacqueline SAINT-JEAN
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Les éditions Cardère
font paraître
« Asinus in fabula »
de Guido
Furci (1984)
.( poésie, 66 pages, 12 €)
L'auteur a fait ses
études à l’université de Sienne et à l’université de Paris 3 – Sorbonne
Nouvelle. Il a également été élève de la sélection internationale à
l’École normale supérieure de Paris (section Lettres et Sciences Humaines)
et visiting scholar au département de littérature française de
l’université de Genève. Actuellement boursier de la FMS (Fondation pour la
Mémoire de la Shoah), il poursuit son travail de thèse entre la France et
les États-Unis.
Asinus in fabula
est un « récit en vers adressé à un fantôme ». Composé comme un chant,
il se découpe en quatre parties de 24 strophes, séparées en deux groupes
par un intermède – un entr’acte –, une fable en italien. C’est un
manège qui tourne, tourne, et les figures défilent, passent, reviennent,
disparaissent à nouveau pour ressurgir encore. C’est une ritournelle,
le chant d’un enfant qui, concentré sur son jeu, accompagne le mouvement
de ses mains en s’amusant aussi avec les mots, les sons ; un thème se
répète, avec d’infimes modifications qui le transforment peu à peu, comme
Steve Reich
le fait dans sa musique, créant un univers lénifiant et enveloppant. De
temps en temps, une nouveauté, comme un trait d’humour, d’absurde, de
dérision, et plus sûrement l’invention d’une expression, d’un mot, d’un
son, procure un virage brusque dans le texte, dans le paysage sonore et
poétique. Usant aussi de l’artifice typographique, Guido tente de «
dilater le temps de l’écriture pour que celle-ci puisse couler, luttant
contre toute tentative d’effacement ». Je ne peux résister à un
parallèle pastoral d’inspiration gionesque que me souffle mon ami
Guillaume Lebaudy
: « Il [le troupeau ensonnaillé] agit comme une ritournelle qui, se
répétant à l’infini, avec très peu de variations, crée un territoire
sonore. En venant s’opposer au chaos inquiétant produit par le silence de
la montagne, il est un point de son bourdonnant témoignant d’un ordre qui
contraste avec le désordre extérieur ; il délimite un territoire en
mouvement. » Asinus in fabula est un troupeau ensonnaillé… À lire et
relire ce texte – on pourrait dire : à l’écouter et le réécouter –, on
participe à la création de cet univers d’enfant, et de nouvelles voies
s’ouvrent, de nouvelles traces s’impriment dans l’imaginaire…
Lecture d’extraits.
Le 438ème
n°
d’Encres Vives
est consacré à
Michel HOST
qui publie son recueil
« La Ville aux
Hommes ».
L'auteur , né en 1942 à
Furmes (Belgique) est poète, romancier (prix Goncourt 1972 pour "Le valet
de nuit") , traducteur et nouvelliste. Profondément marqué par la seconde
guerre mondiale, il considère "le poème comme le précipité d'une opération
alchimique où la langue secrète et inconnue des émotions et des intuitions
trouve sa traduction dans la langue maternelle". Il croit, avec
Du Bouchet,
que le poème et la poésie ont pour fonction première de "déborder le mot
comme moyen", et avec
Frédérick Tristan
que "la poésie n'est jamais fictive".
En exergue M. Host cite Jules
Supervielle :
« Un homme à la mer lève un bras, crie : « Au secours ! » Et l’écho lui
répond : Qu’entendez-vous par là ? » Les textes sont brefs mais sans
aucune similitude avec la poésie minimaliste ou les aphorismes. Ce sont
des cris de colère. Celle que l’on ne peut plus étouffer devant la
violence du monde. Ce fut avant la révélation de ce recueil, la posture
d’Alain
Lacouchie ou
de Francis
Ricard dans
« En un seul
souffle ».
Avec, peut-être, en sus, un sens irrévocable du malheur, celui que
décrivait
Simone Weil
lorsqu’elle écrivait dans
« La Pesanteur et la
Grâce » : "
Il y a un point de malheur où l’on n’est plus capable de supporter ni
qu’il continue ni d’en être délivré. » C’est l’injustice flagrante du
monde que dénonce M. Host et qui fait que « tout fonctionne comme ça tout
de travers. » Et cette injustice ravageuse naît du triomphe de
l’individualisme, dont
Houellebecq
disait, lors d’un de ses entretiens, que « la conséquence logique de
l’individualisme c’est le meurtre, et le malheur ». Idée reprise par M.
Host qui prône dans ce recueil, atypique chez
Encres Vives,
de « vomir l’injuste » et de « re/agir ». Des textes de révolte,
salutaires dans une société gagnée par l’indifférence aux malheurs des
hommes. Et qui n’éprouve d’émotions que celles du spectacle que fabrique
nos medias. Mais les poèmes de M. Host donnent heureusement raison à
Pessoa
qui convenait que « malgré tout, si puissante que soit la pensée, elle ne
peut rien contre la révolte de l’émotion ».
L’émission est ensuite
consacrée par la poursuite de l’évocation de la semaine dernière de
Jacqueline Saint-Jean.
Revenant, comme annoncé
lors de la précédente émission, sur ce livre qui a marqué un passage
important dans le travail d’écriture de Jacqueline Saint-Jean :
« Chemins de bord »
(prix de poésie Max-Pol Fouchet 1999) (Le Castor Astral, l’Atelier
Imaginaire éd.), la lettre de l’auteure adressée à
Guy Rouquet,
président de l’Atelier Imaginaire, et expliquant sa démarche d’écriture,
est lue à l’antenne. Se plaçant sous l’égide
d’Octavio Paz
pour lequel la poésie « n’est pas un dire : /elle est un faire./ Elle est
un faire/ qui est un dire. »L’auteure revendique avoir « deux terres, deux
chapitres : la Bretagne et les Pyrénées. La Bretagne c’est l’enfance, la
beauté mythique des Côtes d’Armor, le travail méticuleusement soigné de
son père menuisier, qu’elle admire et qu’elle tente toujours d’imiter,
dans cette recherche de l’achevé, de l’équilibre, du beau, dans son
travail d’écriture. Sa posture est celle de son père. La mer, personnage
central de la Bretagne, sera cet « autre nom du désir » avec la langue
bretonne que parlait sa grand-mère paternelle, avec les contes, les
légendes, les danses. Elle évoque tout cela qui donne son rythme à son
livre « Isthmes ».
Mais comme Octavio Paz pour lequel la poésie « va et vient / entre ce qui
est et ce qui n’est pas », elle sait bien que « dans l’écriture, comme
l’énonce
Pierre Reverdy,
on part de la vie pour atteindre une autre réalité ».
Le style marqué, et la
forte personnalité de Jacqueline Saint-Jean excluent tout modèle, mais à
dix neuf ans, elle a été fortement impressionnée par
« Hélène ou le règne
végétal » de René Guy Cadou.
Elle retient aussi
« Lettres à un jeune
poète » de R.M. Rilke, les œuvres de Nerval, Rimbaud, Apollinaire,
Reverdy, Saint-John Perse, Néruda, Adonis, Char,
etc.. Elle est, en réalité, toujours intéressée par « tous ceux qui
font bouger la langue » selon le mot de
Jean Tardieu.
Elle termine sur cette phrase admirable « J’écris pour résister à tout ce
qui nous détruit peut-être ».
Le 411ème
n° d’Encres Vives en Octobre 2012
faisait paraître son recueil
« Au clair
d’octobre »,
poésie de célébration, dans une langue épurée, retenue, comme chuchotée.
Un regard sur « le pays », en cette saison où la « lumière blanche (…) se
retire / Octobre incertain ». Mais un regard aussi attentif et étonné à
l’intérieur de soi, dans ce « vif d’enfance qui s’éveille » et qui fait
que « quelque chose frémit / au fond du silence ».
Lecture d’extraits.
« Isthmes »
publié en 1994
aux Editions Cadratins,
recèle toute la passion, du paysage, de la mer, des impressions qu’ils
installent comme une fatalité dans l’être qui les contemple. Le vent et
les odeurs qu’il charrie, par un irrépressible réflexe d’état d’âme, font
que « la noria des peurs / remon (te) des mémoires / ses eaux noires ».
« Une progressive approche de ce que l’on vit », constate Robert Nedelec.
En tout cas, un grand livre, dans une langue juste, de la même veine,
puissante, que celle de « Chemins de bord ».
Lecture d’extraits.
La force de la
poésie de Jacqueline Saint-Jean tient dans cette union, qui donne toute sa
beauté à la langue, des sensations, ressources d’émotions, avec une
conscience jamais éteinte des valeurs humaines qui voudraient que le monde
puisse être « habité en poète ».
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Jacqueline SAINT-JEAN
07/05/2015
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Isabelle
LEVESQUE dont
nous avons toujours suivi les publications et son action éditoriale,
en particulier à la
revue Diérèse
aux côtés de
Daniel MARTINEZ,
continue imperturbablement son avancée dans la création poétique, pour
notre plus grand plaisir, en faisant paraître
" Nous le temps
l'oubli " aux
éditions L'Herbe
qui tremble", 120 pages, 16 €.
Elle vit en Normandie, dans ce lieu cher de son enfance (voir sur
notre site le Château Gaillard en fin de page d'accueil). Après
"Ravin des Nuits que tout
bouscule" (Editions Henry)
prix des Trouvères 2013, son dernier livre interroge toujours l'espace
- le lieu - et le temps. "Le temps, l'oubli, se conjuguent, dit-elle,
pour un nous
fécond : dans
le livre, il vibre et vit. Naît comme le phénix."
Les peintures de
Christian GARDAIR
soulignent de leurs tons froids et chauds comme des eaux mêlées,
l'ampleur des pensées et des images qui fixent sans crainte, le temps,
l'oubli, s'insinuant dans ce "nous" qui tel le phénix renaissant de
ses cendres, appelle à une éternelle renaissance. Une émission
particulière sur le travail d'Isabelle Lévesque s'impose et sera, nous
l'espérons, bientôt réalisée.
Lecture d'extraits.
Oh !
ce défaut de
paraître,
assoupi le songe
et des étoiles
au vent
éteignent le
soubresaut du soir.
Tu renonceras
demain, trop tôt
se perd la peau
couronnée je vais.
Soie, cachemire,
et chaud se mire. La plus belle
nue la nuit nous
suit.
Tu suspends
l'épiderme, au sablier le grain.
Un à un.
Sans reproche.
Peur,
déchoir.
Tu murmures ma
bouche.
Oh !
nous pourrions
écrire. Noircir.
Des odes où ta
plume, tes doigts. Nulle
leçon de
douceur.
Tu es
l'approche,
les étoiles se
tiennent. Sage
destin. Tu tiens
tête.
Plus sûr.
Un à un.
Deux.
Tu.
Comme te plaira
le temps
l'oubli.
Souris, l'image
est
là.
*
Le temps l'oubli
obstinément.
*
Qui fissure à
fendre cœur
et dard où venin
coule ?
L'absence,
faille à fond de
train,
fore à lame de
fond
sans force -
tue.
*
Les
éditions Interférences
font paraître en bilingue, français et russe,
"Elégies du Nord suivi de Les secrets du métier"
d'Anna
AKHMATOVA dans
une traduction de
Sophie BENECH.
" Et je me tais,
voilà trente ans que je me tais.
Le silence des
nuits sans nombre
M'enserre de ses
glaces polaires,
Il va bientôt
éteindre ma bougie.
C'est ainsi que se
taisent les morts, mais ça,
On le comprend et
cela fait moins peur... "
L'éditeur explique
: "Voilà aujourd'hui presque cinquante ans qu'Anna Akhmatova est
morte, mais sa voix résonne toujours, de plus en plus puissante,
traversant le silence des nuits sans nombre qu'elle a connues durant
sa vie sous un régime qui persécutait, exilait et assassinait ses plus
grands poètes.
S'il ne lui a pas
été donné de voir paraître de son vivant tout ce qu'elle a écrit
pendant des décennies, la bougie à la lumière de laquelle elle
continuait à écrire ne s'est jamais éteinte, comme en témoignent ces
majestueuses élégies et les poèmes de "Secrets du métier", qui
célèbrent l'arrivée de la Muse,
le ruissellement
des vers sur le papier, le mystère de la poésie surgie du silence."
Balayage de la
biographie d'Anna Akhmatova (1889 - 1966) qui permet de la situer dans
les dures époques de l'URSS.
Lecture d'extraits.
Il y a sans
doute encore bien des choses,
Qui veulent être
chantées par ma voix :
Ce qui n'est pas
dit gronde, sonore,
Ou taille dans
le noir une pierre sius la terre,
Ou se fraie un
chemin à travers la fumée.
Je n'en ai pas
encore terminé
Avec le feu,
avec le vent, avec l'eau...
Et c'est
pourquoi mes somnolences
M'ouvrent
soudain en grand des portes
Et m'entraînent
derrière l'étoile du matin.
(1942)
*
A Ossip
Mandelstam
Je me penche sur
eux comme sur un calice,
Il est en eux
tant de signes secrets,
C'est un noir et
tendre message
De notre
jeunesse ensanglantée.
C'est sur le
même gouffre, et c'est le même air,
Que j'ai respiré
autrefois une nuit,
Cette nuit vide,
cette nuit de fer,
Où c'est en vain
qu'on appelle et qu'on crie.
Oh, qu'elle est
entêtante l'odeur
De l'œillet dont
j'ai rêvé jadis,
C'est le taureau
portant Europe sur les flots,
C'est la folle
danse des Eurydices.
Ce sont nos
ombres qui passent,
Sue la Néva, sur
la Néva, sur la Néva,
C'est la Néva
qui vient lécher les marches,
Ton sauf-conduit
pour l'éternité.
Ce sont les clés
d'une demeure
Dont il n'y a
plus rien à dire,
C'est la voix
secrète d'une lyre,
En visite sur un
pré d'outre-tombe.
(1957)
*
Francis RICARD
qui a publié plusieurs livres de poésie, est reconnu également pour
ses œuvres photographiques et graphiques. Il vit à Toulouse et nous
fera l'amitié de sa présence active à notre antenne pour venir parler
de tout cela. En attendant, il est recommandé de lire ses derniers
ouvrages dont
"Le sang"
(éditions de
L'Epure) et
"En un
seul souffle"
(Cheyne éditeur).
Ce texte , nous dit
Jean-Pierre Siméon
dans son rôle d'éditeur, est une "protestation radicale, objection
nécessaire à l'absurde obstination des hommes à s'interdire le simple
bonheur d'exister ensemble. Bref et virulent, ce livre est un
accumulateur d'énergie."
Lecture d'extraits.
*
ça va trop vite
ça va trop vite ce
monde tout pas
le temps de dire
temps de parole
passé épuisé je vou-
-lais dire trop
tard coupé peux pas
peux pas suivre
moi dire vite comme ça
juste une bribe
en un seul souffle
pour voir si y a
encore quelqu'un
qui entend
écouter écouter écouter et
soudain dans
l'espace tenter de se
glisser tenter
ou alors faut hurler
*
Joël VERNET
fait paraître deux livres :
1 )
"Cœur
sauvage - lettre à Marina Tsvetaeva"
L'Escampette
éditions, récit.
" Ce livre, nous
explique l'auteur, est un hommage à l’immense poétesse russe Marina
Tsvetaeva, qui vécut en France de 1925 à 1939, dans l’obscurité
quasi-totale. Ce livre n’est pas une biographie mais un récit
épistolaire , qui interroge ce que fut la négation humaine sous le
stalinisme , et l’effervescence tragique qui suivit la révolution
d’octobre 1917. Marina Tsvetaeva éclaire d’une lumière brute la poésie
de notre époque. Lisant l’un de ses livres dans une chambre perdue de
Vladivostok face à la mer du Japon, je lui adresse ce récit en forme
d’hommage pour ce qu’elle a été en tant que femme, mère et poète, et
pour ce que nous offre la lumière de ses livres, de sa vie brûlée
interrogeant l’Histoire et l’aventure poétique. Son aventure fut
exemplaire. Quatorze années d’existence invisible dans la banlieue
parisienne, puis un retour en Russie, vers l’enfer de la Russie de ce
temps où l’on détruisait pour des broutilles, une phrase de travers.
J’ai cheminé en sa compagnie durant de longs mois de Moscou à Koktebel
en Crimée, petit village où elle vint souvent dans le temps de sa
jeunesse, sous le toit accueillant des Volochine qui reçurent ainsi
Mandelstam, Tolstoï, etc… Tsvetaeva, amoureuse-née, entre - tint une
brûlante correspondance avec Pasternak, Rilke, durant tout l’été 1926.
Ces lettres merveilleuses témoignent de sa passion et de sa colère."
2 )
"Nous ne voulons
pas attendre la mort dans nos maisons"
Préface de Doris
Jakubec. (64 pages Prix public TTC : 4,5 € / 6 frs Editions Zoé, rue
des Moraines 11, CH-1227 Carouge // 0041 22 309 36 06 //
info@editionszoe.ch // www.editionszoe.ch)
Véritable manifeste
et invitation au voyage, précise l'éditeur, ce texte rend compte de
l’appel de l’ailleurs perçu par le narrateur dès son plus jeune âge.
Ici, le désir d’arpenter le monde se construit en repoussoir aux
origines laissées derrière soi. Joël Vernet célèbre, entre la poésie
et le journal de voyage, le minuscule et l’immense, le proche et le
lointain.
Joël Vernet est né
en 1954 dans un petit village aux confins de la Haute-Loire et de la
Lozère. Dès les années 70, il entreprend plusieurs voyages à travers
le monde qui le conduiront en Afrique, en Asie et en Europe. Au fil de
nombreux ouvrages, il développe un style singulier, entre la poésie et
le journal de voyage, célébrant dans son œuvre le minuscule et
l’immense, le proche et le lointain. Joël Vernet collabore volontiers
avec des photographes comme Bernard Plossu et des peintres, tel que
Jean-Gilles Badaire. Partir me conduit ainsi vers la rencontre et ce
qui importe dans le voyage, c’est le départ plus que le trajet, c’est
ce petit instant où l’on boucle le sac qui vous attend sur le seuil de
la maison, qui s’impatiente lui aussi depuis des jours.
En espérant aborder
ces deux livres à l'antenne avec l'auteur lui-même, nous recommandons
aux auditeurs de lire les publications de Joël VERNET, toutes, livres
inclassables, ni poèmes véritables ni journaux de voyages, où sont
toujours célébrés le minuscule et l'immense. L'infiniment grand est
comme l'infiniment petit, le haut comme le bas.
Lecture d'extraits de
"Les petites
heures précédé de Au bord du monde et suivi de La maison immobile" éditions Lettres
Vives.
*
Tout à l'heure, je
gagnerai les pâturages, poussant le troupeau suivi de mon chien, de
l'affection invisible des miens. J'irai m'asseoir au pied de la croix,
au carrefour des chemins, là où l'hiver est si vigoureux, recouvrant
les talus de congères. Cette croix si vieille, tellement ancienne
qu'elle semble me réciter les leçons du passé quand
je n'étais pas.
Puis, lorsque je
longe la lisière des forêts, je sens l'odeur des arbres abattus, des
mousses, des genêts en fleur. Je m'invente des voyages, je gaspille
des heures dans l'insouciance pure, favorisant la naissance de biens
curieuses allégories. Une ombre au tableau cependant. Le soir, lorsque
je rentrerai dans la maison si chaleureuse, je ne retrouverai pas le
visage de mon père sur la photo qu'il me reste d'eux tous. Absent
jusqu'au bout, il sera. Parti, envolé, pourtant si présent dans
l'absence de lui qui m'habite encore aujourd'hui. Bribes, brumes,
faibles murmures. Je suis d'ici, d'ailleurs et de partout. Vagabond,
nomade, j'erre où le hasard et la chance m'entraînent mais, toujours,
dans la tête, la belle architecture de la maison immobile. Vivre est
courir avec les copeaux d'enfance dans le cœur. Ces maigres trésors
que nul ne pourra jamais détruire. Une image vivante, éternelle :
celle d'un petit garçon qui va avec son chien derrière le lent
troupeau.
*
Une des voix
récurrentes de ces dernières décennies et qui se fond aujourd'hui dans
l'éblouissant paysage de la poésie, est celle de :
Jacqueline SAINT-JEAN.
Après
Chantal DANJOU,
il est temps maintenant de faire écouter cette voix, parvenue elle
aussi depuis longtemps, avec les livraisons
d'Encres Vives.
C'est qu'au fil des publications, une œuvre s'est imposée, qu'il
faudra bien rassembler dans une anthologie pour ne pas risquer d'en
perdre la trace.
Nous allons nous
efforcer de faire entendre le jaillissement de ce souffle
inconditionnellement poétique, au fur et à mesure de quelques
émissions, et en invitant l'auteure, notre voisine des Pyrénées.
Jacqueline Saint-Jean est née à Saint-Gelven,
dans les Côtes d’Armor, elle vit longtemps en Bretagne, puis près de
Tarbes. Membre du comité de rédaction d’Encres vives, co-fondatrice,
puis rédactrice de la revue Rivaginaires jusqu’en 2009, elle participe
à de nombreuses manifestations et actions pour la poésie, anime des
ateliers d’écriture depuis 1973, en France et au Maroc. Elle effectue
de nombreuses correspondances et rencontres avec des classes, de la
maternelle au lycée, depuis 1995. Elle est membre de la Maison des
Ecrivains et de la Charte des auteurs et illustrateurs pour la
jeunesse.
Voici ce qu'elle
répondait, il y a peu de temps à la question suivante, posée par la
revue Saraswati de Silvaine ARABO :
Comment vous définissez-vous en tant
que poète ? (à quel grand courant de poésie avez-vous l’impression de
vous rattacher ? Ou au contraire, avez-vous l’impression d’être un
« électron libre » et en quoi ?)
"Sauf à tout
ignorer de l’histoire de la poésie ( !), nul n’est électron libre.
« On est toujours fils de ses lectures » (J Rios), de ses rencontres.
On s’inscrit dans un lignage (le mien commence à Nerval, Rimbaud,
Reverdy). Mon appartenance à deux revues (Encres Vives et
Rivaginaires) ouvertes mais lieu de réflexion sur le travail de la
langue, sur les mythes, la mise en jeu de l’imaginaire, répond en
partie. Mais l’œuvre personnelle a son propre chemin. Les
« courants » fluctuent, se divisent, se perdent. Les œuvres les
débordent toujours. Ceux qui refusent l’image la voient surgir dans
leur écriture ! S’il est légitime et nécessaire de repérer des lignes
de force dans le foisonnement poétique actuel, si la poésie porte
toujours en elle sa réflexion, les classements, souvent partiels et
partiaux, opérés le plus souvent par des universitaires en polémique,
m’éclairent sans me satisfaire. Binaires (ex horizontal /vertical),
ternaires (ex textualistes, nouveaux lyriques, poètes du « réel »), ou
multipolaires, ils ont leurs corpus restreints (ex Espitallier et
Java). Où classer par exemple un poète qui compte pour moi, aussi
singulier que Le Sidaner, lui qui disait que l'imaginaire est "la
matière même de notre engagement parmi les choses et les êtres" et que
"notre culture balbutie devant le mystère, ou le nie tout simplement".
Et tant d’autres, jamais cités dans les regroupements. Je lis des
poètes classés dans des courants différents, Bernard Noël, Lorand
Gaspar, Jacques Ancet, Erwann Rougé, Jean-Luc Parant, Christian
Prigent ! Et d’autres. Je dois être transversale ! Ce n’est pas
dérobade (cf Encres Vives 319). Disons que la langue aux prises avec
« l’altérité », avec l’inconnu, serait une famille possible, qui
traverse quelques « courants ». Une mode est toujours « la crête
d’une vague » disait Barthes. Chaque recherche poétique nouvelle a ses
sources (ainsi Dada surgit sur les décombres de la guerre). C’est dans
la nature même de la poésie de se renouveler sans cesse,
d’expérimenter. Donc accepter des recherches divergentes, une
ouverture du champ. Je supporte mal les sectarismes, l’impérialisme de
certains, le mépris de démarches différentes. Une mode n’est aliénante
que pour les suivistes. Ceux qui travaillent dans l’ombre vont leur
chemin."
Ses publications :
Déclinez vos noms prénoms,
Encres vives, 1976 Images abîmées, Glyphes, 1979, et Les
pétrifiés, Glyphes,1980 Les noms perdus, Encres vives,1980
Signes d'incendie, Rivaginaires,1982 Ce que taisent les
métamorphoses, Encres vives,1983 Incognita, Rivaginaires,1985
Les mordorées, Encres vives,1992 Isthmes, éd Cadratins,1994
Voyage en monodie, éd Froissart, 1996 Chemins de bord, suivi de
Visages mouvants, prix Max Pol Fouchet 1999 préface de Vahé Godel,
éd Le Castor Astral, 1999 Retour aux terres rouges, Encres Vives,
collection Lieu, 2000 Atlas secret, éd Amrash, Casablanca, 2001,
illustrations d'Amina
Benbouchta Suite
insulaire, in Panorama 27 poètes du midi toulousain, éd JP Metge
Encres Vives 319,
spécial Jacqueline
Saint-Jean, 2005
L'ombre des gestes, éd Rafael de Surtis, coll Pour une terre
interdite, 2006 De Brú Na Bóinne, Encres Vives, Collection Lieu,
2006 Lumière de neige, éd Sac à mots, 2007
Table de l’estuaire, éd
L’Autre Rive, traduction anglais Eve Lerner, 2007 Prix Xavier Grall
2007 pour l’ensemble de l’œuvre poétique Bleu de l’oubli, éd
Rafael de Surtis, 2007 L’enfant sphinx, éd Multiples, Fondamente,
2008 Hors je(u), éd Rafael de Surtis, 2010 La main nomade,
livre pauvre avec le peintre Thierry Le Saëc, 2010 La clairière
des ombres, roman policier, éd les chemins bleus, 2012 Au clair
d’octobre, Encres Vives, 2012 D’un voyage l’autre, Photos Francis
Saint-Jean, Encres Vives, collection Lieu, 2012 Jelle et les mots,
éd Rafael de Surtis, 2012 La vague du lointain, livre d’artiste,
Thierry Le Saëc et Jacqueline Saint-Jean, édition La Canopée,
septembre 2013 Poèmes, nouvelles, articles, dans Encres vives,
Glyphes, Cahiers de poèmes, Emeute, Traces, Multiples, Spered Gouez,
Décharge, Présages, Lieux d'être, Poésie 1 /Vagabondage, Arpa,
Hopala !, 7 à dire, Rivaginaires, Bacchanales, Concerto pour
marées et silence, Saraswati, La Canopée, Autre Sud. Traduite en
bulgare, anglais, russe Editions pour la jeunesse : Entre lune
et loup, Hachette-jeunesse Livre de poche 1995, Prix Poésie-jeunesse
du Ministère de la jeunesse et de la Maison de Poésie, 1994, ill Bruno
Mallart Un petit feu de rêve, Pluie d'étoiles, 2001, ill Christian
Piéroni Les mots d'Alice, le dé bleu, 2003, ill Yohann Champlong,
sélection Lire et Faire lire 2004, Lettres d’Iris, Soleils et
Cendre, ill Jean-Guy Angles, 2009 Textes dans une douzaine
d’anthologies pour la jeunesse (dont Les poètes et la ville,
Hachette-jeunesse)
*
Lecture d'extraits de
"Dans le souffle du rivage",
par ailleurs remarquablement illustré par les photographies de
Francis Saint-Jean,
lequel, pour mémoire, est l'auteur de la photographie
d'Eric BARBIER
mise en ligne sur le site les-poetes.fr , en regard de l'émission
Barbier.
Marcher sur le
bord
sentier des
douaniers
ivre d'odeurs
mêlées
de terre et de
mer
Varech troène
résine
fucus et foin
coupé
salicornes et
sureau
infusent dans le
corps
leurs accords
Jusqu'à la
pointe
où l'on hume
l'espace immense
qui déferle
*
Lecture
d'extraits de "L'Enfant Sphinx" (Multiples, collection Fondamente).
Tout est lustral
comme au premier matin.
Les dunes
pointent leurs aréoles.
On s'avance dans
le silence des couleurs.
On croirait
presque à la résurrection des corps.
Mais derrière
les écueils, la noyée revient, enroulée
d'algues
rousses.
*
Lecture de la préface de Vahé
GODEL de
"Chemins de bord",
prix Max-Pol Fouchet. "Ancrant sa singularité dans la présence
immémoriale des Côtes d'Armor (où elle est née), au gré de "chemins de
bord", Jacqueline Saint-Jean chante l'irracontable, raconte la fable
d'une parole en péril, l'aventure - l'errance, la dérive - d'un chant,
aux confins de la terre et de l'eau : ayant "pour toute écriture, un
alphabet de barques"... tenue debout par "une épure d'arbre"... ayant
pour "seule maison, nos voix"... Parmi lesquelles la sienne nous fait
signe."
*
Lecture d'extraits
de "Chemins de bord".
De ta langue
nomade émerge
ce haut visage
usé de sable
venu de l'Aïr ou
du Ténéré
Le livre rêve
son désert
le feu et le
lait la rivière éphémère
le nom d'un
arbre disparu
des écritures
d'astres et de troupeaux
La joueuse
d'anzad épouse la nuit
Et je suis là
derrière le pays
*
De quel pays de
quelle légende
échouée là
déversée sur la rive
mêlée de lianes
balbutiante
affolant le
silence de psalmodies
Personne ici ne
parle des sources
Au bord du
fleuve elle allume des feux
mêle au bruit de
l'eau ses syllabes étranges
répétant
doucement peut-être
un nom perdu
comme on se berce
*
Tu es dans le
sommeil du livre
quelque part
dans l'inachevé
là où les noms
vivent la nuit
là où vont
s'ouvrir
dans les bogues
de l'ombre
les yeux humides
des chevaux
là où tressaille
ce frêle visage
en fuite
dans
l'affolement des feuilles
*
Un jour on se
réveillerait sans voix
oubliée dans un
livre
où passerait le
fleuve
quelque chose de
rauque
arrêté dans la
gorge
Tout sera versé
au silence
et la nuit
couvrira nos mains
lentes immenses
délivrant
l'eau des
écluses entre les corps
*
Jacqueline
Saint-Jean poursuit depuis près de quatre décennies, un travail sur la
langue. Elle aime rappeler la conviction de Jean Tardieu qui prédit
que la poésie fera toujours "bouger la langue" et se rapproche de
l'expérience de Lorand Gaspar pour lequel "le travail sur la langue
est un travail sur soi". Nous avons grand plaisir à la suivre dans ce
long cheminement, dans son écriture que nous reconnaissons comme
familière et qui éprouve la réalité du monde, des choses, des lieux.
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30/04/2015
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23/04/2015
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C'est le retour de l'enfant prodigue à Radio
Occitania :
Claude BRETIN, technicien et webmestre, qui depuis 1983
assure la réalisation des émissions, est de retour dans les studios de la
radio après une absence de quatre mois. Voyageant dans l'île de
Madagascar, un cyclone et la saison des pluies, l'ont privé d'électricité
et de réseau Internet, ce qui explique le rattrapage des émissions mises
en ligne maintenant sur la toile. Ami dévoué, homme de ressources et
d'initiatives, on lui doit cette longévité heureuse que connaît l'émission
"les poètes". Christian Saint-Paul dit toute sa reconnaissance à son ami
qui l'accompagne dans l'aventure radiophonique depuis 1981, et il remercie
bien entendu aussi la direction de Radio
Occitania qui l'a accueilli et
qui propage cette culture occitane auquel nous sommes viscéralement
attachés.
Pour fêter cet heureux retour, c'est une
artiste majeure de Madagascar,
HANITRA, connue dans US African Music aux USA et au Canada, et qui
participa au festival de Vannes Jazz et Musiques du monde en 2000, qui est
diffusée sur les ondes avec "Omeko anao"
.
Une bonne partie de l'émission est consacrée
au signalement de publications, ce signalement n'ayant pu être réalisé
avant pour ne pas amputer le temps réservé aux invités. Il s'agit tout
d'abord d'une publication de 2012 qui ne saurait être passée sous silence,
en raison de l'extrême pertinence des dossiers traités, la
revue
Siècle 21 Littérature & société,
n° 21, automne - hiver 2012 (17 €). En effet, le dossier préparé par
Marilyn Hacker et Cécile Oumhani sur
"Littérature tunisienne
contemporaine - Ecriture de l'urgence" répond à bien des
interrogations légitimes sur le devenir de la littérature tunisienne après
le printemps arabe. La richesse actuelle de cette littérature et de la
poésie est une évidence. Il nous appartient à nous, depuis le confort
relatif de notre occident, de la lire et d'en tirer profit. Les femmes,
comme partout aujourd'hui quand leur parole n'est pas bâillonnée, y jouent
un rôle majeur qui nous permet d'envisager sans trop de crainte, un avenir
meilleur dans un ciel éclairci.
Mais certaines de ces femmes poètes vivent
en dehors de la Tunisie. C'est le cas de
Lamia MAKADDAM
née en 1971 à Sousse qui vit à La Haye.
Une petite chaleur c'est déjà du feu
Une mer de sang
Des collines de cadavres, des champs
pétroliers
Un fleuve de cadavres puants
L'horizon du tunnel
Une lumière qui disparaît derrière le
brouillard
Une porte qui s'ouvre dans la plaine, dans
la montagne
Dans la mer, dans la colline et dans la
source d'eau, une table sur laquelle
Des fruits volcaniques
Les gisements de gaz sont partout
Un serpent cherche son poison perdu dans
l'air
Même la nuit n'est plus froide, une petite
chaleur c'est déjà du feu
Le soleil et la lune ne sont plus réglés
Le sable du désert a été entièrement jeté
Aux yeux, alors le pauvre désert s'est
dénudé
Au Nord, des oliviers qui donnent des
poissons dans les pots, et dans le Sud des cow-boys
Qui élèvent des loups.
Comme si la nature était irradiée
Ou la parole
Provenait de son séant.
*
Dans ce même numéro, est à lire un dossier
préparé par Jean Guiloineau :
"Gil JOUANARD :
l'intensité de l'instant". "La poésie ne vient qu'à l'improviste et
rarement lorsqu'on la convoque" nous dit Gil Jouanard qui conclut : "C'est
d'ailleurs la même chose pour les coups de foudre amoureux : on ne les
reçoit pas parce qu'on s'est exposé au milieu de l'orage sentimental ; ils
nous tombent dessus en un éclair".
Gil Jouanard qui, nous dit John Taylor "n'a
jamais manqué de payer un tribut à ses
amitiés électives qui vont du Jean Follain de
Tout instant (1957), au Julien Gracq de
Lettrines (1967, 1974), à Jacques Réda, Charles-Albert Cingria,
Georges Perros et Pierre Reverdy." Mais pour comprendre les conséquences
littéraires de la position de Jouanard, nous explique Taylor, on doit
apprécier la notion de l'instant que l'on vit. En effet, Gil
Jouanard confie : "La vie que j'ai menée jusqu'à aujourd'hui m'a interdit
de concevoir la moindre fiction. L'étrangeté du monde m'a saisi à la gorge
trop tôt dans la vie pour que je veuille la renforcer au moyen de
fantasmes ou par l'imaginaire." Et d'ajouter : "le nouveau monde est
partout." Mais aussi :"Tout crée un événement." La recherche du lieu qui
préoccupe tant de nos poètes actuels (Bonnefoy, Lades, Cosem etc.) nourrit
ses livres dès le début. Mais dans cette recherche méticuleuse, à la
précision scientifique parfois, du déracinement qui s'en suit, c'est,
analyse Taylor, " une autobiographie paradoxale et inversée." "J'ai fait
moins l'inventaire du monde, avoue Jouanard, que de ces endroits cachés et
de ces failles de moi-même dans lesquels le monde a accumulé ses débris,
ses échos, ses reflets." Gil Jouanard qui écrivait dans
"Dans le paysage du fond -
Approches au vingt-millième" publié en 1976 dans la collection Solaire
de René Daillie :
" C'est du geste auguste d'une Cérès laurée
de timbre poste que je naquis, pour la première fois, au milieu du
chiendent et de l'herbe vulgaire d'une cour de maison entre deux âges, sur
la rive droite du mistral, dans une impasse qui, en réalité, débouchait
sur un royaume de sauterelles et d'araignées, aux confins d'une ville
historique plus que de raison."
*
Michel COSEM qui vient de faire paraître son dernier roman
"Le Berger des pierres" aux éditions
Lucien Souny, 24 pages, 17,50 € (voir annonce en page d'accueil du
site les-poetes.fr), nous livre 4 numéros de sa
revue Encres Vives,
chaque n° 6,10 €, abonnement un an
12 volumes 34 €, à adresser à Michel Cosem, 2, allées des Allobroges,
31770 Colomiers.
Chacun de ces numéros d'Encres Vives fera
prochainement l'objet d'un développement. Dans l'immédiat, à cette
émission ils seront simplement signalés afin que les auditeurs puissent
les commander.
Le n° 438 est consacré à
Michel HOST
"La ville aux hommes",
le n° 439 à
Jean DIF "Sous les couteaux des horloges", le n° 440 à
Werner LAMBERSY "Motus", le
n° 441 à
Christian SAINT-PAUL
"Indalo".
Nous reviendrons donc sur ces publications.
A signaler également dans la collection
lieu, Gilles LADES "Village à
l'embrasure" (Calvignac dans le Lot),
Jean-Michel TARTAYRE "Cité corsaire" (Saint-Malo),
Michel COSEM "Le Midi des
coquelicots" (collection Encres Blanches) et
Christophe LEVIS, même collection
"L'Homme diverticules". Voir le site des éditions :
http://encresvives.wix.com/michelcosem
*
Cathy GARCIA a publié dans le mode original qui est sa signature, le
dernier numéro de sa revue :
" Nouveaux Délits, Revue de poésie vive "
n° 51 , avril, mai, juin 2015, 6 €
le volume, abonnement 28 € (4 n°s) à adresser à Association Nouveaux
Délits, Létou - 46330 Saint Cirq-Lapopie. De la belle ouvrage comme
toujours avec cette artiste qui met en page textes et illustrations, au
cordeau dans un dépouillement et un ordre qui sont l'apanage d'une
conception militante et fraternelle de l'action poétique. Lecture de
"Mots sur les mots du poème" de Michel HOST que l'on retrouve dans
cette revue, et dont le texte fait écho à l'édito de Cathy GARCIA du n°
50.
"La question de Cathy Garcia a dès lors
toute son acuité : "Que serait le poète sans les mots ... sans ses mots ?"
Vendeur de chaussures ou comptable ? Mais voilà, c'est trop facile, ou
trop difficile... Je n'ai pas de recette. On pense aux teinturiers qui
ravivent et rendent leur grand teint aux tissus passés. On pense aux mots
changés qui changent le discours, aux discours déplacés du soi vers
l'autre ou l'ailleurs... A des allées et venues entre le nombril du diseur
de mots et l'univers, avec les mots pour le dire. Offrir de nouvelles
nourritures aux mots fatigués ? Leur rendre la santé. Ouvrir les portes et
les fenêtres."
*
La revue
" Poésie / première - Poésie & Littérature " consacre son n° 60 à
Michel COSEM, dossier préparé sous la direction de
Chantal DANJOU.
Le n° 15 €, abonnement 35 € à adresser à Poésie Première, c/o : Philippe
Biget - 16 rue de Chaumont - 75019 Paris. Nous reviendrons également
sur ce numéro qui fera date dans l'action poétique menée depuis 1960 par
Michel COSEM. La poésie, l'authentique est par essence fraternelle car
elle est comme l'évoqie l'éditorial de cette revue "un refuge des
ressources de fraternité entre les hommes et de combat contre la barbarie,
et l'irremplaçable moyen de poursuivre la célébration des beautés du
monde." "L'acte poétique est toujours résistance : contre la pensée
uniforme et pratique, les lieux communs qui effacent toute création"
proclame COSEM dans l'enchantement inlassable du monde : "Je trouve que le
monde est beau et je ne peux pas faire passer de message inverse."
*
Enfin la
revue " Diérèse - poésie et littérature " persiste dans l'excellence en faisant paraître son n° 64
, 287 pages, 15 € le volume, 40 €
l'abonnement annuel à adresser à Daniel Martinez, 8, avenue Hoche 77330
Ozoir-la-Ferrière. L'éditorial cette fois-ci est signé
Jean-François Sené; "Avec elle (la poésie) je partage l'exil
d'Abdellatif Laâbi ou de du Bellay loin de son petit Liré, le shamanisme
rugueux de Ted Hughes, le rire grinçant de Desnos déporté, l'amour
objectif de Breton, celui à fleur d'âme d'Eluard, les intermittences du
moi de Proust, l'ancienneté ô combien moderne d'Apollinaire trépané, le
lyrisme fragile de Rilke, les fêtes de Verlaine entre deux verres de fée
verte, l'illumination maudite de Rimbaud, la morale désabusée de La
Fontaine, la sage sobriété de Li Bai, les passions cachées de Shakespeare.
Elle me guide dans le désert peuplé d'ombres de Saint-John Perse, les
cercles de Dante, m'entraîne dans le Transsibérien de Cendrars, la forge
sonore et résistante de René Char."
Pierre DHAINAUT, Matthieu MESSAGIER, Yves LECLAIR, Pia TAFDRUP (à découvrir !) sont à l'affiche des auteurs de ce numéro
passionnant et qui rend compte des publications de poésie dans sa partie
"Bonnes feuilles". Toutes nos félicitations à Daniel Martinez et Isabelle
Lévesque pour cette très belle réalisation !
Nous aurons l'occasion de reparler
de ce numéro dans les prochaines émissions.
*
En clin d'œil à
Daniel MARTINEZ qui connaît bien l'œuvre de
Paul BOWLES et de Jane BOWLES,
Saint-Paul recommande la lecture d'une étonnante et fort émouvante
biographie de Jane BOWLES :
" Une histoire de Jane BOWLES "
de
Félicie DUBOIS, Seuil 2015. En lisant cette biographie remarquable,
Saint-Paul a retrouvé les parfums de Tanger qu'il découvrait en 1969. Il
ignorait alors que vivait là, un des couples mythiques les moins convenus
de la littérature mondiale. Les livres de Jane,
"Deux dames sérieuses" et
"Plaisirs intimes" demeurent
deux pépites de la littérature américaine du XXème siècle. Jane BOWLES si
peu reconnue de son vivant, possédait cet art singulier de la nouvelle
qu'admirait chez elle, Tennessee
Williams et Truman Capote.
William Burroughs et Allen Ginsberg étaient aussi des amis du couple.
Sur l'absence de succès que connut longtemps Jane, Félicie Dubois a son
explication : "C'est que, tel le petit enfant réclamant sans cesse la même
histoire, le "public" n'apprécie pas ce qu'il ne reconnaît pas. Il faut du
temps pour que la nouveauté, parée des attraits de l'identifiable, ait une
chance de se faire apprécier." Souhaitons que ce temps soit largement
passé et que Jane BOWLES connaisse une postérité glorieuse à l'égal de son
mari Paul, elle qui déclarait déjà à dix-sept ans :" Je suis écrivain et
je veux écrire." Et la biographe de commenter : "Comme une évidence
(l'évidence est une innocence).
Non pas pour raconter une vie (la sienne ou
celle de personnages imaginaires) mais pour partager l'expérience d'être
en vie.
Un phénomène extraordinaire dont Jane a
essayé de traduire les manifestations les plus intimes, autrement dit :
les plus universelles."
*
C'est
PESSOA qui écrit dans
"Erostrate"(La Différence 2010, p 42) :
le génie est d'un seul type -
l'originalité.
L'action poétique conduite par
Michel-François LAVAUR pendant quatre décennies fécondes est d'une totale
originalité. Sa disparition le 23 mars 2015 nous a rappelé avec cruauté
que les années s'étaient accumulées et que la génération de la juste
après-guerre arrivait en lisière de la fin de leur particulière épopée.
LAVAUR né le 11 juillet 1935 était notre
proche aîné. Nous lui confiions nos premiers poèmes et souvent il les
publiait dans TRACES; plus tard, lorsque paraîtra depuis Toulouse les
revues animées par Saint-Paul, il sera avec
Bierre Boujut, Michel
Eckhard-Elial, Jean Rousselot et Michel Cosem, celui qui donnera
toujours des textes inédits. Michel-François LAVAUR, au delà de la poésie,
nous a appris la dure indépendance. C'est un des rares poètes libres que
j'ai jamais fréquenté. Et qui pratiquait l'action poétique avec générosité
!
Aujourd'hui où l'indépendance en matière de
poésie n'existe plus, où elle est prise en mains par nos institutions
culturelles, CNL, divers CRL, administrations territoriales, universités,
etc. LAVAUR serait une exception. Il le fut au fond à y bien regarder mais
il fut si prolixe en publications, qu'à sa manière, sympathique celle-là,
il fut une véritable institution.
Voici ce que l'on peut lire de sa biographie
:
"Michel-François Lavaur est né le 11 juillet
1935, dans la Poste de SaintMartin-la-Méanne (Corrèze). Retraité
(instituteur/directeur de l’École publique de la commune où il vit Le
Pallet). Facteur (fondateur, directeur, animateur, éditeur, rédacteur,
illustrateur…), de l’impression à la diffusion, et divers autres mots du
bricolart, sur supports de bric et de broc…!) de Traces — “fondée” aux
Beaux-arts de Bordeaux, au solstice d’hiver 1954 ; cent soixante-treize
numéros à l'été 2009 et plus de deux cent soixante livres et plaquettes
édités. Répertorié, aussi, comme : sculpteur, peintre, poète — bestiaire,
haïku, enfance, humoresques — français, occitan (plus brefs en anglais,
espagnol, italien), mail-artiste, chroniqueur (échommentaires)… amateur !
Bibliographie Auteur de plus de trente titres, chez divers éditeurs
(Traces, Alternances, Plein chant, Le pavé, Le dé bleu, L’arbre à paroles,
Le pré de l’Age, Littera, À chemise ouverte, La porte, L’épi de seigle,
Friches : Cahiers de Poésie verte…). Présent — textes originaux ou
traduits, ou dessins — dans plus de deux cent cinquante publications
internationales, livres, périodiques, sites, CD-ROM, anthologies, depuis
quasi un demi-siècle." Vous pouvez retrouver toute sa bibliographie sur :
http://www.michelfrancoislavaur.fr/pages%20presentation/pagesommaire.htm
Nous devons à LAVAUR d'avoir lu
Jean LAROCHE, Norbert LELUBRE,
Claude SERREAU, Alain LEBEAU, Jean SPERANZA, Alain BARRE, Marcelle
DELPASTRE, Robert MOMEUX, DAGADES, et bien d'autres que je ne peux
tous citer.
Cet artiste qui faisait profiter ses auteurs
de son art de dessinateur s'illustra dans la peinture, le dessin, la
sculpture. Il avait gardé l'imprégnation occitane de sa Corrèze natale et
il lui arrivait de publier des poèmes dans notre langue d'oc. Il anima
pendant longtemps Les Journées Poétiques de Clisson où il retrouvait ses
amis, comme lui, pétris d'humanité et d'indépendance. TRACES s'est arrêté
en 2010. Dans sa "fourbithèque" il a réalisé un travail gigantesque,
écrivant, composant sur ses machines à imprimer, assemblant, collant,
dessinant, peignant, découpant et allant à la Poste qu'il aimait tant,
expédier toutes ces merveilles qu'il avait façonnées et qui transportait
rien de moins que des poèmes. Du beau travail accompli aussi par son
fidèle ami imprimeur Souchu auquel il confiait la confection des
plaquettes d'auteurs.
Il faut lire LAVAUR qui comme tous ces
revuistes et éditeurs s'est oublié derrière ses auteurs. Il serait
souhaitable que rapidement paraisse une anthologie des textes de LAVAUR
dans une large diffusion. En attendant il nous reste la kyrielle de
petites publications, certaines dans un format minuscule, parties du
Pallet.
Lecture de poèmes de LAVAUR par Saint-Paul.
*
Le reflet d'une veilleuse
sur l'armoire de la chambre
la sentinelle y pense
dans la nuit dangereuse
le vent froisse les feuilles
aux épines des ronces
les mains vives de l'épouse
font aussi ce bruit sauvage
sur l'évier avec la brosse
l'homme serre la crosse
et avale sa salive.
*
Vingt ans après l'audace
d'enjamber les dogues
battre au sprint entre les mines
le faisceau tournant des phares
et feinter d'un contre-pied
la dernière mitrailleuse
cette citerne sur pylône
dans le crachin du crépuscule
a réveillé les miradors.
L'ouvrier mains dans les poches
malléable apparemment
sait qu'il n'est plus de sourire
qui ne soit assassinat
quand un enfant agonise
pour les galons d'un mercenaire.
*
Un peu
de la patience du pêcheur qui entreprend de
dénouer une perruque
la ruse du renard venant à bout d'attirer
les sarcelles par d'insolites bonds et mines sur la rive,
la ténacité de l'insecte qui, jamais
démonté, reprend l'escalade, autant de fois qu'une main souveraine
retourne le fétu qui lui fut un refuge,
l'adresse de l'ours cueillant le saumon dans
un remous du gave,
le savoir d'alvéole de l'abeille, la
vitalité de la mauvaise herbe,
la foi du chien, la réserve du chat, la
modestie des mousses, la fierté des faibles, la prudence de l'évadé, la
témérité du chamois, la méfiance de la vieille truite, la sincérité de
l'eau claire, l'indifférence aux injures des meubles heurtés,
un peu de ces vertus et de mes vices
et mon entreprise
tiendra,
car le poème est passerelle corde et canal.
*
Mes nuits retrouvent
cet enfant qui ne dort pas.
Les flammes s'évertuent
à le veiller et tuent
parfois le rire d'un gnome
et ses yeux aux commissures
de l'ombre.
Il attend la grande chienne
blanche et douce comme
jadis la main de sa mère
la bergère magicienne
dont les abois et les crocs
chasseront les derniers fauves
qui devinera le gué
aux remous des fièvres rouges
et du pont de son échine
le conduira vers le somme.
*
extraits de "Onze poèmes"
*
Les amants
s'aimeront
sous l'azur
chaud ou sur
le givre
et sèmeront
la joie de vivre
et de survivre
au plus noir
du désespoir.
Il leur faut
- vrai ou faux ? -
seulement
désormais
s'enlacer
sans jamais
s'en lasser.
*
A menteur
menteur
et demi
même si
l'amour
et l'humour
c'est mentir
à demi
face à eux
face à Dieu
je m'en tire
comme je peux.
*
Extraits de "Les Dits d'Orsal"
*
Quand le douroucouli
tend le mufle pour boire
(les gouttes dégoulinent
le long des feuilles froides
mais c'est une eau lustrale
où la lune s'épanche)
il ne sait pas encore
que c'est le dernier geste
de sa jeune vie libre
car le félin s'apprête
dans un parfait silence parmi les cris
nocturnes
en piétinant l'écorce
de ses pattes arrière
tout bandées pour le bond
à lui broyer la nuque.
*
(extrait
de Argos VII)
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16/04/2015
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Christian Saint-Paul reçoit Yves CHARNET, écrivain, poète, professeur d'université qui vient évoquer son amitié avec Claude NOUGARO relatée à la façon Charnet, c'est-à-dire en un monument de littérature, dans un livre : "Quatre boules de jazz - Nougasongs" aux éditions Alter ego de Céret ( 192 pages, 19 €).
Ce livre, dont le personnage qui se promène au fil des pages, est Nougaro, est une suite de l'œuvre toujours en cours de construction d'Yves CHARNET. Tous les livres d'Yves Charnet pourraient être mis bout à bout : il en résulterait un long poème commencé avec "Proses du fils" et qui laboure les blessures d'une vie où l'abandon, la terreur du rejet de l'amour, seul sujet qui vaille, l'appel à l'amitié, à la générosité qui le bouleverse jusqu'à la moelle, creusent les sillons infinis d'une écriture spontanée, épidermique et pourtant si empreinte d'expérience, qui signe les grands poèmes de notre histoire littéraire.
Car si le vécu se taille la part du lion dans ces écrits, la culture littéraire, artistique, tauromachique même, s'y est agrégée en un conglomérat inséparable. C'est de là que provient cet énorme plaisir à lire les mots de Charnet : ils sont terriblement compréhensibles, faits de notre quotidien, mais aussi de nos réminiscences, les chansons populaires, et pas que celles de Nougaro, les poètes comme Stanislas Rondanski.
Et ce livre, même s'il est un fabuleux cri d'amour, à Nougaro, et de rage devant sa disparition, est bien au-delà d'un simple exercice de mémoire et d'exorcisme.
L'autofiction qu'il pratique inconditionnellement est la forme la plus élaborée de sa poésie. Et le lecteur s'y retrouve. Il ressent les mêmes émotions que l'auteur; Charnet abolit les distances, aucun subterfuge, les choses sont dites comme elles sont. Et cet accent inouï de vérité tient le lecteur dans un constant état d'émotion, ce qui fait l'indéniable grandeur du livre.
C'est un poète qu'il cite en exergue du livre : Jean Cocteau qui évoque Edith Piaf. C'est encore un autre poète, Jacques Audiberti qu'il cite et qui a quelque temps partagé l'appartement de Nougaro, l'un en bas, l'autre à l'étage. Audiberti qui le qualifie de "petit taureau dans l'arène du disque" en 1962. Et Charnet évoque aussi Breton, "Nadja".
Nougaro avait notre accent d'Occitanie et parlait "avec ses mains de chamane toulousain" comme ne pouvait que le remarquer avec fascination Charnet.
Cette chanson populaire, elle aura tout donné à Charnet, lui qui a réussi de savantes études à Normale Supérieure. Et Nougaro perpétue la tradition des troubadours, c'est le "troubadour de la blue-note" écrit Charnet.
Ce livre est un long poème où Nougaro et son fantôme apparaissent en filigrane; Charlet ne se complait pas dans un quelconque hommage, l'amitié vaut bien mieux que ça.
L'amour des femmes a un temps été compulsif chez Nougaro. Ses femmes sont comme celles de Picasso, elles enchainent les passions. Le fils de Nougaro s'appellera Pablo en complicité et admiration de son œuvre.
"Au milieu de ma vie, j'aimerais bien encore apprendre" écrit Charnet qui cite la rengaine de Dabadie que chante Gabin. Le sentiment existentiel des chansons n'a jamais quitté l'auteur de "Proses du fils" qui découvre le jazz à 35 ans. Plus tard ce sera la tauromachie : "l'aficion est un asile". L'asile où s'enlisa Stanislas Rodanski.
Charnet lui, éprouve toujours "cette lancinante nostalgie de l'existence", "le temps passait sous ma peau" se désole-t-il. "Je n'ai même plus le courage de regarder le cadavre de mes jours".
Mais l'amitié avec Nougaro était "faramineuse"; les souvenirs sont puissants, celui du chanteur à 52 ans avec sa belle brésilienne, les soirées ensuite avec Hélène, la merveilleuse Hélène qui sera ce qu'il aura connu d'enfin stable. "A la fin de ses fêtes galantes, Claude a donc trouvé Hélène".
Mais survient ce sentiment qui s'invite partout, surtout là où il ne devrait pas être de mise : "le barouf des origines jusqu'au bout". "On aurait dit une mauvaise corrida. Une de ces corridas foirées par la faute des toros".
Car Charnet ne peut lutter contre "cette absence à moi-même depuis l'enfance". Si, il peut, par ses livres. "C'est physique, la pensée". Charnet ne sera pas comme Rondanski, détaché de tout.
Ce livre, exutoire comme tous les livres de Charnet, et génial poème, est "une autobio de l'amour - La Mort".
Car la mort est aussi l'autre fantôme qui rôde dans les livres de Charnet. Mais il peut encore se regarder vivre, coup de défi à la camarde que chantait Brassens. "Un livre, c'est aussi ce qui vous arrive pendant que vous écrivez ce livre".
Charnet comme Nougaro a vécu son enfance dans un quartier populaire, l'un à Nevers, l'autre à Toulouse. La part "charnelle" de l'amitié avec Nougaro revêt un aspect exceptionnel. Ce bonheur ne repassera plus.
L'émission se construit autour de l'entretien avec Saint-Paul, et de lecture d'extraits du livre par Charnet.
Diffusion de "Rimes" et de "Vie violence" par Nougaro.
Encore un grand livre de CHARNET où si l'on apprend sur Nougaro, on apprend sur l'amitié, l'amour, la mélancolie, le vide des origines qui se dérobent. Et une langue qui est celle, fondamentale, de la poésie.
A lire absolument !
A voir sur ce livre :
http://revue-texture.fr/quatre-boules-de-jazz.html
Et la 4ème de couverture :
Le chanteur Nougaro.
J’aurai littéralement été habité. Cet enchanteur de ma jeunesse dans les cordes. J’aurai vraiment été à la merci de cette voix. Fasciné par ses gestes lyriques. Ce boxeur frappait à l’âme. Comme d’autres au ventre. Ce boxeur de syllabes vous touchait, en chantant, à cet endroit où c’est pareil. L’âme, le ventre. Il n’y allait pas de main morte. Quatre boules de jazz. J’ai fini par mélanger toutes les nougasongs du bluesman. Pot pourri de mes proses rongées de rimes. Serai-je parvenu, dans ce livre, à capter la fréquence-Nougaro. Sa pensée soufflée jusque dans mes plus intimes fibres. « Mon seul chanteur de blues » n’est pas mort. Son alchimie du verbe swingué. Le lyrisme est une fête. Rimes ou prose.
Ancien de « Normale sup’ », écrivain, vivant à Toulouse et travaillant là où il se trouve (trains, avions, hôtels, cafés…). Yves Charnet est un spécialiste de Baudelaire et, poète lui-même, également un grand amateur de jazz et de tauromachie.
Il cultive en outre une passion dévorante pour la chanson française : Lama, Sardou, Trenet… Poursuivant son autofiction sans fin, commencée avec « Proses du fils » (1993), il ouvre, dix ans après la mort de son ami, ses « archyves Nougaro ». |
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FRANCK BARDOU
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Christian Saint-Paul reçoit
le poète, écrivain essayiste
Franc BARDOU.
Il est né à Toulouse en 1965, enseignant et poète, écrit en occitan depuis
1989, collabore à la revue Òc. Il est depuis 2011 le rédacteur en chef de
la revue Gai Saber. Auteur d’une thèse de doctorat sur l’œuvre
et la pensée
de René NELLI (1907-1982), il est membre de l’Académie de Jeux Floraux de
Toulouse et l’Acadèmia Occitana. Auteur de recueils de poèmes tels que
Filh del Cèrç 1995), prix Paul Forment 1996, Cant del Cèrç (1996), La
crida (2003), Atlàs londanh (2006), L’arbre de mèl (2010), et d’un
manifèste littéraire consigné par les écrivains de sa génération au sein
du Mouvement descobertista (1998). Sa pratique poétique, de forme et
d’inspiration troubadouresque, s’articule autour du rythme, dans une
perspective hallucinatoire ou visionnaire qui ouvre l’imaginaire des
textes à tous les possibles. En prose, il a aussi publié deux recueils de
nouvelles, D’ara enlà (1999) et Qualques balas dins la pèl (2009), et un
roman d’inspiration jungienne, La nuèit folzejada (2003) traduit et publié
en catalan en 2004.
C'est le poète occitan, toujours traduit
en français ou en d'autres langues, qui vient parler aux auditeurs de sa
poésie. Le spécialiste universellement renommé de l'œuvre
de René
Nelli sera invité à ce titre à une
prochaine émission.
La préoccupation
occitane est essentielle chez cet auteur docteur és-études occitanes.
Voici ce qu'il écrit à propos de l'identité occitane de Nice :
" Nice a, en
principe, une identité linguistique (et littéraire) occitane. Les
Occitans, il y a de cela 12 ou 13 siècles, appelaient les Musulmans au
secours pour se protéger des Francs qui, contrairement à ces derniers,
ravageaient et brûlaient tout sur leur passage. Ces soit disant
“identitaire” ont pour le moins la mémoire courte.
La première
chanson de geste écrite en Occitan vers 1105, La Canço d’Antioca de
chevalier Bechada, décrit les princes musulmans de Palestine comme des
seigneurs de grande noblesse, de grande beauté, de grande élégance et de
grand raffinement, lorsque, peu d’années après lui, les auteurs français,
anglo-normands et germaniques les décrivent comme des monstres ou des
démons. L’identité occitane (de Nice et d’ailleurs) est inscrite dans les
textes occitans fondateurs tel celui que je vous cite ici : rien à voir
avec des saucissonades provocatrices anti-musulmanes.
L’esprit même de
la littérature occitane initiale, celle des Troubadours, est très
probablement fortement inspirée de la poésie amoureuse profane des
musulmans d’Espagne médiévale. Redécouvrir la culture littéraire musulmane
permettrait bien au contraire aux Occitans, de Nice et d’ailleurs, de
redécouvrir leur plus anciennes racines identitaires, complètement ouverte
sur la Méditerranée des trois religions du Livre. Rien à voir, donc, avec
cette occitânerie xénophobe et pseudo-identitaire…
D’ailleurs, n’est-on jamais mieux
soi-même que face à face avec l’Autre, d’où que l’on soit, si tant est que
l’on soit seulement de quelque part… ? " Se revendiquant avec joie,
comme continuant l'œuvre
universelle des " Poètes
du Sud ", voici ce que nous pouvons lire à ce propos : "« Cet «esprit»,
ouvert par l’art courtois d’Occitanie, est resté en germe dans toute la
lyrique du «Grand Midi», ainsi que l’appelait Nietzsche, en y maintenant
l’équilibre entre le chant ouvert et le «Trobar » hermétique, entre la
clarté et l’obscurité, entre la beauté extravertie du monde et son sens
caché. Avec les grands troubadours Raimon de Miraval du Carcassès et
Guiraut Riquier de Narbonne, Charles Cros, Joé Bousquet, Pierre Reverdy,
René Nelli, Max Rouquette… POÈTES DU SUD et chantres du Génie d’Oc ont
donné leur voix à l’invention poétique occitane."
Mais Franck BARDOU
ne cache pas que les élites intellectuelles ont abandonné très vite les
auteurs occitans dans l'histoire. Les occitans aujourd'hui sont, pour
l'essentiel, des gens des villes et des gens de lettres. Et la littérature
occitane est une littérature insurrectionnelle.
Franck BARDOU se
souvient que c'est lors de son incorporation dans l'armée, qu'il a déclaré
être occitan. Auparavant, c'était une nostalgie.
René NELLI est son
maître intérieur. Littérature ultra-minoritaire, la traduction est
nécessairement une porte de survie d'urgence de la langue occitane.
Cependant le passage à la reconnaissance n'est pas fatalement francophone.
Un de ses livres est traduit en catalan, et Saint-Paul rappelle qu'Aurélia
LASSAQUE a publié un livre occitan - anglais.
Franck BARDOU évoque ses premières
publications, dès 1991 dans la revue Oc; il fut dès cet instant pris sous
l'aile bienveillante mais ferme de Bernard MANCIET,
autre colosse de la poésie occitane avec NELLI. Le jeune poète apprit
alors à "passer aux ciseaux" ses textes. Le regard de MANCIET était
impitoyable et la leçon hautement profitable. Son premier recueil " Filh
del Cèrç "(1995) suivi de " Cant del Cèrç " (1996) comportait des rimes et
des rythmes, proches des sonnets ou troubadouresques. Ce n'est qu'avec "
La crida " (2003), qu'il osa une poésie non rimée. Il avoue avoir du mal à
bien se juger lui-même et considère son éditeur, le philosophe Jordi
BLANC, comme celui qui met l'auteur en valeur en le critiquant.
Franck BARDOU a travaillé aussi en
collaboration avec le compositeur de musique Gérard ZUCCHETO,
et a réalisé également des travaux sur l'art plastique.
Il est évident que
ceux qui défendent le mieux l'occitan sont les gens lettrés. Bien sûr, il
s'agit d'une certaine "élite". De là, de mauvais esprits ont considéré le
mouvement culturel occitan comme "fasciste" !
Le souhait de Franck BARDOU est de
porter le verbe occitan dans le monde comme le fait Aurélia
LASSAQUE.
C'est le livre
"L'arbre à miel" qui est retenu pour l'émission. Lecture d'extraits dans
les deux langues : occitan - français.
Cette poésie
alchimique le révèle dans sa posture la plus intime et par conséquent
universelle. Habitué à considérer le haut comme le bas et réciproquement,
et à résoudre l'antagonisme apparent des contraires, Franck BARDOU se
déclare optimiste dans l'esprit et pessimiste à la manière de Michel
HOUELLEBECQ.
Mais
"l'illumination" est une vérité si elle se construit par l'esprit. Et le
langage n'est que le réceptacle de ce qui n'a pas de nom. "Je suis un
intuitif, je pense par image, dit-il, je suis l'héritier d'Hermès le
Trismégiste."
Lecture de textes
de "L'arbre à miel".
De ce livre dédié
à l'amour, thème majeur chez ce poète qui perpétue la tradition des
troubadours, nous pouvons lire que : "Tous les grands amoureux, mozarabes
et troubadours, mystiques d’Orient et d’Occident, n’ont-ils pas évoqué
l’amour comme un feu dévorant ? L’Amour ici encore, en Tradition vivante,
danse comme une flamme. Mais c’est du four d’un poète alchimiste qu’il
lance ses incendies. Le sentiment, d’abord tout en tension et en désir
obscurs, se mue en plaisir lumineux, aussi fugace que miraculeux. Avant de
se déchirer entre la finitude de ce monde et l’orée d’horizons invisibles
que seule une joie sans cause permet de percevoir. Comme un feu qui, sans
bois, continue de brûler à travers les tristesses du fatidique… Le texte
original occitan est accompagné de sa version française."
*
L'arbre à miel
Il allait, pressé au cœur
par l'amour qui l'enivrait,
Mais en chemin la
Licorne le croise et veut le détruire.
Pour n'être pas
dévoré, l'homme court et fuit ce monstre.
Hélas ! En un
gouffre il tombe mais s'agrippe à quelque branche.
Tout au fond de
cet abîme, un dragon de feu l'attend.
Au pied de l'arbre
deux rats noirs et blancs rongent racines.
Le pin déjà s'est
penché quand, sur la branche où pend l'homme,
quatre serpents
venimeux s'emmêlent en voulant le mordre.
Peu lui chaut ! Un
peu de miel dégoutte d'une autre branche.
A cause de sa
douceur, l'homme oublierait son malheur.
Il est si bon, ce
trait d'or ! Son amie doit y goûter.
Il commence à en
cracher sur les rats qui s'en disputent.
Les serpents en
ont mangé : chacun en veut pour lui seul.
Ils sont si âpres
à la lutte qu'ils en oublient bientôt l'homme.
Lui, descend au
pied du tronc. Dans sa main, il prend trois gouttes.
Coup de pied, et
l'arbre tombe qui du dragon fend le crâne.
Quand l'homme a pu
remonter, la Licorne, en haut, l'attend.
Or, l'amoureux
tend sa main : la bête mange le miel,
puis elle en veut
davantage et plonge enfin dans le gouffre.
De miel, l'homme
n'a plus goutte, mais rejoint sa bien-aimée.
* Les paroles
se sont perdues.
C'est en vain que
j'écris ton nom
sur les murs de la
nuit tombée.
Car vrai mot ni
vrai son
ni vrai vers
d'aucune chanson
ne dira jamais
vérité
aussi bien qu'un
oiseau des près
ivre d'amour.
Le ciel se tait
d'âpre saison et
de vent fou.
Mais t'aimer m'est
toujours aussi bon.
*
Mère, ma douce
mer, et toi,
vent fringant,
paternel, qui avez fait jaillir
il y a longtemps
mon désir de pur néant vers l'Être
laissez-moi boire
comme voile
d'autres ondes et
d'autres vents,
car je m'en vais
oiseau de foudre et de plaisir
vers celle qui
répond à l'amour par l'amour,
jusqu'à toucher sa
peau d'azur.
*
La femme aimée ne
m'est qu'absence
comme blond
feuillage au décembre
d'une nuit
toujours plus pesante.
*
Franck BARDOU un
des auteurs occitans qui marqueront le siècle, est à lire. Par tous, grâce
à la traduction française du texte réalisée par l'auteur lui-même. A lire
absolument celui qui proclame que "sans amour ni repère, nous sommes tous
des exilés. Sans amour, ce n'est plus un chemin, c'est une tombe ouverte."
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